Texte intégral
M. Le Marc : Bonsoir. Un gouvernement tout neuf, plus resserré, renforcé de quelques balladuriens mais où n’ont pas été appelées les stars de l’ancienne équipe Balladur.
Un nouveau cap rappelé encore ce matin par le président et qui privilégie sans ambiguïté la chasse aux déficits et aux dépenses inutiles, qui se donne pour objectif la monnaie unique, et qui convient d’établir des priorités dans le domaine social.
Quatre chantiers majeurs :
- la protection sociale ;
- la réforme de l’État ;
- la fiscalité ;
- les banlieues.
Nous sommes entrés cinq mois et vingt jours après la nomination du premier gouvernement Juppé dans une nouvelle phase de l’action de l’exécutif, phase décisive pour le pays, car il s’agit de réformes essentielles, indispensables même pour Alain Juppé, parce qu’il n’y aura pas de troisième chance, et pour le président qui serait conduit à des décisions beaucoup plus radicales, si la réussite n’était pas au rendez-vous.
Alors, quelles sont les clefs du redressement ? Le gouvernement les a-t-il désormais en main ? Pour répondre à cette question ce soir, monsieur René Monory, président du Sénat.
Monsieur le président, bonsoir.
M. Monory : Bonsoir.
M. Le Marc : L’opposition souligne l’improvisation, la dimension d’échec qui caractérise ce remaniement. Beaucoup de parlementaires, de responsables de la majorité font grise mine estimant, comme le dit la chanson, que cela ne valait pas la peine de changer de gouvernement pour si peu.
Alors ce remaniement crée-t-il un choc salutaire ou pas ? Auriez-vous procédé, vous, de la même façon, si vous aviez été en charge de cette opération ?
M. Monory : Vous savez, on n’est jamais en charge, alors on ne sait pas si l’on procéderait de la même façon. Ce que je peux vous dire, ce n’est pas du tout parce que le gouvernement a été compressé que, d’un seul coup, tout est résolu. Ce sont les actes qui vont nous dire si l’on va dans le bon sens. Mais les actes, finalement, les étrangers nous regardent… et je crois que la première des décisions que doit prendre le gouvernement, c’est, d’abord et avant tout, des économies.
Ce n’est pas d’aujourd’hui. L’erreur que l’on commet, c’est de penser subitement que c’est une situation nouvelle. C’est une situation qui a commencé à se dégrader beaucoup à partir de la décennie 80-90. C’était quand même très caractéristique. On vivait au-dessus de nos moyens. On continue à vivre un peu au-dessus de nos moyens. Et d’un seul coup, un jour, il arrive que c’est le butoir, et nous y sommes.
M. Roland-Lévy : Pour revenir à ce qui s’est produit hier, c’est-à-dire un changement de gouvernement, une démission, puis une nomination nouvelle d’Alain Juppé, pouvez-vous nous en dire plus ? Une telle opération politique est suffisante pour rebondir ? Est-ce qu’Alain Juppé peut réussir ?
M. Monory : Je souhaite qu’il réussisse. Je vous dis : ce sont les actes.
Le problème aujourd’hui, la grande difficulté, c’est de faire comprendre à tous les interlocuteurs sociaux, économiques, etc., qu’il faut remettre un certain nombre de choses en cause. Ce n’est pas du tout que je souhaite priver les gens de moyens, je souhaite que nous soyons à la hauteur, dans nos dépenses, de nos recettes possibles. Il ne s’agit pas d’augmenter encore les impôts.
Ce qui a tué, à mon avis, le précédent gouvernement, c’est qu’on a beaucoup plus augmenté les impôts que de diminuer les dépenses.
Maintenant, on passe à l’acte 2 : un gouvernement plus resserré, peut-être qu’il y avait trop d’amateurs dans le précédent et j’espère que, dans celui-ci, il va y avoir plus de professionnels. Et finalement, maintenant, c’est l’acte 2.
L’acte 2, je l’attends avec beaucoup d’impatience, beaucoup de force. Il faut, coûte que coûte, baisser les dépenses et mieux contrôler.
Sur le social, il va falloir sans doute non pas réduire le social mais augmenter le contrôle, décentraliser et rationnaliser d’une façon certaine…
Mme Ardisson : Composer un gouvernement, c’est déjà un acte.
M. Monory : C’est un acte, oui.
Mme Ardisson : C’est déjà un acte, et cela a une signification vis-à-vis de l’étranger, vis-à-vis de l’intérieur aussi ?
M. Monory : Cela a été bien reçu vis-à-vis de l’étranger puisque le franc a remonté, les bourses ont remonté. Cela a été quand même bien reçu.
Mme Ardisson : Et est-ce que vis-à-vis de l’intérieur il y a, à l’intérieur de cet acte, une ou des nominations suffisamment fortes pour montrer que quelque chose va et doit changer ?
M. Monory : Écoutez, hier soir, Alain Juppé, à la télévision, a présenté son programme en quatre points, maintenant, il faut l’exécuter. Alors, on est là pour l’aider à l’exécuter.
Mais bien sûr, si l’on doit à nouveau augmenter les impôts, augmenter les taxes ou les charges de toute nature, alors là, je serai tout à fait critique.
M. Aphatie : Vous avez été choqué du départ de huit des douze femmes qui étaient dans le précédent gouvernement ?
M. Monory : Choqué ! C’est triste pour ces femmes parce qu’elles n’ont pas eu le temps de faire leur apprentissage. Mais, enfin, cela dit, c’était comme cela ! Il n’y a pas de problème.
M. Aphatie : Elles vous paraissaient suffisamment inexpérimentées, puisque vous disiez tout à l’heure qu’il y avait des gens inexpérimentés, pour finalement ne pas faire partie du gouvernement aujourd’hui ?
M. Monory : Un gouvernement, c’est quelque chose de sérieux. Être ministre, c’est quelque chose de sérieux. Je crois qu’il faut un certain nombre de néophytes, pas trop. Quand il y a trop de néophytes, il arrive ce qui est arrivé. Je crois que c’est un peu cela ! Des gens qui n’avaient jamais été dans un gouvernement quel qu’il soit… D’un seul coup, c’est dur ! Surtout dans une période comme celle qu’on a vécue où que l’on va vivre…
J’ai fait la réflexion, un jour, même au président de la République : j’étais inquiet parce que chacune des femmes ou des hommes du gouvernement, quand j’en recevais, quand j’en rencontrais, finalement pour exister, il pensait qu’il fallait dépenser. Alors que pour exister, il faut, au contraire, économiser. Alors, cela, ce n’est pas simple à faire comprendre. Et c’est peut-être pour cela qu’il y en avait trop !
