Interview de M. Alain Madelin, ancien ministre de l'économie et des finances et président du Mouvement Idées-Action, à TF1 le 26 novembre 1995, sur l'accord de Dayton sur la Bosnie et sur la mobilisation contre le plan Juppé de réforme de la protection sociale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Alain Madelin - ancien ministre de l'économie et des finances et président du Mouvement Idées-Action

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Mme Sinclair : Bonsoir à tous.

Bonsoir, Alain Madelin.

M. Madelin : Bonsoir.

Mme Sinclair : Vous avez fait un passage éclair et remarqué au Gouvernement puisque vous avez été ministre de l‘Economie et des Finances du mois de mai au mois d’août dernier, avant d’être renvoyé pour cause de déclaration fracassante. On reviendra sur ça et sur beaucoup de choses.

Je recevrai aussi Patrick Dupond, le grand danseur français qui démarre une nouvelle carrière et une grande tournée dans toute la France et puis aussi à l’étranger. On en reparlera tout à l’heure.

Alain Madelin, vous venez de publier chez Robert Laffont un livre qui s’appelle « Quand les autruches relèveront la tête » et qui est le fruit d’un texte avec Joseph Macé-Scaron et Yves Messarovitch, deux journalistes qui ont vous donné la réplique et permis de vous exprimer sur l’ensemble des sujets qui vous tiennent à cœur.

Quand les autruches relèveront la tête, qui sont les autruches ?

M. Madelin : Les autruches, c’est une politique, c’est la politique de l’autruche. C’est celle qu’on a pratiquée depuis longtemps refusant de voir les problèmes en face, en laissant s’accumuler les déficits publics, sociaux, en préparant un krach universitaire. Bref, il y a, je crois, une sorte d’inconscience collective et il est temps de rompre avec tout cela.

Alors, moi, je suis un homme libre aujourd’hui. J’ai retrouvé ma totale liberté de parole, j’essaie d’appeler « un chat, un chat », « un blocage syndical, un blocage syndical » et c’est pourquoi j’ai fait ce livre pour défendre un certain nombre d’idées.

J’ai soutenu Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle. Je l’ai fait avec l’espoir d’un changement fort parce que je pensais qu’il y avait urgence, urgence économique, mais plus encore, urgence sociale.

Je reste en quelque sorte fidèle et comptable de cet espoir de la campagne présidentielle.

Mme Sinclair : Exactement. Vous dites cela à la page 8, vous dites : « J’ai soutenu Jacques Chirac. Je l’ai fait avec l’espoir d’un changement fort » et vous ajoutez : « Je me sens toujours comptable de cet espoir » ; Cela suggère deux questions :

1 – Voulez-vous être aujourd’hui le garant du chiraquisme ?

2 – Qu’est devenu l’espoir ?

M. Madelin : Je n’accepte pas l’idée qu’il y aurait les périodes de campagne électorale dans lesquelles les gens pourraient dire, au fond, n’importe quoi, puis ensuite il y aurait des périodes de gouvernement où il y aurait…

Mme Sinclair : … Vous ne visez personne, là ?

M. Madelin : … Où on serait ramenés à une sorte de sens des réalités. Je crois que tout ce qui a été dit, pendant cette campagne, était nécessaire et possible. Et j’ai envie de continuer à défendre cette idée et cet espoir.

J’ai effectivement, comment dirais-je, un regret. C’est que, au lendemain de l’élection présidentielle – il y a, comme on dit, une fenêtre d’opportunité, 100 jours, 150 jours – j’aurais aimé qu’il y ait un grand sursaut des Français. Comme il y en a eu au lendemain de la guerre. Comme il y en a u en 1958. Que les entrepreneurs se disent : « On n’a peut-être encore notre carnet de commandes bien rempli, mais on va tout de même embaucher parce que c’est un devoir. Puis on va essayer d’insérer les jeunes qui se trouvent aujourd’hui sur le carreau. On va essayer de les former à l’intérieur de l’entreprise ». Les gens les plus fortunés ou les plus aisés se serraient dits : « On va regarder si, à côté de nous, il n’y a pas une famille qui est dans le besoin et qu’on va pouvoir, à son tour, essayer d’aider, remettre le pied à l’étrier ».

J’aurais aimé qu’il y ait ce sursaut. Ce sursaut n’a pas eu lieu, mais je crois néanmoins que les réformes, en tout cas celles que je propose dans ce livre, sont des réformes nécessaires et qu’on n’en fera pas l’économie.

Mme Sinclair : On va venir sur un certain nombre de réformes que vous proposez et qui sont très directement en relation, d’ailleurs, avec l’actualité. Mais n’êtes-vous pas dans la position confortable du « y a qu’à… » ? Quand on voit la difficulté qu’on a aujourd’hui, et que ceux qui gouvernent, ont à gouverner.

M. Madelin : Je crois que tout ce livre, c’est le contraire du « y a qu’à… ». On me reproche parfois de vouloir faire trop de pédagogie, pas de démagogie, et ce que j’essaie de montrer, c’est que la réforme est nécessaire, d’expliquer pourquoi rendre la réforme attrayante, avoir la réforme, j’allais dire, joyeuse, avoir la réforme tonique. La réforme, ce n’est pas une punition, c’est une chance. Et chaque fois que l’on réforme, c’est qu’il y a des bénéfices derrière la réforme, et je fais un gros effort, dossier par dossier, de méthode pour expliquer, au fond, comment on peut intéresser les Français au bénéfice de cette réforme.

Juste un exemple, l’hôpital : on dépense trop, on dépense mal. Mais il est vrai que, dans le même temps, on garde en chirurgie les gens beaucoup plus longtemps que dans les autres pays. Si on rétrécit les séjours en chirurgie, on gagne de l’argent et donc on peut un peu mieux payer, ou les chirurgiens ou les infirmières ou le personnel. Bref, derrière la réforme, il n’y a pas toujours des sacrifices, il y a aussi des bénéfices et j’essaie de montrer comment on peut rendre cette réforme attrayante.

Mme Sinclair : Eh bien, on va prendre concrètement les réformes que vous proposez.

Dans un instant, les sujets les plus important de la semaine, avec la paix en Bosnie et le mécontentement en France.

