Texte intégral
Notre ordre du jour est consacré à « l’Humanité ». Mais je voudrais tout de même m’arrêter un instant sur la situation politique.
Les évolutions de la toute dernière période confirment l’analyse que nous faisons depuis la rentrée : une expression forte, diversifiée des attentes envers la gauche et le Gouvernement. Des attentes qui se font plus pressantes, expriment le sentiment que ça ne change pas assez rapidement, ni de façon assez visible dans la vie quotidienne d’une majorité de Français.
Elles se manifestent publiquement, à travers les mouvements sociaux, dans la rue, avec les cheminots, des rassemblements contre les licenciements, avec les jeunes – sur les emplois-jeunes ou à l’Université –, avec les enseignants, les chercheurs, pour les sans-papiers – avec la reprise des manifestations et des actions des associations de chômeurs.
Tout cela traduit un climat plus tendu, un potentiel de contestation réel.
C’est parce que nous en mesurons la portée et la profondeur que nous avons appelé le Gouvernement à reprendre la main sur le terrain social. Nous avons insisté sur la nécessité de donner des signes forts montrant qui est à l’écoute des attentes.
J’ai fait dans sens, à Créteil devant les militants du Val-de-Marne ; trois propositions sur lesquelles je souhaite revenir.
Il y a d’abord la question du chômage. En dépit des efforts engagés, la situation est préoccupante, avec la multiplication des plans de licenciements collectifs. Ce sont d’après nos estimations près de 15.000 emplois qui sont supprimés ou menacés.
Il y a nécessité de prendre des mesures nettes, sans attendre, pour enrayer les processus en cours, et les inverser.
J’ai été amené à préciser notre proposition de moratoire, en avançant l’idée que soient organisées à l’initiative des préfets des tables rondes qui réunissent, outre les représentants de l’État, les salariés, les organisations syndicales, les chefs d’entreprise, les élus, les institutions économiques et les banques.
Avec un objectif : mettre à plat toutes les solutions possibles pour sauvegarder l’emploi et relancer l’activité. En examinant les problèmes de financement, les conséquences du passage aux 35 heures, l’utilisation des fonds publics… ! Il s’agit de mettre en place un mécanisme institutionnel, qui pousse à chercher d’autres solutions que les plans sociaux, les licenciements effectués hors de la saisine des tables rondes devenant illégaux. Je sais que dans les jours qui viennent les députés communistes déposeront une proposition de loi dans ce sens.
Concernant les minima sociaux, Lionel Jospin vient de faire un geste, il a annoncé, on le sait, un relèvement de 3 % du RMI et de l’allocation de solidarité, avec un rattrapage pour 1998. C’est un geste non négligeable qu’il faut, me semble-t-il, apprécier comme tel. Pour les familles les plus démunies c’est un plus en cette fin d’année. Par rapport au milliard accordé l’an dernier, il y a un progrès. On ne s’étonnera pas cependant que je considère ce premier pas comme timide encore, et en deçà des possibilités. Il existe un excédent de recettes budgétaires de 17 milliards de francs, par rapport aux prévisions, qui permet d’aller plus loin. Ce qui est intéressant c’est que 12 milliards proviennent de la TVA. C’est dire combien, au-delà du geste de solidarité – qui n’est pas secondaire – la stimulation du pouvoir d’achat n’est pas une charge, mais tout au contraire un facteur positif pour la croissance, et pour les finances publiques.
La stimulation de la demande intérieure, par le relèvement des salaires, des minima sociaux, des retraites, est aujourd’hui d’autant plus nécessaire que, comme le reconnaît Lionel Jospin, des nuages s’amoncellent sur la croissance. Dominique Strauss-Kahn admet que son rythme actuel ne lui permet pas d’atteindre les 2,7 % prévus.
Or, il est admis maintenant, enfin, dirai-je – sauf par le patron du MEDEF – que la croissance actuelle trouve son socle dans la demande intérieure.
C’est la raison pour laquelle je renouvelle ici notre demande d’un relèvement du SMIC de 4 % au 1er janvier.
Ce que les communistes proposent s’inscrit donc, et dans une réponse immédiate aux urgences sociales, et dans la nécessité de conforter la croissance, indispensable si on veut faire reculer le chômage.
