Texte intégral
France Inter : Mardi 27 mai 1997
A. Ardisson : A. Juppé quittera Matignon lundi, quel que soit le résultat du deuxième tour. Une démission entre deux tours, on a rarement vu cela, c’est une première, encore une fois. Et chaque fois pourtant qu’il a été pressé de répondre à la question « resterez-vous ou pas ? », il répondait que ce n’était pas lui qui déciderait mais le Président de la République. Alors, l’aurait-il fait plus tôt, est-ce que ça aurait limité les dégâts pour la majorité ?
F. Léotard : D’abord, je crois qu’on ne peut pas consulter nos compatriotes et faire comme s’ils n’avaient rien dit. Ce qui s’est passé dimanche dernier, c’est vrai, c’est, pour nous, une leçon qui nous a été envoyé et donc il fallait en en tirer quelques conséquences. Alors, je crois qu’A. Juppé a pris sur lui-même de signifier ou d’incarner cette conséquence. Il y a là une certaine forme de civisme que l’on peut souligner. On a demandé aux français quelque chose, on leur a posé une question, ils nous répondent, vous l’avez vu, d’une façon un peu brutale. Eh bien, A. Juppé a pris sur lui-même de faire en sorte qu’il s’éloigne de la compétition après le deuxième tour.
A. Ardisson : Ce n’était ni votre scénario, ni votre calendrier de toute façon.
F. Léotard : Non. La dissolution, moi, je l’ai souhaitée, vous vous souvenez, nous en avions parlé, je l’ai dit à plusieurs reprises, elle aurait pu être bien sûr précédée par un remaniement et non pas suivie. Là, c’est l’autre scénario qui prévaut. Encore une fois les Français se sont prononcés, ils ont dit quelque chose au premier tour. Quelle est la situation maintenant ? Il faut que nous engagions la bataille du deuxième tour sur une perspective nouvelle, comme A. Juppé le permet aujourd’hui, avec une équipe nouvelle, comme A. Juppé le permet aujourd’hui avec une équipe nouvelle, avec un projet qui est mieux présenté, plus clair, plus audacieux et avec des perspectives différentes. Alors voilà, nous allons le faire. Moi, je ne ressens aucun abattement, aucun trouble comme je l’entends dire à gauche. On ne peut pas consulter les gens et ne pas tenir compte de ce qu’ils disent. Nous tenons compte de ce qu’ils disent et puis nous essayons de faire en sorte qu’ils n’aillent pas dans la direction d’une coalition dont on sait bien qu’elle n’est unie à peu près sur rien. C’est cela, la démocratie. Nous sommes devant un phénomène de démocratie vivante.
A. Ardisson : Mais qui va présenter ce nouveau projet, qui va le porter ? Est-ce le Président de la République ce soir ? Ou qui d’autre, parce que, d’une certaine façon, la majorité se retrouve pour conduire la bataille du deuxième tour sans chef, ou elle en a beaucoup ?
F. Léotard : Oui, c’est plus compliqué que ça. Quand on demande à 577 territoires d’élire un député, on ne leur demande pas de choisir un chef de guerre. On leur demande d’élire un député et donc de construire une majorité. Cela, c’est la première question qui est posée aujourd’hui. Dimanche soir prochain, vous n’aurez pas à 20 heures un Premier ministre. À 20 heures, vous aurez 577 députés à 20 heures ou à 22 heures. Ce n’est pas la même chose. Et avec ces députés qu’est-ce qu’on fait ? On fait une majorité. Cette majorité, ensuite, à la demande du Président de la République, elle soutient ou elle ne soutient pas un gouvernement. Encore une fois, je dis un gouvernement, pas simplement un homme, c’est-à-dire une équipe. Il faut revenir à la Constitution. La question qui est posée aux Français, ce n’est pas d’élire un Premier ministre, ce n’est pas non plus d’élire un Président de la République, ça a été fait et l’actuel Président de la République est là jusqu’en 2002. Et donc, il s’agit d’élire des députés. Est-ce qu’ils peuvent constituer une majorité ? Est-ce qu’ils peuvent s’allier et travailler ensemble pour un projet, un seul projet ? Voilà la question. Et donc, à l’issue de cette consultation, Le Président de la République choisira un Premier ministre, mais bien sûr en fonction de ce qu’auront dit les Français encore une fois.