La guerre en Bosnie a duré quatre ans. Ce fut la déflagration la plus grave en Europe depuis la seconde guerre mondiale, avec des peuples déplacés et des populations martyrisées. Alors, quand vient la paix, autant se réjouir. Viviane Junkfer, Joseph Pénisson.

Zoom :

Un sérieux pas vers la paix en Bosnie vient d’être franchi. A Dayton, dans l’Ohio, les Américains obtiennent que les Présidents croate, bosniaque et serbe, signent un accord pour mettre fin à quatre ans d’une guerre atroce.

Mme Sinclair : Alain Madelin, tous les observateurs, cette semaine, de Jean-Marie Colombani dans « Le Monde » à Bernard Lévy dans « Le Point », dénoncent une paix qui semble bien amère et la honte pour les Européens d’avoir laissé commettre l’irréparable, comme dit Jean-Marie Colombani, de n’avoir pu ou su empêcher le crime contre l’humanité en Europe.

M. Madelin : Oui, c’est vrai, c’est une tâche européenne sur le sol européen, une tâche de sang. Il faut en tirer une leçon pour l’avenir. L’avenir, c’est de mettre enfin une politique européenne de sécurité commune et puis de marcher la main dans la main avec les Américains dans l’union des démocraties.
Mais j’entendais dans votre reportage dire que c’était le triomphe des Américains…

Mme Sinclair :… C’est objectivement vrai et c’est malheureux, parce que le plan américain, c’est le plan Juppé.

M. Madelin : Permettez-moi une anecdote : j’ai accompagné le Président Chirac à Washington. Je l’ai vu dans ses rencontres avec le Président Clinton. Je l’ai vu essayer de convaincre avec une énergie, vraiment indomptable, les sénateurs, « que les Américains devaient s’engager ». Je l’ai vu prendre un risque extraordinaire, se rendre personnellement au Congrès, hostile, le speaker du Congrès, pour essayer de le convaincre, lui aussi, de laisse le Président Clinton s’engager. Et je me souviens de cette conversation extrêmement dure entre le Président Chirac, plein d’énergie, convaincant pour essayer d’emporter la décision, et je me souviens de cette phrase du speaker du Congrès : « On va y aller. Mais vous avez de la chance, vous, les Français, d’avoir un homme comme Jacques Chirac ».

Mme Sinclair : Au-delà de l’hommage appuyé que tout le monde aura remarqué à Jacques Chirac…

M. Madelin : … C’est un fait. Je rétablis seulement l’Histoire, parce que les Américains se sont engagé, parce qu’il y a eu un changement de Président de la République et parce que Jacques Chirac, pardonnez-moi l’expression, a mouillé sa chemise aux Etats-Unis pour obtenir l’engagement des Américains.

Mme Sinclair : Alain Madelin, nous disions la même chose : Jacques Chirac a été sans doute à l’origine du retour de la fermeté en Europe et le plan américain, aujourd’hui, est ce qu’on appelait le plan Juppé il y a un an. Comme le disait Viviane Junkfer, c’est un peu un goût amer qu’on les Européens de voir aujourd’hui les Américains comme les négociateurs au Proche-Orient comme là.

M. Madelin : Eh bien, il faudra tirer une leçon de cette impuissance européenne. Ce sera le cas en 1996 avec la conférence intergouvernementale sur l’Europe où, je l’espère, il y aura de nouveaux pas pour la construction de cette politique européenne de sécurité commune.

Mme Sinclair : Venons-en aux sujets de discorde en France. Ils étaient, dit-on, 500 000 à défiler dans toute la France vendredi et la semaine qui s’annonce laisse peu de répit sur le front des fonctionnaires et sur celui des étudiants.

Panoramique :

La démonstration est édifiante. Par centaines de milliers, les fonctionnaires manifestent, vendredi, leur rejet du plan Juppé sur la Sécurité sociale qui modifie leur régime de retraite. Métro, bus, avions, trains, écoles, postes, pendant 24 heures, le pays fonctionne au ralenti.

Côté université, le conflit entre dans sa 7ème semaine. Le plan d’urgence dévoilé par François Bayrou, au lendemain des manifestations étudiantes de mardi dernier, et jugé totalement insuffisant.

Les femmes aussi sont en colère. Elles étaient environ 30 000 hier, à défiler dans les rue de Paris pour la contraception, pour l’avortement, pour l’égalité dans l’emploi. Bref, pour dénoncer un certain retour de l’ordre moral, un recul des droits acquis.

Mme Sinclair : On va commencer, Alain Madelin, par les fonctionnaires et d’abord par ce sondage que la SOFRES a fait pour 7 sur 7 :

- Estimez-vous que les revendications des fonctionnaires pour protester contre la modification de leur régime de retraite dans le plan Juppé sont justifiées ou pas justifiées ?

- Sont justifiées : 47 %

- Ne sont pas justifiées : 45 %

- Sans opinion : 8 %

Inutile de dire que parmi les sympathisants de Gauche et de Droite, c’est inversé en proportion, de 65, d’un côté, et 67, de l’autre. Il y a donc une légère majorité pour approuver les revendications des fonctionnaires et un soutien particulièrement élevé de la part des classes moyennes et populaires, ainsi que chez les moins de 50 ans, comme s’il y avait une solidarité des salariés, qu’ils soient du public ou du privé.

Et vous, Alain Madelin, vous êtes-vous senti solidaire ?

M. Madelin : Ce que ce sondage exprime, c’est que les Français en ont, comme on dit, un peu assez de se serrer la ceinture, mais cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas prêts à l’effort. Je crois qu’ils sont prêts à se retrousser les manches pourvu qu’on leur dise exactement à quoi aboutit cet effort et qu’il y ait un espoir.

La pire des choses, c’est d’avoir le sentiment qu’on se serre la ceinture une fois de plus pour remplir le panier percé des dépenses de l’Etat ou le tonneau des Danaïdes des dépenses sociales. Si on donne un espoir, qu’on essaie de montrer que c’est un investissement dans l’avenir et qu’on va le retrouver, derrière, par des finances publiques assainies, par le fait que nous ayons retrouvé le chemin de l’emploi, de la création d’activité et de richesses nouvelles, etc. je suis persuadé que l’on peut avoir la réforme entraînante. C’est tout le sens de ce livre et je fais des propositions en ce sens.

