Interview de M. Georges Jollès, vice-président du MEDEF et président de la Commission sociale du MEDEF, dans "Les Echos" du 24 novembre 1998, sur l'opposition du MEDEF à une augmentation des taxes sur les emplois précaires, les relations avec le gouvernement ou les syndicats sur la politique de l'emploi ou la réduction du temps de travail, et sur l'évolution du système de santé.

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Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

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Le Parti socialiste a souhaité ce week-end un retour d'un contrôle administratif des licenciements et Martine Aubry a annoncé, la semaine dernière, un tour de vis pour lutter contre les emplois précaires. Comment réagissez-vous ?

 A qui fera-t-on croire que le durcissement des procédures de licenciement, le doublement de l'amendement Delalande, la taxation des contrats à durée déterminée et de l'intérim et les 35 heures sont de nature à encourager les chefs d'entreprise à embaucher ? Il y a aujourd'hui un ensemble d'annonces défavorables à la création d'emplois.

Mais les entreprises n'ont-elles pas abusé des emplois précaires alors que la reprise économique s'est confirmée ?

Taxer les contrats à durée déterminée, c'est taxer l'emploi ; c'est notamment par les CDD que les entreprises ont pu créer 300.000 emplois depuis un an. Si les chefs d'entreprise y ont plus recours qu'avant, c'est d'abord en raison de l'incertitude créée par les 35 heures. Ils sont maintenus dans l'ignorance du contenu de la deuxième loi qui sera votée en 1999. C'est aussi parce que certains secteurs n'ont pas d'accord d'annualisation. De surcroît, il serait absurde de fixer une toise uniforme. Les besoins varient considérablement d'un secteur à l'autre ; comment décider d'une manière générale: que le bon niveau d'emplois précaires est 10 % ou 15 % ? C'est la raison pour laquelle s'il devait y avoir une négociation, elle devrait être au niveau de branches plutôt qu'inter professionnel. A ce propos, le Medef, conformément aux décisions arrêtées à Strasbourg, consultera ses fédérations et ses organismes territoriaux.

Et si le produit de la taxe sur les CDD est affecté à l'Unedic (assurance-chômage) ?

Que le produit de cette taxe aille à l'Unedic me semble la moindre des choses ! Il serait par ailleurs inconcevable que le gouvernement contraigne l'Unedic à jouer les percepteurs. Nous protesterions néanmoins contre cette taxation inopportune.

Quand le gouvernement reproche aux entreprises d'abuser des licenciements des plus de 50 ans et annonce le doublement de la contribution Delalande, que lui répondez-vous ?

Cela part apparemment de bons sentiments mais entraîne des effets pervers. Le doublement du Delalande aura pour conséquence d'augmenter les prélèvements obligatoires et de freiner le recrutement des salariés qui se rapprochent de cinquante ans. J'observe que le produit de cette nouvelle taxe ne viendrait pas abonder les moyens d'intervention de l'Unedic.

Le Medef n'a-t-il pas donné l'exemple de nouveaux prélèvements en annonçant une contribution des entreprises utilisant l'Arpe, le dispositif de préretraite de l'Unedic ?

Ce n'est pas du tout de même nature. Dans la mesure où l’Arpe bénéficie aux entreprises qui souhaitent rajeunir leur pyramide des âges, il n'est pas anormal qu'un ticket modérateur leur soit demandé. Il sera relativement faible puisque cette contribution représentera moins de 10 % du coût global financé par l'Unedic, soit 1,2 à 1,3 milliard de francs.

Pour combien de temps souhaitez-vous reconduire le dispositif de l'Arpe, dont la négociation va s'engager, un an, deux ans ou plus ?

Il paraît difficile d'engager le régime d'assurance-chômage au-delà de l'échéance normale de la convention Unedic, qui tombe le 31 décembre 1999.

Le PS évoque un renchérissement des heures supplémentaires lors de la deuxième loi sur les 35 heures, en 1999 ; est-ce, à vos yeux, un inquiétant changement de doctrine ?

Ce serait une formidable contradiction car Martine Aubry a toujours affirmé que la réduction du temps de travail exigeait plus de souplesse dans le mode de fonctionnement de l'entreprise, ce qui sous-tend l'annualisation et la modulation des horaires. Or celles-ci ne peuvent être mises en œuvre que si les entreprises disposent d'un volant d'heures supplémentaires suffisant. Renchérir leur coût serait paradoxal.