A. Ardisson : Qu’attendez-vous de lui ce soir ? Que peut-il dire ? Que doit-il dire ?
F. Léotard : D’abord, je crois, souligner ce que représente une alliance et ce que représente l’autre alliance. C’est-à-dire montrer que, d’un côté, comme nous l’avons fait depuis 1958, il y a des valeurs communes, un projet commun des perspectives qui sont acceptées par chacun et une idée commune de la construction du continent européen. Et de l’autre côté, je crois, des gens qui ne sont pas d’accord sur chacun de ces points…
A. Ardisson : Mais ça, il l’a déjà dit. Il l’a déjà dit au premier tour. On ne peut pas dire que ça ait vraiment porté.
F. Léotard : … Premier point. Deuxième point : c’est dire avec un peu plus de perspective pour quelles raisons il a pris la décision d’utiliser l’article 12 de la Constitution et donc mettre la dissolution elle-même en perspective. J’avais cité moi-même quelques orientations, notamment quant aux institutions : donner davantage de pouvoir au Parlement, faire en sorte, à travers l’interdiction du cumul des mandats, à travers la décentralisation, à travers un renouveau des pouvoirs locaux de donner une perspective institutionnelle à cette dissolution. Troisièmement, rappeler les enjeux européens. Vous avez aujourd’hui une réunion européenne au sens large, très importante, entre l’OTAN et la Russie. Quelle est la position du Front national sur ce sujet, quelle de la gauche ? Je veux dire que là, ce sont des vraies questions. Nous avons une perspective, un projet sur ce sujet. Quelle est la position de nos adversaires ? Moi je ne la connais pas. Personne n’en parle d’ailleurs vous observez dans cette campagne. Je crois qu’il faut qu’il rappelle les grands enjeux européens qui sont devant nous.
A. Ardisson : Le mot changement a remplacé depuis dimanche le mot « nouvel élan ». Tout le monde parle de changement mais quel changement et surtout, quelle est la nature du message reçu par vous-mêmes, par vos alliés ? Comment recevez-vous le message envoyé par les Français ?
F. Léotard : Premièrement, je crois, un peu comme on le dit dans la médecine, que c’est le mot diagnostic qui convient. Quel est bon diagnostic sur dimanche dernier ? Mon sentiment est que c’est plus une démobilisation de l’électorat de droite qu’un engagement de l’électorat de droite qu’un engagement de gauche autour de L. Jospin et de son projet. Cette démobilisation nous pose problème. En d’autre termes, lorsque vous regardez bien les chiffres, il n’y a pas eu, en elle-même, une extraordinaire progression de la gauche mais il y a eu surtout un recul de la droite. Et donc notre diagnostic est de faire en sorte que nos électeurs comprennent mieux le message que nous leur avons adressé, qu’ils ne s’éparpillent pas entre un certain nombre de candidats et qu’ils mesurent ce que serait la victoire éventuelle de nos adversaires. C’est donc ce message. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que les thèmes que nous devons utiliser, le thème de l’ordre, de la sécurité, de la nation d’un côté, le thème de la liberté de l’autre, le thème du recul de la fiscalité, de l’entreprise, de l’initiative ; ces deux thèmes, l’ordre d’un côté, la liberté de l’autre, nous devons les articuler devant nos compatriotes. Cela, il faut le faire avec un peu plus de force, de clarté peut-être que nous ne l’avons fait pour le premier tour.
A. Ardisson : Certains, dans vos rangs, C. Goasguen, c’est de notoriété publique, trouvent que la campagne du premier tour n’a pas été suffisamment à droite, ce qui expliquerait le recul de la majorité. Est-ce que vous pensez qu’il faut rectifier le tir dans ce sens-là ?
