Article de M. Charles Millon, ministre de la défense, dans "La Tribune franco-allemande" de mai 1997, sur l'importance de la coopération franco-allemande pour la construction de l'Europe de la défense (le texte est en français et en allemand).

Prononcé le 1er mai 1997

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Média : La Tribune franco allemande

Texte intégral


Nous célébrons cette année les quarante ans du Traité de Rome. Il est impossible d’évoquer cette étape essentielle de la construction européenne sans aborder la relation franco-allemande. Car c’est l’histoire et la géopolitique qui ont fait du couple franco-allemand une évidence au cœur de l’Europe. Rappeler cette évidence n’est nullement une façon de relativiser la contribution des autres pays à l’affirmation de l’Europe ; c’est au contraire une façon de souligner l’ambition que nos partenaires partagent avec l’Allemagne et la France.

Au sein de cette relation franco-allemande si multiple, la Défense a pris une place considérable au cours des quinze dernières années, conformément à la vision prémonitoire du Général de Gaulle et du Chancelier Adenauer lors de la signature du traité de l’Élysée. Cette relation de défense a traversé toutes les étapes historiques de la fin de la guerre froide, de la réunification de l’Allemagne, et aujourd’hui de l’adaptation de l’Otan et l’affirmation en son sein d’une identité européenne de sécurité et de défense. Elle a essentiellement pour but d’assurer la permanence de notre communauté de vues sur les points essentiels et de préparer l’avenir.

C’est à ce titre que la relation franco-allemande est directement concernée par la réforme sans équivalent de la défense française. En engageant cette réforme, le Président Chirac a souhaité doté notre pays d’une défense plus efficace et moins coûteuse. Votée par le Parlement en juin dernier, la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 consacre le passage de l’armée de conscription à l’armée professionnelle, ainsi que la réduction du format des forces pour répondre à la nouvelle donne stratégique, en particulier la disparition de toute menace militaire à nos frontières terrestres Cette volonté d’adaptation aux circonstances nouvelles a dû nécessairement tenir compte de la coopération franco-allemande.

C’est pourquoi nous avons tenu, simultanément, à réaffirmer, à approfondir et à renforcer la relation franco-allemande de défense, comme en témoignent les décisions qui ont jalonné ces derniers mois, et qui expriment la volonté de la France et de l’Allemagne d’aller de l’avant.

Il s’agit, bien sûr, de l’acte politique essentiel qu’à constituer l’adoption, par le Président Chirac et le Chancelier Kohl au Sommet de Nuremberg, d’un concept stratégique commun à la France et à l’Allemagne. Ce programme ambitieux constitue un premier pas décisif pour la défense européenne commune prévue par le Traité de Maastricht. Mon collègue et ami Volker Rühe et moi-même avons désormais pour mission de concrétiser ce concept dans tous les domaines de la défense.

Il s’agit ensuite de progrès réalisés dans le domaine de l’armement, si important pour l’autonomie stratégique de l’Europe. Au Somme de Nuremberg, le conseil de défense franco-allemand a pris une décision importante pour l’harmonisation et la planification des besoins d’armement à long terme. Celle-ci fixe les directives nécessaires pour disposer d’engagements communs clairs et fermes sur les programmes à développer. Il s’agit là d’un impératif et je me félicite que Français et Allemands aient accompli ce pas déterminant.

En ce qui concerne le programme en cours, les observateurs se sont beaucoup concentrés sur des aléas budgétaires de part et d’autre du Rhin. Mais c’est précisément à travers la solidarité franco-allemande que nous œuvrons à les surmonter et que nous menons un travail franco-allemand en profondeur sur le court, le moyen et le long terme. A Nuremberg, la France et l’Allemagne ont signé un document qui fait le point sur leurs coopérations, et qui harmonise calendriers et objectifs de production pour la quasi-totalité des programmes.