Si je prends l’exemple des fonctionnaires…

Mme Sinclair : … Juste peut-être un mot : vous avez été viré, autant le dire toute suite, parce que vous aviez dit que les fonctionnaires devraient peut-être comme tous les Français cotiser 40 ans au lieu de 37,5 ans. Cela vous fait quel effet de voir cette suggestion, qui était la vôtre, reprise comme une proposition dans le plan Juppé et de voir les gens descendre dans la rue sur cette proposition ?

M. Madelin : Provocation en août, proposition en novembre.

Mme Sinclair : Et en décembre, quoi ? Rejet en décembre ?

M. Madelin : Je ne dis pas tout à fait cela. Je crois qu’il faut partir de principes. A travail égal, salaire égal entre le privé et le public.

Mme Sinclair : Ce n’est pas le cas.

M. Madelin : A retraite égale, cotisations égales. Or, il se trouve que, au cours de ces dernières années, il y a eu un gros coup de pouce sur les salaires des fonctionnaires et il se trouve qu’il y a un petit avantage aujourd’hui en ce qui concerne les retraites. Alors, il faut regarder cela de très près, surtout qu’il y a effectivement des métiers qui sont des métiers pénibles. Que l’on dise : « Il faudra cotiser un peu moins longtemps lorsque c’est un métier », d’accord ! Mais pas parce que c’est un métier privé ou parce que c’est un métier public, parce que, tout simplement, c’est un métier pénible.

Je crois que ce langage d’équité – et lorsqu’on regarde les dossiers les uns à la suite des autres – les Français sont tout à fait capables de le comprendre. Le pire des choses, c’est la perte d’espoir. J’ai été très frappé lorsque l’on a parlé du gel du salaire des fonctionnaires.

Mme Sinclair : Qu’est-ce que c’était à votre avis ?

M. Madelin : D’abord, parce qu’il n’y avait pas de gel puisque, en réalité, le salaire des fonctionnaires va continuer à augmenter en fonction des accords qui ont été reçus, mais c’était quelque chose de désespérant.

Mme Sinclair : C’est imprudent ?

M. Madelin : Oui, bien sûr. Moi, j’aurais parlé d’un grand contrat de modernisation des fonctionnaires.

Dans la campagne électorale avec Jacques Chirac, nous avons parlé de la récompense du travail, du mérite et de l’effort de tous, des salariés du privé comme bien évidemment des salariés du public. Les salariés du privé, ils trouvent à augmenter leurs salaires lorsque leur entreprise a fait des bénéfices, lorsqu’elle a fait des gains de productivité. Eh bien, de la même façon, il va falloir moderniser l’Etat. C’est le grand chantier des dix prochaines années. A chaque fois qu’on va moderniser l’Etat, les systèmes publics, il va y avoir des gains, donc on peut intéresser les fonctionnaires aux bénéfices des réformes nécessaires.

C’est un peu en quelque sort ma méthode pour avoir la réforme, je l’espère, entraînante.

Mme Sinclair : C’est la méthode Madelin à opposer à la méthode Juppé, ce n’est pas moi qui le dis, c’est vous, dès la page 13, en disant que la divergence publique, que vous avez eue avec le Premier Ministre, était sans doute le reflet d’un différend plus profond entre le Premier Ministre et moi sur la façon de s’adresser à l’opinion, sur la nature, la méthode et le calendrier des réformes.

Que fallait-il faire à ce moment-là ? Il fallait dire la même chose d’une autre façon ou il ne fallait pas le dire ?

M. Madelin : On ne va pas pleurer sur le lait renversé, mais c’est vrai, je l’ai dit tout à l’heure, qu’il aurait été souhaitable d’avoir une sorte de grand élan réformateur, civique, économique, juste au moment des élections présidentielles. On n’a pas réussi à entraîner le Français sur cette voie-là, ce qui fait que, aujourd’hui, la France déprime un peu et a du mal à accepter les réformes qui pourtant sont des réformes nécessaires.

Mme Sinclair : On reviendra aux réformes tout à l’heure, restons encore quelques instants sur les statuts des fonctionnaires. Vous avez entendu les fonctionnaires dans la rue, ils disent : « Moi, facteur, je gagne 7 000 francs et c’est insupportable. Moi, instituteurs, je gagne 8 000 francs et c’est insupportable », et ils ont l’impression d’être désignés aujourd’hui comme des privilégiés.

Vous disiez tout à l’heure « à travail égal, salaire égal…

M. Madelin : … Chiche !

Mme Sinclair : A travail égal, retraite égale…

M. Madelin : Chiche !

Mme Sinclair : Mais ce n’est pas le cas.

M. Madelin : Mettons un signe d’égalité entre toutes les catégories. Moi, je suis prêt, je l’avais fait comme ministre de l’Economie et des Finances, à regarder, je dirais, cas par cas sur justement des cas très précis comme ceux que vous évoquez. Eh bien, justement, je crois que, au cours de ces dernières années, il y a eu un retard des salariés du privé. Je ne dresse pas une catégorie contre une autre, je dis au contraire aux fonctionnaires : « Il va y avoir des possibilité d’amélioration si vous participez à la modernisation de l’Etat ». Mais je crois qu’il y a absolument, aujourd’hui, un besoin d’équité.

Donc, à travail égal, salaire égal ; à cotisations égales, retraite égale. Et, à part de ça, on regarde la situation calmement. En même temps, on offre une perspective d’améliorer la situation, j’allais dire, de travail et, en même temps, la situation matérielle des fonctionnaires en les associant à la modernisation de l’Etat. Il n’y a rien de révolutionnaire, vous savez, c’est ce que tous les autres pays ont fait.

Mme Sinclair : Vous allez même plus loin puisque, page 39, vous dites : « Je suis partisan de réduire le nombre des fonctionnaires ». Pas en les mettant à la porte mais en évitant d’en recruter trop. Aujourd’hui, a-t-on trop de postiers, trop de policiers, trop d’infirmières ?

