Texte intégral
RTL : Vendredi 15 septembre 1995
M. Cotta : On vous sent soulagé de certaines contraintes gouvernementales.
A. Madelin : Non. Je me suis engagé auprès de J. Chirac pendant la campagne présidentielle avec l'idée qu'il fallait à la France un sursaut réformateur, briser les privilèges, les corporatismes de toutes sortes. Tout le monde est d'accord là-dessus, heureusement. Mais je me suis aussi engagé avec l'idée que les Français, si on leur parlait le langage de la vérité et du courage étaient davantage prêts à ces réformes, aux changements que les différents corps constitués qui les représentent. J'ai tenu des propos que l'on a qualifiés d'imprudents, en disant : « Attention, les Français ne vont pas les comprendre ! ». Et – extraordinaire ! - les Français ont très bien compris ce que je disais. Ils ont montré que j'étais prêt au changement. De partout, à la mairie de Redon, j'ai reçu des dizaines de milliers de lettres, de très belles et simples lettres de gens très simples, qui ont des fins de mois difficiles, de la France qui travaille dur qui a le sentiment que ce n'est pas juste, qu'il y a toujours deux poids deux mesures dans ce pays, de braves gens qui ont soin d'être entendus et qui ont besoin d'être défendus. Maintenant, j'espère que ma démission va être utile parce qu'elle montre que les Français sont prêts à ce langage de vérité et de courage. Je poursuis bien évidemment mon combat.
M. Cotta : Vous êtes plus un homme de conviction que de pouvoir ?
A. Madelin : Les deux. J'ai toujours pensé que dans une campagne électorale, il faut dire ce que l'on va faire. Ensuite, quand on est au gouvernement, il faut faire ce que l'on a dit, dans tous les domaines. Il ne s'agit pas d'avoir le pouvoir pour le pouvoir. Je préfère mes convictions, les engagements que j'ai pris vis-à-vis de mes électeurs au portefeuille ministériel.
M. Cotta : Considérez-vous que le procès qui vous a été fait n'a été qu'un prétexte, que votre départ n'a été qu'un incident de formulation, comme l'a dit J. Arthuis ?
A. Madelin : En ce qui concerne les fonctionnaires, j'ai dit certaines choses. Maintenant, il s'agit de leur proposer quelque chose. Je ne souhaite pas faire un procès aux fonctionnaires, je souhaite les mobiliser sur un projet. Il faut offrir des perspectives aux fonctionnaires et leur montrer qu'il y a un énorme chantier à conduire d'ici la fin du siècle : le chantier de la modernisation de l'État. L'État doit être aussi efficace que les entreprises. C'est en participant, en prenant des responsabilités dans ce chantier de la modernisation de l'État que les fonctionnaires trouveront non seulement des tâches plus intéressantes, mais encore la récompense de leurs efforts.
M. Cotta : Quand A. Juppé reprend certaines de vos idées, notamment sur la transmission du patrimoine des entreprises…
A. Madelin : Je dis tant mieux ! J'ai souhaité bonne chance à A. Juppé. Je souhaite la réussite de ce gouvernement. Si la réussite de ce gouvernement se fait sur les idées qui sont les miennes, je serais comblé.
M. Cotta : Lorsque le Premier ministre dit : « Le vrai réformateur n'est pas celui qu'on applaudit le matin à la radio, mais celui qui se bat jour après jour pour mettre en œuvre les réformes promises, et c'est ce que je fais », le prenez-vous pour une proposition implicite ?
A. Madelin : Ne cherchez pas à m'opposer : cherchez plutôt à regarder ce que je propose. Je souhaite être un proposant.
M. Cotta : Vous pensez que les Français sont plus réformateurs que leurs élus : sur quoi vous fondez-vous ? N'y a-t-il pas une partie contre ?
A. Madelin : Si vous attendez le consensus pour faire des choses, vous ne faites rien. C'est la recette de l'immobilisme. Si vous attendez le fait de vous mettre d'accord avec tous les corps constitués qui représentent les Français et qui sont très souvent installés à des postes de pouvoir, qui vivent très bien de ces postes de pouvoir remis en cause par la réforme, vous avez peu de chances d'arriver. Ce que je dis simplement, ce sont des idées simples, des idées de bon sens : remettre le travail comme valeur centrale au cœur de la société. Vous avez là les deux tiers des Français qui sont pour vous. Ça suffit pour avancer. Je suis vraiment frappé par cette France extrêmement modeste, qui travaille dur, qui dit « je n'ai jamais pris d'arrêt d'assurance-maladie », « je gagne un maigre SMIC », « je n'ai pas de quoi envoyer mes enfants en colonie de vacances », « je suis honnête, mais j'en ai assez, je suis fatigué de voir toutes ces injustices et ces inégalités » : il y a la France des porteurs de pancartes, il y a la France qui descend dans la rue, qui fait parfois céder Je gouvernement, il y a la France qui sait être influente dans les couloirs du gouvernement pour obtenir tel ou tel avantage, mais il existe aussi cette France-là qui a besoin d'être entendue. Cette France-là, c'est un formidable espoir de changement, parce qu'elle est capable d'appuyer des réformes courageuses.