M. Brocard : Monsieur le président, il n’y a pas beaucoup de femmes au Sénat, il n’y a pas beaucoup de femmes à l’Assemblée…
M. Monory : … je regrette.
M. Brocard : … il y en avait beaucoup puisqu’il y avait 25 % de femmes dans le premier gouvernement Juppé. Certaines ont l’impression de ne pas avoir démérité. Est-ce que vous pensez que les femmes qui sont venues au Gouvernement n’étaient pas suffisamment préparées pour avoir un ministère ?
M. Monory : Oh ! Je ne sais pas si les femmes… il y a des hommes aussi de partis qui n’ont pas démérité non plus. Personne n’a démérité. Finalement, quand il y a un semi-échec, on fait un remaniement. C’est tout le monde qui est concerné, ce n’est pas seulement ceux qui partent. Je crois que, dans l’ensemble, je ne dirai pas que tel ou tel a été bon ou pas bon, ce n’est pas comme cela qu’il faut prendre le problème. Le problème, c’est qu’il faut, pour les marchés étrangers, pour les étrangers, il faut avoir une lecture très claire de l’action d’un gouvernement.
Plus on est, plus ça risque d’exploser dans tous les sens. Et d’autre part, comme je le dis, comme chacun veut exister, il pense qu’en dépensant un peu plus – c’était le contraire qu’il fallait faire – il allait exister. Cela a été, à mon avis, la grande erreur.
Mais cela dit, personne n’a démérité plus l’un que l’autre. Il y a un certain nombre de gens qui sont partis et qui reviendront. Je le souhaite. Et puis cette expérience est toujours salutaire.
M. Le Marc : Monsieur le président, y avait-il urgence à remanier le Gouvernement, et pourquoi ? Est-ce que, finalement, ce n’est pas un aveu d’échec pour le président ?
M. Monory : Pourquoi ? Il faut demander à M. Juppé pourquoi. Quand les sondages tombent très bas, il faut créer un choc. Le premier choc est créé. Le deuxième, je l’attends. Ce sont des économies.
M. Roland-Lévy : Vous avez des critères précis qui vous permettraient d’apprécier la volonté ou la capacité du gouvernement de pratiquer ces réformes de fond et ces économies, que vous réclamez avec insistance ?
M. Monory : Il y en a un, je le répète avec prudence parce que j’agace un peu tout le monde, parce que cela fait un moment que je le dis…
M. Roland-Lévy : Agacez-nous !
M. Monory : Eh bien, je dis que, autant comme il est relativement simple avec de la volonté de réduire les dépenses fiscales ou budgétaires, on prend une décision – je dis bien avec de la volonté, et peut-être en n’excluant pas l’impopularité –, c’est relativement simple parce que cela comporte des décisions, autant comme il est extrêmement difficile de réduire les dépenses sociales, pourquoi ? Parce que 99,99% des Français sont acteurs de la dépense. Un pas significatif serait de ne pas engager aujourd’hui de nouvelles dépenses sociales…
M. Roland-Lévy : Vous pensez à quoi ?
M. Monory : Je pense à l’allocation autonomie par exemple. C’est une allocation, pour l’instant, qui a bien été travaillée au Sénat par Jean-Pierre Fourcade et je crois que l’on a beaucoup maîtrisé les choses par sa commission. Cela dit, on n’est pas obligé de réaliser toutes les promesses en six mois. Je l’ai dit à plusieurs reprises : le président de la République est élu pour sept ans. Il a fait des promesses, on les tiendra les promesses.
Mais pour les tenir, il y a d’abord une première phase : il faut remettre la France d’aplomb. La France doit devenir crédible pour l’étranger, à partir de là toutes les promesses qui sont faites… Cela m’est égal qu’on fasse l’allocation autonomie dans un an, aujourd’hui, à mon avis, c’est mal venu.
M. Brocard : Vous pensez un peu comme Édouard Balladur, là ?
M. Monory : Pourquoi je ne penserais pas comme Édouard Balladur ? Ce n’est pas une critique. C’est seulement une constatation. J’ai été aussi ministre des Finances. Quand je suis arrivé en 1978, ce n’était pas évident. J’avais promis de faire la liberté des prix, je l’ai faite en trois mois. J’avais promis de supprimer le contrôle des changes, je l’ai supprimé en deux ans. J’avais promis de faire une loi sur l’orientation de l’épargne, je l’ai faite en trois mois. Ce n’est pas du tout pour autant que j’étais en opposition avec ce qui se faisait avant, mais je pensais que le moment était venu.
Mme Ardisson : Oui. C’est la semaine prochaine que l’on va débattre de la Sécurité sociale, pas seulement, finalement. Cela deviendra un débat plus large. Donc, vous allez être fixer très vite et vous allez savoir très vite s’il y a une augmentation de la S.C.G., qui va servir, d’une part, à combler les déficits et, d’autre part, à financer cette fameuse allocation ?
M. Monory : Sur la Sécurité sociale, bien sûr il va y avoir certainement des propositions puisque le Gouvernement, semble-t-il, va faire une déclaration devant l’Assemblée nationale et le Sénat, qu’il y aura ensuite un vote par l’Assemblée nationale et le Sénat sur un certain nombre de propositions. On parle d’ordonnances. Je ne suis pas sûr s’il y a des ordonnances…
M. Le Marc : Vous le souhaitez ou pas ? Vous l’admettez ou pas ?
M. Monory : Quand on est président du Sénat, on ne peut pas trop souhaiter les ordonnances parce que, finalement, c’est un peu le court-circuit du Parlement.
M. Le Marc : Est-ce que vous l’acceptez ou le refusez, comme Philippe Seguin ?
M. Monory : Si vraiment c’est nécessaire pour le pays, on les acceptera. Mais pas n’importe quoi.
Si ce sont des ordonnances pour faire des économies, je suis d’accord. Si c’est pour faire des impôts nouveaux, cela me fera beaucoup de peine.
M. Aphatie : On parle de l’augmentation de la C.S.G. comme quelque chose d’inéluctable ?
M. Monory : Je dis qu’aujourd’hui – et je vais prendre des engagements – si vous décentralisez la gestion de la Sécurité sociale parce qu’il y a des gens très bons sur le terrain, si vous rapprochez en quelque sorte la gestion de l’événement, si vous responsabilisez les gens et si vous contrôlez un peu plus, vous avez déjà trouvé entre 5 et 10 % d’économies, sans finalement prendre de mesures extraordinaires.