F. Léotard : C’est un peu ce que je viens de dire. Il y a en France, je crois, une aspiration à ce que la République soit respectée elle-même, qu’elle puisse faire affirmer ce qu’elle veut par son Parlement. Il y a une aspiration aussi à beaucoup moins de règlements, de normes, de contraintes, de bureaucratie et cette double aspiration, qui n’est pas contradictoire mais qui est celle traditionnelle d’un électorat modéré, eh bien, nous devons l’incarner. D’un côté, la lutte contre l’immigration clandestine je prends cet exemple la sécurité des biens et des personnes et de l’autre, la liberté et l’initiative, le rôle de l’entreprise, la place faite à la responsabilité. Je crois que c’est cette articulation entre ces deux volets d’une politique libérale au vrai sens du terme, c’est-à-dire fondée sur la liberté mais consciente de la nécessité d’un ordre public, je crois que ce sont deux volets qu’il faut que nous présentions maintenant aux français. On sait bien que, pendant quatorze ans, c’est le contraire qui a été fait sous les deux septennats de F. Mitterrand.
A. Ardisson : Rien que dans le Var, le Front national est en tête dans quatre circonscriptions sur sept. Le Parti socialiste a dit que là où il le pourrait, il se retirerait pour qu’il ne soit pas élu. De votre côté, on est beaucoup plus hésitant et la stratégie de front républicain ne fait pas recette. Qu’est-ce que vous allez faire ?
F. Léotard : Il n’y a pas d’hésitation, vous savez. Nous avons adopté ensemble une stratégie qui est très simple : ne pas céder aux provocations et aux oukases qui sont exprimés avec une grande vulgarité par Monsieur Le Pen et en même temps, maintenir nos convictions à travers nos candidats. C’est tout à fait clair. Le Front national se maintient partout, vous l’avez observé, en prenant sciemment le risque de faire élire la gauche. D’ailleurs, cela prolonge les propos qu’avait tenus J.-M. Le Pen : plutôt Jospin que Chirac. Il n’y a aucune raison qu’un candidat qui vient de chez nous, qui présente notre drapeau, nos couleurs, renonce lui-même à ses convictions. Et donc, nous continuons à maintenir, partout où nous le pouvons, les candidats qui défendent nos convictions.
RMC : Jeudi 29 mai 1997
P. Lapousterle : Nous sommes à quelques heures d’un scrutin difficile, on n’a pas le sentiment que votre camp, la majorité, est saisi de la rage de gagner ni même d’un optimisme visible ?
F. Léotard : Moi, je n’emploie pas le mot rage parce que je crois que c’est un peu fort mais la volonté de se battre, la volonté de gagner, nous l’avons. L’optimisme, je ne sais pas si c’est le bon mot. La confiance, oui. Moi, je peux vous dire que nous nous battons tous les jours, toutes les heures, pour faire en sorte que ce sentiment de confiance, d’abord sur notre avenir, confiance en nous-mêmes, puisse prévaloir. J’ai le sentiment d’ailleurs que, depuis quelques jours ou quelques heures, il y a un petit déclic qui s’est produit. Un certain nombre de Français je ne dis pas regrettent ce qu’ils ont fait au premier tour, c’est la nature d’un premier tour…
P. Lapousterle : Réfléchissent ?
F. Léotard : Réfléchissent et voient très bien quelques-unes des conséquences de ce que serait une cohabitation dans ce sens-là et aussi longtemps. Voilà, moi j’ai une grande confiance dans le résultat de dimanche prochain et je me bats pour ça. On ne gagne pas une bataille dans le scepticisme.
P. Lapousterle : Le discours du Président a beaucoup ménagé l’opposition actuelle, non ?
F. Léotard : Moi, j’ai écouté avec attention, j’ai vu qu’il a dit qu’il fallait refuser les idées socialistes, c’est et ce que je dis et ce que je pense. Il a, je crois aussi, montré qu’une des vertus qui a fait défaut dans cette campagne, c’était aussi la tolérance. Je pense que l’on peut refuser des idées et en même temps avoir une attitude de tolérance vis-à-vis de la société qui les exprime. Ce n’est pas parce que les français s’expriment dans ce sens-là qu’ils sont de mauvais citoyens. Donc, je crois qu’il faut redonner à ce débat la tolérance nécessaire. Il y a des forces intolérantes actuellement à l’œuvre dans la société française, qui refusent l’autre. Moi, je pense qu’il faut être dans une attitude politique qui dialogue, qui bien sûr écarte une certain nombre d’idées mais sans mépriser celui qui les exprime. Je pense que le Président, de ce côté-là, a non pas accepté la cohabitation par avance mais a fait œuvre de tolérance.
