Interview de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, à France 2 le 13 janvier 1999, sur l'accord signé à EDF-GDF sur les 35 heures.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde :
L’accord signé à EDF-GDF sur les 35 heures tombe bien, parce que la loi Aubry n’avait peut-être pas rencontré le succès qu’on attendait partout ?

C. Pierret :
« La loi qu’a présentée M. Aubry est au début des négociations, son principe même c’est la concertation et la discussion. On ne peut pas, quelques mois après, en tirer déjà un bilan complet. Finalement, ça ne marche pas si mal, on a créé à peu près 10 000 emplois nets nouveaux et puis, il y a, 1 500 accords d’entreprises ou de branches, et maintenant, il y a une déclinaison au cas par cas dans chacune des entreprises ? donc ça démarre bien, ça démarre encore plus fort aujourd’hui grâce à l’accord EDF-GDF ».

F. Laborde :
Ce sera suivi par d’autres accords de ce type dans les autres entreprises publiques ?

C. Pierret :
« Il y a encore sur le feu, peut-on dire, La Poste, France Télécom, donc dans les entreprises sous la tutelle de D. Strauss Kahn et de moi-même, encore plusieurs accords, je l’espère en vue dans les prochaine semaines ».

F. Laborde :
Ces accords coûtent de l’agent puisque l’État intervient pour financer une partie, ça ne va pas coûter trop cher ?

C. Pierret :
« Non, parce qu’il s’agit là d’un plus pour l’économie globale de notre pays. On va créer des emplois, créer de l’activité, et la machine économique est tout à fait capable de digérer cela ».

F. Laborde :
La nouveauté c’est que, pour la première fois, la CGT a signé. A EDF, il y avait eu un conflit, il y a quelques mois, où la CGT avait dénoncé un accord de réduction du temps de travail. C’est un changement de stratégie qui vous semble important ?

C. Pierret :
« C’est l’aspect complet d’une stratégie syndicale. Le syndicat est fait pour revendiquer, poser un certain nombre de problèmes dans l’entreprise, appuyé par son action, parfois par la lutte. Et puis naturellement, pour obtenir, il faut négocier. Et aujourd’hui, à EDF-GDF, la CGT a décidé d’avoir une palette complète, comme les autres syndicats, parce qu’il y a d’autres syndicats qui signent cet accord, la CFDT notamment ».

F. Laborde :
Sur la réduction du temps de travail, une question reste en suspens. C’est celle du contingent des heures supplémentaires qui doit être réglé dans la prochaine loi Aubry. Est-ce qu’il faut les contingenter, comme le demandait hier N. Notat ?

C. Pierret :
« Dans l’accord EDF par exemple, on limite le nombre d’heures supplémentaires, je crois que c’est moins un quart pendant trois ans, par rapport à l’état actuel. Car, en effet, si on veut faire des emplois avec la réduction et l’aménagement du temps de travail, il faut qu’il y ait une sorte de limitation par rapport à la situation antérieure du nombre d’heures supplémentaires. C’est une bonne dynamique qui est gagnante pour tout le monde. Il faut être gagnant pour l’entreprise. Il faut être gagnant pour les gens qui y travaillent, et c’est le cas à EDF-GDF. Il faut être gagnant pour les clients. Il faut un meilleur service public, plus ouvert. Par exemple, hier soir, les partenaires sociaux sont tombés d’accord sur l’idée d’ouvrir plus les guichets EDF, sur l’idée d’avoir une plus grande attention et un plus grand conseil aux clients les plus pauvres, les plus modestes. Tout ça fait que globalement, on est dans un accord gagnant, gagnant, gagnant : la nation, l’entreprise, les salariés, le personnel, les usagers ».

F. Laborde :
On a quand même le sentiment que, sur cette affaire des 35 heures, le patronat, c’est le moins que l’on puise dire, est inquiet. On a entendu M. Aubry dire qu’il fallait peut-être taxer d’avantage les heures supplémentaires. Où est-ce qu’on en est de la réflexion en la matière ? Parce que les patrons disent : pour nous c’est compliqué de faire des augmentations de salaire tant qu’on ne sait pas exactement ce qui va se passer avec les heures sup.

C. Pierret :
« L’ensemble des accords, pour autant qu’on peut faire un bilan très provisoire, comprend en général une certaine modération salariale, c’est-à-dire une progression du pouvoir d’achat mais une progression moindre. Ce qui reste à faire, c’est à concilier la réduction et l’aménagement du temps de travail, et au départ certaines charges que cela représente pour l’entreprise, avec le fait que les coûts salariaux globaux doivent être comparables dans les différents pays de l’Europe. Au sein de la zone euro par exemple, il faut aujourd’hui qu’on puisse être en compétition active pour gagner des parts de marché et donc concilier pouvoir d’achat, compétition internationale, réduction et aménagement du temps de travail ».

F. Laborde :
Ça veut dire que sur les charges, sur les bas salaires, il y a maintenant une sorte de consensus au sein du Gouvernement ?

C. Pierret :
« M. Aubry et moi avons proposé, il y a quelques semaines, que pour les industries de main-d’œuvre où il y a beaucoup d’ouvriers, beaucoup de gens encore payés autour du Smic, il y ait un effort supplémentaire qui incite à la réduction et à l’aménagement du temps de travail pour provoquer des embauches ».

F. Laborde :
Quelle forme aura cet allègement ? On parle d’une franchise de 5 000 premiers francs versés à un salarié…

C. Pierret :
« L. Jospin n’a pas encore arbitré cette décision mais on peut imaginer qu’en effet il y ait un plancher d’aide qui permette de réduire la charge salariale globale, salaire plus charges sociales, de manière à inciter à aller plus loin et plus vite encore dans l’aménagement du temps de travail ».

F. Laborde :
Et ça pourrait être les 5 000 premiers francs ?

C. Pierret :
« C’est une idée qui a été avancée. Pourquoi pas ? Il faut en discuter, et puis il faut surtout mesurer les conséquences sur l’économie ».

F. Laborde :
Sur le Smic, les patrons sont encore très préoccupés, parce qu’on sait que vous vous êtes engagé à ne pas réduire le salaire pour ceux qui sont payés au Smic. Mais ça risque de coûter cher aux entreprises.

C. Pierret :
« Le salaire minimum, comme son nom l’indique, c’est ce qu’il faut pour vivre. Donc on ne peut pas tirer vers le bas le Smic. Il faut trouver conciliation pour le temps partiel, par la réduction du temps de travail, avec l’objectif économique qui est bien celui d’une relance par la consommation dans une économie qui a besoin, pour tirer sa croissance, à la fois de la consommation et de l’investissement ».