M. Madelin : Non, cela est un peu facile parce qu’il y a des endroits dans lesquels il n’y a pas assez de fonctionnaires – ceci est évident – puis il y a des endroits où on en a relativement plus que les autres. Alors, que faut-il faire ? Recruter toujours plus de fonctionnaires ? Avec quel argent ? Il n’y a plus d’argent. Ce qu’il faut faire, c’est favoriser la mobilité et récompenser la mobilité interne à l’intérieur de la fonction publique.

Je vais juste vous donner un chiffre : Par rapport à l’Allemagne, notre écart de dépenses entre la France et l’Allemagne, proportionnellement, est d’environ 450 milliards. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que cela représente ? Cela représente deux mois de salaire pour chaque Français actif aujourd’hui. Voilà l’écart, j’allais dire, de dépenses publiques entre la France et l’Allemagne. Est-ce que les Allemands sont moins bien équipés ? moins bien soignés ? ont moins de Service public que les Français ? Bien sûr que non. Il y a des économies de gestion à faire.

Et lorsque je dis : « moins de fonctionnaires mieux payés », Monsieur Bérégovoy disait la même chose. Il ne s’agit pas de mettre à la porte des fonctionnaires il s’agit simplement de se dire : « Dans les prochaines années, on va recruter un peu moins vite. Par exemple, sur un deux ». Si nous faisons cela, nous pourrions baisser le nombre de fonctionnaires dans notre pays.

Tous les autres pays autour de nous, en Europe, l’ont fait. Est-on plus bêtes que les Belges ? Plus bêtes que les Allemands ? Est-on incapables de comprendre cela ? Si nous ne le faisons pas – moi, je vous le dis – nous allons à l’impasse financière et nous allons à l’explosion sociale.

Mme Sinclair : Parlons du plan Juppé pour la Sécurité sociale.

Alain Juppé a pris le taureau par les cornes, peut-il compter sur votre entière solidarité ?

M. Madelin : Dans la lutte contre les déficits sociaux, oui.

Mme Sinclair : Non, mais sur la Sécurité sociale, précisément.

Il y a la lutte contre les déficits sociaux. C’est vrai qu’on dépense, je ne dis pas qu’on dépense trop, mais, en tout cas, il est sûr que l’on dépense mal. Et donc il est absolument nécessaire, aujourd’hui, de donner un coup de frein aux dépenses de santé. Il y a des tas de bonnes mesures dans ce plan : le carnet de santé, le codage des actes, l’évaluation, l’accréditation des services, etc.

Mme Sinclair : Qu’est-ce qui est moins bon ? Parce que je vous sentais venir, là.

M. Madelin : J’essaie de regarder un peu ce que font les autres et nous avions le choix entre une évolution vers le système allemand des Caisses autonomes, gérées par les assurés, responsables en concurrence, avec des comportements responsables, ou vers un système d’étatisation à l’anglaise. On a choisi la voie anglaise – j’ai écrit ce livre avant, donc, je ne suis pas suspect – mais je dis clairement que la voie de l’étatisation n’est pas l’architecture que, pour ma part, j’aurais choisie, d’autant que cette étatisation, on le sait, a conduit au rationnement des soins en Angleterre. Je me serais pour ma part – je crois que c’est plus conforme à notre Histoire – rapproché d’un système d’autonomie, de responsabilisation et de concurrence des Caisses. Ce qui correspond à l’histoire de nos assurances sociales et à l’histoire de nos mutuelles ouvrières, et puis ce qui correspond aussi à l’efficacité.

Je ne crois pas aux réformes d’en haut. Je ne crois pas que l’étatisation, que le contrôle des prix, que le rationnement ou l’encadrement des dépenses, cela puisse marcher dans le domaine de la santé alors que ça ne marche nulle part ailleurs. Et croyez-moi les parlementaires, à l’heure actuelle, contrôlent 1 500 milliards, on va leur demander 2 000 milliards en plus à contrôler ?… Mais le contrôle parlementaire n’a pas empêché le Crédit Lyonnais, il n’a pas empêché les déficits de la SNCF ou d’Air France…

Mme Sinclair : … Vous ne voterez pas la réforme constitutionnelle ?

M. Madelin : Et il n’a pas empêché les déficits publics qui sont largement supérieurs aux déficits sociaux.

Mme Sinclair : Voterez-vous la réforme constitutionnelle ?

M. Madelin : C’est la raison pour laquelle je serai très attentif sur la réforme constitutionnelle. Si elle s’accompagne de mécanisme d’autonome des Caisses, de responsabilisation, à la rigueur – encore que je crois que ce ne soit pas la bonne architecture – mais il y a absolument besoin de compléter cela par des mécanismes de vraie responsabilisation.

Je ne crois pas que l’on pourra maîtriser les dépenses de santé en mettant un contrôleur derrière chaque médecin. Je crois, en revanche, au comportement responsable. C’est un fil conducteur de mon livre : donner la gestion le plus près possible des gens et favoriser des comportements responsables.

Mme Sinclair : Vous dites : on ne mettra pas un contrôleur derrière chaque médecin, mais vous citiez, vous-même, l’exemple allemand. En Allemagne, les médecins sont archi-contrôlés, ils ne peuvent pas s’installer où ils veulent et ils ont des sanctions, s’ils dépassent leur enveloppe globale, qui vont jusqu’au déconventionnement. C’est un peu la voie que suit Alain Juppé, mais encore beaucoup plus dur, qu’auriez-vous dit ?

M. Madelin : Je vous ai dit que je n’ai rien contre le fait d’envelopper à un moment donné les dépenses de santé pour mettre le pied sur le frein parce que cela dérape trop vite. Mais ce que les Allemands ont fait, c’est la concurrence de Caisses.

Savez-vous que, au 1er janvier 1996, tous les assurés allemands pourront choisir librement leur Caisse : une Caisse régionale, une Caisse professionnelle, une Caisse de mutuelle, une assurance… librement leur Caisse, pour avoir la Caisse la mieux gérée qui les rembourse et qui les protège le mieux.

Je crois que cette voie-là est, à mon avis, beaucoup plus conforme à notre tradition et surtout à l’efficacité économique du système de santé.

