Interview de Mme Chantal Cumunel, secrétaire générale de la CFE CGC, à France-Inter le 29 août 1995, et articles de M. Marc Vilbenoît, président, dans "la Tribune Desfossés" ("Entre risque social et dialogue social, il faut choisir") et "La Lettre confédérale" le 4 septembre, sur la faiblesse de la croissance et le peu d'effet sur l'emploi des mesures d'allègement consentis aux entreprises.

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Média : France Inter - La Tribune Desfossés - La Lettre confédérale web CFE-CGC

Texte intégral

France Inter : mardi 29 août 1995
C. Cumunel

G. Zenoni : Un mot sur les chiffres et sur le constat ?

C. Cumunel : Je vous trouve bien optimiste de parler de véritable boum sur l'emploi des cadres. Disons que la situation s'améliore. Elle s'améliore, confirmant un petit peu l'amélioration de 94. Ceci étant, nous sommes loin des grandes réussites de 1989-90 en matière de recrutement. Et puis la deuxième observation que je ferai, c'est que ça a très bien marché au début de l'année. Aujourd'hui ça s'essouffle. Alors je ne sais pas si c'est un phénomène parce que nous sommes en été ou si c'est parce que les entreprises aujourd'hui sont réservées, qu'elles se replient un peu sur elle-même et qu'elles n'ont pas confiance dans l'avenir. Je crois qu'on le saura dans un mois.

G. Zenoni : Revenons d'abord sur ces chiffres. Il faut être prudent en fonction des secteurs.

C. Cumunel : Globalement, ça marche bien. Malgré tout avec surtout une tendance lourde pour l'industrie, la production, l'informatique, moins d'embauches au niveau des banques et des services mais il n'y a pas d'étonnement du tout à avoir. Mais ce qui me paraît le plus important, c'est qu'en fait il y a un changement, ce qui montre que malgré tout c'est solide. C'est que hier les entreprises embauchaient surtout des ingénieurs dans la production directement. Et aujourd'hui elles reviennent à des postes, notamment des spécialistes en matière de formation ou de relations humaines. Depuis trois ans, on voyait les entreprises dégraisser tout leur service formation-relations humaines. Ce qui était complètement aberrant car quand on veut motiver les hommes, il faut encore un service relations humaines. Aujourd'hui les entreprises se repositionnent dans le recrutement de tout ce qui est lié au social. Ça, c'est un point positif. »

G. Zenoni : Vous évoquez cette reprise pour le début de l'année et depuis quelque mois elle s'essouffle ?

C. Cumunel : Il peut y avoir des tas de raisons. On recrute moins au mois de juillet et au mois d'août. Les entreprises ne savent peut-être pas demain ce qui va se passer dans l'environnement international. Elles sont peut-être interrogatives par rapport au gouvernement actuel. Il y a des tas de raisons qui font qu'aujourd'hui les entreprises reculent. Et puis je dirai, on est moins dans le mondes des caricatures qu'hier. Heureusement. Il n'en reste pas moins que pour les plus de 50 ans, ça reste toujours difficile. Et que pour les jeunes diplômés, même si ça s'améliore, on le voit pas tellement au niveau des annonces mais des recrutements, il n'en reste pas moins que les entreprises restent sur les 35 ans, bonne formation initiale, bonne expérience. 

G. Zenoni : Est-ce que les mesures qui ont été prises récemment peuvent améliorer cette embauche des jeunes ?

C. Cumunel : Toutes les mesures que peut prendre le gouvernement, toutes les mesures que nous, partenaires sociaux, pouvons prendre, elles sont bonnes en elle-même. Mais elles ne sont que des mesures d'accompagnement à une volonté politique et économique des entreprises. Si les entreprises n'ont pas les moyens d'embaucher parce qu'elles n'ont pas de marché ou si elles ne veulent pas parce qu'elles préfèrent fonctionner à petits effectifs, il est évident que quoi que vous fassiez, ça n'aura pas d'effet. 


La Tribune Desfossés : 4 septembre 1995
Par Marc Vilbenoît


« Comment pourrions-nous dire que les résultats de ce sondage nous étonnent à la CFE-CGC ?

Il n'est question depuis l'été que de déficits budgétaires et sociaux plus élevés que jamais et de la nécessité d'augmenter les prélèvements sociaux et fiscaux pour les financer. Après la TVA du 1er août, on nous annonce maintenant la suppression des avantages fiscaux liés au revenu, à l'épargne ou à l'investissement immobilier pour réduire l'impasse budgétaire et l'augmentation éventuelle de la CSG pour maîtriser le déficit des comptes sociaux.

