Interviews de M. Guy Drut, ministre de la jeunesse et des sports, dans "Le Figaro" du 12 septembre 1995 et "La Tribune Desfossés" du 18, sur l'organisation de la journée de l'enfant et la question des rythmes scolaires, et sur la création d'emplois dans le domaine sportif.

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Média : Le Figaro - La Tribune Desfossés

Texte intégral

Le Figaro : 12 septembre 1995

Le Figaro : La Commission Fauroux, que le premier ministre et François Bayrou ont installé officiellement hier, doit notamment se pencher sur le problème des rythmes scolaires. Qu'attendez-vous de cette commission ?

Guy Drut : J'ai toujours soutenu, même avant d'être ministre, qu'un débat devait s'instaurer sur les rythmes scolaires et surtout sur l'organisation de la journée de l'enfant. Vous pensez bien que je n'ai pas changé d'avis en devenant ministre et que je suis très satisfait que le Premier ministre demande à la Commission Fauroux de se pencher sur ce sujet. Je participe aujourd'hui, à côté du Premier ministre, à l'installation officielle de cette commission dont je suivrai les discussions de très près dans les prochains mois. Et, sans attendre, je souhaite engager avec les élus locaux intéressés des expériences significatives d'aménagement des rythmes scolaires qui pourront servir de support concret aux réflexions qui seront menées au niveau national. C'est dans cet esprit que je me suis rendu mardi dernier à Marseille pour y soutenir l'expérience d'aménagement des rythmes scolaires du collège Édouard Manet, où les élèves consacreront toutes les après-midi à des activités aussi variées que judo, voile, danse, photo ou échecs.

Le Figaro : Vous êtes partisan, comme le président de la République, d'une réorganisation en profondeur des rythmes scolaires en partie inspirée du modèle anglo-saxon. Pourquoi ?

Guy Drut : La France est le pays qui impose aux enfants les journées les plus chargées et les plus fatigantes d'Europe, tout en ayant le moins grand nombre de journées de cours par an. Si on organise la semaine scolaire sur cinq jours, il est possible, sans diminuer le nombre d'heures consacrées aux matières fondamentales ni modifier le calendrier des vacances, de libérer plusieurs demi-journées par semaine pour les disciplines dites de la sensibilité : sports, danse, musique, découverte de la cité ou de la nature. Cette organisation de la journée, moins fatigante pour les élèves, est nécessaire non seulement pour prévenir les situations d'échec scolaire et lutter contre l'exclusion mais surtout pour donner à tous les jeunes les moyens de s'épanouir et de découvrir des passions.

Le Figaro : Le principal obstacle à une généralisation de ce type de journée scolaire, comme le montre notamment l'exemple d'Épinal, semble être d'ordre financier. Est-il insurmontable ?

Guy Drut : Sûrement pas. J'ai, pour ma part, d'ores et déjà réservé 220 millions de francs sur le budget 1996 de mon ministère pour accompagner les initiatives des maires qui voudront lancer dans leurs communes des initiatives allant dans ce sens. C'est un bon début. Je crois au partenariat. Si tout le monde – État, communes, conseils généraux, conseils régionaux… – a la volonté d'aller de l'avant, comme cela a été te cas au collège Manet de Marseille, on y arrivera. Je vous rappelle, par ailleurs que l'aménagement des rythmes scolaires permettra de créer de l'emploi dans les domaines sportifs, culturels et de l'animation, ce qui doit également être pris en compte dans la conjoncture actuelle.

Le Figaro : Peut-on espérer parvenir à un consensus sur les rythmes scolaires, ou faudra-­t-il trancher par référendum ?

Guy Drut : Menons, déjà à leur terme les expérimentations que nous sommes en train de lancer. Après une phase d'évaluation avec les enseignants, les parents, les jeunes et les autres partenaires, je suis certain qu'un accord se dégagera pour engager une réforme nationale. Il appartiendra alors au président de la République de décider de la marche à suivre.


La Tribune Desfossés : 18 septembre 1995

La Tribune : Quelle sorte d'emplois souhaitez-vous promouvoir avec des conventions comme celle signée samedi au Castelet ?

Guy Drut : Elles permettront de bâtir un réseau de relations du monde sportif avec les entreprises et les milieux économiques. Il y a deux types d'emplois dans le sport : les emplois directs (athlètes professionnels, entraîneurs, fabriquant de matériels…) et les emplois indirects, des professions de santé aux organisateurs d'événements. À travers des pôles de compétences sportives, les « olympôles », la filière des champions de haut niveau sera plus efficace. En améliorant les relations avec les entreprises, nous obtiendrons aussi des effets sur les emplois indirects. Et puis, que ce soit à l'école ou dans l'entreprise, l'aménagement du temps de travail conduira au développement de la pratique sportive, donc de l'emploi sportif. Il faut préparer les esprits et les modes de financement. À Marseille, dans une école, cinq emplois d'animateurs ont ainsi été créés après aménagement du temps scolaire, cofinancés par les collectivités locales et par nous. Avec la Fédération française de vol à voile, quarante postes seront pourvus grâce à des financements croisés.