Mme Sinclair : Sur l’étatisation que vous dénoncez, si je dis : « Marc Blondel et Alain Blondel allait rejoindre – dans votre description des autruches, c’est-à-dire des corps intermédiaires qui font écran entre la population et ceux qui les dirigent – la cohorte des autruches. Alors, ce n’est pas une autruche ?

M. Madelin : Il y a toute l’histoire ouvrière dont Marc Blondel est particulièrement l’héritier. Mais cette histoire ouvrière, c’était celle où les pères fondateurs du syndicalisme disaient : « Nous ne demandons qu’une chose, faire nos affaires nous-mêmes ». Eh bien, je crois que ce principe fondateur de beaucoup d’institutions sociales et du syndicalisme en France est aussi un principe libéral dont je me réclame. Je disais tout à l’heure : « Mettre les responsabilités le plus bas possible. L’Etat ne doit faire que ce que les citoyens, les associations ou les entreprises ne sont pas capables de faire eux-mêmes ». Or, la Sécurité sociale, la protection sociale, il y a une tradition qui montre que d’autres sont capables de s’en occuper aussi bien et mieux que l’Etat.

Mme Sinclair : Voilà, il faut qu’il y ait un renfort d’un poids ce soir.

M. Madelin : Pas du tout.

Mme Sinclair : D’un mot, il y a une grosse grève SNCF qui s’est poursuivie tout le week-end. Si vous étiez aux affaires, seriez-vous capable de mettre en œuvre ce que vous proposez dans ce livre où vous dites, sur la SNCF, par exemple, « il y a de lignes entières qui ne sont pas rentables et qu’on devrait supprimer « ? Cela correspond-il au climat du moment ?

M. Madelin : Je ne dirai pas tout fait cela. J’ai justement un exemple en Bretagne…

Mme Sinclair : …oui, où vous dites qu’en effet à certains endroits, d’autres peuvent reprendre le relais…

M. Madelin : …où la S.N.C.F. a abandonné une ligne, et puis elle a été reprise par une compagnie privée. Ce qui n’était pas rentable pour la S.N.C.F. dans les conditions statutaires, règlementaires de la S.N.C.F., est devenu rentable pour une petite compagnie privée, et le service public est assuré.

Mme Sinclair : Qu’est-ce qui se passe dans le centre de la France ? Imaginez qu’il n’y ait pas d’entreprise privée qui veuille reprendre une ligne pas rentable de la S.N.C.F. ?

M. Madelin : Attendez ! Est-ce qu’il y a des contraintes de service public de la S.N.C.F. ? Heureusement. S’il n’y en avait pas, il faudrait tout de suite privatiser la S.N.C.F. Donc, que l’on prenne en compte ces contraintes de service public, je suis tout à fait d’accord. Le seul problème, c’est que, progressivement, on s’affranchit de ces contraintes de service public et que l’on va vers une gestion qui… il suffit de regarder les déficits : les dettes accumulées et le déficit. Dans tous les pays aussi en Europe – il faut relever la tête un peu du sable… -

Mme Sinclair : … Merci du conseil.

M. Madelin : C’est une façon générale… Dans tous les pays en Europe, que s’est-il passé ? On a engagé la restructuration des chemins de fer. Cette restructuration, nous n’en ferons pas l’économie en France.

Je vois bien les grèves des cheminots. Mais n’y-a-t-il pas un peu, quand même, une sorte d’abus de position dominante de prendre les Français et l’économie française en otage pour des problèmes qui sont des problèmes catégoriels, qui nous éloignent bien de l’intérêt général !

Mme Sinclair : C’est là que se pose la question qui a un peu sous-tend votre livre et un certain nombre de choses que vous proposez, qui sont très dissonantes par rapport à ce qui est fait, et très dissonantes peut-être par rapport aux revendications aujourd’hui des Français. Un homme politique peut-il proposer des changements dans la Société, qui heurtent à ce point des comportements que vous voyez s’exprimer tous les jours, où les gens sont en révolte contre des propositions qui vont beaucoup moins loin que ce que vous dites ?

M. Madelin : Je crois qu’il faut expliquer. Si je continue à payer « en veux-tu en voilà » le déficit de la S.N.C.F., qui paie en réalité ? Le contribuable. Et puis cela va être souvent l’ouvrier du bâtiment qui, lui, va travailler jusqu’à 60 ans, qui va payer les retraites qui, ailleurs, sont des retraites avantageuses à 50 ans.

Je ne parle qu’un langage d’égalité ou d’équité, et je crois que les Français sont capables de le comprendre. Il faut arrêter de parler des catégories. Il faut essayer de parler aux Français et que les Français essaient de se dire : « Pendant deux ou trois ans, on ne va regarder qu’une seule chose : l’intérêt général ».

Mme Sinclair : Les étudiants demandent des moyens et des réponses pour l’avenir.

Pierre Bourdieu notait cette semaine que « rapportée à chaque étudiant, la dépense publique reste en France en retrait sur les pays européens comparables, derrière la Grande-Bretagne, la Finlande, la Belgique, l’Allemagne ». Que répondez-vous à cette revendication qui est une revendication de moyens avant même une revendication de débouchés et d’avenir ?

M. Madelin : J’ai écrit ce livre avant les évènements universitaires et j’ai parlé du krach universitaire qui se prépare. Il y a un problème bien sûr de moyen financiers, bien sûr ! mais il ne faut pas l’exagérer. C’est vrai qu’on dépense peut-être un peu moins que d’autres pays et c’est vrai que l’argent mis dans le Crédit Lyonnais et dans Air France, etc., aurait été mieux utilisé ailleurs pour préparer l’avenir. C’est vrai aussi que nous utilisons moins bien nos locaux, l’année universitaire ou les professeurs, que dans d’autres pays. Donc, il y a de l’argent peut-être à remettre et une réforme de la gestion à faire.

Mais derrière le problème des étudiants, à mon avis ce n’est pas seulement le problème de place dans les amphithéâtres au mois de novembre, au mois de janvier il y a déjà plus de places…

Mme Sinclair : Ils sont moins bons les cours ?

