Texte intégral
LE FIGARO.
– Y a-t-il rupture entre la politique du gouvernement Juppé et celle du gouvernement Jospin dans la lutte contre l'insécurité ?
Jean-Louis DEBRÉ.
– Évoquer devant les socialistes l'inadaptation de notre législation sur les mineurs, c'était inadmissible il n'y a pas encore si longtemps. Vous suggériez le « déplacement » des mineurs les plus récalcitrants, et vous étiez immédiatement qualifié de suppôt de la réaction. Créer, comme nous l'avons fait, des « unités éducatives à encadrement renforcé », prévoir la comparution immédiate en justice des mineurs délinquants, proposer la détention provisoire pour les récidivistes de moins de seize ans, c'était voir dénoncer par les socialistes l'approche « sécuritaire » des problèmes de la jeunesse. Lionel Jospin et ses amis politiques invoquaient même l'influence de l'extrême droite pour dénoncer la volonté de certains de prendre des mesures efficaces pour lutter contre la délinquance des jeunes.
Le plan de relance pour la ville, décidé par le gouvernement d'Alain Juppé, prévoyait pour les délinquants les plus asociaux et récidivistes, les plus déstructurés, une solution alternative à l'incarcération. La « dernière chance » pour eux, pour ces « sauvageons », c'était de les éloigner de leur quartier, du lieu de leurs délits ; de les placer en «séjour de rupture » d'une durée de trois mois, dans de toutes petites unités.
À peine arrivés au pouvoir, les socialistes, pour des raisons idéologiques, ont mis un terme à cette expérience et fermé la douzaine d'unités à encadrement renforcé qui avaient été ouvertes, malgré le rapport d'inspection ministériel qui a souligné leurs effets qualitativement significatifs.
Aujourd'hui, tout ce que les socialistes dénonçaient hier comme absurde, dangereux, irréaliste, comme des atteintes inacceptables aux droits de l'Homme, à la République, est devenu par miracle intelligent souhaitable, nécessaire et même républicain, pour ne pas dire citoyen. La conversion de M. Jospin est admirable. Elle doit laisser pantois bon nombre de socialistes. J'en connais même qui s'interrogent publiquement sur celle-ci. Est-elle sincère ?
LE FIGARO.
– Contestez-vous les chiffres officiels en matière de délinquance et de criminalité ?
Jean-Louis DEBRÉ.
– Absolument. Après avoir pendant plusieurs mois, caché les statistiques sur l'évolution de la délinquance et de la criminalité, et nié l réalité, le gouvernement a été contraint d'avouer la vérité. Il a reconnu une progression de 2,7 % des délits et des crimes dans notre pays. Or entre 1994 et 1997, la délinquance avait chuté d'environ 10 %, revenant à un niveau inférieur à celui constaté en 1991. Les statistiques enfin communiquées par le gouvernement font état d'une délinquance et d'une criminalité constatées par les services de police et de gendarmerie en nette hausse. Mais bon nombre d'actes de violence (le racket devant les écoles, les vols dans les transports en commun, bien des cambriolages, les vols d'autoradios, les dégradations de véhicules…) n'entrent pas dans cette statistique car ils ne font pas toujours l'objet d'un dépôt de plainte. Il faudrait donc doubler le chiffre officiel pour approcher la réalité.
C'est cette délinquance et cette criminalité-là que les socialistes ont cherché à minimiser depuis près de deux ans. Et nos compatriotes en sont exaspérés. Quand on lit dans vos colonnes (nos éditions du 14 janvier) les propos publics du secrétaire régional du Syndicat national des policiers en tenue (SNPT), Hubert Lortet, selon lesquels les policiers de Toulouse avaient reçu l'ordre « de ne pas intervenir » quand les voitures brûlent ou en cas d'émeute, on ne peut que comprendre l'angoisse des Français.
LE FIGARO.
– Quelles sont les mesures que vous reprochez au gouvernement ?
Jean-Louis DEBRÉ.
– Le gouvernement est responsable de la dégradation de la situation. Pendant longtemps, il s'est grisé avec des mots, des phrases, des colloques, il a cru ainsi semer l'illusion. L'examen à l'Assemblée nationale du budget du ministère de l'Intérieur est le témoignage de son irréalisme, les crédits pour la formation des policiers diminuent. La Police nationale est transformée insidieusement en entreprise de main-d'œuvre temporaire et sous-qualifiée. Des adjoints de sécurité, formés à la hâte, en deux mois, sont embauchés plutôt que des policiers titulaires, dont la formation de base s'étend sur quatorze mois.
Aujourd'hui, le gouvernement n'est plus crédible. Dans ce domaine comme dans d'autres, Lionel Jospin est le chantre de l'immobilisme actif… Toute sa stratégie consiste à renvoyer à plus tard les conséquences de ses décisions.
LE FIGARO.
Quelles mesures réclamez-vous ?
Jean-Louis DEBRÉ.
Le premier ministre va-t-il condamné publiquement la préface de son secrétaire d'Etat à la Santé Bernard Kouchner, au rapport de mission interministérielle et ainsi désavouer son ministre de la Justice ? Le premier ministre va-t-il augmenter les crédits de la Police nationale dans le collectif budgétaire ? Va-t-il débloquer les crédits nécessaires pour reprendre l'expérience des « unité a encadrement renforcé », et ainsi désavouer son ministre de la Justice ?
Le premier ministre va-t-il demander au garde des Sceaux de recommander aux magistrats du parquet de se faire déférer tout jeune mis en cause dans une procédure ? Va-t-il l'inciter à suggérer au parquets de ????? des juges pour enfants comme la loi l'y autorise, à placer sous tutelle les allocations familiales de certaines familles ?
Le premier ministre va-t-il faire taire ses ministres, quand des maires décident d'interdire a de jeunes enfants de traîner la nuit dans certaines rues ? Va-t-il proposer au Parlement un projet de loi pour permettre la détention provisoire de mineurs âgés de moins de seize ans ?
Le premier ministre va-t-il demander la comparution immédiate devant la justice des mineurs délinquants récidivistes ?