Déclaration de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, sur la conception française de l'enseignement supérieur, l'équilibre entre formation initiale et formation continue, l'appréhension du savoir par l'émergence des nouvelles technologies, et la possibilité d'harmoniser les cursus universitaires en Europe, Paris le 8 octobre 1998.

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Intervenant(s) : 
  • Claude Allègre - ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie

Circonstance : Conférence mondiale sur l'enseignement supérieur, à Paris le 8 octobre 1998

Texte intégral

Monsieur le président,
Monsieur le directeur général,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les directeurs, professeurs, représentants des enseignants et étudiants,


En tant que chef de la délégation française, je suis à la fois heureux et honoré de souhaiter la bienvenue à Paris à quelques 90 collègues et 120 délégations venus du monde entier. Le Premier ministre de la France, Lionel Jospin, a brossé un tableau général de la conception française de l'enseignement supérieur, je n'y reviendrai donc pas.

Dans le temps qui m'est imparti, je voudrais évoquer quelques points.

Dans un monde de plus en plus complexe, de plus en plus technique, de plus en plus incertain, la connaissance est la clé de la citoyenneté. Le meilleur moyen de lutter contre les peurs, contre les préjugés, contre tout ce qui menace finalement la paix sur cette planète, c'est la connaissance. Mais en même temps, c'est aussi la clé pour l'emploi, parce que la connaissance dans ce monde de plus en plus technique est la seule manière de maîtriser les technologies et par voie de conséquence de s'insérer dans le secteur productif. Aussi nous pouvons dire que parmi les défis du XXIe siècle l'accès à l'enseignement supérieur doit figurer parmi les droits de l'homme et de la femme.

Nous sommes à un moment où il est inutile d'opposer formation et éducation. La France a été le théâtre de grands débats idéologiques sur ce point : doit-on former ou éduquer ? La réponse est naturellement : les deux. Il n'y a pas d'éducation supérieure sans en même temps une préparation à l'emploi, mais il n'y a pas une préparation à l'emploi sans une solide éducation, ne serait-ce que parce que les reconversions deviendraient totalement impossibles. De la même manière, opposer culture générale et professionnalisation a de moins en moins de sens.

Le grand défi aujourd'hui, c'est le problème de l'équilibre entre formation initiale et formation continue. Tout le monde, naturellement, tombe d'accord sur la formule « formation tout au long de la vie, formation continue, éducation continue », tant qu'on en reste au stade du discours. En fait, on s'aperçoit que cette formation continue, dès lors qu'elle devient diplômante et qu'elle donne les mêmes accès aux diverses fonctions, se heurte à des préjugés extrêmement solides et extrêmement nocifs. Tout cela vient du fait que, chez beaucoup d'hommes, il y a la conception scientifiquement erronée que l'inné est plus important que l'acquis, et que par conséquent l'obtention d'un diplôme à 20 ans est plus important que l'obtention de connaissances tout au long de la vie. Et pourtant lorsque j'étais professeur, j'ai enseigné pendant 30 ans des choses que je n'avais jamais apprises sur les bancs de l'école. La formation continue, la formation permanente, c'est la réalité de la vie et nous devons la faire passer dans les faits au même titre que la formation initiale. Ceci demande, en ce qui concerne la formation initiale, et si nous voulons parvenir à relever ce défi de la démocratisation, d'aider les étudiants. Pour nous, nous avons relancé en France un plan social étudiants pour aider plus nettement et plus profondément les étudiants de toutes origines à faire des études.

Cela demande pour les adultes des droits nouveaux, un droit au retour à l'université, un droit au chèque éducation. Cela demande que les acquis professionnels puissent être validés sous forme de diplômes et c'est très difficile à faire parce que la plupart des professeurs d'universités, s'ils sont d'accord en paroles, ont beaucoup de mal à donner des diplômes pour des élèves qui n'ont pas suivi leurs propres cours. Et pourtant c'est une nécessité absolue si nous voulons avancer vers cette interpénétration entre l'éducation tout au long de la vie et la vie professionnelle.

Et puis nous avons, bien sûr, une révolution considérable dans nos méthodes d'enseignement. En fait, nous enseignons aujourd'hui comme on enseignait dans les premières universités, comme enseignaient finalement les prêtres à l'époque de Sumer : il y a quelqu'un qui sait, qui fait un discours et qui enseigne à ceux qui apprennent. Eh bien, cette méthode est en train d'être totalement bouleversée par l'émergence des nouvelles technologies. Quelqu'un disait récemment que les nouvelles technologies, cela ne va rien changer, qu'on ne modifiera pas le cerveau des gens, ni la pédagogie. Profonde erreur. S'il n'y avait pas eu Gutenberg et l'imprimerie que serait devenue l'éducation ? Elle serait restée à l'âge de la scolastique ! Les nouvelles technologies vont changer le mode d'éducation en introduisant une nouvelle appréhension du savoir, en bouleversant ce que nous devons apprendre, et également en rendant un rapport entre l'élève et le maître différent. Bien sûr, le maître ne disparaîtra pas, les professeurs seront plus que jamais indispensables, mais le mode d'enseignement sera totalement bouleversé. Le dialogue remplacera le monologue.

