Interview de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, dans "L'Entreprise" de décembre 1998, sur la nécessité de faciliter l’accès des PME à la propriété industrielle, notamment en réduisant le coût du brevet européen et sur la lutte contre la contrefaçon.

Prononcé le 1er décembre 1998

Intervenant(s) : 

Média : ICF l'indicateur de l'entreprise - L'Entreprise

Texte intégral

L'entreprise : le rapport Lombard s'était alarmé du faible nombre de dépôts de brevets en France et vous vouliez faire de 1998 l'année de propriété industrielle. Les choses ont-elles changées ?

Christian Pierret : Parmi les actions engagées pour sensibiliser les PME à la propriété industrielle, deux commencent à donner des résultats. Un appel à proposition lancé par l'Inpi a suscité 82 projets, qui ont pour objectif d'encourager la prise de conscience des enjeux concurrentiels de la propriété industrielle. Le jury a commencé à les examiner. Par ailleurs, j'ai écrit à 200 dirigeants d'entreprise ayant déposé un grand nombre de brevets en 1997 pour leur proposer de parrainer des PME innovantes. Nous avons déjà enregistré une cinquantaine de réponses favorables, de Renault, Saint-Gobain et Total, mais aussi de PME innovantes comme Genset ou l'entreprise grenobloise de mécanique A. Raymond.

L'entreprise : L'une des critiques récurrentes sur le brevet en France est son manque de crédibilité, puisque le système d'enregistrement est peu contraignant. Pourrait-on envisager que l'Inpi soit plus strict dans la délivrance des brevets ?

— Par tradition, selon notre système de brevets, c'est au juge de décider de la validité du brevet. Si l'on y songe bien, on s'aperçoit que c'est une conséquence, en France, de la séparation des pouvoirs et de la compétence des tribunaux judiciaires concernant le droit de propriété. L'Inpi ne peut donc, de par la loi, rejeter une demande de brevet que pour défaut de nouveauté, sans se prononcer sur l'activité inventive.

Cette attitude de principe rejoint une logique économique. Sans examen de brevetabilité, le brevet français est peu coûteux et peut être délivré rapidement. Des éléments sérieux de sa valeur juridique sont néanmoins fournis. Un rapport de recherche, établi par l'Office européen de brevets (OEB), est joint au titre délivré. Il recense les documents qui seraient de nature à affecter la brevetabilité de l'invention. Un renforcement de l'examen des brevets par l'Inpi en grèverait le coût et le délai de délivrance sans en améliorer sensiblement la valeur, le risque d'une annulation ne s'en trouvant pas écarté pour autant.

L'entreprise : Un brevet se doit d'être étendu à l'étranger si l'on veut envisager une production importante. Le coût des extensions, et notamment des traductions, est souvent prohibitif pour les petites structures. Des allègements et des simplifications ne seraient-ils pas nécessaires ?

— Le brevet est un instrument de conquête de parts de marché et d'acquisition d'un vrai pouvoir de négociation : il est normal qu'il y ait un prix à payer pour cela. Mais il y a des limites. Le coût de la protection internationale conduit beaucoup d'entreprises à être excessivement sélectives en limitant les paris qu'elles prennent sur les innovations ou en restreignant le nombre de pays désignés pour l'extension de leurs brevets.

Le brevet européen est trop cher au regard de ses homologues américain et japonais. La réduction du coût d'obtention du brevet est un objectif majeur de la conférence intergouvernementale des Etats membres de l'OEB, que la France vient de proposer. Il faut en particulier rechercher des solutions pour réduire le coût des traductions, qui peut représenter jusqu'à 40 % du coût d'obtention.

L'entreprise : Attaquer les contrefacteurs coûte cher aux PME. Pourquoi ne pas proposer une assurance « protection juridique », qui prendrait en charge les coûts de protection et de défense, voire les pertes liées à la contrefaçon ?

— Le coût des litiges, surtout à l'étranger, et la lenteur des procédures sont pour nombre d'entreprises petites et moyennes un obstacle quasiment insurmontable. Cette proposition d'« assurance litiges » est très intéressante et doit être approfondie. Le préjudice résultant de la contrefaçon doit aussi être indemnisé de façon plus dissuasive par les tribunaux. Un groupe de travail a été chargé d'élaborer un guide d'évaluation des dommages-intérêts pour la contrefaçon de brevets. Son travail sera destiné tant aux magistrats et aux avocats qu'aux entreprises elles-mêmes.

L'entreprise : Les délais et le manque de formation des juges en matière de propriété industrielle sont souvent deux handicaps supplémentaires lors des procédures judiciaires…

— Je suis convaincu de la nécessité de réduire le nombre de tribunaux susceptibles de traiter les affaires de brevets, dont la matière technique est souvent extrêmement complexe. J'ai saisi la ministre de la justice sur cette question et je crois savoir qu'elle n'y est pas défavorable. Des actions de formation des juges constitueraient un complément indispensable à ces dispositions…