Alors que l’on soit encore tenté d’augmenter la C.S.G., c’est une chose ! Mais que l’on soit surtout tenté de faire des économies, c’est une autre chose à laquelle je suis très attaché.
M. Le Marc : Avant de passer aux grands chantiers, un moment encore sur les marges de manœuvre du gouvernement. Est-ce que l’horizon du gouvernement Juppé, c’est deux ans ou bien c’est six mois, c’est beaucoup plus court ?
M. Monory : Je ne lis pas dans le marc de café, je souhaite pour lui que ce soit deux ans. Je souhaite qu’il puisse tenir jusqu’aux élections législatives parce qu’il faut aussi gagner les élections législatives. Donc, ce n’est pas en changeant le gouvernement tous les trois mois que l’on risque de les gagner ! Je souhaite vivement qu’il gagne. Je souhaite vivement qu’il réussisse ! Je ferai tout ce que je pourrai pour qu’il réussisse. Ce que j’aimerais de temps en temps c’est que l’on nous écoute un tout petit peu.
M. Le Marc : Est-ce que la conjoncture économique et sociale qui est mauvaise, c’est-à-dire une croissance qui faiblit…
M. Monory : Mais non, elle n’est pas mauvaise…
M. Le Marc : … une croissance qui faiblit et un chômage qui remonte ne constituent pas un handicap pour lui ?
M. Monory : C’est là l’erreur. C’est que finalement je voudrais bien donner de l’espoir aux gens.
Les « fondamentaux », pardonnez-moi d’employer cette expression qui n’est peut-être pas très bien comprise, économiques ne sont pas mauvais. Jamais le gouvernement, jamais la France n’a fait autant d’excédent commercial.
La croissance qui a été malheureusement en 1993, 1994, presque inexistante, aujourd’hui, même si elle diminue un peu, elle sera environ de 2,5 %. Nous n’avons pas beaucoup d’inflation. Même en ayant mis deux points de TVA, on n’a pas beaucoup provoqué d’inflation.
On a augmenté depuis un an le nombre d’emplois créés, même si le chômage n’a pas beaucoup diminué, il a diminué un peu quand même. Rien n’est catastrophique, tout n’est pas désespéré. Cela dit, aujourd’hui, ce qui est tout à fait lourd à supporter, c’est la progression de la dette permanente. Et c’est cela qu’il faut arrêter, donc il faut réduire les déficits.
M. Le Marc : Est-ce que vous souhaitez le coup de pouce de la Banque de France, elle a donné quelques signes de détente ?
M. Monory : Je ne crois pas non plus qu’on puisse commander la Banque de France qui commandait les marchés.
Les marchés, c’est l’impression qu’ils ont en France ou à l’étranger qui fait le taux. Ce n’est pas parce qu’on dira qu’on va le mettre à 3 % au lieu de le mettre à 5, que cela va marcher. Il faut que ce soit naturel. Mais pour cela il faut donner des signes évidents.
M. Brocard : Monsieur le président, vous dites : moi, je ferai tout pour soutenir le gouvernement Juppé, pour qu’il réussisse, pour gagner les élections, et puis vous ajoutez : simplement j’aimerais bien qu’on nous écoute un tout petit peu.
Alors, sur quel point voudriez-vous qu’on vous écoute vraiment ?
M. Monory : Sur tout ce que je viens de vous dire. Qu’on privilégie…
M. Brocard : Quelles sont les priorités ?
M. Monory : La priorité, c’est de diminuer les dépenses sociales. Je ne dis pas réduire le social.
Écoutez, c’est peut-être plus facile à faire dans un département que dans un pays : j’ai réussi à maîtriser le social dans mon département, cela m’a permis de faire beaucoup d’investissement et beaucoup d’emplois. Certainement, je suis l’un des départements en France qui, par rapport à sa population, a créé le plus d’emplois.
J’ai une évolution des dépenses sociales, alors que c’est en moyenne 80 % dans l’ensemble de la France, dans l’essentiel des départements, je suis à 43 ou 45 % dans le même temps.
Par contre, mes investissements ont beaucoup augmenté et j’ai créé beaucoup plus d’emplois. Aujourd’hui le chômage de France a progressé de 35 % en dix ans, dans mon département il a progressé de 10 %.
Il y a une corrélation directe entre le laxisme sur le plan social et la création d’emplois. C’est clair.
Mme Ardisson : Justement cette décentralisation, vous en parlez beaucoup dans le livre que vous venez de sortir…
M. Monory : Merci de me parler de mon livre, je suis venu un peu pour cela…
Mme Ardisson : Cela s’appelle Des clefs pour le futur.
M. Le Marc : Et cela paraît aux Éditions du Futuroscope.
Mme Ardisson : Et vous expliquez un peu ce que vous avez fait autour du Futuroscope précisément. Mais est-ce généralisable ? Peut-on faire cela dans toutes les régions ? Et souhaiteriez-vous, par exemple, pour la protection sociale qu’on laisse les régions gérer cela comme elles l’entendent ?
M. Monory : Non seulement qu’on les laisse, mais c’est une véritable réforme à faire. Il faut certainement régionaliser beaucoup plus de choses, et en particulier la gestion sociale. Seulement, vous savez pour le social, il y a beaucoup de patrons en même temps. Quand il y a beaucoup de patrons qui dépensent, c’est difficile à contrôler.
Mme Ardisson : Par exemple le R.M.I. ?
M. Monory : Je vais vous donner un exemple : j’ai mis sur le terrain quatorze personnes qui voyagent tous les jours sur le terrain pour aller voir les RMIstes, pour demander ce qu’ils veulent, qu’est-ce qu’ils veulent comme formation. On les met au travail. Depuis que j’ai fait cette opération, on n’a pas de miracle, mais ils ont cessé d’augmenter. Il faut aller voir les gens.
Je crois qu’aujourd’hui tous nos systèmes pour l’emploi sont un peu périmés, dans ce sens qu’ils sont du prêt-à-porter. Il faut faire du sur-mesure. Et vous savez, la première des réformes qu’on pourrait faire, ce serait de regrouper la direction du travail, l’A.N.P.E. Ce serait également de regrouper tout ce qui est organismes de formation, et que ce soit régionalisé, au niveau de la région, au niveau du préfet, enfin bref, peu importe pourvu que ça soit régionalisé. Et dès que vous êtes près de l’événement vous le traitez beaucoup mieux.
Quand vous traitez tout cela de Paris et que vous attendez les ordres de Paris, cela ne vient pas bien vite, et quand cela arrive, cela n’a plus beaucoup d’importance.
