Texte intégral
Europe 1 : Lundi 17 juillet 1995
V. Parizot : Vous comptez augmenter le remboursement des prothèses dentaires ?
E. Hubert : Je crois que le raccourci que vous faites de ma lettre ne va pas tout à fait dans ce sens-là. Il y a un constat d'abord : les soins dentaires sont mal remboursés puisqu'à l'heure actuelle, par l'assurance obligatoire, quel que soit le régime, moins de 30 % des soins sont remboursés. Donc, effectivement, la prise en charge est très faible. Par contre, au-delà du problème des prothèses, ce que je souhaite, c'est que tout ce qui est du domaine de la prévention soit mieux remboursé. En clair, en matière dentaire, lorsque des soins sont correctement faits, précocement, que les dépistages sont bien faits, c'est-à-dire que les patients consultent de façon rigoureuse, on sait que tout un tas de pathologies et notamment la pose de prothèses, peuvent être ensuite évitées.
V. Parizot : Vous estimez que les soins préventifs ne sont pas suffisamment remboursés, mais ils le sont tout de même mieux que les prothèses.
E. Hubert : Ils le sont mieux que les prothèses mais une prothèse, c'est en réalité une solution d'échec, c'est-à-dire que tous les soins normaux qui auraient dû être faits en amont ne l'ont pas été. Et aujourd'hui, outre la réticence psychologique bien connue, c'est aussi la crainte d'être moins bien remboursé sur certains soins – ce qui n'est pas toujours vrai, mais il y a un vrai problème de connaissance des soins – et puis le fait qu'il y a un effet incitatif trop faible, même si la profession dentaire, ces dernières années, a été extrêmement mobilisée sur cet aspect et a fait en sorte que, notamment au niveau des jeunes et des adolescents, il y ait une meilleure compréhension du problème des soins dentaires. Il n'empêche que ce n'est pas encore suffisant et c'est à ce niveau-là que l'on veut travailler aujourd'hui.
V. Parizot : Vous dites que l'effet incitatif est insuffisant, cela veut dire que votre ministère pourrait également lancer une campagne de publicité pour inciter les Français à mieux s'occuper de leurs dents ?
E. Hubert : Ce ne serait de toute façon pas une campagne de publicité mais une campagne d'information. Ce que je souhaite c'est que, dans les mois à venir, on puisse réfléchir sur cette situation qui soit à la fois dans le sens de l'intérêt bien compris des chirurgiens-dentistes mais surtout dans l'intérêt de la population française dont je répète qu'aujourd'hui, elle est insuffisamment prise en charge pour ce qui concerne les soins dentaires. C'est une réflexion globale.
V. Parizot : C'est-à-dire une remise à plat de la convention ?
E. Hubert : Une remise à plat, si on peut appeler ça ainsi. Je crois que c'est nécessaire si on veut avoir un système qui soit cohérent pour l'avenir et qui s'inscrive vraiment dans le long terme. Il faut dépasser, aujourd'hui, ce que l'on connaît des négociations conventionnelles et qui sont trop limitées. Je souhaite qu'elles s'inscrivent dans une plus grande globalité de la prise en charge des soins dentaires.
V. Parizot : M. Regnault, président de la Confédération nationale des syndicats dentaires, va dans votre sens pour expliquer qu'une politique d'incitation aux soins préventifs était nécessaire. Il saluait aussi votre volonté de mieux rembourser les prothèses. Vous sentez que vous avez le soutien de la profession ?
E. Hubert : On pense bien souvent que les professionnels de santé ne sont pas conscients des contraintes de la population française, or je crois qu'ils le sont. Nous avons, et c'est notamment mon cas en tant que ministre de la Santé, des contraintes qui sont celles de la Sécurité sociale et de très lourds déficits, qui sont largement connus, mais je crois que nous pouvons travailler ensemble tout à la fois à la réduction de ces déficits mais avec un objectif qui est de faire en sorte que notre système de santé soit plus efficace et conduise à une meilleure santé pour la population. Vous comprenez que ce soit le rôle du ministre de la Santé publique.