Il me paraîtrait sage de reporter la date d'application des 35 heures.

Martine Aubry a semblé, récemment, ne pas totalement exclure un report de la date d'application des 35 heures ; le redemandez-vous, malgré le nombre d'accords déjà signés ?

Plusieurs accords ont été signés dans les branches, qui concernent un nombre important de salariés, pour que les entreprises en négocient l'application en tenant compte de leurs spécificités, faudrait-il encore que les accords de branche soient étendus par le ministère. Cela risque de prendre du temps. Il me paraîtrait donc sage de reporter la date d'application des 35 heures.

Mais dix-huit branches ont conclu des accords et un certain nombre d'entreprises sont prêtes à négocier : le climat a un peu changé. Cela ne met-il pas le Medef en porte-à-faux ?

Pas du tout. Au contraire, cela conforte notre position. Nous n'avons pas condamné le principe de la réduction du temps de travail ; nous avons dit que l'on ne peut pas appliquer cette loi de manière uniforme. Le Medef a donc recommandé aux branches de prendre en charge le dossier des 35 heures, ce qu'elles ont fait. Tous les accords signés reposent sur un principe : annualisation contre réduction de la durée effective du travail. C'est un échange entre les salariés et les entreprises. Aucun accord, de l'UIMM au textile en passant par le BTP et la propreté, n'a maintenu la durée effective du travail à son niveau antérieur dès lors qu'il y eu annualisation. Cela ne se fait pas, en tout état de cause, à coût nul pour les entreprises, mais le surcoût des 35 heures aura été limité grâce à l'annualisation. Toutefois, un certain nombre de métiers n'y ont aucun intérêt et subiront de plein fouet les surcoûts importants nés de la loi.

Des créations d'emplois sont-elles possibles dans les entreprises ?

Non, car, au mieux, les 35 heures généreront des surcoûts limités, au pire une augmentation excessive des coûts de production.

Que va-t-il se passer maintenant dans votre branche, le textile ?

Les entreprises du textile auront la possibilité d'appliquer ou d'adapter notre accord, s'il est étendu d'ici à la fin de l'année. Les effectifs auront baissé, je le crains, à la fin 1999. Le volet défensif de la loi sera le plus utilisé.

Quelle valeur donnez-vous à la garantie de pouvoir d'achat inscrite dans votre accord ?

C'est une ambition, pas un engagement contractuel.

En matière d'assurance-maladie, une convention est conclue avec les médecins généralistes, mais les spécialistes vont au conflit. Quelles sont les raisons de ce demi-succès ?

Si les médecins spécialistes ont engagé un bras de fer, ce n'est pas avec la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), mais avec le gouvernement. Ils contestent les principales dispositions de la loi de financement de la Sécurité sociale votée par le Parlement. Nous leur proposons d'optimiser les dépenses maladie au sein d'une enveloppe limitative, dont il est vain de croire qu'elle puisse être remise en cause.

Martine Aubry s'oppose au souhait du directeur de la CNAM de moduler les remboursements selon le comportement des assurés. Y voyez-vous une réticence aux réformes ?

Cela m'inquiète. Je veux croire que la réaction de Mme Aubry est précipitée, car cela serait nier la vocation de la CNAM à proposer des solutions permettant d'optimiser les dépenses de santé. Je souhaite que l'action de la Caisse nationale d'assurance maladie soit jugée non pas sur des mesures ponctuelles, mais sur un ensemble. Au premier trimestre 1999, la CNAM présentera au gouvernement un ensemble de mesures structurelles.

Ce sera l'épreuve de vérité, car nous sommes convaincus que la régulation économique des dépenses ne suffira pas.

Dans combien de temps le Medef fera-t-il le bilan de l'évolution du système de santé ?

Le Medef arrêtera sa position au vu du plan stratégique élaboré par la CNAM et de l'autonomie que lui accorderont les pouvoirs publics pour sa mise en œuvre.

Les ouvertures du gouvernement sur les fonds d'épargne retraite vous rassurent-elles ?

Pour l'instant, nous répondons par un « oui » de principe, un « oui » prudent, à la constitution de fonds d'épargne retraite esquissée par le gouvernement. A la condition que l'on n'aille pas vers un système obligatoire, qui se traduirait par une nouvelle hausse des prélèvements sur les entreprises.