Je suis pour la régionalisation. Vous dites : est-ce qu’on peut reproduire ce que j’ai fait chez moi ? Oui. Sûrement. Vous savez, l’impossible ou l’improbable, c’est possible.
Mme Ardisson : Vous seriez prêt à récupérer la Sécurité sociale ?
M. Monory : Pourquoi pas ! Je ne dis pas « récupérer », nous, en tant qu’hommes politiques, je dis seulement le gérer le plus près.
M. Aphatie : La décentralisation n’est probablement pas une réponse à tout. Dans le déficit de la Sécurité sociale, on constate une inflation de dépenses. Les soins coûtent de plus en plus cher.
Concrètement, s’il fallait limiter les professions médicales ou s’il fallait limiter, en tout cas, les dépenses qu’occasionnent les soins voulus par les Français, comment est-ce qu’on s’y prend selon vous ? Qu’est-ce qu’il faut faire ?
M. Monory : D’abord, il faut cesser de considérer que c’est un dû, en permanence, par les habitants. Je ne suis pas du tout, croyez-moi, un antisocial bien entendu. Je ne veux pas du tout passer pour un affreux bourgeois de droite, ce n’est pas du tout mon cas.
Je suis certainement beaucoup plus généreux quand je crée des emplois. Les 25 % de différence que j’ai chez moi par rapport à la moyenne nationale, ce sont 5 000 personnes qui sont au travail, qui n’y seraient pas autrement.
M. Aphatie : Vous voulez dire que le déficit de la Sécurité sociale aujourd’hui est essentiellement dû à des consommateurs qui, en gros, ne sont pas assez responsables.
M. Monory : C’est dû à des dérives, à des abus, comme il y en a partout, quand on ne contrôle pas assez. Les gens ne sont pas toujours raisonnables. Il y a des tas de choses que je ne citerai pas ici, ce serait trop long… mais je vois cela tous les jours. Dès que vous relâchez la main, c’est vrai dans les hôpitaux, c’est vrai ailleurs, c’est vrai dans les transports de malades, etc., vous avez des quantités de raisons pour dépenser un peu plus. Les gens sont habitués maintenant à ce que ça soit dû.
Pourquoi, dans notre pays, les dépenses de Sécurité sociale sont plus importantes que dans n’importe quel autre pays développé, alors qu’ailleurs on ne soigne pas plus mal que chez nous ? Les Allemands, par exemple, ont mieux maîtrisé. Cela n’a pas été facile, c’est une question de courage.
Aujourd’hui, je suis tout à fait dur dans ce domaine. Je ne veux pas du tout réduire la prestation sociale, je veux mieux la gérer. Cela ne profite à personne de gaspiller. Et cela gaspille assez souvent d’une façon tout à fait normale.
M. Roland-Lévy : Une des causes essentielles du déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale tient aux dépenses exagérées – semble-t-il – de l’hôpital. Il semblerait qu’il y ait trop de lits. Et quand on demande à des élus : est-ce que, dans votre département, dans votre ville, vous êtes prêt à ce qu’on supprime des lits dans l’hôpital, en général ils sont moins d’accord. Je voudrais savoir ce que vous en pensez et ce que vous en pensez dans votre…
M. Monory : Je vais prendre mon exemple : en tant que maire de ma ville, je suis président, par la loi, de l’hôpital. Quand j’ai vu que j’avais trop de lits, j’ai proposé d’en supprimer dix ou quinze en chirurgie. J’ai même mis dix-huit mois avant qu’on l’accepte, mais j’ai proposé. Quelle importance ! L’important, c’est, sur le papier, le taux de remplissage… quand vous aurez des lits supplémentaires ! Mais, par contre, je peux vous dire qu’un petit hôpital bien géré vaut largement un grand, parce que, là aussi, il y a une gestion de plus près.
Ce qu’on ne sait pas faire, on l’emmène dans le grand hôpital. Ce que l’on sait faire, on le fait bien.
Je peux vous garantir que par une gestion rigoureuse… Depuis longtemps j’ai donné aux praticiens de mon hôpital ce qu’ils avaient dépensé chaque mois. Et c’est nécessaire, parce que, si vous ne le faites pas, d’un seul coup il y a une envolée des prestations qui ne sont forcément utiles. Mais je vous assure qu’on peut gérer l’hôpital, sans pour autant avoir une dérive.
Et je dirais même, que contrairement à toutes les idées reçues, que plus ils sont gros, plus c’est difficile à gérer et plus il peut y avoir de dérives.
Mme Ardisson : Il y a quand même deux faits qui font augmenter les dépenses médicales et dont on ne peut que se féliciter, c’est l’allongement de la durée de la vie et les progrès médicaux. Cela, qu’on le veuille ou non, coûte cher.
M. Monory : Cela coûte cher.
Mme Ardisson : À partir de quel moment vous dites : il faut arrêter ?
M. Monory : Je ne dis pas qu’il faut arrêter. Je n’ai jamais dit dans mon propos qu’il fallait arrêter de faire du social, arrêter de soigner les gens, ce n’est pas cela ! Il faut arrêter le gaspillage.
En permanence, j’en vois tout autour de moi, et j’estime que ce n’est pas réglé, ce n’est pas contrôlé, ce n’est pas géré. C’est pour cela que je vous dis : rapprochons la gestion au plus près des gens, des responsables et contrôlons !
J’ai contrôlé chez moi ce qu’on appelle l’allocation compensatrice. Il se trouve, quand je vois ceux qui m’entourent, qu’ils ont dépensé beaucoup plus pour la même chose. De façon à ce que soit bien utilisé, j’ai fait vérifier. Et finalement il y a des gens qui ont l’aide compensatrice, cela coûte cher, ils ont une personne avec eux. Il y en a peut-être d’autres parfois qui n’en ont toujours pas, qui la mettent à la Caisse d’Épargne, cela peut arriver.
M. Le Marc : Monsieur Monory, le Gouvernement va devoir prendre aussi des décisions peut-être douloureuses en ce qui concerne le régime famille. Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui serait inacceptable, à votre avis, dans ce domaine ?
M. Monory : Dans le domaine de la famille ?
M. Le Marc : Les allocations familiales ?
M. Monory : Je crois que, de toute façon, la politique de la famille dans un grand pays ne peut pas être compressée, négligée. Mais je crois qu’il n’y a pas d’urgence aujourd’hui pour prendre des mesures pour dépenser davantage d’argent pour la famille. Mais je crois que la famille, c’est quelque chose qui doit être prioritaire par rapport même aux dépenses de la Sécurité sociale.
M. Le Marc : Mais est-ce que les allocations doivent être versées sous condition et soumises à impôt ?
M. Monory : Pourquoi pas !
Je n’ai pas bien compris votre question.
