Débat entre M. Georges Jollès, vice-président du MEDEF et président de la Commission sociale du MEDEF, et Mme Maryse Dumas, secrétaire de la CGT, dans "L'Humanité" du 30 novembre 1998, sur l'application de la loi sur la réduction du temps de travail.

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Média : L'Humanité

Texte intégral

Quand Maryse Dumas (CGT) et Georges Jollès (MEDEF) acceptent le principe d'un entretien croisé c'est forcément un événement. Alors que les négociations se poursuivent dans toute la France, la membre du bureau confédéral du syndicat et le président de la commission sociale du patronat font le point sur l'un des enjeux des années à venir : la réduction du temps de travail. Profitera-t-elle à l'emploi, aux salaires, à l'organisation des entreprises ? Ils nous disent ce qu'ils en pensent.

Bien sûr, ils s'étaient déjà rencontrés. Mais cette fois, ils sont venus dans les locaux de « l'Humanité » pour débattre d'un des sujets sociaux les plus brûlants du moment : les 35 heures. Il y a quelques semaines, lorsque nous leur avons demandés s'ils accepteraient la règle du jeu, Maryse Dumas et Georges Jollès avaient répondu « oui » immédiatement. On savait qu'ils avaient des choses à se dire. On savait que la CGT et le MEDEF (ex-CNPF) n'avaient pas – c'est le moins qu'on puisse dire – la même philosophie de la loi Aubry, de son application, de la manière de conduire les négociations dans les branches comme dans les entreprises. Pas une surprise. Comme vous allez le lire, l'un et l'autre s'échappent parfois du strict champ de la réduction du temps de travail. Normal, le dossier des 35 heures est au confluent des grandes préoccupations de cette fin de siècle.

* Premier bilan et perspective d'embauches

Q - Le champ de la négociation s'est emparé du pays, de nombreux accords ont déjà été signés dans les branches, dans les entreprises. Quelle appréciation générale portez-vous aujourd'hui ?

Georges Jollès. – La réduction du temps de travail semblait avoir pour vocation principale de créer des emplois, cela partait d'une ambition noble. Mais est-ce la bonne solution ? J'en doute. Aucune loi n'a jamais créé aucun emploi dans le secteur privé. Or, ces créations d'emplois ne peuvent se réaliser que si la compétitivité des entreprises est maintenue permettant de créer de la croissance, seule capable de faire de l'emploi. La loi néanmoins a été votée, nous sommes citoyens, donc la loi sera appliquée. Le MEDEF considère, devant la diversité des situations, qu'il est impossible de gérer cette application de la loi par une négociation au niveau interprofessionnel. Nous avons considéré qu'il relevait donc des branches et des entreprises de rechercher les voies et moyens de s'adapter à moindre coût aux contraintes qu'allait leur imposer la loi. Ces négociations se sont engagées, se sont même multipliées. Elles reposent toutes sur le même principe : échange de plus de flexibilité à travers des accords d'annualisation ou de modulation des horaires, contre une réduction de la durée effective du travail. Ainsi, la compétitivité des entreprises pourrait être relativement ménagée. Ces négociations permettront par ailleurs aux salariés de ne pas supporter exagérément les conséquences à craindre de la loi, à savoir une réduction drastique de leur pouvoir d'achat. Au fond, cette loi semble devenir une loi sur l'aménagement et la réduction du temps de travail.