Europe 1 : Mercredi 13 septembre 1995
O. de Rincquesen : Vous avez invité, ce matin, les syndicats ?
E. Hubert : Je les ai invités à venir me rencontrer pour que nous puissions parler des dépenses de santé.
O. de Rincquesen : C'est pour leur faire les gros yeux ?
E. Hubert : Il est normal que le ministre de la Santé puisse rencontrer les syndicats de médecins, notamment parce que c'est vrai qu'aujourd'hui, il y a une certaine dérive par rapport à des engagements qui avaient été pris par ces mêmes syndicats. Je souhaite qu'on puisse parler avec eux, ensemble, dans un climat de dialogue et de confiance réciproque – ça n'empêche pas de le faire sans complaisance – pour parler avec eux, pour voir comment on pourrait essayer d'organiser les soins dans le futur pour que notre médecine, dans le futur, soit moderne et pour que nous ayons une meilleure efficacité et une meilleure économie des soins.
O. de Rincquesen : On dit que vous allez leur remonter les bretelles.
E. Hubert : C'est ce que j'entends beaucoup depuis 48 heures. Est-ce la crainte qu'ils expriment ? Je n'en sais rien.
O. de Rincquesen : Le patron de la CNAM suggère des sanctions.
E. Hubert : Elles existent. Les syndicats de médecins signent avec les caisses d'assurance-maladie des conventions. Ces conventions, ils apposent au bas de ces papiers leurs signatures. Le non-respect de ces conventions amène effectivement des sanctions. C'est ce qu'est en train de faire l'assurance-maladie pour le non-respect d'un certain nombre de ces indications. On a là un processus qui doit s'appliquer. Toute signature engage ceux qui signent. Il faut en avoir conscience. On ne l'a peut-être pas suffisamment dans ce pays.
O. de Rincquesen : Dans la convention, on disait 3 % de progression des dépenses pour 1995. On en est déjà 3,6 %.
E. Hubert : Plus globalement, il faut se rappeler qu'un certain nombre de mesures ont pu être prises, dont l'augmentation du ticket modérateur ; la part qui reste à la charge des assurés a augmenté il y a deux ans. Ça a eu des conséquences sur la consommation médicale en 1994. On voyait, dès la fin de 1994, reprendre cette augmentation.
O. de Rincquesen : D'où vient le dérapage de 1995 ?
E. Hubert : Un peu de tout le monde, malheureusement. Il y a, à l'évidence, par rapport aux dépenses de santé, peut-être une conscience collective – et encore. La reconduction des trous de la Sécu fait que pour l'ensemble des Français, c'est devenu un peu naturel.
O. de Rincquesen : C'est le « pseudo-déficit » du président de la CNAM ?
E. Hubert : J'en parle un peu moins comme étant un pseudo-déficit. Qu'importe ! Il y a un déficit de 110 milliards de la Sécurité sociale avec une part importante pour l'assurance-maladie. Il n'y a malheureusement pas de conscience individuelle des abus. C'est le cas pour les médecins qui disent aujourd'hui : « Finalement, ce n'est pas moi, ce sont les autres » ; des usagers qui disent : « Ce n'est pas moi, mais il est vrai qu'il y a des abus »".
O. de Rincquesen : Certains syndicats médicaux disent que s'il y a eu dérapage, c'est un dérapage autorisé par l'élection de J. Chirac ?
E. Hubert : Le seul problème, c'est que j'ai un jugement plus respectable à l'égard des médecins. Je suppose que cela serait une mauvaise interprétation des propos de J. Chirac – je suis bien placée pour savoir ce qu'ont été ses propos pendant six mois de campagne présidentielle. Il n'a jamais été dit « on peut dépenser plus ».
O. de Rincquesen : Il a dit qu'il était illusoire de penser diminuer la consommation médicale.
E. Hubert : Replacez-le dans le contexte. Il était effectivement illusoire de faire en sorte que l'on soit à calculer la consommation médicale comme on le fait sur d'autres biens de consommation. Il est vrai qu'il y a des facteurs qui amènent à une augmentation des soins. Aujourd'hui, nous n'utilisons pas bien les sommes considérables qui sont affectées à la santé, plus de 700 milliards de francs par an. Je veux qu'on organise, avec le dossier médical, avec une bonne pratique professionnelle, avec une bonne coordination des soins, le système de santé de telle sorte que non seulement il soit plus efficace – il peut l'être, et c'est ce que je suis en train de faire avec l'hôpital, parce qu'il est vrai que la moitié des dépenses de santé sont liées à l'hôpital…
O. de Rincquesen : Vous êtes sûre que les médecins ne se sont pas autorisés ce dérapage parce qu'ils sont à 75 % chiraquiens ?
