Déclaration de M. Jean de Boishue, député RPR, sur les problèmes liés au classement de certains sites en zones naturelles entre l'Etat et les collectivités locales et sur la valorisation et la protection du patrimoine naturel, Paris le 12 décembre 1994.

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Circonstance : Colloque organisé par l'Ecole nationale du patrimoine sur le patrimoine culturel et le patrimoine naturel, à Paris les 12 et 13 décembre 1994

Texte intégral

Jean de Boishue

En tant qu'élu local, je considère que la question du patrimoine naturel mérite réellement un débat car il s'agit d'un domaine que les collectivités locales, pour bon nombre d'entre elles, découvrent, ou qui s'impose à elles avec des conséquences souvent imprévisibles.

Sans essayer de masquer la réalité d'un sujet plus vaste qui est celui de l'environnement, le patrimoine naturel suscite un véritable engouement.

Désormais, dans ce domaine, les collectivités locales ont largement rejoint l'opinion publique sans toutefois être prêtes ou complètement équipées pour affronter tous les défis et conséquences qui en résultent. La question est d'autant plus complexe que ce domaine relève de plusieurs administrations (ministère de la Culture, de l'Équipement, DIREN) et de services administratifs d'échelon régional, départemental ou communal.

La notion de patrimoine naturel recouvre, aujourd'hui, un large champ d'application. Il ne faut pourtant pas confondre la protection de la nature, c'est-à-dire le besoin de sauvegarder des zones, de conserver des poumons verts, avec l'existence de sites qui revêtent un intérêt historique ou dont l'authenticité se traduit par un concept ou une tradition.

Le second point important est celui de la fragilité des sites naturels : un paysage ou un espace naturel qui met de nombreuses années à se constituer peut, à l'image d'un arbre qu'on abat, être détruit ou se détruire en quelques instants. Cette prise de conscience est nouvelle ; il faut en tenir compte parce qu'elle est, pour partie, liée à notre conception du progrès.

Par ailleurs, les plans d'occupation des sols représentent un danger. Leur existence, en effet, est liée à une période au cours de laquelle les problèmes d'aménagement se posaient sous une forme uniquement technique. Aujourd'hui, l'intercommunalité est l'instrument approprié pour conserver le patrimoine naturel et culturel commun. Le système des zones NA, malgré son utilité pratique, peut se révéler dangereux pour le patrimoine naturel.

Nous sommes confrontés au problème du zèle intempestif d'un certain nombre d'administrations. Le classement de zones naturelles nécessite, préalablement, une réflexion sur leur gestion qui n'est pas toujours menée. Si un patrimoine bâti, objet d'une dégradation, peut se reconstruire, un site naturel non entretenu tombe rapidement en désuétude. Autrement dit, il est impossible d'opérer un classement sans concertation avec les partenaires concernés c'est-à-dire avec les collectivités locales.

Par exemple, dans une commune de ma circonscription, existaient des jardins potagers présentant un intérêt patrimonial. La municipalité a projeté de construire un bâtiment dans ce secteur. Aussitôt, la DIREN a tenté de procéder au classement de cette zone. L'intention était louable mais si ce classement s'opérait contre l'avis de la collectivité locale, cela aurait été au détriment du périmètre concerné puisque son existence est dépendante de la gestion commune entre la collectivité locale et l'administration compétente. L'accord entre la population, les associations, l'administration et les communes est d'une absolue nécessité. À défaut, tout classement, à terme, est voué à l'échec.

Le classement des sites naturels exige d'être circonspect « car trop de classement tue le classement ». Pour cette raison, il s'agit de privilégier l'homogénéisation des zones de protection en instaurant des formules de collaboration intercommunales. Nonobstant certains sites exceptionnels dont la protection est naturellement assurée, la France est couverte de zones de qualité de petite dimension qui restent menacées de disparition. Les administrations ont quelque peu oublié cette réalité au profit de luttes d'influence inter-administratives et souvent encore centralisatrices quant à l'origine de la décision. Deux organismes donnent un excellent exemple : le Conservatoire de l'espace du littoral et des espaces lacustres qui accomplit une œuvre remarquable depuis de nombreuses années et l'Agence des espaces verts de la région d'Île-de-France qui, peu à peu, reconstitue un patrimoine selon un plan et une homogénéité riche en enseignements.

La valeur esthétique et historique d'un élément du patrimoine naturel doit faire l'objet d'une réflexion intégrant tous les partenaires concernés.

En ce qui concerne la valorisation et la protection du patrimoine naturel, je suis personnellement convaincu que nous devons passer d'une phase de cofinancement à une phase de coresponsabilité. N'oublions pas, en effet, que le patrimoine naturel engage des milliers d'hectares, de personnes, et concerne non seulement des départements, des communes mais également des régions voire des pays. Il est par conséquent indispensable de promouvoir ce concept de coresponsabilité.

La définition de la notion de patrimoine naturel est aussi un point essentiel. D'emblée, il faut écarter tout ce qui ressort de la protection de la nature au sens « environnement » Ce n'est pas le même sujet. Lors du classement d'un site, le potentiel culturel doit être mis en valeur. À la notion purement esthétique s'ajoutent des concepts liés au rayonnement et à l'histoire de ce site. C'est pourquoi le critère du classement doit être étendu au patrimoine naturel. Il doit être le produit du regard, non seulement de l'État, mais aussi des usagers au quotidien.

Pour contribuer à une meilleure définition du patrimoine naturel, il devient urgent de fixer une règle de conduite commune et d'œuvrer dans le sens de la coresponsabilité.

L'État et les politiques du patrimoine telles qu'elles sont vécues par les élus locaux.

Jean-Philippe Lachenaud

L'essentiel est de garder un équilibre entre les compétences de l'État (notamment en matière de classement des réserves, sites naturels, bâtiments, monuments) et les acquis de la décentralisation. Il est néanmoins indispensable que le pouvoir soit exercé par l'État, y compris contre les élus locaux et contre, éventuellement, tel intérêt privé.

Mais que seraient aujourd'hui les archives s'il n'y avait pas le financement local ? Que serait l'archéologie s'il n'y avait pas le financement départemental et les églises classées et inscrites sans les financements pour les réhabiliter ? Combien de châteaux seraient abandonnés s'ils n'avaient pas trouvé une nouvelle utilisation ?

Jean de Boishue

Nous sommes réunis ici pour nous demander comment valoriser et protéger le patrimoine naturel. Il ne s'agit pas de nourrir un débat sur la détermination des responsabilités entre l'État et les collectivités locales.

Si nous avons été longtemps dans une phase de cofinancement, il faut désormais entrer dans une phase de coresponsabilité. Un sujet comme le patrimoine naturel qui engage des milliers d'hectares et de personnes et concerne non seulement des départements, des communes, mais également des régions, voire des pays, implique une logique de coresponsabilité. C'est la grande différence qu'il y a entre le patrimoine strictement culturel, où effectivement la responsabilité locale est peut-être plus facile. Comme le patrimoine naturel est devenu un sujet national, c'est à grande échelle aujourd'hui qu'il faut se poser la question. Le problème du classement est également un sujet qui doit être médité dans le cadre du patrimoine naturel : il doit, incontestablement, aujourd'hui, être le fait du regard, non seulement de l'État, mais aussi des usagers au quotidien. L'échelle du sujet exige la coresponsabilité et en aucun cas l'élimination d'une des parties concernées.