M. Cotta : Vous vous battez pour la politique des trois confiances : celle des marchés, des entrepreneurs et des financiers. Sont-elles compatibles ?
A. Madelin : Bien sûr ! La confiance de ceux qui entreprennent, des petits commerçants, des artisans, des professions indépendantes, des petites et moyennes entreprises, on en a besoin, parce que ce sont eux qui vont créer des emplois. Libérer l'énergie de ces 3 millions de petits entreprenants, et nous réussirons à vaincre le chômage. Ils ont besoin de confiance et de quelques mesures simples, même pas coûteuses, pour faire sauter des verrous qui les bloquent. Et puis, la confiance des Français, dès lors qu'ils ont le sentiment que Je langage tenu et celui de l'équité et du courage.
M. Cotta : Aux Finances, vous aviez accepté la domination de cette aristocratie d'État que vous dénoncez ?
A. Madelin : Sûrement pas !
M. Cotta : Vous vous êtes heurtés ?
A. Madelin : La réforme fiscale que j'avais proposée est une réforme, comme les mesures qui ont été annoncées, qui va dans le sens de la suppression de certains avantages et de privilèges.
M. Cotta : Briguez-vous un nouveau mandat de député ?
A. Madelin : Oui, le 8 octobre.
M. Cotta : Comptez-vous jouer un rôle d'aiguillon auprès du gouvernement et du Président ?
A. Madelin : Un rôle de proposition.
M. Cotta : Tourner la page du PR, qu'est-ce que ça veut dire ?
A. Madelin : C'est un autre sujet. Pour le moment, je me consacre à mon élection en Ille-et-Vilaine, ainsi qu'à Idées-Action.
La Tribune Desfossés : 18 septembre 1995
« Jacques Chirac, s'adressant au mois de mars dernier à des chefs d'entreprise, avait comparé la situation de l'État à celle d'une entreprise en difficulté, surendettée et sous-protective. Il nous proposait de mener à bien la réforme de l'État vaste opération de restructuration, de traquer les gaspillages d'argent public et surtout, de simplifier fortement la vie des Français dans leurs rapports avec leurs administrations.
S'il faut aujourd'hui redessiner l'État en profondeur, c'est pour cet ensemble de raisons.
C'est une nécessité. Le déficit du budget est l'équivalent de la moitié de la masse salariale de l'État, ce qui veut dire qu'un fonctionnaire sur deux est payé par l'emprunt.
C'est surtout une chance, celle de recentrer l'État sur ses missions traditionnelles, de réinventer de nouveaux espaces de liberté et de responsabilité, d'enrichir les tâches et les missions des agents de l'État.
L'enjeu économique
Les États sont aujourd'hui en situation de concurrence. À travers leurs lois, leurs systèmes fiscaux, la qualité des services qu'ils rendent. Un État trop lourd, trop coûteux, trop centralisé constitue un handicap pour la compétitivité d'une économie. La plupart des grands États européens ont su s'engager dans cette formidable mutation. Leur expérience nous sera précieuse.
J'ai parfois comparé l'effort que nous devions accomplir, pour restructurer nos grands systèmes publics, à celui mené par le chancelier Kohl, depuis la réunification allemande. Cette comparaison n'est pas hors de propos. Car la réforme de l'État est en elle-même un formidable potentiel de croissance et de compétitivité pour notre économie.
La méthode
Nous devons veiller à ce que cette réforme ne soit pas celle de la perestroïka à la française, c'est-à-dire l'apparence des réformes, décidées par le sommet, et le maintien des droits de la nomenklatura. Car, derrière la réforme de l'État, il y a l'enjeu de la redistribution des pouvoirs. Ceci explique des réticences…
L'État n'a pas tant besoin d'un plan d'architecte que de laisser à la base la liberté d'innover et d'expérimenter. On peut certes transférer l'ENA de Strasbourg à Carpentras, demander à M. Ploc de refaire la copie de M. Pico réunir les préfets et refaire une circulaire. Ceci n'irait pas très loin. Ce ne sont pas les idées qui manquent, mais la volonté et peut-être plus encore les outils.