E. Hubert : Très sincèrement, est-ce qu'en fonction de vos idées politiques vous modifieriez vos comportements ? Je ne crois pas. C'est une explication un peu misérabiliste. Il y a d'autres explications. J'entends rappeler tout le monde à ses responsabilités et à ses engagements.
O. de Rincquesen : Passe-t-on inexorablement à la méthode comptable ?
E. Hubert : On ne peut pas s'être battue comme moi des années sur le fait qu'on avait une façon de raisonner arithmétique et comptable par rapport à la santé pour mettre en place une maîtrise comptable ! Je crois au fait que les choix médicaux efficients qui soient raisonnables amènent à [manque du texte] d'organiser les soins de telle sorte que les soins délivrés le soient à bon escient et qu'il y ait une prise de conscience tant de ceux qui les délivrent, de ceux qui les dispensent que de ceux qui viennent les demander, c'est bien de ça qu'il s'agit.
O. de Rincquesen : Les déremboursements, ça sert à responsabiliser ?
E. Hubert : Nous sommes aujourd'hui à un taux de couverture obligatoire par l'assurance-maladie de 73 %. Nous sommes un des plus faibles taux des pays industrialisés. Aujourd'hui, ça amène des gens à modifier leur comportement à l'égard de la demande médicale, pas dans le sens où nous le souhaiterions, mais ce sont des gens qui ont des résistances pour aller consulter.
O. de Rincquesen : Que vous reste-t-il comme artillerie ?
E. Hubert : Les références médicalement opposables, c'est-à-dire faire en sorte que l'on ait de bonnes pratiques professionnelles, que dans telle situation, on ait telle conduite diagnostique, thérapeutique et prescriptive. Ça, ce doit être généralisé parce que c'est une conduite normale, comme dans l'ensemble des professionnels de santé. C'est pour ça que les références seront généralisées à tout le monde de la santé, aujourd'hui en ambulatoire, demain à l'hôpital quand il sera réorganisé.
O. de Rincquesen : À quand le code-barres sur toute la chaîne de la prestation médicale ?
E. Hubert : Ce ne sera pas tout à fait le code-barres, mais le codage, le moyen de suivre avec les moyens modernes. Je souhaite qu'on accélère. Les textes sont signés. Il y a quelques lenteurs dans la mise en œuvre. Ce sera dès janvier 1996 pour le début de l'application pour les biologistes qui sont prêts et demandeurs, et pour les pharmaciens.
O. de Rincquesen : Le gouvernement est vacciné ?
E. Hubert : Je suis aussi ministre de la Santé publique. La vaccination – on l'a oublié – ce n'est pas un geste banal, c'est un geste médical, c'est un geste pour la vie. Le gouvernement est vacciné contre beaucoup des aléas de la vie.
RMC : Jeudi 14 septembre 1995
P. Lapousterle : Vous avez reçu, hier, les syndicats de médecins libéraux. Quel est votre sentiment, ce matin, après cette rencontre ?
E. Hubert : Il faut essayer d'avoir une vision un peu plus globale. Notre système aujourd'hui coûte cher, c'est un des objectifs que j'ai, de faire en sorte qu'on dépense mieux. Notre système souffre aussi du chômage et des insuffisances de financement. Ainsi, parce qu'on doit dépenser mieux, nous avons les uns et les autres, moi, vous, l'ensemble des citoyens français, ceux qui dispensent les soins, les professionnels de santé, les médecins surtout, à faire des efforts. Ce que j'ai voulu leur dire, hier, c'est qu'ils avaient non seulement une responsabilité collective mais qu'ils avaient aussi une responsabilité individuelle à faire en sorte que cette dispense de soins se fasse dans les meilleures conditions possibles, au meilleur rapport coût-efficacité, et qu'en plus on avait peut-être aujourd'hui à réfléchir à une organisation des soins qui soit moderne et adaptée aux exigences.
