Déclaration de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, sur l'action gouvernementale de lutte contre le bruit en zone urbaine, Paris le 19 novembre 1998.

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Circonstance : Colloque sur "La ville et le bruit" à Paris le 19 novembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi d'emblée de vous remercier.

Pour cette initiative d'abord, qui vient fort opportunément.

Pour m'avoir invité ensuite à vous livrer mes réflexions sur cette question si importante de la Ville et du Bruit.

Rapprocher ces deux termes situe bien en effet le cœur de la problématique à laquelle nous sommes confrontés : non seulement il n'y a pas de ville sans activités et sans transport, mais les motifs de déplacements se développent et se diversifient, la mobilité des personnes et des marchandises augmente, et c'est on le sait une tendance lourde. Pour autant, nos concitoyens acceptent de moins en moins, pour des raisons tout à fait légitimes, que les nuisances sonores augmentent de manière corrélative.

Un certain nombre d'enquêtes, pour certaines déjà anciennes, montrent que le bruit est perçu comme la première nuisance, citée par environ 70 % des citadins interrogés, 30 à 40 % se référant explicitement au bruit dû à la circulation.

Le récent rapport de l'Institut Français de l'Environnement (IFEN), s'inquiète de son côté des nuisances sonores subies par environ un salarié sur quatre.

Ces nuisances sont d'autant plus mal ressenties dès lors qu'il s'agit de bruits évitables, dus à un manque de précaution ou à un manque d'altruisme.

Pour le bruit des transports, il y a eu longtemps une résignation. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car les gens savent que des solutions existent pour atténuer les nuisances et constatent que les infrastructures nouvelles sont généralement – et c'est bien évidemment heureux – conçues et construites avec une prise en compte beaucoup plus réelle de l'environnement.

Les populations riveraines demandent souvent une protection par écrans anti-bruit. Ce mode de protection s'est donc fortement développé dans le cadre des opérations nouvelles comme dans les opérations de rattrapage des points noirs. Actuellement, c'est environ 35 km d'écrans qui sont réalisés chaque année, et ce rythme devrait s'accroître dans les années qui viennent.

Ces écrans sont encore perfectible dans leur conception et leur réalisation. C'est pourquoi la Direction des Routes a lancé récemment auprès d'équipes de haut niveau un concours européen d'architecture et d'ingénierie destiné à définir de nouveaux concepts permettant de mieux combiner maîtrise des coûts, facilité de mise en œuvre, efficacité acoustique et qualités esthétiques.

La protection contre le bruit doit aussi naturellement s'exercer au niveau des bâtiments.

La nouvelle réglementation acoustique, applicable depuis le 1er janvier 1996, définit les caractéristiques minimales des bâtiments d'habitation neufs, pour les bruits intérieurs et extérieurs, sur l'ensemble du territoire (et pas seulement pour les zones bruyantes).

Pour sa part, l'arrêté du 30 mai 1996 (mis en application de la loi de décembre 1992 sur le bruit) fixe les isolements de façade minimaux à respecter dans les zones de bruit, en fonction de l'exposition des bâtiments.

Bien entendu, le problème essentiel est celui de l'existant, notamment dans le secteur du logement social qui est le plus concerné. Dans ce domaine, les actions possibles sont essentiellement incitatives, via les aides de l'Agence Nationale d'Amélioration de l'Habitat (L'ANAH) ou les subventions PALULOS.

Le volume de ces dernières a, vous le savez, été augmenté à la fois de manière directe et par le biais de la diminution de la TVA, dont l'ANAH bénéficiera également en 1999.

C'est pour avancer de manière significative dans cette voie du renforcement de la protection acoustique des logements sociaux que débutera, dans les toutes prochaines semaines, à titre expérimental, une opération de réhabilitation d'envergure, portant sur un millier de logements HLM et sur une quinzaine de sites, piloté conjointement par mon ministère et le Ministère de l'Environnement, en partenariat avec l'Union Nationale des Offices HLM. Cette opération permettra de tester un nouveau produit dans le cadre d'une réhabilitation acoustique, globale au sens où tous les types de bruit seront traités.