Maryse Dumas. – Ce que vient de dire M. Jollès n'est pas tout à fait ce que le CNPF disant lorsque la loi a été votée. Depuis, il s'est passé beaucoup de choses et cela confirme ce qu'a été d'emblée la démarche de la CGT. La loi ouvre un terrain d'affrontement, un bras de fer entre le patronat et les salariés. Nous disions que rien n'était gagné. Les 35 heures ne sont pas encore une conquête sociale, elles ne sont pas le contraire non plus. Nous ne disons pas non plus que la loi va automatiquement créer des emplois. En fait, tout va dépendre du rapport des forces qui s'est engagé et pour lequel la CGT veut peser de tout son poids. Nous avons deux préoccupations majeures : la création d'emplois et l'amélioration des conditions de vie et de travail. Le donnant-donnant évoqué par M. Jollès est une idée que la CGT récuse. Nous pensons que les négociations doivent être l'occasion de renouer avec un progrès social qui permette aussi des droits supplémentaires aux salariés. Il faut en finir avec ce dogme qui dit : le seul critère de la compétitivité des entreprises sur le coût du travail. Alors que la principale caractéristique, aujourd'hui, c'est que la compétitivité des entreprises souffre d'un coût du capital beaucoup plus élevé. Une préoccupation encore : depuis début septembre, 15 000 suppressions collectives d'emplois ont été annoncées, alors que le bilan des accords sur les 35 heures fait apparaître 5 000 créations d'emplois. Les 35 heures ne peuvent résoudre à elles seules le problème du chômage. Il faut une politique d'emploi complémentaire.

Georges Jollès. – Les salariés, qui maîtrisent de mieux en mieux les mécanismes de l'économie, ont à l'esprit qu'on ne crée pas d'emplois en augmentant les coûts de production. C'est une réflexion de bon sens que chacun partage. Aussi, les 35 heures, qui représentent une contrainte pour l'entreprise, nécessitent un certain degré de compensation. Il est vrai que les accords déjà signés se caractérisent par un donnant-donnant. On peut donc considérer qu'ils sont équilibrés. S'ils ne l'étaient pas, cela mettrait en péril l'emploi, puisque la pérennité de l'entreprise pouvant être mise en cause. Je suis satisfait que cet écueil ait pu être évité par les syndicats et les branches signataires. Est-ce que, néanmoins, ces accords seront sans effet pour la compétitivité des entreprises ? Non. C'est la raison pour laquelle – hélas je ne peux que le répéter – cette loi ne créera pas d'emploi, mais en fragilisera un certain nombre.

Maryse Dumas. – Je voudrais juste donner deux chiffres. D'après l'OCDE, la productivité du capital a diminué de près de 2,5 % dans les deux dernières années ; par contre, la productivité du travail, elle, a augmenté. Donc, parler de la compétitivité des entreprises suppose de prendre tous les éléments en compte, y compris celles du capital. Deuxième caractéristique : les dividendes versés aux actionnaires des entreprises représentent aujourd'hui 12 % de la valeur ajoutée, soit le double d'il y a dix ans. Du côté des salaries nous sommes très, très loin du compte. Alors, comment consolider la croissance ? Chacun sait que les deux tiers de la production sont tirés par la demande intérieure, donc par le pouvoir d'achat, donc par les salaires... c'est donc du côté de la valorisation des salaires et de l'emploi qu'il faut regarder les perspectives de croissance et c'est dans ce contexte que nous incluons la durée du travail. Quant aux accords signés, je constate que, à ce jour, il y en a plus dans les petites entreprises que dans les grandes. C'est que la question des critères de gestion y est encore plus vivre qu'ailleurs. Les politiques d'aménagement de la durée du travail se sont faites à la seule initiative des patrons. Si les salariés s'emparent des 35 heures en termes offensifs, c'est l'ensemble des choix de gestion sui vont être mis en cause. Cela permet de remplacer la question de la centralité du travail comme un enjeu de société.

* UIMM textile, deux visions différentes

Q - Du côté des branches, différents accords ont été signés. À l'été, celui de l'UIMM avait fait grand bruit. Mais celui du textile, depuis, a été ratifié par la CGT. Certains ont pourtant dit qu'il s'agissait de la même logique. Qu'en pensez-vous ?

Georges Jollès. – Je ne peux qu'applaudir à l'évolution que je constate à la CGT depuis quelques mois. Sur le fond des deux accords que vous citez, de quoi s'agit-il ? Il s'agit là encore d'échanger de la souplesse contre une réduction de la durée effective du travail. Cela n'est que justice. Dès lors qu'on demande aux salariés d'accepter quelques contraintes supplémentaires – c'est le cas de l'annualisation – il est légitime qu'ils en tirent également quelques avantages. Ces avantages auraient pu être d'ordre salarial, ce n'est pas le cas. Là, ils les retrouveront sous forme d'une réduction de la durée effective du travail. C'est le cas de l'UIMM et du textile, mais aussi des autres branches, BTP, etc.

