Interview de M. Denis Kessler, vice-président du MEDEF, dans "La Vie" du 5 novembre 1998, sur l'orientation du MEDEF vers un mouvement "social libéral".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : CFTC La Vie à défendre - La Vie

Texte intégral

La Vie
La rénovation du CNPF a été nourrie par une consultation des chefs d’entreprise réunis dans sept forums régionaux, que vous avez pilotés. Quel message ont-ils voulu faire passer ?

Denis Kessler
Les entrepreneurs ont suggéré des pistes de réflexion et d’action, qui, prises séparément, peuvent apparaître comme des micro-solutions mais, combinés les unes aux autres, pourront faire évoluer positivement le monde de l’entreprise et restaurer la croissance et le plein-emploi. Ils proposent, par exemple, de développer le capital-risque, qui, à l’étranger, permet le démarrage rapide des PME innovantes. En réduisant les obstacles administratifs, on peut faciliter la rencontre directe entre une personne qui souhaite investir et une personne qui veut mettre en œuvre un projet. Nous souhaitons désormais être à l’initiative de propositions de ce type. Il faut faire sauter les verrous, petits ou grands, qui freinent l’initiative et bloquent la croissance.

La Vie
Vous dites vouloir tourner la page du « cahier de doléances ». Or, aux assises de Strasbourg, Ernest-Antoine Seillière a réclamé devant un parterre de 1 700 patrons l’instauration « sans délai » d’une franchise des cotisations patronales s’appliquant sur les premiers 5 000 F de salaire mensuel. N’est-ce pas contradictoire ?

Denis Kessler
Absolument pas, puisque nous proposons de supprimer la plupart des dispositifs d’aide à l’emploi existants. Leur complexité créé une inégalité entre les responsables d’entreprise bien informés qui en tirent parti et les autres. Leur efficacité est, de plus, discutable. La suggestion d’Ernest-Antoine Seillière est, au contraire, très simple et de nature à encourager le travail peu qualifié, sans décourager pour autant le travail très qualifié. Cette franchise doit être financée par une réduction des dépenses publiques.
Dominique Strass-Kahn voit le Medef comme « une carrosserie rénovée », mais qui fait toujours le « même bruit de moteur à trois temps : anti-État, anti-charges et anti-code du travail ».
Des messages très positifs ont été envoyés à Strasbourg de la part de la communauté des entreprises, qui se disent prêtes à innover, investir, former la jeunesse, s’impliquer dans les nouvelles technologies, chercher des nouveaux marchés à l’exportation. Je regrette que le ministre de l’Économie ne les ait pas entendus. Nous les lui répéterons. La mise en place de la monnaie unique dans deux mois rend urgente une réforme de l’État. Celui-ci doit se fixer un programme contraignant de réduction des dépenses de 400 milliards de francs pour rejoindre la moyenne des pays de la zone euro. Cette condition est indispensable pour que les entreprises françaises luttent à armes égales sur le marché européen.

La Vie
La négociation sur les 35 heures occupe actuellement beaucoup d’entreprises. Or, cette question a semblé étrangement absente des assises de Strasbourg. Est-ce toujours un sujet qui fâche au sein du Medef ?

Denis Kessler
On ne refonde pas une organisation en ressassant le passé. La loi sur les 35 heures est votée. Nous pouvons le regretter car, l’histoire le vérifiera, elle n’apporte pas de solution au problème de l’emploi. Les entrepreneurs sont respectueux des lois de la République ; donc, ils négocient pour surmonter les difficultés nées de la loi et ses effets pervers. Il serait incompréhensible et inadmissible que ces accords soient remis en cause par la seconde loi, dont nous ne connaissons pas encore le contenu.

La Vie
Ernest-Antoine Seillière a défini le Mouvement des entreprises de France comme « social libéral ». On voit bien l’aspect libéral, mais moins le contenu social. Pouvez-vous l’expliciter ?

Denis Kessler
Évidemment, en France, nous avons une vision du social qui ne passe que par l’État. Dans d’autres pays, l’approche sociale n’a pas été monopolisée par l’Etat. Nous souhaitons davantage nous impliquer dans la formation et l’éducation pour aider les jeunes à acquérir la compétence nécessaire aux emplois de demain. N’est-ce pas social ? Nous souhaitons que l’actionnariat soit plus diffusé après des salariés pour qu’ils puissent d’avantage bénéficier des performances de l’entreprise. N’est-ce pas social ?

La Vie
Encore faut-il être salarié… Quid des chômeurs et des exclus ?

Denis Kessler
La meilleure manière de résoudre le problème de l’exclusion et de la précarité, c’est d’avoir un secteur productif performant. Voilà ce que souhaitent les entrepreneurs : plus d’entreprises, parce que ce sont elles qui créent les richesses de ce pays et portent l’essentiel de l’emploi. C’est dans ce sens que le Medef continuera à faire des propositions.