M. Le Marc : Est-ce que les allocations doivent être versées sous condition de revenus et doivent être soumises à impôt ?
M. Monory : Oui. Conditions de revenus, bien sûr : il faut quand même, dans la politique familiale, favoriser plutôt ceux qui sont les moins riches, c’est vrai !
Vous savez, c’est vrai aussi pour les étudiants. On voit très bien le problème aujourd’hui : dès qu’on touche à l’allocation étudiant, les plus pauvres se battent pour les plus riches puisque l’allocation étudiant est donnée à tout le monde de la même façon, quel que soit le revenu des familles. L’autre jour, récemment, le secrétaire d’État a voulu améliorer les choses, il n’a pas été bien compris des étudiants.
C’est toujours difficile : on parle d’équité, on parle d’égalité, et l’on n’aime pas toucher beaucoup ni aux riches, ni aux pauvres.
Objections.
M. Le Marc : Objections de M. Michel Dreyfus-Schmidt, sénateur de Belfort, vice-président du groupe socialiste.
Bonsoir, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Dreyfus-Schmidt : Bonsoir.
M. Le Marc : Votre commentaire sur ce qui vient d’être dit, vos objections et vos questions ?
M. Dreyfus-Schmidt : Lorsqu’on entend René Monory, on se dit que d’une part il existe en France un Astérix qui, dans son Poitou, réussit à avoir une situation qui est bien meilleure que dans tout le reste de la France, et que d’autre part on regrette que monsieur Juppé soit encore le Premier ministre et que ce ne soit pas René Monory qui le soit, parce qu’il sait comment faire.
Évidemment, je plaisante…
M. Monory : Soyons sérieux, monsieur mon vice-président…
M. Dreyfus-Schmidt : C’est un peu l’impression que l’on a lorsqu’on vous entend. Il y a deux choses : il y a le Gouvernement et il faut dire que la communication de ce Gouvernement est tout de même une catastrophe depuis le début. Vous voulez qu’on fasse des économies ? On va commencer par payer pendant six mois des gens qui ont été ministres pendant cinq mois et demi, des gens parmi lesquels on a nommé des femmes parce qu’il fallait nommer des femmes et ensuite on a l’air de dire que c’était de leur faute puisqu’on les supprime.
Comme disait tout à l’heure monsieur Santini, c’est deux fautes : d’abord d’avoir nommé douze femmes pour nommer des femmes et ensuite de les enlever.
M. Monory : Elles étaient sympathiques, toutes ces femmes, et elles n’ont pas démérité.
M. Dreyfus-Schmidt : Personne n’a démérité, mais vous dites que quand il y a trop de néophytes cela ne va pas, et vous dites qu’il y avait trop d’amateurs et qu’il faudrait plus de professionnels. Il n’y aura pas plus de professionnels puisqu’il n’y a pas plus de ministres.
M. Le Marc : Votre question, monsieur Dreyfus-Schmidt ?
M. Dreyfus-Schmidt : Je ne pensais pas que c’était une question que je devais poser, puisque c’était des objections que j’avais à faire.
M. Le Marc : Objections, si vous voulez.
M. Dreyfus-Schmidt : Si vous voulez, je vais poser la question : monsieur le président Monory dit qu’il ne faut pas plus d’impôts, mais je ne sais pas s’il a remarqué que la taxe intérieure sur les produits pétroliers a été augmentée très sérieusement et qu’elle l’est de nouveau dans le projet de budget, que la T.V.A. a été très singulièrement augmentée et que c’est simplement sur les transmissions des entreprises qu’il y aurait des réductions, c’est-à-dire que ce sont les petits qui sont frappés par l’impôt indirect alors qu’au contraire les gros feraient des économies certaines. Est-ce qu’il trouve que c’est une bonne méthode.
M. Monory : Ce n’est pas une question de méthode. Je voudrais répondre à monsieur Dreyfus-Schmidt qui m’entend parler tous les jours et qui sait très bien que je ne pense pas que mon département soit mieux que les autres. J’ai dit seulement qu’il y a des expériences qui sont possibles à faire, et puis j’en parle parce que c’est vrai…
M. Dreyfus-Schmidt : Permettez-moi de vous dire que je suis très sensible à l’hommage que vous rendez à la décentralisation, qui est tout de même l’œuvre des Gouvernements de la gauche.
M. Monory : Je le sais, monsieur Dreyfus-Schmidt, je n’ai jamais nié que c’était monsieur Defferre qui avait fait la décentralisation et j’ai toujours dit que c’était une des bonnes lois – il n’y en a pas eu tant que cela des bonnes lois – de la décennie 80. Celle-ci est bonne.
M. Dreyfus-Schmidt : Cela n’a pas été tellement dit à l’époque.
M. Monory : Je l’ai toujours dit.
M. Dreyfus-Schmidt : Vous peut-être, mais pas toute la majorité.
M. Monory : Non, pas toute la majorité, mais je l’ai dit à titre personnel et je me suis beaucoup servi de la loi. Ne croyez pas que le département de la Vienne soit un pays de cocagne. C’est un département dans lequel je fais des expériences ; quand je fais des expériences, j’essaie de les reporter.
Pour le reste, d’abord, n’accablons pas les gens qui sont partis ; c’est toujours triste quand quelqu’un rentre dans un gouvernement, n’y reste pas longtemps et repart. Je n’accable personne et je considère que c’est peut-être une erreur d’avoir fait un gouvernement trop important au départ ; c’était comme ça, c’était peut-être l’euphorie de la victoire. Aujourd’hui, c’est autre chose.
Mais vous conviendrez bien avec moi, et vous le savez bien, monsieur Dreyfus-Schmidt, que finalement on ne peut pas dépenser plus qu’on ne gagne. Je voudrais vous dire quand même que pendant toute la décennie socialiste, on n’a jamais dépassé en moyenne 2 % de croissance et on a continué à vivre comme si on faisait 5 ou 6 % de croissance. Il y a longtemps, vous savez, qu’on accumule les déficits.
Je voudrais vous rappeler une chose, sans être méchant : lorsque j’ai quitté le Gouvernement en 1981, les besoins de financement du gouvernement de la France étaient de l’ordre de 60 à 70 milliards, pour le social comme pour l’économique, et dans l’intervalle de 80 à 94, où c’est quand même finalement quatorze ans de mitterrandisme avec deux fois deux ans de cohabitation, les besoins de financement de la France sont passés de 70 milliards à 550 milliards en 1994. Et on le paie aujourd’hui, parce qu’on a continué à distribuer comme si l’on faisait 5 % de croissance.
