Texte intégral
La Croix : Quelle analyse faites-vous de la multiplication des incidents en banlieue ces derniers jours ?
Jacques Toubon : Nous avons affaire à une société sinistrée. Je le constate non pas seulement en raison de ce qui vient de se passer mais parce que, après quinze ans de dégradation de la situation, des millions de gens connaissent une misère matérielle ou psychologique. Il faut certes prendre des mesures d’urgence mais ces réponses devront avoir des effets durables plutôt qu’instantanés.
La Croix : Un comité interministérielle sur la sécurité dans les banlieues s’est réuni vendredi dernier. Le plan est-il désormais arrêté ?
Jacques Toubon : C’est un plan national d’intégration urbaine (Pniu) qui sera rendu public à la fin novembre. Il comprendra entre autres un volet sur la sécurité et la lutte contre la violence urbaine. Dans ce domaine, nous travaillons sur trois axes.
Le premier concerne la prévention. Il vise notamment à instaurer une meilleure synergie entre les collectivités locales et l’Etat. En concluant des conventions entre les départements et la protection judiciaire de la jeunesse. Il s’agit d’offrir un plus large éventail de choix aux juges et aux éducateurs.
La seconde piste concerne la lutte contre la délinquance dans les quartiers difficiles : Jean-Louis Debré va mettre en place des effectifs et des moyens supplémentaires.
Enfin nous recherchons de nouvelles réponses à la multiplication des mineurs délinquants multirécidivistes. Dans ce dernier acte, il faut d’abord instaurer un rappel à la loi plus précoce et plus efficace, en imaginant par exemple des procédures de renvoi plus rapides devant les juridictions de jugement. Il faut ensuite mettre en place des formes d’hébergements différents. Ni prisons ni foyers classiques, mais des « centres d’éducation renforcés » avec des formules d’hébergement particulier, une prise en charge éducative plus contraignante et plus continue et un règlement intérieur strict permettant de s’assurer de la présence du mineur dans le centre comme l’implique une décision judiciaire de placement.
Beaucoup de juges et d’éducation se sentent désarmés devant certains jeunes « irrécupérables » ou extrêmement difficiles pour lesquels nous n’avons pour l’instant d’autres réponses que la prison. Ces nouveaux centres pourront constituer une alternative à l’incarcération même si celle-ci ne peut, dans certains cas, être évitée et doit alors être assurée dans des quartiers pénitentiaires « mineurs » où nous améliorons l’encadrement éducatif pour éviter au maximum les risques de récidive.
Nous voulons aussi développer en priorité la réparation. Il y a environ 4 000 mesures de réparation actuellement par an, notre objectif serait de doubler ce chiffre.
Ma mission consiste autant à m’occuper des mineurs en dangers (200 000 chaque année) que des délinquants (48 000). Elle ne consiste pas uniquement à punir. Mais aussi à faire en sorte que la victime ait le sentiment que le dommage a été repéré ou au moins a été pris en compte. Ce n’est pas uniquement en renforçant l’arsenal répressif que la question sera résolue. Ce sera par une réponse au plus près des besoins.
La Croix : Avez-vous réussi à rallier à vos positions vos collègues du gouvernement ?
Jacques Toubon : Je l’espère. De toute façon, c’est le Premier ministre qui tranchera.
La Croix : Un rappel à la loi plus efficace signifie-t-il que la justice sera plus présente dans les banlieues ?
Jacques Toubon : Les juges de proximité (les anciens juges de paix chargés de régler les petits litiges) figurent dans le plan pluriannuel de Pierre Méhaignerie mais ne sont pas encore en place. Le décret sera pris prochainement. De même un autre décret sur les médiateurs doit paraître. Enfin, nous allons développer les maisons de justice. Encore une fois, la justice ne s’occupe pas uniquement des mineurs multirécidivistes depuis les nouveaux incidents dans les banlieues. Même si l’on observe une évolution inquiétante : des mineurs délinquants de plus en plus jeunes commettant des délits de plus en plus graves.
De même, le sentiment d’impunité très présent dans l’opinion ne correspond que partiellement à la réalité. En cinq ans, le nombre des mineurs qui sont allés en prison a augmenté d’un tiers. Les juges pour enfants sur la même période ont prononcé 60 % des peines supplémentaires à l’encontre des mineurs délinquants. Ce sentiment d’une répression insuffisante peut en réalité être utilement corrigé par la mise en œuvre effective de l’ensemble des dispositions existantes.
La délinquance des mineurs a en effet toute une série d’explications – échec scolaire, désagrégation de l’environnement, troubles du comportement, absence de perspectives d’avenir – qui ne sont pas pour autant des justifications de ces comportements).
La Croix : Y aura-t-il une limite inférieure d’âge pour ces centres d’éducation renforcée ?
Jacques Toubon : Parmi les multirécidivistes, les plus jeunes sont de plus en plus nombreux. Les six casseurs de Grigny arrêtés la semaine dernière avaient 13 ans. Les centres dont nous parlons sont des établissements pour mineurs pénaux. Ce sera au juge de décider d’y affecter tel ou tel délinquant. Si par exemple, dans certains cas, une famille sème la perturbation dans un quartier, les jeunes pourraient alors être placés dans ces établissements d’éducation renforcée sur décision du juge des enfants. Mais ce ne sera pas automatique.
La Croix : Pour toutes des mesures, il faudra des moyens supplémentaires.
Jacques Toubon : Il y en aura. A l’exemple de certains fonctionnaires installés dans les quartiers difficiles, je souhaite que les éducateurs se voient par exemple offrir des rémunérations supérieures quand ils s’occuperont des cas les plus lourds. Mais il faudra aussi redéployer le budget dont nous disposons. Donner la priorité à la tâche éducative dans certains lieux de détention des mineurs peut parfois revenir à faire moins par ailleurs. Des moyens supplémentaires, des choix traduisant le caractère prioritaire de l’action entreprise doivent nous permettre de relever le défi primordial qui touche tout à la fois à la cohésion et à l’avenir de notre société.
Gardons-nous toutefois des réactions et des solutions immédiates et n’oublions pas que la situation à laquelle nous sommes confrontés est le fruit de longues années de dérive et ne peut être corrigé du jour au lendemain. Pour autant, comme l’a rappelé le président de la République, cet objectif n’en reste pas moins prioritaire pour le gouvernement dans le souci de réconcilier tous ceux qui composent la société française.