M. Madelin : Non. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’à un moment donné on a découragé les gens dans les cours. Donc, il y a un problème de l’adaptation de l’enseignement. Donc, il y a un problème de définition de l’enseignement. Et puis il y a un problème des débouchés possibles.

Dans ce livre, j’essaie d’expliquer qu’il y a quelque chose de très grave qui est en train de se préparer dans cette Société, ce n’est plus Mai 68 et la lutte des classes marxiste, c’est la lutte des places. Il n’y a pas assez de place disponibles. Chaque année, nous allons avoir 500 000 jeunes qui vont entrer dans le système universitaire…

Mme Sinclair : C’est ce que vous dites : « La sélection, ne soyons pas hypocrites, elle existe… »

M. Madelin : Non, non…

Mme Sinclair :… Non, mais vous dites ?

M. Madelin : 250 000 d’entre eux vont avoir un diplôme à bac + 4, bac + 5 et la Société n’est pas capable d’offrir plus de 100 000 postes à bac + 4, bac + 5.

Mme Sinclair : Que faut-il faire ?

M. Madelin : Elargir le nombre de places. La première des choses à faire, c’est de retrouver le chemin de la croissance et de la création d’emplois pour élargir le nombre de places, sinon c’est la lutte de tous contre tous.

La deuxième chose, c’est de permettre de revaloriser les formations professionnelles. C’est de donner un capital de 2ème chance pour permettre de faire en sorte que ceux qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas aller jusqu’au bout de leur première chance, puissent s’arrêter et reprendre ultérieurement leurs études.

J’ai écouté Jacques Delors qui disait très exactement la même chose il y a 24 heures ou 48 heures.

Je crois qu’il y a toute une série de réformes de fond qu’il faut faire, à commencer, bien sûr, par la grande autonomie des universités. Je ne crois pas que l’on va réussir à adapter les premiers cycles ou les deuxièmes cycles d’en haut par une énième réforme, mais que, dans l’autonomie, la responsabilité des universités, on saura localement trouver les moyens de faire des premiers cycles mieux adaptés au choix des étudiants.

Mme Sinclair : Mais vous ne craignez pas que l’autonomie, cela veuille dire au fond que telle université se débrouille avec ses moyens financiers et puis telle autre aussi, et du coup on arrive à des universités riches, des universités pauvres

M. Madelin : … c’est le cas aujourd’hui…

Mme Sinclair : … et qu’il n’y ait plus de diplômes nationaux de valeur égale ?

M. Madelin : A l’heure actuelle la sélection, vous le rappeliez, existe. Elle existe entre les Grandes Ecoles, les universités, voire entre certaines universités entre elles.

La seule sélection qu’il faut vraiment à tout prix refuser, c’est la sélection de l’argent.

Moi, je veux ouvrir des places. On ne peut pas dire qu’il y a trop d’étudiants, ce n’est pas vrai. Je veux ouvrir des places nouvelles pour les étudiants dans les universités et je veux favoriser l’adaptation de leur enseignement. Mais je refuse très clairement la sélection par l’argent.

Tout ce livre est un combat pour l’égalité des chances. Je défends une Société de liberté. Une Société de liberté est, par nature, créatrice d’inégalité. Ces inégalités sont choquantes souvent pour ceux qui sont en bas de l’échelle sociale, et elles ne sont acceptables. Et l’on ne peut accepter une Société de liberté qu’à une seule condition : le combat permanent pour l’égalité des chances ;

Mme Sinclair : On va venir à la situation de l’économie française et au reste de l’actualité dans une minute.

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Mme Sinclair : Alain Madelin, avant de voir le reste de l’actualité, terminons peut-être la discussion sur la situation de l’économie française.

La priorité du gouvernement, c’est de lutter contre les déficits et Alain Juppé, il y a 10 jours, admettait que sans doute le contraste – et vous en parliez au début de cette émission – était fort entre ce que les gens avaient attendu de la campagne de Jacques Chirac et la réalité d’aujourd’hui.

Alors, vous êtes au fond de quel côté ? De ceux qui disent : oui, ce contraste est trop fort. Ou bien de ceux qui disent avec le gouvernement : les réalités sont ce qu’elles ont, et il fallait bien s’adapter !

M. Madelin : Ah non, pas du tout ! Mais la lutte contre les déficits publics, on n’a pas cessé d’en parler pendant la campagne présidentielle, et elle est indissolublement liée à la bataille pour l’emploi. Pourquoi ? Parce que les déficits publics trop élevés font l’argent trop cher, et quand l’argent est trop cher, on n’investit pas, on ne consomme pas, on n’achète pas un logement. Donc, il est extrêmement important de baisser le loyer de l’argent en luttant contre les déficits publics.

Je dirai même plus : l’argent cher, ce n’est pas seulement économique, c’est un désordre moral. Parce que cela signifie que l’on récompense mieux le travail que le capital, mieux le placement sans risque que l’investissement à risque de l’entrepreneur. C’est un désordre social et moral.

Mme Sinclair : Jacques Delors que vous citiez toute à l’heure, disait : la lutte contre les déficits, ce n’est pas un projet de Société. J’attends toujours le projet de société de Jacques Chirac.

M. Madelin : Mais, bien sûr ! Il est évident qu’il ne faut pas réduire la politique du gouvernement à la lutte contre les déficits. Et, dans le même temps, il est important de marcher sur deux pieds : la lutte contre les déficits et, en même temps, la stimulation de l’initiative et de la croissance. Il ne faut pas que ce soit le pâté d’alouette ; le cheval de lutte contre les déficits et la petite alouette pour la croissance…

Mme Sinclair : …c’est le cas, là, en ce moment ?

M. Madelin : Il faut éviter cela. Et l’on voit bien aujourd’hui que les gens ont tendance un peu à baisser les bras. Il faut retrouver le moral et il faut un certain nombre de mesures fortes, notamment en direction de celles et ceux qui entreprennent, pour retrouver une dynamique de croissance et une dynamique de création d’emplois, faute de quoi la lutte contre le déficit public serait nécessaire mais insuffisante.

Mme Sinclair : Vous en parlez avec Jacques Chirac ?