Maryse Dumas. – Je voudrais dissuader M. Jollès de se réjouir trop vite. À la différence du CNPF, la CGT a appréhendé la situation dans laquelle nous nous trouvons dès le lancement du processus de la loi. Nous n'avons pas, nous, déclaré la guerre aux 35 heures. Nous n'avons pas déclaré que nous ne négocierons pas pour finalement être contraints de la faire. Durant l'été, nous n'avons pas fait signer par les syndicats minoritaires, à la va-vite, un accord UIMM pour tenter de corseter l'ensemble des négociations... pour constater finalement que c'est précisément dans la métallurgie que se signent le plus d'accords dans les entreprises qui ne prennent pas en compte l'accord de branche. Juste un mot pour distinguer les accords UIMM et textile. D'abord, l'accord UIMM stipule qu'il ne doit s'appliquer qu'après la deuxième loi, alors que le textile vise à anticiper sur la deuxième loi. Et l'accord textile prévoit le maintien du pouvoir d'achat – ce que ne fait pas l'accord UIMM – et évoque l'emploi.

À ce moment ce notre échange, je voudrais préciser quelle est la démarche de la CGT. Pour nous, la loi n'aboutit pas en tant que telle à une conquête sociale. Notre attitude vise donc à donner envoie aux salariés de se mobilier à partir de leurs revendications. Seule la mobilisation peut permettre un rapport de force favorable. Dans ce contexte, la CGT est offensive, essaie de donner confiance aux salariés, et tente de favoriser l'unité d'action. La négociation, la signature ou la non-signature ne sont que des éléments du processus permettant de mobiliser les salariés. De son côté, le patronat considère qu'un accord signé est une sorte de contrat. Mais non. Je vais vous décevoir, M. Jollès, mais lorsque nous signons un accord, nous ne considérons pas que nos revendications s'arrêtent. Dès la signature de l'accord, nous reprenons notre bâton revendicatif et nous recommençons ; lutte, mobilisation, stratégie unitaire ! Il est aujourd'hui nécessaire de penser autrement la politique contractuelle et la négociation collective. Par exemple, ne faut-il pas permettre que des accords conclus par des organisations syndicales ne puissent s'appliquer que dans le cas où celles-ci représentent la majorité des salariés, ou bien, si les syndicats signataires ne représentent pas la majorité des salariés, après une consultation des salariés eux-mêmes ? Oui, nous n'avons pas signé l'accord UIMM, mais nous nous battons dans les entreprises de la branche pour obtenir le maximum en faveur de l'emploi et des salaires. Oui, nous avons signé l'accord textile, mais nous nous battons tout autant dans les entreprises de la branche pour obtenir le maximum en faveur de l'emploi et des salaires.

Georges Jollès. – Vous savez, le MEDEF n'a pas d'opposition de principe à des négociations qui auraient, entre autres, pour conséquence de réduire la durée du travail. C'est une démarche qui est en cours dans les entreprises depuis de nombreuses années. Ce à quoi le MEDEF est opposé, c'est une loi qui s'applique à tous et au même moment, sans tenir compte des situations spécifiques des entreprises. Cela peut avoir des conséquences désastreuses pour la survie de certaines entreprises, donc pour leurs emplois. Pour revenir, à l'accord textile, je voudrais souligner qu'il ne garantit pas le maintien du pouvoir d'achat. Il ne fait que préciser – et je m'associe totalement à la rédaction de cet accord – que nous avons pour ambition de préserver le pouvoir d'achat dès lors que la compétitivité de l'entreprise ne souffrirait pas de l'application des 35 heures. Enfin, à propos de l'attitude de la CGT, j'observe qu'elle ne perd rien de sa combativité – on le constate –, mais devient peu à peu un syndicat de négociation... enfin.