Voilà ma réponse. Ce n’est pas du tout de la polémique avec monsieur Dreyfus-Schmidt, qui est un très bon ami, avec lequel on travaille très bien au Sénat. C’était ma surprise de voir que c’est lui qui m’interrogeait.
M. Le Marc : On le remercie de son intervention.
Le second chantier du Gouvernement et d’Alain Juppé, c’est la réforme de l’État. Où se trouvent, à votre avis, les gisements importants d’économie ? Dans quels ministères ? Et quelle attitude le Gouvernement doit-il adopter face au secteur public en restructuration et en difficulté ? Je fais allusion là à Air France et Air Inter qui entrent en grève demain : 20 milliards ont été versés pour la restructuration ; on est dans une impasse : jusqu’où doit aller le Gouvernement ? Jusqu’au dépôt de bilan ?
M. Monory : Non, je ne crois pas qu’il ira jusqu’au dépôt de bilan. D’ailleurs, s’il a déjà versé 20 milliards, c’est qu’il ne veut pas aller au dépôt de bilan. Mais je trouve qu’il faudrait beaucoup plus soutenir encore monsieur Christian Blanc en ce moment ; je l’ai déjà dit récemment. Je crois que c’est un président qui est très méritant, très pugnace, très courageux, parce qu’il ne se rend pas populaire et il le fait. Je crois qu’il faut le soutenir parce que, s’il ne passe pas, qu’est-ce qu’on deviendra ? Et ce n’est pas seulement Air France, c’est en même temps la S.N.C.F., c’est en même temps un certain nombre de choses.
Je crois que le vrai problème, et on met le doigt dessus, c’est qu’on n’a jamais su très bien choisir dans ce pays entre le socialisme et le libéralisme ; alors on fait un peu de socialisme et un peu de libéralisme. Quand une entreprise publique est entre les mains d’un gestionnaire, le Gouvernement intervient plus ou moins pour dire : « Faites donc ceci, faites donc cela. » Il y a une confusion des genres permanente. Cette confusion des genres arrive au Crédit Lyonnais, arrive à la S.N.C.F., arrive à Air France et à bien d’autres que l’on pourrait citer. Mais cela fait quand même une addition formidable à payer.
Au-delà de tous les déficits dont on parle, ceux-là on n’en parle pas, mais il faudra bien les payer aussi. La S.N.C.F., on ne peut pas la laisser comme cela, elle a 200 milliards de dettes, il va bien falloir rembourser quelque part, il faudra quand même bien redresser la situation…
M. Le Marc : Donc soutien au secteur public, malgré la recherche d’économies.
M. Monory : À condition de lui poser des conditions. Je trouve que monsieur Blanc a tout à fait raison, à partir du moment où les conditions faites au personnel sont beaucoup plus extravagantes que celle faites au personnel des pays étrangers ; les autres compagnies étrangères d’aviation ont redressé leur situation, en particulier British Airways. Je crois qu’il faut qu’on fasse attention, et c’est un appel qu’on peut faire au personnel : « Faisons attention, ne tuons pas l’outil merveilleux que nous avons avec Air France et Air Inter. »
M. Aphatie : Sur un autre sujet, sur les banlieues qui aujourd’hui…
M. Le Marc : Autre chantier du gouvernement.
M. Aphatie : … connaissent beaucoup de problèmes, il y a visiblement deux lignes au sein du Gouvernement jusqu’à présent, et peut-être dans la majorité : ceux qui avec le ministre de l’Intégration réclament un plan Vigicasseurs pour faire face aux désordres, et ceux qui avec Xavier Emmanuelli, et visiblement le président de la République aussi, proposent de tendre la main plutôt aux gens en difficulté dans les banlieues. Quelle est la ligne qui a votre préférence ?
M. Monory : Il y a deux lignes qui ont ma préférence. Oublions un instant le lieu géographique des banlieues. Les banlieues, ce sont d’abord les jeunes, encore les jeunes, toujours les jeunes…
M. Aphatie : Mais être jeune à Neuilly ou être jeune à Sarcelles, ce n’est peut-être pas la même chose.
M. Monory : Non, mais attendez ce que je vais vous répondre. D’une part, il faut développer le travail dans ces zones-là, mais surtout il faut intégrer les jeunes, quelle que soit la couleur de leur peau, par le travail. J’avais préconisé, et d’ailleurs dans une large mesure, depuis deux ou trois ans, je n’ai pas toujours été suivi, d’obliger en quelque sorte les entreprises, toutes les entreprises françaises, comme en Allemagne, à faire de la formation des jeunes pendant au moins deux ans de la vie du jeune. Le jeune arrive sur le marché du travail avec une culture générale – bac, bac+2, bac+3, bac+4 – et ensuite il ne peut pas acquérir la culture de l’activité.
C’est cela le grand hiatus au sein de notre société. En Allemagne, vous avez 1 200 000 jeunes qui sont en formation en même temps, alors qu’en France vous en avez 200 000. Le jour où vous aurez intégré les jeunes dans la formation, vous aurez donné un bagage à ces jeunes, ils ne seront déjà plus désœuvrés.
En dehors de cela, il faut faire de l’aménagement de territoire, il faut développer les banlieues, et je ne vais pas vous parler de mon département parce que cela agace, alors n’en parlons pas.
M. Aphatie : Donc pour faire face aux violences…
M. Monory : Je peux vous dire que j’éviterai coûte que coûte de faire des banlieues autour de Poitiers et de Châtellerault.
Mme Ardisson : Dans le feu de l’action, vous avez oublié la première partie de la question de Pierre Le Marc concernant les économies à réaliser dans le budget et les secteurs soit à sauver, soit au contraire dans lesquels il faut tailler. Est-ce que vous seriez, par exemple, partisan qu’on taille dans le budget de la Recherche, vous qui encore une fois…
M. Monory : Sûrement pas.
Mme Ardisson : … dans ce livre y attachez tant d’importance.
M. Monory : Attendez… il m’est arrivé de dire parfois, et je me suis fait beaucoup critiquer, que si on n’avait pas assez d’argent pour faire les deux, entre une autoroute et un laboratoire de recherches, je ferais un laboratoire de recherches, parce que j’ai pris comme principe que même si la route n’était pas tout à fait assez large, quand on la prend on arrive au bout ; tandis que si vous n’avez pas de laboratoires de recherche ou d’enseignement supérieur de qualité, vous n’arrivez jamais nulle part. C’est ce que j’avais dit et cela avait été un peu critiqué parce que c’est vrai que mon propos était un peu outrancier, mais il y a des choses qu’il ne faut pas sacrifier.