P. Lapousterle : On vous a trouvé plus gentille que prévu hier. On vous attendait avec une trique…
E. Hubert : Ceux qui me connaissent bien savent que je ne suis pas du style à avoir des éclats de voix intempestifs. En l'occurrence, je n'ai pas envie de chausser les pas des prédécesseurs, je n'en citerai que deux, MM. Évin et Teulade, qui, en des périodes, ont effectivement largement manié le bâton contre les professions de santé. On en a vu les résultats. Ça a suscité des déremboursements supplémentaires et le déficit était très important à leur départ. Je crois à la pédagogie, je crois à la responsabilisation des uns ou des autres, je crois à la coordination des soins et c'est cela que j'ai voulu leur proposer. C'est vrai aussi qu'à la lecture de certains journaux dont le moins qu'on puisse dire c'est que les uns et les autres ne sont pas obligatoirement en total cohérence, je me demande s'il n'y avait pas des petites souris qui étaient présentes dans mon bureau à écouter ce que je disais. J'ai l'impression que c'était le cas quand j'en vois la traduction dans certains éditoriaux.
P. Lapousterle : Je vous cite : « Il n'est pas tolérable que l'assurance-maladie rembourse plusieurs fois le même examen à un malade qui consulte deux, trois, voire cinq fois. Un usager qui abuse ne doit pas, ne doit plus être remboursé. » Le pensez-vous ?
E. Hubert : Bien sûr. Je pense qu'on doit avoir un peu de bon sens dans ce pays ! Trouvez-vous normal que manifestement quelqu'un qui, pour le même justificatif, pour se rassurer une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, je l'ai vu il y a 10 mois j'étais encore médecin généraliste, aille voir plusieurs médecins et qu'à chaque fois il soit remboursé ! Je ne l'empêche pas d'aller voir plusieurs médecins mais dans ce cas il ne sera pas remboursé dans cette poursuite sans arrêt pour se rassurer. On a effectivement des situations qui sont aujourd'hui porteuses d'abus. Elles ne sont pas massives, elles ne sont bien évidemment pas du côté des usagers ni du côté des professionnels de santé, à la hauteur des 35 milliards de déficit. Je crois qu'il faut quand même se mettre dans la tête qu'on a 35 milliards annuels de déficit de l'assurance-maladie. Les abus, ce n'est pas 35 milliards, ça n'évacuera pas le débat du financement qui va s'engager dans les jours à venir. Nous avons, aujourd'hui, un devoir de citoyen, comme c'est le cas dans d'autres secteurs de la vie publique, à faire en sorte que les deniers publics soient bien dépensés. Et là, je crois très sincèrement qu'au fil du temps, parce qu'effectivement à force de parler du trou de la Sécurité sociale, à force de parler de quelque chose qui semblait un peu lointain, on a l'impression d'un puits sans fond dans lequel on peut puiser. J'appelle donc à la responsabilisation des uns et des autres. Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit de choquant dans cela. J'ai même plutôt l'impression qu'un certain nombre de personnes doivent être satisfaites que l'on dise : cessons d'abuser !
P. Lapousterle : Que peut-on faire contre ça, comment lutter contre le gaspillage ?
E. Hubert : C'est en effet cela qui est important et c'est pour cela que je parlais de modernisation du système de soins, de coordination du système de soins, par voie conventionnelle, par accord entre les médecins et les Caisses d'assurance-maladie, a été mis en place un dossier médical.
P. Lapousterle : Quand sera-t-il prêt ?
E. Hubert : Il est déjà prêt. Le seul problème, c'est qu'il a été décidé, il y a quelques mois, et qu'à l'heure actuelle, que les décisions qui avaient été prises faisaient que c'était facultatif et que c'était réservé aux personnes qui avaient plus de 70 ans et qui avaient plus de 2 pathologies et qui le justifiaient. Je crois qu'on peut aller de façon beaucoup plus volontariste vers une généralisation de ce dossier et je souhaite que dans les 2 à 3 ans il soit généralisé à l'ensemble de la population. Ça veut dire qu'à un moment ou à un autre vous ne pouvez pas avoir répétition des examens. Ça ne retire rien à votre liberté de choix à l'égard du médecin et le médecin lui-même est bien obligé, dans ce cas, d'autoréguler son activité. Il y aura d'autres moyens complexes qui reposent sur l'informatisation, ce sont aussi des références médicales qui ont besoin d'être amplifiées, suivies, perçues comme des outils de bonne pratique professionnelle, c'est vrai qu'aujourd'hui je veux qu'on puisse être persuadé que son médecin est le meilleur qui soit, qu'on lui fasse pleinement confiance et que celui-ci exerce son métier dans les meilleures conditions possibles, sans pression. Et aujourd'hui, c'est vrai qu'elles existent quelque part et qu'elles amènent un certain nombre de praticiens, en faible nombre à… Mais hélas ça pervertit l'ensemble du système.