Maryse Dumas. – Puisque le MEDEF s'en félicite, sans doute ne tardera-t-il pas à répondre à notre proposition faite à l'ancien CNPF, d'une négociation interprofessionnelle pour doter l'ensemble des salariés de garanties collectives modernes et d'un droit syndical nouveau. À propos du changement de nom du CNPF en MEDEF, il faut savoir que la dernière fois qu'il y a eu un tel changement, c'était à la Libération. Ce n'est donc pas un petit événement. Le terme patronat a disparu au profit d'entreprise. Patronat avait une connotation forte dans la contradiction d'intérêt entre le capital et le travail. Entreprise, c'est beaucoup plus neutre, plus consensuel. Dans ce que propose le MEDEF, il y a aussi la volonté d'être plus en prise avec la réalité des entreprises, notamment les PME-PMI et d'avoir des chefs d'entreprise qui siègent directement dans les instances dirigeantes du MEDEF. Voyez, si le MEDEF en est là, je pense que le processus engagé sur les 35 heures n'y est pas pour rien. Cela annonce non pas moins de conflictualité d'une autre nature, qui portera davantage sur les enjeux centraux à l'intérieur des entreprises et pas seulement sur les problèmes macro-économiques. Enfin une précision : nous ne sommes pas contre la compétitivité des entreprises. L'emploi stable et une meilleure qualification des salariés en font partie. Mais dans les éléments permettant de diagnostiquer cette compétitivité, il faudrait aussi intégrer tous les éléments concernant la compétitivité du capital, qui est en baisse, et pas seulement celle du travail.

Georges Jollès. – En ce qui concerne la volonté du MEDEF de s'inscrire ou non dans le cadre d'un dialogue au niveau interprofessionnel, n'oublions pas que nous sommes dans un monde où la concurrence est exacerbée, où les décisions doivent être prises très rapidement, et que le meilleur niveau de la négociation, ce n'est plus le niveau national, mais bien celui qui est le plus proche des réalités et des marchés : les entreprises. Quant au changement de nom, certes nous avons considéré que le mot patronat était devenu un peu désuet, mais surtout il ne reflétait plus la réalité des entreprises, qui englobe à la fois les actionnaires, les dirigeants – qui ne sont pas forcément des actionnaires –, et l'ensemble des collaborateurs. La vocation du MEDEF est de défendre toutes les composantes de l'entreprise.

* Le pouvoir d'achat en question

Q - Certains observateurs pensent que le passage à la RTT aura « forcément » des conséquences sur le pouvoir d'achat à moyen ou long terme. Pourquoi ?

Georges Jollès. – Cette conséquence sera mécanique en effet. Parce que les prix des produits sont dictés par les lois de la concurrence, et cette loi s'appliquera à tous les secteurs sans distinction. Par exemple, dès lors que Toyota, près de Valenciennes, recrutera sur la base de 35 heures payées 35, comment voulez-vous que les autres constructeurs français, pour rester compétitifs, puissent payer leurs salariés 35 heures payées 39 ? Par la force des choses, les rémunérations finiront – je ne peux que le regretter – par prendre en compte les conséquences de la loi.

Maryse Dumas. – Mais ce scénario catastrophe est celui que nous vivons depuis des années... et c'était ainsi avant les 35 heures. Quant aux salaires, que faites-vous actuellement avec le temps partiel ? Avec l'intérim ? Avec les CDD ? N'est-ce pas la même chose ? On considère aujourd'hui qu'il y a près de sept millions de salariés pauvres entre le chômage et les petits boulots. Les 35 heures n'ont rien à voir là-dedans... Sauf que vous ne proposez aucune alternative. Vous nous dites que la concurrence joue sur les prix. Mais la concurrence joue aussi par la demande. Lorsqu'il y a une forte demande, cela permet d'avoir des prix plus élevés. Or la demande intérieure de la France est insuffisante ! Regardons du côté des profits : si on augmentait de 30 % tous les salaires inférieurs à 8 500 francs, on ne prendrait rien de plus que les bénéfices réalisés actuellement dans les entreprises.

Georges Jollès. – Et qui investirait dans le travail, dans l'entreprise ? Au fond, ce que vous proposez aux investisseurs, c'est prendre le risque d'entreprendre sans en avoir l'espérance : ce n'est plus de l'investissement, c'est du mécénat...