La Tribune : Vous parlez d'utiliser le sport comme outil d'aménagement du territoire. Qu'est-ce que cela signifie ?

Guy Drut : La qualité de l'environnement ou de l'équipement sportif est un élément de qualité de vie. Les régions et les villes le savent bien et en parlent largement dans leurs argumentaires auprès des investisseurs. Il faut aller plus loin, en donnant aux régions et aux entreprises la possibilité de s'appuyer sur la renommée de champions ou de clubs locaux. En facilitant l'embauche par des employeurs multiples, les formations en alternance avec la vie professionnelle, mais aussi en s'appuyant sur les manifestations sportives. C'est ce que j'appelle la diplomatie sportive. En France nous ne savons pas exploiter les événements sportifs de dimension internationale pour valoriser notre pays. Il suffit de voir la façon dont Barcelone ou Atlanta optimisent l'opportunité olympique. Dans trois ans, nous avons une manifestation exceptionnelle, la Coupe du monde de football, qui aura une audience cumulée de 35 milliards de téléspectateurs. L'occasion est extraordinaire de vendre la France et les neufs villes organisatrices dans le monde entier.

La Tribune : Comment attirer les entreprises étrangères ?

Guy Drut : À une échelle modeste, nous avons fait un test lors de la Coupe du monde de rugby en Afrique du Sud. Dans les installations du club France nous avons invité une vingtaine de patrons sud-africains pour leur parler de la France et de l'investissement qu'ils pourraient y faire dans une ambiance originale. Je peux vous dire que, depuis, plusieurs dossiers d'investissements sont à l'étude à la Datar, concernant la Réunion et l'Hexagone. L'année prochaine, à Atlanta, nous poursuivrons l'opération avec plus de moyens.

La Tribune : Déposez-vous de réels moyens de terrain pour répondre à vos ambitions ?

Guy Drut : Dans le cadre de l'accord en Provence-Côte d'Azur, nous avons déjà embauché une personne pour assurer ce travail d'exploitation, de contact et de promotion auprès du monde économique. Dans les prochaines semaines deux cents fonctionnaires de notre administration seront les relais locaux auprès des entreprises pour développer concrètement nos idées : il y aura un « correspondant emploi » de la Jeunesse et des Sports dans chaque fédération sportive, dans chaque région, dans chaque département et dans tous les Creps (Centres régionaux d'éducation physique et­ sportive) qui forment professeurs et athlètes. Ce sont des habitudes, des réflexes qu'il faut donner aux col­lectivités locales et aux entreprises. Par exemple, désormais, en Paca, la taxe d'apprentissage pourra être versée au Creps.

La Tribune : Le sport est déjà très présent dans les entreprises, notamment à travers les épreuves corporatistes. Quelle cible visez-vous ?

Guy Drut : Dans les grandes sociétés, la pratique sportive pose peu de problèmes. Les comités d'entreprise organisent des activités, voire des compétitions. Ils disposent parfois d'équipements et participent au financement d'initiatives individuelles. Dans les PME, c'est tout autre chose. Le sport y est souvent une affaire individuelle. On peut très bien imaginer que plusieurs d'entre elles dans une ville ou une zone d'activités fédèrent les demandes de leurs salariés pour les aider à faire du sport, co-embaucher un animateur ou monter en commun un système de transport collectif jusqu'aux installations sportives. Je ne dis pas que cela créera des emplois par centaines de milliers, mais au moins cela fera avancer les choses. De plus, l'emploi sportif se prête très bien à l'utilisation des dispositifs modernes de flexibilité. Un professeur de tennis ne s'interroge pas sur le travail du dimanche et un animateur de canoë travaille sans complexes en période de basses eaux à l'aménagement des cours d'eau. Il faut profiter de cet avantage.

La Tribune : Les sportifs comme les clubs éprouvent en temps de crise des difficultés à trouver des financements. Comptez-vous adopter des dispositions complémentaires ?

Guy Drut : Il y a une forme logique à respecter. L'État subventionne le sport, il ne doit pas empêcher les entreprises d'investir dans les structures. Les sponsors demandent des incitations fiscales. Il faut étudier le dossier.

La Tribune : Comment analysez-vous les allers-retours sur le professionnalisme dans le rugby ?

Guy Drut : Je crois qu'il faut voir les choses simplement et appeler un chat un chat. Sinon, dans l'univers du ballon ovale, nous resterons des Gaulois cramponnés sur notre « rugbix ». Ce n'est pas souhaitable.