N’oublions pas les sacrifices considérables consentis par la France, malgré ses difficultés financières, pour maintenir les programmes franco-allemands prioritaires. Il est assez paradoxal que certains crient au péril, alors que la part des programmes d’armement en coopération franco-allemande va augmenter dans le budget d’équipement des armées françaises dans les cinq à six prochaines années…

Quant à l’engagement de l’Allemagne, Il reste total, en dépit des contraintes budgétaires qui demeurent, s’agissant du programme de coopération spatiale décidé au sommet de Baden-Baden. La France va d’abord financer le problème Hélios 2. Nos partenaires allemands nous rejoindrons dès 1988, et nous commencerons ensuite le développement du programme Horus. Chacun est en effet conscient, à Paris comme à Bonn, que l’acquisition d’une capacité autonome d’observation spatiale est, dans le monde actuel, un objectif stratégique pour nos gouvernements et pour l’Europe entière. N’oublions pas qu’en 1996, le spatial revêt la même importance que le nucléaire dans les années 60 et 70.

C’est également sur le plan institutionnel que l’initiative franco-allemande joue un rôle précurseur pour l’Europe de la défense, y compris dans le domaine de l’armement. La création, le 12 novembre dernier à Strasbourg, de l’organisation commune de coopération en matière d’armement, l’OCCAR, résulte d’une démarche de nos deux pays, à laquelle se sont jointes la Grande-Bretagne et l’Italie. Cette préfiguration de l’Agence européenne d’armement permettra de gérer les programmes en coopération d’une façon plus rationnelle et plus économique. Cette avancée illustre à quel point la coopération franco-allemande, qu’il s’agisse de l’armement ou du Corps européen, s’inscrit dans une dynamique européenne.

Cette dynamique est également essentielle à moment où se modèle la sécurité européenne du siècle prochain, où tous les systèmes établis, les habitudes et les équilibres les mieux assis sont profondément remis en cause par la nouvelle donne stratégique. La construction de l’Europe de défense et la rénovation de l’OTAN ont été, ces derniers mois, un terrain privilégié pour l’expression de la solidarité franco-allemande.

Ainsi la France et l’Allemagne ont elle fait une proposition commune de réforme de l’article J4 du Traité de Maastricht, qui définit les possibilités d’action européenne en matière de politique étrangère et de sécurité. Il nous paraît indispensable de renforcer, dans ce domaine, le rôle du Conseil de l’Union et de lui permettre de prendre des décisions, l’UEO demeurant au stade actuel le bras armé de l’Union.

Aujourd’hui, l’Europe est à la croisée des chemins. Beaucoup de dossiers vont être tranchés dans les mois qui viennent, et l’année 1997 sera cruciale, qu’il s’agisse des progrès vers l’Union monétaire, de la conclusion de la Conférence intergouvernementale, ou du prochain sommet de l’OTAN à Madrid. Dans tous ces domaines essentiels pour l’Europe, l’impulsion politique du couple franco-allemand sera décisive.

A certains, qui remettent en cause la dimension affective de la relation franco-allemande, je dirai que cette dimension est normale pour deux peuples qui se sont combattus aussi violemment au cours de l’histoire. Le génie du Général de Gaulle et du chancelier Adenauer, c’est non pas d’avoir effacé une tragédie par essence ineffaçable mais de l’avoir surmontée grâce à la force de la volonté politique. Cet exemple doit être médité, aujourd’hui, par certains pays d’Europe qui s’opposent ou se déchirent au nom d’une histoire conflictuelle et de haines séculaires.

A certains, qui remettent en cause la force et la priorité du lien franco-allemand, je dirai que la géographie, le poids politique et économique de la France et de l’Allemagne, leur expérience historique respective leur imposent de façon quasi absolue un partenariat étroit. Il n’existe pas d’alternative au couple franco-allemand : c’est vrai pour nos deux nations mais aussi pour tous les autres pays européens qui ont besoin du dynamisme et de la force d’entraînement du « moteur de l’Europe ».