Interview de M. Jean-Luc Bennahmias, secrétaire national des Verts, dans "L'Humanité" le 29 octobre 1998, sur les thèmes en débat entre Les Verts et le PCF dans la perspective des élections européennes de 1999.

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Média : L'Humanité

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L'Humanité : Plusieurs déclarations de Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts aux élections européennes, ont suscités des réactions à gauche, notamment celle où il se fixe l'objectif de « dépasser le PCF ». Qu'en pensez-vous ?

Jean-Luc Benhamias : Je crois que de telles déclarations ont été faites avant les universités d'été de Lamoura. Depuis, des discussions ont eu lieu entre nous sur l'approche d'une stratégie de campagne, qui n'aille pas en contresens, par rapport à la majorité plurielle. Toute déclaration qui attaque tel ou tel partenaire de la majorité plurielle est nulle et non avenue. Pour les prochaines élections européennes, on sait qu'il y aura plusieurs listes issues de la majorité plurielle. Chacun essayera de faire le plus gros score possible, c'est le jeu normal vis-à-vis des citoyens et citoyennes, et de faire en sorte que le score de l'ensemble de la majorité plurielle dépasse celui de la droite, et si possible de la droite et de l'extrême droite. Donc les choses à ce niveau sont extrêmement claires. Nous ne sommes pas, pour ces élections, en compétition interne à la majorité plurielle : plus le PCF, plus le PS, plus les Verts feront un haut score, plus la direction des Verts sera contente.

L'Humanité : Vous suggérez que l'on peut avoir des désaccords sur un certain nombre de sujets et en débattre tranquillement…

Jean-Luc Benhamias : On a déjà commencé à le faire. On a des convergences fortes avec les partenaires communistes. Sur une vraie défense des services publics, à promouvoir en France et en Europe, avec notamment une notion de service public européen, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Autre notion où nous avons largement des idées en commun, celle de défense et d'extension des transports collectifs, sur l'ensemble du territoire européen.

L'Humanité : Mais il y a aussi des sujets où les avis diffèrent.

Jean-Luc Benhamias : Il y a en effet un débat à avoir avec les communistes sur l'énergie. Il a déjà commencé, l'an dernier, publiquement, de direction à direction, sur la diversification des ressources énergétiques. On a pu voir, à ce niveau-là, que le débat avançait dans le bon sens : les Verts sont prêts à passer des compromis, notamment sur la recherche ; et les communistes reconnaissent que le nucléaire n'est pas la seule ressource énergétique potentielle d'un pays comme la France. Cela permet d'avancer. Ainsi nous avons défendu l'idée que le budget de la recherche, qui représente environ 20 milliards de francs sur l'énergie, ne doit pas être uniquement réservé à la recherche sur le nucléaire. Les dirigeants communistes présents nous ont dit qu'ils ne voyaient effectivement pas pourquoi on ne mettrait pas aussi des budgets de recherche conséquents pour le solaire, le gaz, l'éolien, l'hydraulique, le charbon.

L'Humanité : Débat encore entre Verts et communistes sur l'Europe. Où en êtes-vous ?

Jean-Luc Benhamias : C'est plus complexe et cela traverse nos différents partis. C'est un débat sur ce que veut dire la citoyenneté européenne. Verts et communistes peuvent être d'accord, me semble-t-il, pour l'extension des pouvoirs progressifs du Parlement européen, d'un vrai Parlement législatif en Europe. La divergence, et c'est un débat qui va prendre du temps, porte sur le rôle des États-nations dans le cadre européen. Si les Verts, les communistes, les sociaux-démocrates, ou les démocrates-chrétiens avaient une réponse simple à la question de l'existence et de l'extension à l'Europe de la notion d'État-nation, cela se saurait. Il s'agit d'un débat de fond. Nous, nous sommes pour une vraie constitution européenne, qui à terme – quarante, cinquante ans – devrait aboutir potentiellement, à une République européenne. Mais le dire est une chose, le réaliser en est une autre. C'est un débat que l'ensemble des progressistes en Europe, France comprise, doivent prendre en main pour voir comment créer une vraie réalité citoyenne européenne.

L'Humanité : N'y a-t-il pas aussi accord entre communistes et Verts sur un dossier comme celui de l'immigration ?

Jean-Luc Benhamias : Largement accord, en effet. On voit bien que la réponse, pour l'instant, du gouvernement français, de nombreux gouvernements, notamment de l'espace Schengen, n'est pas une vraie réponse par rapport à la notion de liberté de circulation. Car à ce niveau-là, la liberté des marchandises et des capitaux est totale mais pas celle des populations. Après cela, il y a un débat à avoir, il traverse aussi les différents partenaires, sur ce qu'est la liberté de circulation par rapport à la liberté de résidence. Ce sont de vastes débats à avoir de manière extrêmement calme et pragmatique, et pas de manière tendancieuse. Sinon cela conduirait à faire avancer encore plus une liaison qui existe déjà, et qui est dangereuse, entre la droite extrême et l'extrême droite, qui n'hésiteront pas à jouer sur nos contradictions.

L'Humanité : Vous voulez sonner le cessez-le-feu au sein de la majorité plurielle ?

Jean-Luc Benhamias : Plutôt dire : débattons sereinement. Nous avons les mêmes débats à avoir avec les sociaux-démocrates ou avec les trotskistes. Nous redisons aujourd'hui que notre participation au gouvernement n'est pas exactement à la hauteur, en nombre de ministres, de ce que nous pesons dans l'opinion publique. Mais cela n'a rien à voir avec un débat face aux communistes. C'est un débat général, dans la société française. Je pense sérieusement que Daniel Cohn-Bendit et Noël Mamère savent cela très bien et, qu'à ce niveau-là, ils sont d'accord avec ce que je dis. Un dernier mot. Je ne veux vraiment pas m'ingérer dans le débat du PCF, mais il est vrai qu'il est délicat de savoir quelle notion donner aujourd'hui à l'avenir du communisme. Il y a de la redéfinition, ou de la mutation dans l'air : je comprends que cela soit extrêmement compliqué.