Interview de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, à RTL le 7 décembre 1998, sur la proposition de M. Jacques Chirac d'un service minimum dans le secteur public en cas de grève, notamment dans les transports et la notion de rentabilité des services publics.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - J. Chirac propose un service minimum dans le secteur public en cas de grève et 82 % des français l'approuvent selon un sondage de l'IFOP publié par le journal du dimanche.

 - « Je dois dire que si le président de la République visait une résonance médiatique à son discours de Rennes, il était gagnant avant de jouer en parlant d'une question qui est effectivement présente dans les débats depuis des années et des années. Je crois qu'il faut être clair, notamment dans un service public comme les transports où, en définitive, le service minimum aux heures de pointe, c'est ce que subissent les usagers tous les jours. Vouloir instaurer un service minimum, c'est mettre en cause le droit de grève. »

Q - Alors que dites-vous à ces 82 % des français, y compris des électeurs socialistes et communistes ?

 - « Je comprends tout à fait que les usagers vivent mal les difficultés qui résultent des arrêts de travail. Mais je pense que la question fondamentale est bien de savoir comment s'y prendre et quels moyens se donner pour régler les problèmes. Avant toute chose, je voudrais dire très nettement et très clairement : nous ne laisserons pas porter atteinte au droit de grève. Que cela se fasse de façon larvée, le droit de grève, c'est l'élément fondamental d'expression des contradictions d'une société qui n'en manque pas. Et toucher au droit de grève, c'est toucher à la démocratie. Ceci étant, on parle beaucoup, par exemple, du préavis. Mais enfin, sur la question des effectifs, ça fait des années que la direction est en présence de demandes qu'elle reconnaît elle-même légitime de la part des cheminots - puisqu'il s'agit des cheminots en l'occurrence. Et jusqu'à maintenant, sur ce terrain des effectifs, les réponses tardent à venir. »

Q - Mais sur le service minimum, il existe, dans les pays voisins de la France : en Allemagne, les fonctionnaires n'ont pas le droit de grève, pourtant, c'est un pays démocratique.

 - « Mais je vous ferai remarquer qu'en définitive, quand on regarde la situation des transports, les conditions dans lesquelles les usagers sont transportés, il faut quand même bien voir que sur certaines lignes de banlieue, aux heures de pointe, on transporte les usagers comme du bétail. ET je crois que les cheminots ont raison de dire : nous voulons un service maximum et pas un service minimum. »

Q - D'accord, mais ça ne répond pas au problème de la grève. N'y a-t-il pas un recours un peu trop systématique, à la SNCF ? 20 % de journées perdues pour cause de grève, en France, proviennent de la SNCF. Ce n'est pas un recours un peu abusif à la grève ?

 - « Quelle question ça pose ? Un, ça pose la question du dialogue social dans une entreprise comme celle-là. Manifestement, la SNCF est une entreprise qui souffre d'une absence de dialogue social depuis des années. Depuis des années, les cheminots posent le problème des effectifs. Or en 15 ans, on a supprimé 80 000 emplois. Le Gouvernement et la direction de la SNCF, aujourd'hui, disent : l'an prochain, on ne supprimera pas d'emplois et il présente ça comme une rupture par rapport à la politique passée. Mais le problème, c'est de créer des emplois parce c'est quand même insupportable de penser, de savoir qu'un certain nombre de trains visant à transporter du fret ne partent pas parce qu'il n'y a pas assez d'effectifs. »

Q - Vous parlez emploi mais encore une fois, personne ne conteste le droit des cheminots à réclamer, à revendiquer. Mais c'est la méthode de la grève. Regardez à la RATP : il y a eu un accord d'entreprise qui permet de résoudre les conflits avant le recours à la grève mais la CGT ne l'a pas signé. Pourquoi ? Vous tenez à la grève tant que ça ?