P. Lapousterle : Ceux qui ont voté Chirac, dont vous, ont retenu cette phrase : « La dépense médicalisée augmentera en France et dans sa prévision, je refuse l'idée de plafonner les dépenses de santé ».
E. Hubert : Tout à fait et je suis toujours dans la même ligne de pensée.
P. Lapousterle : Ça revient à plafonner finalement…
E. Hubert : Pas du tout ! C'est l'allongement de la vie, les techniques médicales, les progrès de la science, ne nous faisons pas d'illusion car c'est grâce à ça qu'on gagne trois mois d'existence chaque année, font qu'il y aura une augmentation. Ce que nous voulons c'est qu'on puisse stabiliser cette progression, qu'on ne parte pas vers des augmentations comme on l'a connu il y a un certain nombre d'années et qui étaient de plus de 10 % par an et qu'on ne reparte pas, dans les années 96-97, comme nous l'avons connu dans le début des années 90 et qu'on soit plus proches de 3 %. Ce qui paraît aujourd'hui le moyen de tenir les progrès et l'allongement de la vie. Il n'est pas question de contingenter, il n'est pas question de faire un calcul arithmétique et de dire : « Vous avez vu tant de patients, vous ne verrez pas le patient suivant, vous avez atteint tel plafond vous n'aurez pas à voir d'autres personnes », c'est ça.
P. Lapousterle : Les dépenses vont augmenter de 5 % au lieu des 3,3 prévus et c'est signé par tout le monde. Que va-t-il se passer en fin d'année ?
E. Hubert : Bien malin celui qui saura qu'à la fin décembre nous aurons atteint ces chiffres. Il y a d'autres explications que la surconsommation médicale, mais il y a effectivement des manifestations de liquidation de feuilles d'assurance-maladie qui expliquent en partie sur les 6 premiers mois, le fait qu'on a une progression des dépenses trop importantes. De toute façon, si en septembre j'ai rappelé les uns et les autres à plus de responsabilité, c'est parce que nous avons encore 4 mois devant nous, 4 mois qui sont en général lourds pour l'assurance-maladie car ce sont les mois d'hiver. Nous avons à faire des efforts. Nous parlons là d'ambulatoire mais c'est pareil à l'hôpital qui, dans les mêmes proportions, a dérivé. Nous avons un système qui, aujourd'hui, est organisé de telle sorte, à l'hôpital, en ambulatoire, que tout concourt, du côté des professionnels, du côté des usagers, à faire en sorte qu'il ne soit pas effectivement ni responsabilisant ni régulé. C'est vrai que la mission que j'énonce est un peu vaste mais elle est nouvelle aussi car il est certainement plus simple de manier le bâton et la carotte mais ce n'est pas comme ça qu'on aboutit à quelque chose et la meilleure preuve c'est qu'on n'y a jamais réussi depuis 20 ans.
France-Inter : Jeudi 14 septembre 1995
France-Inter : Avez-vous dit qu'un usager qui abuse ne doit plus être remboursé ?
E. Hubert : Dans mon objectif, sont concernés aussi bien les praticiens que les usagers. Et je crois qu'en la matière, on doit faire un appel à la responsabilité collective mais aussi à la responsabilité individuelle, que cela signifie que les médecins doivent avoir des pratiques professionnelles qui soient conformes à des conduites de qualité, et aujourd'hui, c'est vrai que des problèmes se posent et qu'il est inutile de les nier. De la même façon, il est aussi inutile de nier qu'il y a des abus, mais aussi de la part des usagers, et l'exemple que je prends, ce sont des personnes qui viennent après avoir vu deux, trois, quatre autres médecins pour s'entendre justifier le même diagnostic et la bonne conduite thérapeutique qui leur a été prescrite dès la première fois. Ça existe. Je n'estime pas que cela soit, bien évidemment, en soi, la seule raison des 35 milliards de déficit de l'assurance maladie annuellement, ça relève d'autres phénomènes et notamment du problème du chômage et donc de l'insuffisance de financement. Mais il n'empêche que nous sommes aujourd'hui à un moment clef de notre système et qu'il est impératif qu'on puisse aborder cette phase de mutation et cette préparation à une organisation de santé qui soit effectivement moderne et efficace.