Je l’ai dit, la première réponse apportée par Lionel Jospin sur les minima sociaux montre une meilleure écoute que par le passé du mouvement des chômeurs et la prise en compte de l’intervention pressante du Parti et des parlementaires communistes sur ce sujet.
Mais cette réponse n’est pas encore à la hauteur pour enclencher une dynamique. Il y a besoin de décisions, de mesures, de signaux plus visibles encore qui transforment le scepticisme en confiance, et la confiance en soutien.
Or, je dois le dire, je trouve Lionel Jospin trop tranquille par rapport aux insatisfactions et à la réalité du mouvement social, comme par rapport aux risques politiques qui en découlent.
Certes le rapport de force politique entre gauche et droite ne s’est pas modifié. Cela signifie que la gauche ne recule pas. Mais cela veut dire aussi qu’elle ne progresse pas. Et qu’elle n’est toujours pas majoritaire dans le pays.
Or, on aurait tort de ne pas prendre la mesure de la signification de la très forte abstention qui caractérise les derniers scrutins partiels.
En confirmant l’inquiétante persistance de la crise politique, cette abstention croissante, notamment dans l’électorat populaire, exprime l’absence d’adhésion d’une part majoritaire de l’électorat à la politique engagée. En minimiser la portée conduirait à de graves déconvenues.
Cet appel à la lucidité est d’autant plus pressant que le climat est en train de changer. La droite le sent bien. Et elle n’entend pas rester les deux pieds dans le même sabot. Elle tente de reprendre l’initiative. Elle se met en ordre de bataille. Elle s’engouffre dans la moindre brèche. Elle veut capitaliser le moindre faux pas, la moindre hésitation dans l’action gouvernementale.
De ce point de vue le discours de Jacques Chirac à Rennes a indiqué un tournant. Il s’est posé en chef et en rassembleur de l’opposition, comme candidat à sa propre succession, pour passer à la contre-offensive dans la perspective de reconquête du pouvoir, avec en ligne de mire les prochaines échéances électorales, tout particulièrement l’élection présidentielle, dont il peut à son gré précipiter le calendrier.
Et, de son côté, Philippe Séguin ne cache pas son ambition de faire des élections européennes une étape dans cette stratégie, pour redonner confiance et offrir une perspective à l’électorat de droite, encore désorienté.
Certes, aujourd’hui la droite n’a pas grand-chose d’autre à proposer qu’une opposition systématique à tout ce que fait la gauche.
Elle a du mal à avancer un projet, parce que par-delà les bégaiements d’un discours dévalué sur la fracture sociale, elle n’a rien d’autre à défendre qu’un retour musclé aux bonnes recettes ultralibérales, quand ce n’est la réactivation du bon vieux fond réactionnaire qui fait qu’elle est la droite. Il suffit pour s’en convaincre de voir son comportement sur le PACS, ou les 35 heures, ou de regarder la guérilla qu’elle mène au Sénat.
Regardez aussi comme elle monte le ton pour faire barrage à l’introduction de la proportionnelle au scrutin législatif, parce qu’elle craint qu’un rééquilibrage démocratique rende plus difficile son retour aux affaires.
À cet égard, je crois que dans le cadre de la modernisation des institutions, l’introduction de la proportionnelle aux législatives est un passage obligé pour que la représentation parlementaire soit conforme au suffrage universel. Il y a là une mesure que la gauche se doit de mettre en œuvre, quelles que soient les pressions.
Dans cette tentative de contre-offensive, le signal le plus manifeste est venu du président de la République lui-même, avec son attaque brutale contre le droit de grève. Derrière une prétendue défense des usagers et du service public – on croit rêver ! – c’est une mise en cause grave du droit des salariés de se défendre justement contre des décisions qui mettent à mal le service public. Pour flatter son électorat le plus conservateur et donner des gages au patronat, Jacques Chirac n’hésite pas à menacer une des libertés fondamentales inscrites dans la Constitution de la République. La riposte doit être au niveau de l’attaque. C’est le sens de l’appel à une adresse de protestation nationale, pour faire entendre la voix de tous ceux qui sont attachés à ce droit démocratique.
La vigilance et la dynamique à laquelle nous appelons s’imposent d’autant plus que la droite voit ses appétits aiguisés par la crise qui déchire le Front national.