Vous le savez, ma collègue Dominique VOYNET a, en outre, demandé au nom du Gouvernement il y a un an à l'Ingénieur Général Claude LAMURE, qui a ouvert vos travaux cet après midi, d'évaluer aussi précisément que possible l'ampleur des besoins pouvant être recensés et de formuler des propositions. Ce recensement était nécessaire, car les données dont nous disposions étaient anciennes et partiellement obsolètes. Sur la base des conclusions de ce rapport, l'action que je viens de décrire brièvement devra s'amplifier, en s'articulant notamment avec la préparation des prochains contrats de plan.

Bien entendu, la lutte contre le bruit ne peut se limiter à des actions de protection des sites ou des bâtiments. Il faut agir sur toute la chaîne "production – propagation – réception". Les textes issus de la loi de 1992 sur le bruit font au demeurant une place importante à la limitation du bruit à la source.

Les actions engagées à ce niveau sont multiples. Le très intéressant rapport présenté voici quelques mois au conseil économique et social par Jean-Pierre GALLEZZI sur "le bruit dans la ville" en fait d'ailleurs une synthèse riche et à peu près exhaustive.

Dans le domaine des transports, ces actions concernent d'abord les infrastructures. La conception des revêtements des chaussées, notamment en zone urbaine, en même temps que les progrès réalisés par les techniques de conception et de pose des infrastructures ferroviaires permettent de diminuer les bruits de roulement et les vibrations générées par le passage des engins de transports. On peut également agir sur le profil des infrastructures ainsi que sur le traitement de leurs abords immédiats (talus, recouvrement total ou partiel...).

Ces progrès réalisés dans la conception des infrastructures sont un des éléments qui m'ont d'ailleurs conduit à veiller à ce que, dès le budget 98, des financements soient affectés de manière significative à l'entretien et à la remise à niveau des infrastructures existantes, tant routières que ferroviaires.

La mise au point de techniques de calcul et de simulation permettent, en outre, d'optimiser le système constitué par l'infrastructure et le véhicule. On sait aussi que la prise en compte de critères acoustiques dans la conception de ces derniers a conduit à d'importants progrès. Ainsi par exemple, la nouvelle génération des TGV, permet, tout en améliorant la vitesse commerciale, de diviser par quatre la puissance acoustique émise par rapport aux TGV de première génération. Les efforts doivent évidemment se poursuivre pour tous les types de matériels ferroviaires, ceux destinés aux marchandises inclus.

Des progrès semblables ont été faits dans le domaine des véhicules routiers et de l'aviation civile. Ils justifient une plus grande sévérisation des normes en même temps que plus de rigueur dans leur application. A titre d'exemple, je peux vous révéler que le dispositif de sanctions administratives que j'ai mis en place avec le décret du 17 mai 1997 en matière de bruit lié à l'exploitation des aéroports a conduit à prononcer à ce jour 72 sanctions pour un montant de 2 millions de francs.

Progressivement, ces dispositifs réglementaires vont être complétés. L'arrêté concernant le bruit ferroviaire, qui a nécessité un certain nombre d'analyses complémentaires, sera publié dans les toutes prochaines semaines. Des normes de bruit sont par ailleurs en cours de discussion au plan européen pour les pneumatiques des véhicules routiers, et cela devrait permettre de combler très vite une lacune de la directive européenne de 1992 sur le bruit généré par la circulation automobile.

Ces progrès techniques et les gains acoustiques réalisés avec les matériels modernes conduisent aussi à veiller à ce que les sanctions ou les redevances mises en place, telle l'application du principe "pollueur – payeur", soient suffisamment équilibrées pour éviter d'obérer les capacités de renouvellement de ces matériels tant pour les entreprises que pour les particuliers.

J'ai, au demeurant, demandé à ce que le programme de recherche sur les transports terrestres, le PREDIT, apporte une attention soutenue à l'ensemble des recherches, y compris dans leurs dimensions socio-économiques, qui permettent de diminuer l'impact des systèmes de transport sur l'environnement.

Mais évoquer la question de la réduction du bruit à la source, c'est forcément aussi évoquer celle des comportements.

On sait par exemple que le bruit généré par les véhicules automobiles augmente fortement avec leur vitesse. C'est naturellement vrai aussi du risque et de la gravité des accidents. Le renforcement des contrôles et l'appel à ce que j'ai appelé "une conduite apaisée", particulièrement en zone urbaine, ne peut être que bénéfique sur tous les plans.

