Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, dans "La Vie" le 17 décembre 1998, sur les forums régionaux des états généraux de la santé, manifestations de la "démocratie sanitaire", et sur le rôle du "jury citoyen".

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement des forums régionaux des états généraux de la santé à Rennes (Ille-et-Vilaine) sur le thème "Le droit de vieillir", début décembre 1998

Média : CFTC La Vie à défendre - La Vie

Texte intégral

Q - Qu'attendez-vous des états généraux de la santé ?

- « Ils doivent être l'occasion pour les gens de se rendre compte de ce qu'est notre système de santé : comment fonctionne une caisse de sécurité sociale, comment s'organisent des gardes à l'hôpital, qu'est-ce que la médecine libérale en réseau ?...
Notre système est bon. Si nous voulons le maintenir, nous devons constamment l'adapter et ne pas dépenser plus que ce que nous avons. Sinon, nous tomberons dans un système d'assurances privées terriblement injuste. Les Français doivent eux-mêmes prendre la mesure de ces vérités. »

Q - Serait-ce une campagne d'information politique ?

- « Non, c'est la démocratie sanitaire qui s'installe à travers deux types de manifestations. Plus de 230 réunions publiques sont d'ores et déjà prévues, et j'en veux 1 000. Les organisateurs, élus, maires, syndicats et associations choisissent les thèmes de ces discussions. Chacun peut ensuite y participer librement.
Il s'agit avant tout d'une photographie que j'espère plus sensible et plus humaine qu'un sondage. De vraies propositions ne sortiront pas nécessairement de ces assemblées, mais les participants adresseront leurs constats, critiques et propositions aux comités de pilotage qui en tiendront compte. Des forums se dérouleront dans chaque région avec un thème national préparé par un « jury citoyen » d'une quinzaine de personnes. »

Q - Quel est le rôle d'un « jury citoyen » ?

- « C'est un groupe de citoyens témoins. Une quinzaine de candidats non spécialistes ont été recrutés dans les régions par voie de presse. Ces personnes ont passé un week-end en présence d'experts chargés de les informer et de les orienter vers d'autres professionnels, parfois plus à même de répondre à leurs questions sur un thème national. A partir de cette formation reçue, ils produiront des propositions que j'espère novatrices. »

Q - Sur quoi cela débouchera-t-il ?

- « Une synthèse générale des débats sera faite qui mettra en évidence les préoccupations des Français face à leur santé et au système de soins. Le Gouvernement pourra s'appuyer sur ces contributions pour adapter notre système de santé à l'ensemble des défis auxquels il est confronté. »

Q - Le premier forum régional, à Rennes, est sur le droit de vieillir. Est-ce le signe d'un engagement particulier de votre part dans ce domaine ?

- « Oui, mais ce n'est pas moi qui aie choisi ces thèmes, c'est le comité d'orientation national des états généraux. L'accroissement du nombre de personnes âgées nous impose de prendre en charge différemment nos aînés. Le vieillissement en bonne santé est mon idée directrice. Nous vivons de plus en plus vieux, c'est heureux. Mais nous n'avons pas toujours la chance de bien vieillir car notre système attend la maladie pour bouger. Au contraire, vieillir en bonne santé, c'est développer la prévention. »

Q - Quel est le rôle des différents acteurs sociaux dans la prévention de la dépendance ?

- « L'État ne peut pas être seul en cause. Les associations jouent un rôle considérable dans la prise en charge des malades et de la maladie. Je suis aussi favorable à ce que la famille intervienne, aidée par des auxiliaires de vie et par un personnel médical à domicile. Il faut reprendre conscience de la nécessité de renforcer les noyaux familiaux. L'État ne peut remplacer ni les petits-enfants qui sautent sur les genoux, ni la tendresse familiale.
C'est une préoccupation dans la conception même de la ville : faut-il vivre toujours avec ses aînés ? Ce n'est pas forcément souhaitable, mais la présence à proximité d'un membre de la famille offre beaucoup d'avantages. J'attends des jurys citoyens des propositions dans ce domaine. Ils doivent se mettre à la place du ministre, et « jouer » au Gouvernement en quelque sorte. »

Q - Quelles mesures comptez-vous prendre dans les prochains mois sur le droit de vieillir ?

- « Nous avons d'ores et déjà réalisé un effort de renforcement des soins dans les maisons de retraite. 500 millions de francs de plus sont prévus en 1999 dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Nous voulons ainsi améliorer la qualité de la prise en charge. On a trop souvent vu des maisons de retraite avec un médecin qui, parce que débordé, fait des ordonnances à la chaîne. La médicalisation des maisons de retraite est une nécessité absolue. Nous allons aussi lancer des campagnes de dépistage du diabète et du cancer qui concernent directement les personnes âgées. »