 - « Il faut avoir en mémoire toute l'évolution de la situation du droit de grève dans les services publics. On a instauré, il y a près de 20 ans maintenant, dans les services publics, un préavis de grève. Ce préavis de cinq jours était fait soi-disant, lorsqu'il a été instauré, pour que s'ouvrent des discussions et pour trouver des solutions aux problèmes. Je vous mets au défi de citer un seul exemple où le préavis a servi, je ne dis pas à trouver des réponses, mais au moins à engager le dialogue. Jamais ! Jamais ! Je crois qu'il y a vraiment un problème de conception. Parce qu'il faut quand même toujours garder à l'esprit que lorsqu'une grève se déclenche, lorsque des salariés décident de sacrifier une partie de leur salaire parce qu'ils considèrent qu'ils en ont assez et qu'ils ne peuvent plus supporter la situation qui leur est faite, il y a quand même des raisons profondes. »

Q - La CGT n'a rien de plus à proposer, pas même à M. Gayssot qui pourtant, dit qu'il ne faut pas toucher au droit de grève, mais qu'il faudrait quand même que les cheminots aient les sens des responsabilités.

 - « Il faudrait quand même que les directions de l'entreprise et le Gouvernement prennent en compte le sérieux d'un problème lorsqu'il est posé depuis des années. Et le problème des effectifs, chez les cheminots, il est posé depuis des années. Je vais prendre un autre exemple : les syndicats viennent de claquer la porte dans les négociations sur les 35 heures à EDF-GDF. Pourquoi ? Parce que comme préalable à la discussion, la direction dit : il faut d'abord qu'on se mette d'accord sur le nombre d'emplois qu'on va supprimer. Mais enfin, oui ou non, il y a quatre millions de chômeurs dans ce pays ? Oui ou non il y a un problème d'emploi ? »

Q - Mais vous ne croyez pas aussi que les contribuables vont se dire un jour : vivement la mise en concurrence ou la privatisation parce qu'au moins, dans le secteur privé, il n'y a pas de grève.

 - « Mais vous savez, les contribuables.. »

Q - Ils payent tout de même.

 - « oui, ils payent et ils supportent des conditions de transport absolument épouvantables. Ils payent et comme la majorité de la population, ils ont tous plus ou moins, dans la famille, soit directement soit indirectement, des jeunes qui ne trouvent pas d'emploi, des adultes qui perdent leur emploi, des gens qui sont en situation d'instabilité permanente. Et est-ce qu'on va continuer de considérer que l'emploi, que le travail c'est un coût et une charge ? Je crois que là, on touche à des débats de fond. Nous avons besoin d'un service public qui fonctionne bien, qui assure la qualité, la fiabilité, la sécurité, et pour ça il faut du monde. »

Q - Mais sur les 35 heures, précisément, vous parliez d'EDF ; on pourrait parler de France Télécom, de la Poste et aussi de la SNCF. D'ailleurs, vous dites « réduction d'emplois » mais simplement, ces entreprises sont livrées à la concurrence, elles doivent être rentables.

 - « Et alors ? Oui elles doivent être rentables. Nous n'avons jamais défendu l'idée de laxisme dans les services publics. Nous sommes pour l'efficacité des services publics mais nous sommes aussi pour que le service public des transports, c'est de transporter les gens dans des conditions normales, de confort, de sécurité et de fiabilité »

Q - Les pays de la zone euro se sont mis d'accord pour une baisse uniforme des taux d'intérêt mais la contrepartie, c'est la réduction des déficits budgétaires, l'État doit dépenser moins.

 - « Je ne vois pas en quoi, d'une part, le fait que l'État cherche à dépenser moins devrait se traduire par une dégradation de la qualité des services public, par un affaiblissement des moyens de nos grandes entreprises nationales. Parce qu'on parle beaucoup de productivité, dans ce pays, mais si les entreprises françaises peuvent aujourd'hui se targuer d'un niveau de productivité qui leur permet d'affronter la concurrence, c'est bien parce qu'elles bénéficient de conditions de transport, de conditions de fourniture d'énergie que beaucoup de pays nous envient. C'est ça qu'on est en train... »

Q - Ça va chauffer sur les 35 heures ?

 - « Oui. C'est ça qu'on est en train de sacrifier ; et ça, on ne laissera pas faire ».