P. Lapousterle : Certains français, vous le savez bien, évidemment, pensent que leur avenir serait mieux protégé si le pouvoir politique est plus partagé qu’il ne l’est. En d’autre termes, ils pensent que la cohabitation serait pour eux une meilleure garantie de leur sécurité. Est-ce qu’on peut leur donner tort ?
F. Léotard : Moi, je souhaite leur donner tort mais là aussi avec respect de cette conception des choses. D’abord le désir de cohabitation, c’est une forme de schizophrénie. On est tous peut-être un peu comme ça, c’est-à-dire avec en nous, deux personnalités. Mais le peuple français peut-il se payer le luxe d’être le matin libéral et le soir socialiste ? Peut-il se payer le luxe d’être le matin pour l’Europe et le soir contre l’Europe ? Et on pourrait multiplier les exemples : le matin pour l’État et le soir pour l’entreprise, le matin pour le marché et le soir contre le marché. Je veux dire simplement qu’il y a beaucoup de raison qui devraient nous pousser à refuser la cohabitation. D’abord, l’ampleur, la gravité des enjeux qui sont devant nous, qui supposent un peuple cohérent, fort, convaincu ; deuxièmement, le fait que cette cohabitation, elle n’est pas à deux, elle est à trois ; c’est-à-dire un Président de la République qui va dire « oui » à la monnaie unique, un Premier ministre qui dit « peut-être » et un communiste, derrière lui, qui dit « non ». Ce n’est pas vraiment le même schéma. Et enfin, ça dure cinq ans. Donc, je crois que les institutions pourraient être très lourdement malmenées dans cette hypothèse. Je préfère prendre date, il faut que les Français le sachent, cela ne se passera pas aussi bien qu’ils le pensent aujourd’hui et cela a plutôt des chances de mal se passer.
P. Lapousterle : C’est curieux, lorsque vous disiez : « peut-on être pour le marché le matin et pour l’État l’après-midi », je pensais aux différences qui séparent M. Séguin et M. Madelin.
F. Léotard : Mais c’est aussi à eux que ce discours s’adresse. Ce que j’ai ressenti dans ce débat…
P. Lapousterle : Hier ?
F. Léotard : Non, je ne parle pas uniquement de celui-là mais dans ce débat de la campagne, de ce mois de campagne, c’est un fort désir de cohérence. Si vous êtes à droite, très bien, vous avez le droit de l’être mais soyez cohérent, n’augmentez pas la fiscalité. Si vous êtes à gauche, c’est très bien, vous avez droit de l’être mais soyez cohérent, n’allez pas développer l’inégalité ou l’injustice, ce qui a été le cas pendant les septennats de M. Mitterrand. Il y a un besoin de cohérence et de certitude dans les convictions. Je crois qu’il faut être libéral dans le monde qui nous attend, tous les autres pays autour de nous le sont. Et donc, on ne peut pas être un petit bout d’alouette libérale et un gros morceau de cheval socialiste. Cela, ça ne marche pas. Et je pense pour ma part qu’il faut faire attention, encore une fois, à cette présentation des choses qui prend un peu à chacun un petit morceau du pâté.
P. Lapousterle : De ce point de vue, M. Léotard, quel a été votre sentiment lorsque vous avez vu le libéralisme et l’étatisme ensemble défendre les couleurs de la majorité ?
F. Léotard : Moi, je dis simplement : il faudra choisir. Et c’est peut-être parce qu’on n’a pas choisi, depuis deux ans, que nous sommes dans cette situation.
P. Lapousterle : Il faudra choisir avant l’élection ?
F. Léotard : Cela serait mieux.
P. Lapousterle : On a vu récemment M. Séguin et M. Balladur, ou directement ou par amis interposés, laisser entendre qu’ils seraient prêts à aller à Matignon. Vous avez une préférence ?