M. Madelin : Oui, j’en ai parlé avec Jacques Chirac, et aussi avec le Premier Ministre d’ailleurs. Mais avec Jacques Chirac, je lui dis très exactement ce que je viens de vous dire !

Mme Sinclair : Et qu’est-ce qu’il vous dit ?

M. Madelin : Ecoutez, je n’ai pas l’habitude de rapporter mes conversations avec le Président de la République à la télévision. Mais je crois que le tournant qu’il a pris, enfin le tournant qui a été pris par la politique du pays après son intervention, est un bon tournant, parce qu’il y avait une tendance à laisser filer les déficits publics et sociaux. Mais je maintiens : c’est une condition nécessaire, mais ce n’est pas une condition suffisante. Dans le même temps, il faut y aller pour créer de la croissance et des emplois.

Mme Sinclair : Jean Arthuis, votre successeur au Ministère de l’Economie et des Finances s’est fait taper sur les doigts pour avoir parlé trop vite de la future réforme fiscale et de la suppression éventuelle de l’abattement de 20 % des salariés. Est-ce que c’était une maladresse de le dire ? Est-ce que ce serait une maladresse de le faire ? Ou est-ce une bonne idée ?

M. Madelin : Moi, j’aurais souhaité faire, dès le début septembre, la lutte contre les déficits publics, le budget. La lutte contre les déficits sociaux, engager les réformes. Et puis annoncer en même temps la réforme fiscale. Et dans une réforme fiscale, il y a d bonnes et il y a de mauvaises nouvelles.

Les bonnes nouvelles, c’est la baisse des taux d’imposition, la baisse du barème, la simplification, et je crois que telle ou telle suppression d’abattement ou d’avantage fiscal …

Mme Sinclair : … cela passait avec le reste !

M. Madelin : … n’a aucun sens si on ne donne pas l’objectif.

Je reviens sur ma méthode : arrêtons de serrer la ceinture. Essayons de se retrousser les manches et surtout essayons d’accompagner les réformes d’un espoir.

Les Allemands ont fait des efforts financiers extrêmement importants pour la réunification allemande. On a aussi un peu le même problème, pour nous, la réunification française est de réintégrer dans la Société 3 à 4 millions de Français exclus du marché du travail. Réformer non pas nos Landers de l’Est mais réformer nos systèmes sociaux usés, épuisés. Mais les Allemands l’ont fait avec le sentiment que l’effort qui leur était demandé, c’était un investissement. Il y aurait un espoir. Et, aujourd’hui, ils voient en quelque sorte leur retour sur investissement.

C’est la même chose que je souhaite : une stratégie de l’espoir pour accompagne la nécessité de l’effort.

Mme Sinclair : Je crois que l’on a compris.

Fin des images de la semaine.

Léon Zitrone qui s’en va

Lady Di qui fait un « tabac »

Et la Pologne, avec la défaite du héros de Solidarité, que les Polonais avaient pourtant tant aimé.

Panoramique :

Alexander Kwasnieski : le désamour des Polonais pour leur ancien idole, Lech Walesa est battu à l’élection présidentielle par Alexander Kwasnieski, un ancien ministre du Général Jaruzelski.

Europe – Irlande. L’Irlande s’émancipe. A une très courte majorité, à peine 7 500 voix, le OUI au divorce l’emporte.

Oh ! Dear ! Elle est apparue les yeux cernés, la mine triste, presque l’ombre d’elle-même. Diana, princesse rebelle, nous déballe tout.

Charles et Diana, c’est justement Zitrone qui les avait mariés, tout comme il avait couronné la Reine Elisabeth. Léon, c’était un personnage, un physique imposant. Il est mort le jour même de ses 81 ans.

A revoir : Louis Malle aussi nous a quittés, et avec lui c’était l’une des voix les plus dérangeantes du cinéma français.

Mme Sinclair :  Louis Malle et la musique de Miles Davis, bien sûr.

Aujourd’hui, tous les Français communient dans le souvenir de Léon Zitrone, parce que c’était la télé de leur jeunesse, de leur enfance. Est-ce que c’était la vôtre ?

M. Madelin : J’ai vu des rétrospectives ce midi, et je me disais que vraiment c’était un typa avec un talent formidable, parce que c’était un homme à tout faire, me semble-t-il, à tout bien faire.

Mme Sinclair : Autre sujet qui a fédéré plus les Anglais que nous, mais, enfin, quand même ! Lady Di, vous avez été ému ou agacé ? Est-ce que vous avez seulement regardé ?

M. Madelin : J’en ai vu un tout petit extrait. Mais je la trouve chaleureuse. Je trouve que c’est une femme de cœur. Maintenant, je ne suis pas anglais, je ne sais pas si les Anglais trouveront intérêt à la monarchie télévisée ou, au contraire, s’ils se diront que c’est un peu une monarchie surannée, je n’en sais rien !

Mme Sinclair : Vous avez été du côté des Polonais qui, avec Solidarité, ont fait tomber le communisme. Est-ce que vous auriez voté Walesa ou Kwasnieski ?

M. Madelin : J’aurais sans doute voté Walesa. C’est un personnage historique immense. Il faut se remettre dans les années 60, dans les années 70 : est-ce que le totalitarisme soviétique, la Goulag, allait s’étendre partout dans le monde ? Et derrière cette progression du totalitarisme, il y avait la tragédie, il y avait le sang.

Et puis, tout ceci s’est écroulé et, parmi les acteurs forts de cet écroulement, il y a eu le petit ouvrier électricien de Gdansk qui, en quelque sorte, avec Solidarité, a déligitimé le communisme puisqu’il n’était plus celui de la classe ouvrière. Le communisme est mort ce jour-là.

Alors moi, j’ai une immense admiration pour Walesa.

Cela étant, il y a un miracle économique qui a réussi en Pologne. Politiquement, cela n’a pas bien marché. Le communisme est mort. Je le dis d’autant plus que je l’ai fortement combattu.

Les post-communistes n’ont rien à voir. Kwanieski est, sur le plan économique, plutôt un libéral proche de moi. Que propose-t-il ? Les privatisations. Baisser les impôts. Il propose même de désétatiser la Sécurité sociale polonaise, c’est vous dire !