France-Inter : A-t-on mal compris la campagne de J. Chirac, les médecins se sont peut-être dit : on peut y aller finalement puisque le candidat nous dit qu'il ne faut pas limiter les dépenses de santé pour les Français ?
E. Hubert : Pour bien connaître le discours de J. Chirac sur ce sujet, pour y avoir été effectivement étroitement associée pendant des mois, l'essentiel de ce discours se résumait à deux mots que je continue à employer : dépenser mieux. C'est-à-dire que nous avons aujourd'hui un système dont effectivement il faut bien se dire que tout concourt à faire en sorte que les dépenses augmentent, l'allongement de la vie, les progrès techniques, une demande de notre société qui est de plus en plus forte à être bien soigné. Tout cela est naturel et explique qu'on ne peut pas mathématiquement, arithmétiquement, mesurer un terme de progression. Par contre, ce que nous constatons, c'est qu'au-delà de la nécessaire efficience, il y a des augmentations qui ne sont pas justifiées. Et vous voyez, c'est vrai que politiquement, à tout point de vue, c'est difficile de mesurer la marge entre ce qui est médicalement justifié et qui ne doit pas être régulé et puis, ce qui n'est pas médicalement justifié et qui doit effectivement dans le futur exister le moins possible. La marge est étroite, ça se résume dans le dépenser mieux. C'est cela que nous avons dit durant le discours présidentiel. Alors, que l'interprétation ait pu être différente par un certain nombre de personnes, c'est possible.
France-Inter : Les propos ont été fermes dans l'interview donnée à Impact Médecins, par contre les propositions que vous faites sont plus douces. Certains vous reprochent de ne pas envisager des sanctions. Vous proposez en fait une réforme tous azimuts, de la formation des médecins aux codes barre. Ça va prendre du temps alors qu'un objectif est pressant : les dépenses de santé. Comment concilier les deux ?
E. Hubert : Deux mots d'histoire. Ça fait, en 20 ans, quelques 16 plans de rationalisation de dépenses de santé que nous avons connus. En clair, pour employer des termes moins pudiques, c'était : un coup je t'augmente les cotisations, un coup je te baisse les prestations. Cette vision conjoncturelle, toujours arithmétique, nous en avons atteint le bout. D'abord parce que les remboursements ont effectivement atteint un niveau limite qui fait qu'aujourd'hui, les personnes ont des difficultés à accéder aux soins. Et moi, ministre de la Santé publique, j'estime cela inadmissible. La deuxième chose, c'est parce qu'il est temps justement d'avoir non pas des mesures d'adaptation mais qu'il faut aujourd'hui modifier dans le sens de la coordination des soins, la façon dont nous sommes organisés. Et pour en revenir à votre demande, mais finalement pourquoi pas de sanction, et là, nos auditeurs me pardonneront d'être un peu technique, mais nous avons une difficulté ou une chance, l'avenir nous le dira. L'État a une mission régalienne forte, définir une politique de santé, la protection sociale est gérée par des caisses avec lesquelles les organisations représentatives des médecins passent des conventions. C'est vrai pour les autres professions de santé aussi. C'est vrai qu'aujourd'hui, autant j'estime de mon rôle d'indiquer la politique de santé qui doit être celle de notre pays, d'indiquer les réformes à entreprendre tous azimuts, vous avez raison d'employer ce terme, à l'égard du monde de la santé, il y a un certain nombre de choses qui sont de nature conventionnelle, contractuelle de négociation. Ce que je souhaite, c'est qu'on soit en matière politique, peut-être plus volontariste. Je vous donne un exemple, le dossier médical qui a été institué pour les patients. Il y a un accord entre les caisses et entre les médecins qui a été obtenu. Le seul problème, c'est que la décision qui a suivi a été de le réserver de façon facultative aux personnes de plus de 70 ans ayant deux pathologies. Là, il est de mon rôle politique de dire non, on va plus vite, on va généraliser en deux, trois ans, de façon à ce que chaque patient sache qu'effectivement, le malade est identifié et suivi dans ses pathologies. Là, j'ai une décision politique. Les détails effectivement de l'application sont d'ordre conventionnel. C'est une marge de manœuvre qui n'est pas non plus très simple. Mais il était de mon rôle d'impulser les partenaires conventionnels. Je leur ai fixés des grands éléments de cadre, des dates, à eux maintenant de se mettre au travail. Autre exemple : l'informatisation des cabinets médicaux, moins de 10 % des médecins sont informatisés or c'est un élément essentiel dans la connaissance des actes et dans le suivi des patients et pas simplement pour les fliquer mais aussi pour, en termes d'épidémiologie, avoir des éléments d'information. Je souhaite qu'on arrête de me dire, c'est difficile, ce n'est pas possible, il y a des réticences.