Bien entendu, l'économie française est toujours en croissance, les créations d'emplois progressent et le revenu direct des ménages ne stagne plus. Mais si on analyse ces trois points positifs, on s'aperçoit que la croissance économique n'est toujours pas relayée par la consommation, ce qui serait le seul moyen de la rendre durable. Cela n'est pas pour nous surprendre si nous nous donnons la peine d'examiner attentivement la nature des créations d'emplois depuis un an. Ce sont pour la moitié des créations totales des emplois à durée déterminée ou temporaires, pour 20% des emplois aidés, c'est-à-dire à charges sociales allégées, qui risquent de disparaître dès la fin des exonérations.

En outre progresse également le nombre de personnes travaillant à temps partiel de façon involontaire, car désirant travailler plus longtemps.

Qu'est-ce qui pourrait inciter tous ces anciens demandeurs d'emploi à accroître leur consommation alors même que leur situation, si elle s'est améliorée, demeure précaire ? Il ne faut pas chercher plus loin l'explication du paradoxe apparent d'une population active occupée qui croît, alors même que la consommation demeure sur un rythme très faible. Dans une telle configuration les ménages, qui sont tout aussi capables que les financiers d'anticipations rationnelles, préfèrent arbitrer en faveur de l'épargne ou, en tous les cas, différer l'acte de consommation. Quant au pouvoir d'achat, s'il est statistiquement exact que les salaires progressent c'est toutefois à un rythme sans commune mesure avec celui de la croissance. Or celle-ci, ancienne déjà de dix-huit mois, aurait dû inciter les entreprises à sortir de leur excessive réserve. En effet, il n'est guère sensé de s'interroger sur son caractère durable.

C'est un peu aussi comme si, à force de craindre son arrêt brutal, on le provoquait par refus de se donner les moyens de l'entretenir.

Ajoutons que l'augmentation de la TVA et la menace de nouveaux prélèvements sont largement de nature à entretenir les craintes qui pèsent sur le pouvoir d'achat.

Les déclarations contradictoires des pouvoirs publics en matière de négociations salariales dans la fonction publique ou de prétendus avantages acquis intolérables – y-a-t-il un avantage acquis moins tentant pour le commun des mortels que de percevoir le RMI, c'est-à-dire d'être un exclu du marché du travail, voire de la société ? – ne prédisposent pas à un optimisme béat pour la rentrée sociale !

Bref, le budget de l'État pour l'année prochaine nous promet moins de dépenses et plus de recettes. En bonne logique économique, cela signifie qu'il pèsera sur la croissance plus qu'il ne la dynamisera.

À plus longue échéance on nous dit que la baisse du déficit permettra de réduire les taux d'intérêt et d'améliorer la confiance des investisseurs français et étrangers. C'est à souhaiter. C'est là tout le pari du gouvernement. Quant à nous, nous craignons que l'effet récessif immédiat ne l'emporte sur l'effet de relance futur.

C'est bien la raison pour laquelle nous demandons au gouvernement de ne pas pénaliser davantage les revenus du travail face aux revenus financiers. Contrairement à l'Allemagne, la part des salaires dans la richesse du pays a perdu 10 points ces dernières années. Par rapport à la plupart des grands pays développés les revenus du capital sont sous-taxés en France.

Il est temps d'opérer l'indispensable rééquilibrage évoqué durant la campagne présidentielle et prévu dans la déclaration de politique générale d'Alain Juppé.

Comme il est temps de cesser de grever le budget de l'État par des allégements consentis aux entreprises dont les études anciennes ou récentes démontrent le peu d'effet sur l'emploi.

Comme il est temps de modifier dans un sens favorable à l'emploi l'assiette des cotisations sociales patronales en faisant appel à d'autres bases (valeur ajoutée, capital, excédent d'exploitation) que la masse salariale.

Pour qui veut réformer la matière ne manque pas !

L'emploi doit être le fil conducteur de toute décision et des politiques mises en place, qu'elles soient économiques, sociales, budgétaires ou monétaires.

Pour la CFE-CGC la capacité de notre pays à tenir sa place et à renforcer sa compétitivité globale dans une économie mondialisée passe par l'impératif de la propre compétitivité des entreprises. Mais celle-ci ne peut continuer à se développer au détriment systématique des salariés (salaire et emploi), elle passe au contraire par l'engagement de ceux-ci et singulièrement de l'encadrement.

À cet égard la CFE-CGC qui ne se complaît ni dans le négativisme ni dans la résignation, agit pour que l'on respecte son existence et ses intérêts qui ne se dissocient pas de l'intérêt général.

Sortir de la crise de l'emploi implique, outre le maintien d'une croissance soutenue et pérenne, de réduire l'incertitude sur l'avenir en conciliant productivité et emploi.