Cela dit, probablement qu’il faut arrêter aussi de créer davantage d’emplois publics. Ce n’est pas facile à faire, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais il faut peut-être arrêter de créer tout le temps, tout le temps, des emplois publics. Il faudrait qu’on arrive à faire comprendre – il faut faire davantage de communication – aux syndicalistes, qui sont des gens intelligents et qui devraient le comprendre, qu’il ne suffit pas de réclamer de l’argent, de réclamer des emplois, pour que cela marche.
Cela serait trop long de vous dire où l’on peut faire des économies, c’est aussi au Gouvernement. Il faut surtout créer une culture de l’économie, et non pas une culture de la mendicité : toujours demander plus, etc. Quand, je vous le répète, nous faisons aujourd’hui 2 % de croissance par an et que notre impératif, si on veut résister aux pays – si vous lisez mon livre, vous verrez cela et j’espère que vous aurez le temps de le lire…
Mme Ardisson : Je l’ai lu…
M. Le Marc : C’est fait.
M. Monory : Vous comprendrez que ces pays qui sont en train d’évoluer, qui sont en train d’émerger, je pense à la Chine par exemple, peuvent toujours construire des maisons en mettant 100 personnes là où on en met une, mais ne sont pas capables de faire demain ni des chercheurs ni des professeurs d’université, tout au moins au niveau dont ils auraient besoin. Je crois que si nous ne faisons pas justement cet effort-là pour aller combattre, être plus présent sur leur terrain… Là aussi c’est l’un de mes dadas : il faudrait qu’on ait au moins 300 ou 400 000 jeunes de plus à l’étranger. Quand je vais quelque part, il y a toujours deux ou trois fois moins de Français que d’Allemands, que d’Italiens ou que d’Anglais. Et tant qu’on ne sera pas plus présent, on ne créera pas d’emplois et on ne fera pas non plus des marchés à l’extérieur.
Ce que je crois, c’est qu’il faut qu’on arrête de dépenser en fonctionnement et qu’on commence à investir davantage. Je considère que l’investissement, c’est aussi la formation intellectuelle, c’est aussi la recherche.
M. Roland-Lévy : On revient une seconde aux jeunes dont vous parlez beaucoup : est-ce que vous êtes favorable à un S.M.I.C. jeunes, du moins à un moyen de rémunération qui leur permette d’intégrer plus facilement les entreprises, du type S.M.I.C. jeunes ?
M. Monory : J’avais proposé, je n’ai pas changé dans mes propositions, à l’époque que chaque entreprise, en lui donnant les moyens de le faire, c’est-à-dire qu’aujourd’hui les entreprises ont une obligation de formation de 2,5 % de le passer à 6 %, quitte à réduire quelques charges familiales – cela coûtait un point de TVA –, donne 5 000 F à chaque jeune embauché – c’est à peu près le S.M.I.C. net – et à ce moment-là obligation d’en prendre 4 ou 5 % de leur personnel. Il y a à peu près 10 millions de salariés. Mettons même qu’on aurait pris que 300 ou 350 000 jeunes en formation en plus de ceux qu’il y a : cela fait 60 000 francs par an, 400 000, cela fait 24 milliards ; un point de T.V.A., c’est 35 milliards. Plutôt que d’avoir mis deux points de T.V.A. pour boucher les choses, j’aurais préféré qu’on en mette un là et qu’on ait 300 ou 400 000 jeunes.
Cela règle plusieurs problèmes à la fois. Si vous avez 400 000 jeunes de plus en formation dans l’entreprise, ce sont potentiellement des créateurs d’entreprise, c’est l’allègement des premiers cycles d’université de moitié : c’est 100 ou 150 000 jeunes de moins qui rentreront dans le premier cycle pour échouer. C’est quand même triste de penser que des jeunes rentrent en premier cycle d’université et, deux ans plus tard, ressortent sans bagage supplémentaire, avec le diplôme qui leur a permis d’y rentrer.
M. Roland-Lévy : Comment expliquez-vous que cette idée, je me souviens très bien que vous êtes allé la proposer à Édouard Balladur quand il était Premier ministre, vous avez dû certainement la proposer à Alain Juppé, ne soit pas appliquée par vos amis du Gouvernement ?
M. Monory : Je l’ai proposée à tout le monde. C’est un peu pour cela que je vous dis que j’aimerais bien qu’on soit entendu.
M. Roland-Lévy : Pourquoi ne l’appliquent-ils pas ?
M. Monory : Je n’en sais rien… Probablement cela ne convient pas. Et puis il y a parfois des techniciens de la finance derrière…
M. Roland-Lévy : C’est la faute à Bercy.
M. Monory : J’ai eu l’occasion de voir un jour dans Paris-Match, après les propositions que j’avais faites à Édouard Balladur, que les techniciens des finances avaient dit que je n’avais aucune chance de réussir…
M. Le Marc : Monsieur Monory, la France – on passe à un autre sujet, mais un sujet important – célèbre la mémoire du général de Gaulle à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa mort, demain. Quels souvenirs avez-vous personnellement de lui et qu’est-ce qui reste finalement de son héritage ?
M. Monory : Je dirai d’abord que le général de Gaulle, c’est l’homme du 18 Juin : c’est un symbole formidable que personne n’a remplacé. J’ai un souvenir personnel : c’est qu’il était passé un jour dans ma ville, j’étais relativement jeune et quand on est jeune, cela marque. Le général de Gaulle, c’est aussi celui qui a mis la Constitution de la Ve République en place ; on l’a modifiée un petit peu, mais elle a quand même tenu. Il faut bien reconnaître que s’il n’y avait pas eu la Constitution de la Ve République, les gouvernements seraient sans doute tombés plus rapidement qu’ils le font aujourd’hui…
M. Le Marc : Cela change tous les six mois quand même maintenant…
M. Monory : C’est exceptionnel, c’est un essai qu’on a fait, on ne recommencera pas.
M. Aphatie : Dans la Constitution de la Ve République, il y a quand même cette pièce maîtresse qui est l’élection du président de la République au suffrage universel. On voit beaucoup d’hommes politiques qui, dans la coulisse, disent : « Ce n’est pas très bien, mais on ne pourra jamais y revenir. » Est-ce que vous faites partie de ces gens qui pensent que cette élection-là pèse trop sur le paysage politique français ?