En même temps, c'est une grande démocratisation qui va se faire grâce à ces nouvelles technologies, à condition que l'ensemble du monde y ait accès. Les nouvelles technologies permettent désormais d'enseigner en faisant disparaître les murs des universités. Pourquoi avoir une université et réunir des gens dans un même amphithéâtre alors qu'on peut aller grâce aux télécommunications, grâce aux nouvelles technologies, enseigner dans les petites villes, dans les villages, le même cours ? Et puis il y a bien sûr, l'abolition des frontières, ce qui fait que nous entrons, avec ce 21e siècle, à la fois en ce qui concerne l'enseignement et la recherche, dans la période des réseaux, réseaux éducatifs qui permettront à chacun de se brancher sur les cours dispensés par les meilleures universités du monde, abolissant par la même les inégalités de culture et de fortune.

Je ne sais pas si l'on y a suffisamment insisté dans cette conférence, mais la recherche scientifique est indispensable. Elle est un élément indissociable de l'enseignement supérieur. Si on ne produit pas le savoir dans le même endroit où on le dispense c'est qu'on dispensera du savoir créé ailleurs et, par conséquent, ceux qui ne voient pas que le développement de la recherche universitaire est la base de l'essor à la fois intellectuel mais également économique d'un pays, se trompent. Les expériences faites dans le monde, qui ont séparé la recherche scientifique de l'université, se sont toutes soldées par des échecs même si localement elles avaient un certain nombre de succès. Nous devons donc aider à cette recherche scientifique liée aux universités pour ceux qui n'en n'ont pas les moyens.

Ces nouvelles technologies, cette nouvelle manière de faire, impliquent – et la conférence à laquelle nous participons est un exemple – l'émergence du fait international en matière d'éducation supérieure. Fait international qui demande et qui oblige à une mobilité de plus en plus accrue des étudiants et des professeurs. Ceci nous oblige aussi à mettre sur pied un certain nombre de moyens techniques. Pour ce qui est de la France, nous mettrons petit à petit en place un certain nombre de satellites de communication pour diffuser des programmes éducatifs d'abord dans la zone méditerranéenne, puis progressivement, dans l'ensemble de la communauté francophone.

Pour l'Europe, je le disais, cette internationalisation nous a amenés, vous le savez sans doute, l'année dernière avec les ministres allemand, italien et anglais à proposer un cadre commun permettant l'harmonisation des cursus. Je voudrais insister là-dessus, il ne s'agit pas d'uniformiser les cursus, l'uniformisation d'une structure dans le monde est un appauvrissement. Nous devons garder la diversité des cursus, mais nous devons avoir une trame de lecture commune qui permette des équivalences. C'est à cela que nous devons aspirer. Nous avons aussi commencé à faire naître des universités franco-italienne, franco-allemande, franco-russe et c'est ainsi que nous avançons pas à pas vers cette internationalisation. Naturellement, la France a aussi des projets et des programmes de coopération avec beaucoup de pays d'Afrique et de la francophonie.

Je voudrais terminer en disant que la France est un pays de grande tradition universitaire puisque je crois que l'université est née quelque part, pas loin d'ici, dans ce qui n'était même pas la Sorbonne. C'étaient des collèges dans lesquels des clercs se réunissaient avec quelques étudiants. Depuis, nous avons toujours attaché une importance considérable à l'enseignement supérieur. Mais notre pays aujourd'hui se veut non seulement un pays qui est apte à proposer, à apporter, à contribuer au développement de la culture et de la science du monde mais c'est un pays qui veut recevoir car tout le monde a à donner. Il n'y a pas des pays qui savent et des pays qui ont à apprendre. Tout le monde contribue à la culture mondiale et chacun doit pouvoir apporter sa pierre. En ce qui nous concerne, nous sommes extrêmement réceptifs à apprendre davantage, à entrer dans une culture qui deviendra forcément cosmopolite. Apprendre les littératures étrangères, apprendre les traditions étrangères, apprendre les langues étrangères est indispensable, et c'est pourquoi nous avons un programme de développement pour faire naître en France des maisons de l'Asie, des maisons de l'Afrique, des maisons de l'Inde, etc. qui dans les diverses universités françaises permettront de tisser cette trame internationale.

Nous rentrons dans la mondialisation, nous sommes dans la mondialisation, le monde est un grand village. Je voulais vous dire au nom de mon gouvernement que la France jouera son rôle dans cette grande aventure de l'extension de l'enseignement supérieur au monde entier, afin de construire ensemble un monde démocratique et de paix.