Maryse Dumas. – Mais la capacité d'autofinancement des entreprises n'a jamais été aussi forte. Seulement, où va-t-il ? Essentiellement dans des investissements à l'étranger, essentiellement dans des investissements de type financier.

Georges Jollès. – Au cours de l'année 1998, c'est le secteur marchand, donc le dynamisme des entreprises, leur volontarisme et leurs investissements, qui ont permis de créer 300 000 emplois nouveaux. C'est un résultat très satisfaisant. Pourquoi nous battons-nous pour un minimum d'intervention de l'État ? Pour la raison suivante : les dépenses publiques confisquent 55 % des richesses nationales. Ce que nous souhaitons, c'est que l'État français soit moins consommateur de ces richesses pour qu'on puisse mieux développer l'économie.

* Annualisation, organisation du travail

Q - La CGT signe de nombreux accords d'entreprise qui, parfois, entérinent le passage à une forme d'annualisation. Est-ce un changement ?

Maryse Dumas. – Nous sommes et restons opposés à l'annualisation. Elle détruit la vie des salariés et permet à l'employeur de ne pas embaucher. Cela étant, nous tenons compte de l'avis des salariés : eux-mêmes doivent être les maîtres du jeu. Nous faisons donc de la consultation des salariés un des points forts de notre démarche. Consultation avant, consultation au moment de la signature, et consultation dès le lendemain de la signature. Avant d'affirmer que la CGT change de position sur l'annualisation, il faut prendre en compte le réel. On oublie de dire que, très souvent, l'annualisation préexistait à l'arrivée des 35 heures. Il y a même des exemples où la signature des 35 heures permet de mieux réglementer l'annualisation dans l'intérêt des salariés. C'est à partir de situation concrètes, entreprise par entreprise, que nous réagissons. Nous n'avons pas de modèle tout fait d'un accord signable par la CGT. Tout dépend de la réalité locale et de la vision des salariés.

Q - Beaucoup de chefs d'entreprise ont dit : « Profitons de la loi Aubry pour réorganiser le travail ». Le comprenez-vous ?

Georges Jollès. – les chefs d'entreprise n'en « profitent » pas de la loi. La loi les contraint à rechercher les moins mauvaises solutions. Les accords de branche se sont un exemple : les partenaires sociaux ont montré à ce propos un grand sens des responsabilités. Je ne peux que saluer la décision prise par la CGT de reconnaître la nécessité de réduire les plus fortes rigidités, en acceptant, en actant le principe de l'annualisation. C'est une décision historique ! Puisque pour la première fois un accord d'annualisation est signé par ce syndicat. J'approuve cette évolution et le monde salarial ne peut que s'en féliciter.

Maryse Dumas. – À quel accord faites-vous référence ?

Georges Jollès. – À l'accord textile, qui se caractérise avant tout par une annualisation...

Maryse Dumas. – Vous avez bien remarqué que la CGT avait émis des réserves sur cette question ?

Georges Jollès. – Oui, mais vous l'avez signé ?

Maryse Dumas. – Bien sûr. Je vous signale quand même que ces réserves furent unitaires.

Georges Jollès. – Vous êtes un syndicat qui se caractérise en général par le respect de la signature donnée, c'est tout à votre honneur. Donc, entre vos réserves verbales...

Maryse Dumas. – ... Non, ce sont des réserves écrites. Cela étant dit, l'annualisation ne peut pas être la seule forme de réorganisation du travail. Oui, il faut réorganiser le travail en France ! Il faut même en changer le contenu et nous abordons la question de la RTT avec toutes les revendications qu'elle génère. C'est un point d'appui pour transformer le travail et faire reculer la souffrance – résultante de la flexibilité, de la précarité, de l'annualisation.

* Les contours de la deuxième loi

Q - La deuxième loi, prévue fin 1999, fait déjà couler beaucoup d'encre. Selon vous, à quoi pourrait-elle ressembler et quelles sont vos propositions ?