L'intérêt des fonctionnaires
Le premier de ces outils, c'est la motivation des fonctionnaires des agents publics. Je ne veux pas faire un procès aux fonctionnaires, je veux leur donner un projet. La réforme de l'État ne se fera pas contre les fonctionnaires, mais grâce à eux. Ils ont tout à y gagner : des responsabilités plus affirmées, une souplesse de gestion, des carrières plus mobiles, des possibilités de reconversion, une revalorisation de leur métier. Ceci suppose quatre séries de mesures :
L'intéressement des fonctionnaires à l'amélioration des performances collectives de leur administration ; cela passe par une gestion plus souple et plus globale des budgets de chaque service. C'est ce que j'avais voulu mettre en œuvre à Bercy.
Plus généralement, la politique salariale de la fonction publique est excessivement rigide, la même augmentation s'applique pour tout le monde, et sans référence aux mêmes fonctions exercées ailleurs. Inévitablement, certains fonctionnaires sont sous-payés, d'autres surpayés, sans qu'aucun mécanisme d'ajustement ne puisse jouer.
La valorisation des ressources humaines, par une gestion active du redéploiement des personnels. On leur impose souvent d'inutiles mobilités géographiques et on s'interdit une indispensable mobilité fonctionnelle. Il y a dans certains services, dans certaines régions, trop de fonctionnaires. Pas assez dans d'autres. Pour cela, créons une nouvelle position statutaire, celle du fonctionnaire en mobilité, en formation dans l'attente d'une nouvelle affectation.
La modernisation des techniques de dépense publique : contrôle déconcentré, utilisation de cartes de crédit ou de chéquiers pour les dépenses courantes des administrations, dans le cadre de régies d'avance étendues.
L'intérêt des citoyens
La réforme de l'État est surtout faite, bien entendu, pour le citoyen. La référence incantatoire au service public ne doit pas occulter la vraie nécessité du service public.
Cela vaut pour la définition des missions de l'État. À chaque instant, du public ou du privé, doit être retenu celui qui rend le meilleur service au meilleur prix. L'État est-il le plus qualifié pour faucher les talus et sabler les routes ?
Cela suppose une évaluation constante est fiable des performances de l'État, base de nouvelles Chartes des usagers, fondées sur quelques droits fondamentaux, n'accomplir qu'une fois, en un seul lieu, une même formalité, être « satisfait ou remboursé ». Si je n'ai pas eu mon passeport dans un délai déterminé, je ne paye pas de timbre fiscal. Si mon avion arrive en retard, j'ai droit à un vol gratuit. C'est après tout la démarche commerciale de bien des entreprises.
Enfin, le droit de grève doit être mieux équilibré par le principe de continuité du service public qui est en lui-même l'une des principales justifications du statut particulier de celui-ci.
Dépenser autrement
Pour avoir vécu, dans un temps accéléré, la procédure actuelle de préparation de budget, je sais que ce n'est pas ainsi que l'on réformera en profondeur l'État. Ce n'est pas en rencontrant les ministres « dépensiers » en juillet qu'on peut leur demander des réformes pour le 15 août.
J'avais demandé aux services du Budget de modifier en profondeur cette procédure. Je souhaite que cette réforme s'engage dès la prochaine loi de finances, sur des bases simples :
Engager, dès le mois de janvier, une première série de conférences budgétaires au niveau ministériel. Des arbitrages plus précoces laissent du temps pour redéployer et pour réorganiser.
Globaliser les masses budgétaires, y compris les salaires, donne de la marge de manœuvre et la possibilité d'arbitrer, pour chaque ministre, entre ses différentes priorités.
Mettre en place un intéressement budgétaire à l'effort de réforme.
Trop souvent, faire une réforme, c'est inventer une nouvelle dépense. La vraie réforme est celle qui permet de dépenser moins en dépensant mieux.
Il existe des gisements d'économies dans l'organisation même de l'État. Quelques exemples très concrets : le regroupement des services extérieurs, la durée d'occupation des locaux universitaires… Ce sont celles-là qu'il faut engager sans tarder.
Légiférer autrement
Il nous faut enfin perdre l'habitude de légiférer et de réglementer à tout propos, sans mesurer l'impact des nouveaux textes, et accepter de remettre de l'ordre dans notre droit et de le codifier. C'est là le moyen d'éliminer les contraintes réglementaires inutiles, elles sont nombreuses, et d'éviter d'en ajouter de nouvelles.
Tant que la qualité d'une administration se mesurera à sa capacité à augmenter son budget et au nombre de nouveaux textes qu'elle édictera, la réforme de l'État restera une utopie. »