C'est là le rôle du dialogue social et de la politique contractuelle. Après l'accord sur l'accès à l'emploi des jeunes – enjeu majeur de cette rentrée – et la finalisation urgente des négociations sur les salariés ayant quarante ans de cotisation Sécu, c'est la voie d'un accord-cadre national sur le temps partiel compensé et l'aménagement/réduction du temps de travail qu'il faut ouvrir, suivi d'accords de branche et d'entreprise.

La CFE-CGC s'engage résolument dans cette voie en prenant garde bien sûr que ces aménagements soient fondés sur la réorganisation du travail et prennent des formes adaptées aux missions de l'encadrement.

Au-delà des soubresauts de la vie politique et des épiphénomènes comme la démission d'un ministre ou une crise interne du patronat, la légitime inquiétude des Français impose à tous esprit de responsabilité et aux partenaires sociaux obligation de négocier.

Entre risque social et dialogue social, que chacun pèse et choisisse. »


La lettre confédérale CGC : 4 septembre 1995
Espoir, emploi, encadrement - Marc Vilbenoît

Au-delà des soubresauts de la vie politique provoqués par les excès médiatisés d'un ministre, pointant parfois sur de vrais problèmes, pratiquant sciemment d'autres fois la provocation ; au-delà des difficultés internes que semble avoir le patronat pour définir une position unanime face aux dossiers sociaux, il reste que cette rentrée est placée sous le signe des impatiences et des attentes exacerbées sur l'emploi.

L'importance de la question, la légitime sensibilité de l'opinion imposent à tous – quels que soient les épiphénomènes que je viens de relever – sang-froid, sens de l'intérêt général et esprit de responsabilité dont la meilleure expression n'est pas forcément de se joindre à la meute.

La société française oscille entre risque social et dirigisme social, la voie à suivre est celle du dialogue social tant avec les pouvoirs publics que, et surtout, avec nos interlocuteurs patronaux. Mais, chacun ne semble pas avoir encore totalement compris que toutes les attitudes doivent être subordonnées à cet impératif premier : l'emploi.

Accès des jeunes à l'emploi – enjeu majeur de cette rentrée – pour lequel les entreprises n'ont plus d'excuses de ne pas se mobiliser sur la base du dispositif paritairement arrêté en juin. L'emploi des jeunes c'est l'avenir, c'est l'espoir.

Retour des chômeurs à l'emploi, notamment par le contrat initiative emploi.

Création d'emplois par le soutien de la croissance et d'une consommation intérieure fragile. Le succès du plan emploi passe par le succès de la reprise économique.

Qui dit priorité à l'emploi dit refuser tout prélèvement supplémentaire sur les revenus du travail qui ont tant donné depuis 15 ans. Quand j'entends parler taxe, cotisation, impôt ou CSG, je dis halte et je renvoie chacun à ses déclarations et ses engagements.

NON, la voie d'un nouvel abaissement de notre pouvoir d'achat n'est pas ouverte.

NON, le budget de l'État ne doit pas être grevé par de nouveaux allégements de charges patronales sur les bas salaires dont il vient encore d'être démontré qu'ils sont de quasi-nul effet sur l'emploi.

Si nous pouvons sortir de cette crise, c'est par le cercle vertueux de la demande créatrice d'emplois et par la réduction de l'incertitude sur l'avenir en conciliant productivité et emploi.

Réduire l'incertitude sur l'avenir, c'est, après l'accès à l'emploi des jeunes, finaliser rapidement la négociation sur l'embauche en échange des départs de salariés ayant plus de quarante années de cotisations. C'est ouvrir la voie à un accord cadre nationale interprofessionnel et aux accords de branche sur le temps partiel choisi compensé et sur l'aménagement/réduction du temps de travail fondé sur la réorganisation de ce dernier.

C'est encore modifier, dans un sens favorable à l'emploi, l'assiette des cotisations sociales patronales en faisant appel à d'autres bases (valeur ajoutée, excédents, capital...) que la masse salariale.

La capacité de notre pays à tenir sa place et à renforcer sa compétitivité globale dans une économie mondialisée, passe nécessairement par l'encadrement.

La CFE-CGC, qui ne se complaît ni dans le négativisme ni dans la résignation, entend qu'on le respecte dans son existence et dans ses intérêts.

Nous aurons l'occasion, dès le 4 septembre auprès du Premier ministre et le 6 septembre avec le CNPF, de nous assurer si tout le monde dans ce pays est décidé à sortir de la crise par le haut, c'est-à-dire par la restauration de l'emploi et des équilibres sociaux.