F. Léotard : Encore une fois, je le dis depuis plusieurs jours…
P. Lapousterle : C’est important pour les français. Est-ce que vous ne pensez pas, pour poser la question autrement, que l’électeur de la majorité est frustré de ne pas savoir qui serait Premier ministre, qui incarnerait la politique du gouvernement s’il votait majoritaire ?
F. Léotard : C’est une vraie question posée à un régime parlementaire. En Angleterre, si les travaillistes gagnaient, on savait que ce serait M. Blair parce que c’est un régime parlementaire. En France, nous sommes dans un régime mixte mais à dominante présidentielle, où c’est le Président qui décide. Et à l’extrême, il peut décider ce qu’il veut, bien sûr sous réserve que le Parlement ensuite soutienne le Premier ministre. Mais on dit tous Jospin aujourd’hui : il peut choisir Delors, il peut choisir Lang, il peut choisir Mme Guigou. Je veux dire que c’est son choix. Alors, ce que je souhaite tirer de votre question, c’est une évolution, qu’on ne reste pas dans cette ambiguïté n’est pas porteuse de démocratie dans les temps qui nous arrivent.
P. Lapousterle : C’est urgent ? Les élections sont dans trois jours.
F. Léotard : Non mais ce sera probablement, nous l’avions proposé nous-même et peut-être M. Jospin le fera-t-il, mais ce sera probablement ce qui va passer à partir de lundi matin.
P. Lapousterle : Une question que se posent aussi les français à laquelle je voudrais bien que vous répondiez ce matin. Les français ont l’impression que lorsqu’on leur promet en même temps plus de liberté et plus de sécurité, le mensonge est à la clef. Est-ce que vous croyez que les deux sont vraiment possibles, c’est-à-dire qu’on peut vraiment faire que les français aient plus de liberté et en même temps qu’ils aient plus de sécurité ?
F. Léotard : Si je suis là où je suis, c’est-à-dire avec la reprise de toutes les traditions libérales françaises depuis plusieurs siècles, c’est que je crois que le premier thème, celui de l’ordre, du respect de la loi, est un thème majeur pour les libéraux. Il faut de l’ordre dans une société, il faut des lois, il faut le respect de la loi, il faut la nation. Et le deuxième volet, ce sont tous les thèmes de liberté. Il faut de l’ordre dans une société, il faut des lois, il faut le respect de la loi, il faut la nation. Et le deuxième volet, ce sont tous les thèmes de liberté. Il faut, j’allais dire presque pour compenser ce premier volet, beaucoup de liberté : liberté individuelle, liberté de pensée, liberté d’autonomie de la justice, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, etc. Et que c’est cette articulation entre d’un côté l’ensemble des questions d’ordre mais il faut de l’ordre et l’ensemble des questions de liberté qui fondent probablement l’essentiel du message libéral. Vous retrouverez ça tout le long du XIXe siècle, tout le long du XVIIIe siècle. Et si vous n’avez pas l’ordre, vous avez l’anarchie et si vous n’avez pas la liberté, vous avez le despotisme.
P. Lapousterle : Mais le problème, c’est que le passé et les expériences étrangères actuelles ne militent pas en faveur de votre hypothèse ou de votre rêve ?
F. Léotard : Mais je ne suis pas un libéral malheureux. Je veux dire que je persiste à penser qu’une société qui oublie l’ordre s’égare et une société qui oublie la liberté, elle s’égare aussi. Donc, cette conciliation difficile, quotidienne, je voudrais la réussir parce qu’encore une fois, c’est le vrai message de tous les B. Constant, les Guizot, tous les libéraux du XIXe et du XVIIIe siècles qui nous ont enseigné cela. Ce n’est pas une doctrine force ni fumeuse, c’est simplement la rigueur dans l’indépendance de l’individu, sa liberté et en même temps, sa nécessaire vie en commun, vie en société. Je crois qu’il y a là quelque chose que nous devons continuer à développer, c’est beaucoup mieux que le socialisme parce que ça marche, d’abord, quand on le fait et surtout, ça respecte la liberté de chacun.
