Article de M. Philippe Herzog, membre du bureau national du PCF, dans "Le Monde" du 8 décembre 1995, sur la nécessité d'une participation de tous les acteurs (salariés, syndicats, État) dans la gestion de la Sécurité sociale et du système économique et politique, intitulé "Dépasser l'échec de 1968".

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Dépasser l'échec de 1968 par Philippe Herzog

Jacques Chirac avant promis d'engager une politique qui conjuguerait progrès social et redressement national. Beaucoup de Français ont conscience qu'il les appelle maintenant à ses sacrifices stériles qui tourneraient le dos à une telle perspective. Loin de préparer l'amélioration de l'emploi, les prélèvements supplémentaires sur les salariés vont plonger le pays dans la récession.

Mais, ce faisant, le gouvernement ne fait qu'aggraver les politiques de ses prédécesseurs. Depuis plus de dix ans, ils ont renoncé à une politique de développement national et soumis le pays à la loi des marchés financiers qui imposent une sévère déflation sociale. Après la chute de nombreuses industries, les services publics sont minés. Notre système économique prend l'eau. Les gouvernements, abusant de leur position de pouvoir, masquent cette réalité que les Français pressentent, et ils se coupent de la société.

Hier cantonné dans le rejet des réformes, le mouvement social a perdu nombre de batailles. Avec lui, je ne veux pas aujourd'hui perdre à nouveau. La France a impérativement besoin de réformes. Mais si conserver les choses en l'état serait pure illusion, il y a des réformes faut-il et comment les accomplir ? Voilà le débat qu'il faut imposer.

Réformer la sécurité sociale est un impératif. Mais le transfert des charges à la population et l'étatisation de la gestion conduisent à déresponsabiliser les entreprises et à pratiquer un rationnement discriminatoire.

Dans le système de gestion actuel, chacun est libre et les caisses paient. Mais une efficacité sociale accrue des dépenses n'est possible que si les salariés, les syndicats et tous les acteurs en assument directement les responsabilités dans un partenariat avec l'État. Il ne faut pas couper le lien entre l'emploi et la sécurité sociale mais, par une réforme de l'assiette des cotisations incitant à une meilleure efficacité du capital investi, responsabiliser les entreprises et les capitaux dans la création d'emplois.

Je comprends que mes amis d'Esprit soient exaspérés par l'ambiguïté du Parti socialiste, mais ce n'est pas une raison pour donner leur accord à une mauvaise réforme, comme beaucoup de Français l'ont fait hier de bonne fois en ratifiant le traité de Maastricht. Je constate que Lionel Jospin ne répond pas à ces questions centrales : va-t-on ou non dans ce pays revenir sur les privilèges accordés aux marchés et aux capitaux financiers ? Comment changer de politique économique et crever l'abcès de la monnaie unique ?

Le pouvoir peut être tenté par des élections législatives anticipées. Il y aurait là le risque d'un débouché politique amer pour ceux qui luttent, surtout si l'opposition ne parvient pas à amorcer une nouvelle construction politique. La négociation est nécessaire, et sa réussite exige de faire mûrir la conscience et la volonté d'autres solutions. Des propositions des forces de gauche sont donc indispensables.

Il est urgent de travailler à introduire massivement la participation dans le système économique et politique français

Aujourd'hui comme hier, les gouvernants campent dans les institutions de la Ve République. Demain il faudra enfin faire droit à l'exigence montante de consultation et de démocratie, par des réformes qui donneront des pouvoirs aux salariés, aux usagers et à tous les citoyens.

La gauche reviendra-t-elle au pouvoir dans l'ambiguïté ? Une politique de redressement national n'est possible qu'avec une autocritique en profondeur des gestions passées. Engager une autre politique économique exige de sortir de la pensée unique et de la posture d'élite éclairée. Quant aux communistes, ils sont au pied du mur de la construction d'une perspective. Alternance ? Non. Alternance ? Ne nous payons pas de mots. Mettre en cause des choix antérieurs, faire mûrir la conscience des solutions, aider les gens à vouloir prendre des responsabilités, c'est entreprendre un rassemblement national.

Les français veulent retrouver des pouvoirs sur leur devenir. Si l'on ne veut pas les tromper à nouveau, il faut reconstruire avec eux un pouvoir collectif national. Mobiliser la société, chaque entreprise, chaque région, sur des projets d'emplois, exige d'utiliser l'argent autrement ; et donc des réformes fiscales et financières qui rompent avec les spéculations, rentes, "fuites" et destructions de ressources.

Les missions de service public ne peuvent être redéfinies et assumées que si l'on empêche les opérateurs privés d'écrémer les services rentables.

Dans le public comme dans le privé, gérer autrement, voilà le défi. Pour l'assumer, les salariés et les populations devront conquérir des pouvoirs d'information et de délibération, avant la décision qui sera partagée. Les cheminots expriment une exigence de démocratie. Au-delà de la négociation, le droit de participer à la gestion est en filigrane, pour faire prévaloir des critères d'efficacité sociale.

Les gouvernements sont faibles. Les experts ont failli. Les partenaires sociaux se sont affaiblis. Les dirigeants politiques s'épuisent en batailles de camps et de places. La Ve est à bout. Il est urgent de travailler à introduire massivement la participation dans le système économique et politique français. Une cogestion conflictuelle sera nécessaire.

Dans la culture politique française, la revendication sociale se dirige vers l'État sans passer par les choix de gestion. Il faut faire bouger cette culture, et tenter de dépasser l'échec de 1968 : la tendance antiétatique présente dans un mouvement passionnément politique a été alors refoulée et dévoyée vers la délégation de pouvoirs au bénéfice d'une petite caste, au lieu d'être canalisé vers la participation du grand nombre.

Philippe Herzog est député européen et membre du bureau national du PCF.