France-Inter : C'est cher.
E. Hubert : C'est un investissement. C'est comme une entreprise : un investissement un jour pour effectivement demain gagner beaucoup d'argent. Je sais que ce que je propose aujourd'hui, qui est un rendez-vous avec la qualité qui va, c'est vrai, demander deux ou trois années, c'est un rendez-vous avec la qualité, la modernité, l'efficience. Je sais que comme toujours, de façon générale dans notre société, la qualité est très vite synonyme d'économie.
France-Inter : Que dites-vous au médecin généraliste qui sait que s'il ne donne pas les médicaments que ses patients lui demandent, ils iront voir ailleurs ? Et que dites-vous aux patients qui vont voir un médecin qu'ils trouvent un peu charlatan et qui préfèrent aller revoir un autre médecin ?
E. Hubert : Aux premiers, je dis que s'ils font ça, c'est qu'ils ne sont effectivement pas dans un cadre d'exercice de qualité. Je leur parle de formation continue, je leur dis qu'il faut coordonner leurs soins. Je leur dis qu'il doit y avoir un suivi de leur patient qui doit être meilleur. Pour ça, ils doivent être rémunérés, c'est vrai. Et je préfère que des médecins soient bien rémunérés pour un nombre d'actes corrects que d'avoir des rémunérations faibles et des médecins contraints de multiplier les actes.
France-Inter : Ça veut dire un acte plus cher ?
E. Hubert : Tout à fait, mais il y aura moins d'actes. C'est le défi que je leur propose. C'est ce que j'ai dit aux médecins, c'est : si vous êtes d'accord pour qu'il y ait cette coordination des soins, le dossier médical, le codage des actes, l'informatisation, une formation médicale continue qui, à mon sens, devra tendre à être obligatoire, au rendez-vous de tout cela, vous aurez une diminution du nombre d'actes et vous serez honorés pour ce que vous faites. Ça c'est un défi, c'est vrai que c'est un peu nouveau comme langage, j'en ai conscience. Pour le patient, ce que je lui dis, c'est votre comportement, tout comme celui de votre médecin, quand il n'est pas effectivement dans les règles, qui est porteur de beaucoup de déviances. Aujourd'hui, des personnes qui en ont besoin ne peuvent plus accéder aux soins parce que vous, quand vous n'en avez pas vraiment besoin, vous avez un comportement qui n'est pas très citoyen. Par contre, lorsqu'il y a un doute sur son médecin, que le patient puisse changer de médecin, c'est un droit imprescriptible qui est inscrit dans notre culture, dans notre système de santé et auquel on ne doit pas toucher.
France-Inter : Il y a aussi un phénomène apparu aux États-Unis, les médecins français veulent se couvrir des poursuites judiciaires, donc ils préfèrent solliciter plusieurs de leurs confrères. Est-ce une pratique qu'il faut surveiller ?