Mme Sinclair : Dans la série : « Le communisme : la mutation », je voudrais signaler le livre de Robert Hue, qui sort chez Stock.

Robert Hue, lui, est toujours communiste, mais il raconte comment, au fond, il regarde avec sévérité, et un certain regard et une certaine force dans son explication, le communisme et ses évolutions en France. C’est un livre intéressant.

Pour revenir à la politique française, où vous situez-vous, Alain Madelin, vous qui étiez proche de François Léotard qui est toujours, si je ne me trompe, vice-Président du Parti-Républicain et qui était bien absent dans les dernières festivités du Parti Républicain ?

M. Madelin : J’essaie de ne pas trop m’impliquer dans la vie des formations politiques…

Mme Sinclair : Quand on est vice-président, cela n’a aucun sens ?

M. Madelin : Je ne m’implique pas. Je crois que celles-ci ont besoin de se rénover. Et moi-même, j’aurais souhaité d’ailleurs que l’on fasse quelque chose de vraiment très neuf avec cette famille républicaine, libérale et indépendante.

Je vois les efforts du C.D.S. qui s’est transformé en Force Démocrate…

Mme Sinclair :… oui, cette semaine François Bayrou a transformé le C.D.S. en Force Démocrate.

M. Madelin : Je trouve cela très bien, encore faudrait-il que cela ne soit pas un petit jeu qui consiste à se partager les mêmes députés.

Moi, ce que j’essaie de faire, c’est d’élargir le territoire de la majorité présidentielle.

Mme Sinclair : Avec votre mouvement qui s’appelle « Idées, Action ».

M. Madelin : On parle de la fracture sociale, mais il y a aussi – c’est beaucoup moins –important – une sorte de fracture politique dans la vie politique française, c’est-à-dire une sorte de distance entre deux qui gouvernent en haut et puis le reste de la Société.

C’est pour cela qu’il y a un peu plus d’un an j’ai fondé un mouvement qui est le mouvement « Idées, Action », qui est un mouvement politique, oui mais plus encore un mouvement civique qui regroupe des tas de gens qui ne se seraient jamais engagés à l’intérieur d’un Parti politique. Il y a des parlementaires. Il y a des ministres du gouvernement. Il y a des tas de gens. On a énormément de soutien. « Idées-Action » a des soutiens politiques. Mais surtout je tiens beaucoup à conserver cette originalité : faire de l’action civique, de citoyens responsables partout en France, avec des gens qui, autrement, ne se seraient pas engagés. C’est un mouvement d’idées et un mouvement d’action.

Mme Sinclair : Dans votre livre « Quand les autruches relèveront la tête », vous dites : je veux faire de la politique autrement. Or, faire de la politique, c’est quand même aspirer à pouvoir mettre ses idées au service du plus grand nombre et, donc, éventuellement gouverner demain.

La logique de votre mouvement ne serait-elle pas de présenter des candidats à ce qui est aujourd’hui l’expression la plus démocratique d’un gouvernement, c’est-à-dire les élections ?

M. Madelin : Vous voyez la démarche : cela ne consiste pas à dire : on fait une force politique, on rénove, on change un bureau politique. Non.

Les idées, d’abord. Je mets les idées d’abord. Et puis celles et ceux qui se reconnaissent dans ces idées, se regroupent à « Idées-Action », avec l’idée d’aller plus loin, bien sûr, parce que je suis un homme d’action.

Avec l’idée d’aller plus loin, peut-être qu’aux prochaines élections législatives, il y aura des candidats de la majorité présidentielle ou des candidats indépendants qui se reconnaîtront dans ces idées et qui auront envie de porter leurs couleurs.

Je crois que ce sont des idées pour rassembler. Je crois que ce sont des idées pour gagner.

Mme Sinclair : Je vais demander au danseur français le plus populaire, en France comme à l’étranger de venir nous rejoindre. Il s’agit de Patrick Dupond. Il a été danseur-étoile à l’Opéra de Paris. Il a dansé Gisèle, le Lac des Cygnes, Roméo et Juliette, en France et partout dans le monde, et beaucoup d’autres choses ;

Il vient de danser les Variations d’Ulysse du Chorégraphe Jean-Claude Galotta à l’Opéra Bastille, et il est parti en tournée jusqu’au 22 décembre présenter un spectacle « Patrick Dupond invite » avec, bien sûr, une chorégraphie en patchwork…

M. Dupond :  classique et contemporaine. Je suis contre les clivages.

Interview de Patrick Dupond.

Mme Sinclair : L’homme politique, il se dit : j’arrêterais à tel moment ou in ne se dit jamais cela ? Il y a toujours un avenir pour un homme politique ?

M. Madelin : Moi, je me dis cela souvent.

Mme Sinclair : Et vous le faites ?

M. Madelin : …Mais j’observe que cela n’a pas l’air d’être une sagesse pratiquée dans la vie politique ;

Mme Sinclair : Merci à vous deux.

Merci Patrick Dupond. Merci Alain Madelin, et je rappelle le titre de votre livre : « Quand les autruches relèveront la tête », chez Robert Laffont.

La semaine prochaine, je recevrai un personnage assez exceptionnel Bill Gates, l’homme qui a créé l’entreprise Microsoft qui fait tourner aujourd’hui 80 % des micro-ordinateurs dans le monde. Il a 40 ans. C’est la plus grosse fortune mondiale. Il est à la fois le superman du logiciel, si l’on peut dire, et une légende vivante. Pendant une heure, il va essayer de nous faire vivre ce que sera la vie quotidienne, sinon en l’an 2000 du moins, en tout cas, en 2005.

Je le ferai dialoguer avec Jacques Attali qui est un intellectuel et un écrivain français, qui réfléchit sur ce monde nouveau qui vient. Je vous conseille de découvrir Bill Gates, si vous ne le connaissez pas. Je pense que ce sera très passionnant.

A 20 heures, le Journal de Claire Chazal qui reçoit Anne-Aymone Giscard d’Estaing, Guy Lux, Simone Garnier et Philippe Bouvard, et à 20 h 50, il y aura une émission spéciale à TF1, ce soir, présentée par Philippe Bouvard, en hommage à Léon Zitrone.

Merci à tous.

Bonsoir.