M. Monory : Je ne crois pas qu’on puisse remettre cela en cause, donc ce n’est pas la peine d’en parler. Par contre, je crois que sept ans, c’est trop long. J’aurais aimé qu’on passe à cinq ans, je l’ai dit à plusieurs reprises. J’ai été longtemps à prendre cette position, parce que la vie va tellement vite que revoir tous les cinq ans l’élection du président de la République ce serait peut-être quelque chose de plus dynamique – mais c’est ainsi – et cela pourrait cadrer plus ou moins bien avec l’Assemblée nationale, car on va vivre maintenant au rythme de trois ans avec une majorité, deux ans une cohabitation, etc. C’est quand même un peu inquiétant.
M. Le Marc : Vous n’êtes pas optimiste pour le président Chirac ?
M. Monory : Je ne dis pas cela, j’ai dit qu’on a vécu cela, j’ai fait référence au passé.
M. Roland-Lévy : Monsieur Monory, en 1965, en décembre, vous avez voté pour Jean Lecanuet ou pour le général de Gaulle.
M. Monory : J’ai voté, je crois, au premier tour, pour Lecanuet, au second tour pour le général de Gaulle.
M. Le Marc : Est-ce que les héritiers du général de Gaulle sont à la hauteur des défis de la France actuelle ?
M. Monory : Je crois que oui, je crois que les gens sont à la hauteur. Je vous le dis, ce qui manque beaucoup actuellement à notre pays, et c’est pour cela que vous me sentez un peu passionné, peut-être un peu trop dur ou un peu trop violent, c’est que je crois qu’on n’a pas fait suffisamment de communication réelle. Finalement, si on n’explique pas aux gens que nous faisons moins bien – et pas par notre faute, mais parce qu’il y a émergence de pays nouveaux – en croissance que par le passé, on ne peut pas donner autant que par le passé. On a habitué les gens à leur donner plus avec une croissance moindre et je crois que ce qui nous a manqué beaucoup, et depuis dix ans, c’est un manque d’explication, un manque de formation. Heureusement qu’on est dans une société de communication : j’espère qu’on arrivera à faire comprendre cela à tout le monde.
M. Aphatie : Certains qui se réclament du gaullisme, et notamment celui qui occupe le poste que vous occupez au Sénat, c’est-à-dire Philippe Seguin, à l’Assemblée nationale, partent du gaullisme, de sa doctrine, de sa philosophie, pour dire que la monnaie unique est quelque chose qui dessert la France plutôt qu’elle ne la sert.
M. Monory : Non, le président de la République actuel, vous vous trompez, est tout à fait favorable…
M. Aphatie : Je parlais de Philippe Seguin.
M. Monory : Philippe Seguin n’est pas le président de la République. Le président de la République est celui qui impulse la politique. Philippe Seguin ne le dit plus d’ailleurs ; il a dit qu’on avait voté Maastricht et qu’il en avait pris acte.
M. Aphatie : La monnaie unique, est-ce que cela n’est pas un peu contraire à cette idée de l’indépendance nationale ?
M. Monory : Je ne crois pas du tout. Les grands ensembles se font un peu partout. La Chine, c’est important, le Japon, c’est important ; les États-Unis ont fait l’Alena qui n’est peut-être pas encore complètement opérationnel mais qui va l’être. Je ne crois pas du tout qu’on puisse se le permettre aujourd’hui, sans risque de rester isolés non pas sur le plan de la culture, non pas sur le plan de l’État en tant que tel, mais sur le plan des moyens, des mécanismes de l’économie. Quand vous êtes sur un marché et quand vous voyez comment cela se passe en ce moment sur l’étranger : vous avez les Espagnols qui dévaluent, les Italiens qui dévaluent, les Anglais qui dévaluent, il n’y a plus d’Europe possible.
Je crois donc que c’est tout à fait indispensable à la société de nos marchés économiques
M. Le Marc : De Gaulle privilégiait les relations franco-allemandes. Est-ce que vous n’êtes pas un peu inquiet de l’état de ces relations et du tiédissement de l’ardeur européenne outre-Rhin ?
M. Monory : Non, j’ai les meilleures relations avec le chancelier Kohl, que je ne vois pas très souvent, mais une fois par hasard, et je sais qu’il tient beaucoup, comme nous, à l’axe franco-allemand. Cela dit, il faut qu’on soit très sage, très sérieux et qu’on leur donne confiance. C’est surtout l’opinion publique allemande qui peut-être a des doutes sur notre situation. Alors, il faut leur enlever ces doutes. Mais je crois que l’Europe ne peut pas se faire sans privilégier l’axe franco-allemand et je suis un farouche défenseur de cet axe.
Mme Ardisson : On parlait il y a un instant des héritiers du général de Gaulle : il ne vous semble pas qu’il y a actuellement un problème de renouvellement de la génération politique qui transparaît à travers l’inexpérience justement que vous souligniez de certains ministres ?
M. Monory : Si je comptabilise tous les jeunes qui espèrent la prochaine élection présidentielle, je trouve qu’il y a un bon renouvellement.
M. Le Marc : Est-ce que le temps des hommes d’exception est fini ?
M. Monory : Est-ce qu’on a besoin d’hommes d’exception ? Le général de Gaulle est arrivé après la guerre, avec une aura extraordinaire ; il a été l’homme qui avait compris ce qu’il fallait faire, etc. On n’a pas besoin d’hommes d’exception, on a besoin de gens qui voient juste, qui voient loin et surtout qui s’entendent bien, qui font des équipes. Un homme seul aujourd’hui, même s’il peut donner confiance, n’est pas suffisant. Il faut des équipes qui travaillent ensemble. Je crois que c’est cela la vérité, la réponse. Des hommes d’exception… Je me méfie un peu parce que l’homme d’exception n’est pas toujours d’exception pour tout ce qui le concerne…
M. Brocard : Quelquefois, il veut supprimer le Sénat.
M. Monory : C’est passé. Maintenant personne n’oserait plus y toucher, parce que d’abord le Sénat est utile : le Sénat représente le territoire, le Sénat amende les lois, souvent les améliore. Je crois que le Sénat est indispensable à la République, plus indispensable que jamais.
M. Le Marc : Il a l’influence qu’il mérite ou certaines réformes peuvent encore accroître son influence ?
M. Monory : On n’a pas voté une seule loi au cours de ces deux dernières années sans qu’elles soient conformes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, et 70% des amendements retenus en fin de course étaient issus du Sénat ; ce n’est pas si mal que ça…
M. Le Marc : Cette émission se termine. Merci, monsieur le président Monory d’y avoir participé.
Je rappelle le titre de votre ouvrage : Des clefs pour le futur, aux Éditions du Futuroscope.
Bonsoir à tous et à mercredi pour un nouveau numéro d’Objections.