Nul ne peut dire encore ce qui sortira précisément de l’affrontement haineux et violent qui oppose Le Pen et Mégret. Mais ce qui est sûr c’est que nous ne pouvons que nous réjouir de voir éclater au grand jour la vraie nature de ce parti raciste et dangereux.
El la meilleure chose que nous pouvons souhaiter c’est que cette querelle interne participe d’un recul sensible de l’influence de l’extrême droite.
Je ne pense pas – quelle que soit l’issue – que cette crise y suffise. Il y aura encore beaucoup d’efforts à faire pour déraciner les idées de haine et d’exclusion portées par Le Pen et Mégret.
Surtout que, nous le savons, elles trouvent un écho d’autant plus favorable que le rejet de la politique, le désarroi, la mal vie, la précarité sont forts.
S’attaquer plus résolument à ces urgences sociales est le chemin le plus court et le plus efficace pour affaiblir durablement l’extrême droite.
Je le disais, la droite espère tirer les marrons du feu qui embrase la maison Le Pen-Mégret. Ces calculs politiciens ont quelque chose d’indécent. Mais ils existent.
Un mot à ce propos sur la situation en Rhône-Alpes.
La conjonction de l’invalidation de Millon et de la crise du FN – avec ses conséquences internes et sur des élus de droite – crée une situation tout à fait ouverte.
Après la déshonorante expérience menée par Millon avec le soutien de l’extrême droite, il est possible de revenir à une situation plus saine et morale. Il est possible de le battre et que la présidence revienne à la gauche, les électeurs, les électrices de la région Rhône-Alpes ayant placé la gauche plurielle en tête de toutes les listes. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. C’est ce qu’ont fait les élus communistes, et je souhaite que tous les partis de la gauche plurielle fassent de même.
Tout ce que je viens d’évoquer tant au plan social que politique souligne combien nous sommes à un moment important pour la gauche et pour la réussite du changement.
L’heure n’est pas à la tranquillité. La gauche dans son ensemble et le Gouvernement doivent affirmer leur détermination à conduire le changement.
C’est vrai aussi pour l’Europe. Je ne m’étendrai pas sur cette question. Ce que j’ai longuement développé au dernier Comité national reste à mon sens de pleine actualité, et nous aurons l’occasion d’y revenir dans les semaines qui viennent. Juste un mot pour insister sur l’importance que va revêtir l’initiative européenne que nous organisons avec d’autres partis progressistes à Paris le 15 janvier. Et je suis tout à fait d’accord pour qu’on examine ce qu’il est possible de faire le 18 janvier lors de la tenue à Versailles du congrès des parlementaires sur la ratification du traité d’Amsterdam, à partir de la pétition pour un référendum et pour la réorientation progressiste de la construction européenne.
Dans ce contexte notre intervention vise à enclencher une dynamique qui conduise la gauche à conforter et à gagner des positions jusqu’à devenir majoritaire. C’est ainsi aussi qu’elle peut donner à ceux qui se retirent dans l’abstention des raisons de réinvestir le champ politique.
Je mesure l’effort à accomplir. Mais nous avons une responsabilité particulière dans la gauche plurielle. Nous avons des propositions fortes en phase avec le mouvement social. Faisons-les entendre.
Et pour les faire entendre faisons les vivre, que ce soit sur les minima sociaux ou le pouvoir d’achat, sur le coup d’arrêt à donner aux plans sociaux, sur une autre utilisation de l’argent et du crédit, sur la citoyenneté ou la réorientation de l’Europe.
Les fêtes de fin d’année sont les bienvenues pour tous. Mais nous savons que, dès les premières semaines de la nouvelle année, nous aurons à prendre les dispositions pour multiplier les initiatives, les rencontres, pour la mise en mouvement des communistes et pour favoriser l’intervention du mouvement social et des citoyens, pour renforcer l’organisation et l’influence du PCF.
Car si j’en juge à ce qui se passe aujourd’hui, l’année qui arrive va être exigeante. Elle sera pour les communistes placée sous le signe de l’offensive et de la construction.
À la suite de l’intervention de Robert Hue, Jacques Le Digabel donne la parole à Claude Cabanes qui présente alors une information sur le projet rédactionnel.