Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, dans "Le Figaro" le 23 décembre 1998, sur le programme de dépistage généralisé de trois cancers (sein, utérus, côlon), la prévention du tabagisme et la réflexion sur l'éventualité d'une prise en charge par la sécurité sociale d'un "forfait sevrage" pour améliorer l'efficacité des procédures d'arrêt du tabac.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral


LE FIGARO. - Le cancer du sein est le premier par ordre de fréquence. Depuis des années on annonce la mise en place d'un dépistage généralisé des cancers du col de l'utérus et du sein qui n'arrive pas. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Bernard KOUCHNER. – Un dépistage efficace des cancers et en particulier de ceux qui atteignent les femmes est indispensable. Depuis dix ans, des programmes pilotes ont été mis en place dans certains départements, sur la base du volontariat des professionnels et des conseils généraux. Il s'agissait de programmes à deux vitesses, limités à quelques régions, peu efficaces, disparates et n'atteignant pas les femmes les plus démunies.
Pour la première fois, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 pose la base légale d'une organisation nationale de la lutte contre les maladies mortelles évitables, dont en premier lieu les cancers. Il s'agit d'un véritable changement dans la philosophie des programmes de dépistage. Il faut aujourd'hui reprendre fortement en charge le combat contre le cancer, avec les associations et les malades.

LE FIGARO. - En pratique, comment un tel programme sera-t-il appliqué ?

Bernard KOUCHNER. - Le dépistage du cancer du sein, de celui du col de l'utérus et même de celui du côlon doit à partir du 1er janvier 1999 être organisé au niveau national, avec une prise en charge à 100 % par l'assurance maladie. Il s'agit d'inviter par convocation, grâce au dispositif informatisé des Caisses, toutes les femmes de 25 à 64 ans qui n'auraient pas effectué de frottis dans les trois années précédentes à consulter un praticien de leur choix pour se soumettre à cet examen. De même pour le dépistage du cancer du sein chez les femmes de 50 à 69 ans. Le dépistage par Hémocult du cancer colo-rectal devrait bénéficier de modalités similaires, un peu plus tard.
Sans entrer dans le détail des mesures techniques, cette organisation nous permettra de généraliser progressivement l'accès au dépistage des cancers en impliquant à terme l'ensemble des professionnels et d'assurer une égalité d'accès à ces programmes de qualité sur l'ensemble du territoire. La qualité des actes et des examens est essentielle. C'est une des nouveautés de ce programme : les professionnels de santé qui y participeront respecteront un cahier des charges et des procédures de qualité. Un dispositif en cours d'élaboration à l'Institut de veille sanitaire coordonnera l'observation permanente des cancers en France et le suivi des programmes de dépistage.

LE FIGARO.  - Le cancer du poumon est toujours un vrai fléau. Pourquoi ne pas faire plus d'effort pour la prévention ?

Bernard KOUCHNER. - Deux tiers des cancers sont liés aux modes de vie et au premier plan se trouve le tabac, première cause de mortalité évitable dans l'Union européenne. En France, le tabagisme provoque plus de 25 000 nouveaux cas de cancers du poumon par an. Une très forte augmentation est déjà notable chez les femmes et risque de s'amplifier encore. En effet, si les tendances du tabagisme féminin ne fléchissent pas, la situation européenne se rapprochera de celle des Etats-Unis où ce cancer est devenu la première cause de décès par cancer chez la femme, avant l'atteinte du sein.

Notre objectif est de faire reculer significativement la consommation de tabac, en particulier chez les femmes et les jeunes. Notre gouvernement s'est clairement engagé dans une grande campagne de lutte contre le tabagisme. Ainsi, les crédits consacrés à ce fléau ont été portés à 50 millions de francs en 1998 et pas seront à 70 millions en 1999. Les prochaines campagnes auront pour cible notamment les femmes et les jeunes filles qui aujourd'hui fument plus que les garçons. De surcroît, le prix du tabac devrait augmenter dès le 1er janvier, ce qui a toujours un effet dissuasif pour les plus jeunes.
Par ailleurs, dans la mesure où le sevrage tabagique nécessite souvent une prise en charge longue et dans certains cas pluridisciplinaire, nous sommes en train de réfléchir à la mise en place d'un « forfait sevrage » remboursé par la Sécurité sociale pour améliorer l'efficacité des procédures d'arrêt du tabac.

LE FIGARO. - Pourquoi ne pas développer les campagnes de prévention dans les écoles, les collèges et les lycées puisque c'est là que s'effectue l'initiation tabagique ?

Bernard KOUCHNER. - Les médecins scolaires dépendent du ministère de l’Education nationale, ils sont déjà chargés de très nombreuses missions. Nous travaillons avec Claude Allègre et Ségolène Royal afin de mieux intégrer les objectifs de santé publique et la prévention dans la santé scolaire.