E. Hubert : C'est une pratique qui n'a pas pris, très sincèrement, une énorme ampleur en France. D'abord parce que c'est vrai, le médecin de première intention est, en France, encore le médecin généraliste. Ça tend à devenir moins le cas et dans un certain nombre de situations, les personnes ont tendance à aller voir d'abord le spécialiste. J'étais généraliste, je n'ai rien contre les spécialistes, c'est un mauvais combat à mon sens que mènent parfois certains médecins quand ils vont dans cette direction. Mais il n'empêche que celui qui fait la synthèse, celui qui vous connaît, y compris dans votre environnement, c'est le médecin généraliste, le spécialiste est un consultant qui doit effectivement être utilisé à bon escient, à la demande des médecins ou dans des situations médicales particulières. Ça c'est de la bonne médecine, c'est celle que je voudrais, qui existe dans notre pays. Aujourd'hui, tout est un peu désorganisé. Les uns ou les autres ne sont pas coordonnés. On ne sait pas très bien qui fait quoi, y compris le médecin lorsqu'il demande des séances de kinésithérapie, on ne sait pas très bien ce que les uns ou les autres font. C'est ça dont j'aimerais que l'on puisse parler à l'avenir. C'est cette coordination de soins, ce partenariat entre responsables de la santé.
France-Inter : Qu'est-ce que ça illustre sur le plan social, cette invasion de drogues dans un pays comme la France ?
E. Hubert : C'est ce qui est le plus inquiétant. Aujourd'hui, on a beaucoup de mal à estimer bien évidemment le nombre de personnes qui touchent à la drogue, que ce soit les drogues dures ou douces. On arrive mal à évaluer le nombre de personnes qui meurent d'overdose. On a le problème global de notre société avec son aspect déshumanisation, déstabilisation etc. Le problème c'est que je crois qu'aujourd'hui, notre objectif, et c'est dans ce sens que s'inscrit ce plan, c'est que nous devons tendre impérativement à réduire l'ensemble des risques liés à la toxicomanie. Quels sont ces risques ? Ceux d'entrer dans la toxicomanie. C'est tout le travail en matière de prévention, de répression du trafic, c'est pour ça que le volet répression est important. C'est aussi la réduction des risques de maintien dans la toxicomanie. Des gens veulent s'en sortir. Aujourd'hui, ils ont des difficultés à le faire. C'est tout ce que l'on va faire en matière d'écoute, d'accueil, d'orientation dans les structures sanitaires ou dans les structures d'hébergement ensuite. Ces réductions des risques sanitaires, une prise en charge plus précoce des toxicomanes, la vaccination contre l'hépatite B ciblée vers ce public, c'est toute la prévention à l'égard du SIDA et enfin, c'est la réduction des risques de délinquance et c'est vrai qu'il y a tout un travail à mener en milieu carcéral.
France-Inter : Il est arrivé que le ministre de l'Intérieur et de Santé ne s'entende pas vraiment sur ce sujet de la prévention et de la répression ?
E. Hubert : Oui, c'est arrivé, mais j'avoue que, peut-être parce que nous avons des liens d'amitié avec J.-L. Debré et J. Toubon et que ça facilite les choses, sur ce point, nous sommes d'accord sur un équilibre prévention-répression et sur un travail qui doit être mené, y compris de prévention en milieu carcéral dont pourtant, a priori, l'image est plutôt celle de la répression.
France-Inter : Le débat sur la méthadone n'a plus lieu d'être ?
E. Hubert : Non. Et très sincèrement, c'est vrai que dès le début de mon arrivée à ce ministère j'ai voulu dire : un, arrêtons les effets d'annonce, vérifions qu'ils sont effectifs sur le terrain. J'ai aujourd'hui un problème, c'est qu'il y a certaines mesures qui ne sont pas effectives et qui empêchent aujourd'hui la demande d'être effectivement efficace et surtout, un toxicomane qui veut se sevrer et passer cette période difficile est parfois obligé d'attendre 15 jours, trois semaines, avant d'avoir un lit à l'hôpital. C'est inefficace. Donc, on a là un axe fort, important et vous avez compris que c'était le sens de notre action. J'avais également constaté à mon arrivée à mon ministère, non seulement ce problème d'effectivité, mais qu'on plongeait trop dans ces débats de légalisation des drogues douces ou la méthadone. La méthadone est un outil, à ne pas confondre avec d'autres aspects de la prise en charge. Ce qu'il faut, c'est qu'on puisse répondre à la demande de la dépendance à chaque stade de la dépendance. Au-delà de la méthadone, il y a d'autres produits de substitution que l'on mettra en place, non seulement dans des centres, d'où le « un centre par département », mais également dans le cadre de réseaux ville-hôpital, coordination des soins que j'évoquais tout à l'heure et qui sont plus que jamais nécessaires en matière de toxicomanie.