Je rappelle aussi qu'un récent Comité Interministériel sur la Sécurité routière a pris, sur ma proposition, la décision d'élargir l'immatriculation des "deux roues" aux mobylettes. Cette mesure dont l'application est prévue pour le second semestre de l'année 99, devrait permettre de mieux intégrer, dans l'intérêt des usagers eux-mêmes, ce type de véhicules et son usage dans le cadre juridique existant.

Certains intervenants ont évoqué devant vous les méthodes dites "de contrôle actif" qui commencent à se développer et qui consistent à mesurer en temps réel le bruit incident et à le supprimer en lui superposant un autre bruit, en opposition de phase.

Je pense que, dans un ordre d'idée voisin, des efforts peuvent et doivent être faits en matière d'aménagement urbain. La notion de "paysage sonore" fait à mes yeux partie intégrante de la notion de "paysage urbain" qu'on est en train de redécouvrir.
Éviter le recours systématique à "l'urbanisme de dalle", remettre au goût du jour les revêtements végétaux, les haies d'arbres, les fontaines ou les tables d'eau qui contribuent à amortir les vibrations acoustiques, me parait aller de pair avec la nécessaire réappropriation de la ville par ses habitants.

De manière plus générale, de véritables gisements de progrès potentiels résident dans une prise en compte plus intégrée des préoccupations d'environnement dans la maîtrise du développement urbain.

J'ai noté que l'avis adopté le 15 avril dernier par le Conseil Économique et Social proposait de prendre en compte le paramètre bruit dans la mise en place des plans de déplacements urbains (PDU). Non seulement je partage cette proposition, mais je peux vous assurer que cette dimension est bien prise en compte dans les éléments méthodologiques retenues comme dans les instructions de suivi données à mes services.

De manière générale, les efforts employés pour développer l'usage des transports publics, pour les rendre plus attractifs et pour modérer de manière corrélative l'usage de la voiture en ville, vont dans le bon sens.

Rendre plus attractif les transports urbains implique, je le souligne au passage, que ceux-ci soient eux-mêmes exemplaires en matière de respect de l'environnement.

Une attention plus soutenue – et cette préoccupation est également présente dans la démarche des PDU – doit être aussi apportée à l'organisation du transport de marchandises en ville.

Vous le savez, j'ai souhaité que s'instaure dans les semaines à venir un débat national sur la question des transports et de la ville, mon sentiment étant qu'en matière d'organisation et de planification urbaine, nous sommes en effet arrivés à un moment charnière, ou de nouvelles conceptions et de nouvelles manières de faire doivent se mettre en place.

Permettez-moi de faire ici une incidente sur le problème du bruit à proximité des aéroports. On retrouve sur ce dossier toutes les dimensions que je viens d'évoquer : technique de conception et de construction de matériels, organisation du trafic, évolution des réglementations et des redevances, maîtrise du développement urbain...

En étudiant ce dossier et en écoutant l'ensemble des parties concernées, j'en suis venu à l'idée qu'il était nécessaire de mettre en place une autorité indépendante, chargées du contrôle technique de l'environnement sonores aéroportuaire. Un projet de loi a été rédigé à cet effet, et le Parlement en sera tout prochainement saisi.

Ce dispositif me parait de nature à apporter la transparence indispensable au débat, qui s'instaure notamment au sein des commissions de l'environnement des aéroports, où siègent élus, associations, représentants des compagnies et des salariés, et dont le rôle sera lui-même renforcé.

Bien entendu, je ne prétends pas que cet exemple soit généralisable. Mais ce qui me paraît certain, c'est que sur une question comme celle du bruit en ville qui interpelle toute la société, nous avancerons en considérant que la démocratie constitue un tout, que les associations d'usagers, et plus généralement la société civile ont forcément leur place dans les procédures de décision et de contrôle qu'il convient de mettre en place.
Le dire n'enlève rien à la responsabilité de l'État et des pouvoirs publics. Cela ajoute même au contraire une dimension supplémentaire à cette responsabilité, qui est de savoir écouter.

On pourrait dire que c'est une attitude élémentaire dès lors qu'il s'agit du bruit. Plus sérieusement, je pense que cette question de l'approfondissement de la démocratie au quotidien, le développement de la citoyenneté dans toutes ses dimensions, sont un défi social et politique majeur, qu'il nous appartient collectivement de relever.

Je vous remercie de votre attention.