P. Lapousterle : Est-ce que le Front national sera l’arbitre, dimanche prochain, de l’élection législative française ?
F. Léotard : Il faut faire en sorte que non. Ceux d’entre nos compatriotes qui pensent cela se livrent à une formation politique qui n’a aucune espèce de possibilité de gouverner, ça on le sait bien, avec aucun allié et qui, en même temps, fonde son discours sur l’imprécation. Il faut qu’on lise, il faut que les français lisent les projets si j’ose dire ou le programme du Front national : il n’y a rien. Que disent-ils sur l’accord que nous venons de signer avec la Russie, que disent-ils sur la réforme de la Sécurité sociale, que disent-ils sur certain nombre de sujets majeurs comme l’exercice de la médecine libérale, etc. ? Rien, rien.
P. Lapousterle : Et portant, ils ont 15 % des voix.
F. Léotard : Et oui, parce que c’est de la rouspétance, parce que c’est de l’imprécation, c’est de l’anathème. Est-ce qu’on fonde un pays majeur aujourd’hui, à l’aube du XXIe siècle, sur l’imprécation et sur l’anathème ? Je ne le crois pas. J’appelle ceux qui sont dans cette situation après tout, il y a peut-être des raisons bien entendu de faire en sorte que leur vote soit positif et non pas négatif. C’est détruire, disent-ils, c’est un vote de destruction. Je ne vois pas en quoi ça peut aider quelque citoyen français que ce soit. Et mon sentiment est qu’il faut bien qu’ils soient face à leurs responsabilités. On ne peut pas construire un pays dans des mots négatifs, dans des attitudes négatives, dans un projet négatif.
P. Lapousterle : Et pourtant, si la majorité reste la majorité dimanche prochain, c’est probablement à cause des électeurs qui ont voté Front national au premier tour ?
F. Léotard : Vous savez, on fait des constructions en bois avec un voile noir qui s’appellent isoloirs. Ce sont des machins qu’on met dans les mairies justement pour protéger la conscience des citoyens. Moi, je suis assez attaché à ça. Et j’ai vu, dans des pays despotiques, la nécessité imposée par le pouvoir de montrer pour qui ont allé voter avant. C’est honteux, c’est affreux, c’est terrible. Donc, on fait ces constructions-là pour que chaque français ait la liberté, en conscience, dans le secret de sa conscience, de faire ce qu’il entendait, de respecter les isoloirs si vous me permettez de le dire !
P. Lapousterle : Pour finir, je vous demanderais votre appréciation du projet de M. Le Pen ce soir de délivrer des indulgences à certains candidats de votre camp dont il a envie qu’ils soient élus dimanche prochain.
F. Léotard : Je crois que ça contribue à l’image très justement négative de M. Le Pen. On n’est pas dans un pays où on accroche aux gens, si vous me permettez de le dire, des étoiles. On n’est pas dans un pays où on fait des listes de proscriptions, on n’est pas dans un pays où se sert ainsi de tribune pour menacer les uns ou pour encourager les autres. Cela, c’est un système qui a montré ce qu’il était capable de générer. Et donc, il faut bien aussi qu’on le sache. Ce mécanisme-là de dénonciation, de délation, de mise en accusation publique, de proscription, ce mécanisme-là est pervers. Je souhaite que les Français le sachent là aussi : on est en train de revoir des attitudes, des comportements qui sont inadmissibles dans une société comme la nôtre.
P. Lapousterle : Si le sort des urnes était défavorable à votre camp dimanche prochain, que feriez-vous lundi matin ?
F. Léotard : Je ferai mon métier de député parce que je serai élu, je le pense, je fais tout pour ça et je ferai mon métier de député et de maire de base, ce que j’ai fait je me permets de vous le dire sur 20 ans de vie publique pendant dix ans déjà. Je sais ce que c’est que l’opposition mais je serai un opposant, croyez-le, très sérieux à ce qui est en train de se faire si jamais ça se faisait.
P. Lapousterle : Et vigilant ?
F. Léotard : Très vigilant !