Georges Jollès. – Je rappellerai les propos tenus par les responsables gouvernementaux, qui avaient délibérément laissé dans l'ombre un certain nombre de points afin d'alimenter, affirmaient-ils, la négociation. Donc il appartenait aux partenaires sociaux, branches, entreprises, d'apporter des clarifications en vue de la deuxième loi. Des accords ont été signés, ils concernent plusieurs millions de salariés. Les règles de la démocratie sociale, le respect des partenaires sociaux, commandent que le contenu de ces accords inspire le législateur quant à la deuxième loi. Celle-ci devra être le reflet du contenu des accords tels que nous les constaterons. Si la deuxième loi devait être en contradiction avec le contenu de ces accords, quid de la légitimité des partenaires à négocier ? Quid de la légitimité des délégués du personnel des syndicats de salariés ? Quid de la reconnaissance de leurs signatures ? Cela poserait un problème de fond que je ne veux même pas imaginer.

Maryse Dumas. – Je pourrais être d'accord avec M. Jollès... s'il existait une manière démocratique de pratiquer la négociation. Tant que le patronat considérera que, sans faire aucun effort en direction des salariés, il peut obtenir la signature d'un seul syndicat et que cet accord peut s'appliquer à tous, même avec une signature hyper minoritaire, quel intérêt aurait-il à faire un pas en direction des salariés et à négocier vraiment ? Si on veut que la deuxième loi soit le reflet exact du contenu des accords, il faut que les souhaits des salariés soient pris en compte. Donc il faut réformer l'articulation entre représentativité et politique contractuelle. Comme ce n'est pas le cas, je dirais que le gouvernement est confronté avec cette deuxième loi à une vraie question : fera-t-il le choix d'une resucée de la loi Robien, ou d'un grand moment d'acquis collectif et de conquête sociale ? Je n'ose imaginer que cette deuxième loi ne tienne pas compte des profondes aspirations de ceux qui ont élu la majorité plurielle. C'est une nécessité économique et sociale. Cette loi doit donc permettre le maintien et la progression du pouvoir d'achat – je pense au SMIC –, l'embauche, le recul du temps partiel imposé et de la précarité, du recours systématique aux heures supplémentaires, etc. Enfin, nous continuons d'exiger un ensemble de dispositions complémentaires sur le droit de licenciement, l'assiette des cotisations patronales, la fiscalité, le crédit, etc.

Georges Jollès. – Vous dites : il y a des problèmes de légitimité à propos de certains accords. Nous n'entrons pas dans ce type de débat, d'autant que le MEDEF a mené sa propre « révolution » interne pour mieux asseoir sa légitimité auprès de sa base. Certes, nous souhaiterions que les syndicats conduisent à leur tour la même réflexion. Sur ces problèmes de représentativité que vous évoquez, l'accord textile, qui a été signé par les cinq principaux syndicats, est donc, en terme légitimité, pour le moins exemplaire : considérez-vous que le contenu de cet accord puisse être déjugé par la seconde loi ? Il faut que son contenu soit donc confirmé par le législateur.

Maryse Dumas. – Je vous rappelle que la négociation collective est encadrée par la loi. Les évolutions nécessaires au syndicalisme ne règlent pas à elles seules le problème. Le patronat que vous représentez ne fonctionne qu'en termes de diktat. Ou on signe et on signe tout. Ou alors, pour pouvoir tenir compte de nos réserves, il faudrait qu'on ne signe pas. Non, nous ne sommes pas d'accord pour que l'accord textile serve de base à la deuxième loi. Ce n'est pas son objet. Il ne vaut pas pour le commerce, ni le bâtiment, ni l'automobile, etc. La loi, c'est la loi. Et elle doit répondre aux aspirations. Nous proposons que la deuxième loi prenne en compte l'ensemble des négociations, les points d'accord comme les points de désaccord.

Georges Jollès. – Un accord ratifié, après négociation, c'est toujours le fruit d'un compromis. Donc on ne peut pas, après coup, en accepter certains termes et en rejeter d'autres. C'est la loi du genre. Je rappelle que dans l'accord textile, on retrouve les autres accords. Notre unique préoccupation, c'est que la deuxième loi ne rende pas ce type d'accord « hors-la-loi ». La démocratie sociale serait alors en jeu.

Maryse Dumas. – Vous avez votre interprétation de la signature du textile. Nous avons la nôtre. Ce n'est pas la même. Le débat continue.