Texte intégral
RMC : Jeudi 11 avril 1996
P. Lapousterle : Vous approuvez la signature des contrats avec la Chine ?
M. Blondel : Je ne mélange pas les choses. Il y a un échange commercial et dans la limite où il y a des échanges commerciaux, cela peut éviter les frictions, la guerre, le conflit et j'aime autant ça. Cela ne veut pas dire pour autant qu'on doit oublier que la Chine se comporte d'une manière quelque peu curieuse, notamment avec les organisations syndicales quand elles veulent exister. Il y a un syndicat officiel et il y a des organisations syndicales qui voudraient pouvoir s'exprimer, c'est la raison pour laquelle j'ai revendiqué en écrivant au président de la République, au Premier ministre, au président de l'Assemblée nationale pour qu'on demande à Monsieur Li Peng de bien vouloir ratifier les normes fondamentales du BIT, le droit de faire des syndicats et de discuter.
P. Lapousterle : Vous avez reçu des réponses ?
M. Blondel : J'ai reçu une réponse du président de la République et j'ai reçu une réponse de M. Juppé.
P. Lapousterle : Et alors ?
M. Blondel : Ils se sont engagés, lors des entretiens, à en parler à M. Li Peng, je m'en félicite. Ne nous faisons pas trop d'illusions quand même sur les échanges commerciaux. Je ne connais pas d'échanges commerciaux, au niveau international, de cette importance, qui n'aient pas des contreparties. Ça veut dire en termes clairs : les Chinois vont nous acheter des avions, j'espère qu'ils tiendront parole, et en contrepartie il faudra qu'on leur achète autre chose. Il ne va pas y avoir un chèque de 10 milliards qui va rentrer comme ça dans la trésorerie de la France. Ça ne se passe pas comme ça.
P. Lapousterle : Vous approuvez l'intervention de la police pour fermer les ateliers clandestins ?
M. Blondel : Bien sûr qu'il faut arrêter ça, c'est l'exploitation la plus inhumaine qui soit, c'est quasiment le retour à l'esclavage. Maintenant, quant à la forme, il faut être prudent au moment où les clandestins rentrent en France. C'est là qu'il faut faire attention et c'est là qu'il faut essayer de les mettre dans des situations qui soient les plus claires et les plus normales possibles. Je condamne bien entendu le travail clandestin. Je rappellerai quand même que le travail clandestin, ce sont surtout les employeurs qui le provoquent, ce sont eux qui recherchent des gens, ce n'est pas l'inverse.
P. Lapousterle : Quelle est votre réaction aux ordonnances de réforme de la Sécurité sociale ?
M. Blondel : Trois choses. Je n'ai pas changé sur le plan Juppé. Je considère que c'est toujours une mécanique de destruction de la Sécurité sociale sous forme d'abord de nationalisation pour ensuite, retomber dans la remise en cause du niveau des prestations et des remboursements et la limitation des besoins et des équipements. Ceci étant, je suis contre le principe des ordonnances. Je rappelle que M. Juppé avait dit que la réforme de la Sécurité sociale donnera lieu à un grand débat. Il y a eu cette mascarade dans les CESR et puis maintenant, il n'y aura même pas un débat parlementaire. Troisièmement, quand on regarde le texte des ordonnances, permettez-moi de vous dire qu'il y a de quoi sursauter parce qu'on met en morceaux la Sécurité sociale, on la met sous la coupe vraisemblablement de haut-fonctionnaires. Les structures régionales seront certainement dirigées par des énarques.
P. Lapousterle : Vous êtes pour la régionalisation ?
M. Blondel : Non, parce que pour moi, ce sont les permisses d'une véritable régionalisation, remise en cause de la péréquation nationale. On va remettre en cause la notion de solidarité et la notion d'égalité, ce qui me semblait être une des caractéristiques de la Sécurité sociale dans ce pays et ce qui faisait la différence entre la Sécurité sociale et la compagnie d'assurance.
P. Lapousterle : Mais on n'avait pas les moyens de payer comme ça ?
M. Blondel : Mais qu'est-ce que vous me racontez encore ? Je veux bien qu'on discute de ça pendant dix ans mais il faut au moins qu'on ait les mêmes fondements. Je suis d'accord pour dire qu'il y a un problème de vieillesse parce que là, on n'y peut rien, c'est le rapport entre actifs et inactifs et compte tenu qu'on vit plus longtemps maintenant, effectivement il y a un problème de fond. Mais en ce qui concerne l'assurance-maladie, 34 milliards de déficit en 1994, j'ai démontré que les déficits en question n'étaient pas imputables à l'assurance-maladie mais justement à l'État qui ne prenait pas ses responsabilités. L'État, qui a maintenant tout récupéré, se figure qu'il va faire des économies. Sauf erreur de ma part, M. Arthuis n'a pas déjà annoncé qu'à la place de 17 milliards de déficit il pourrait y avoir 40 ? Moi, je vous annonce qu'il y a en aura 60. Ils ont mis debout un système tel que vous verrez que cela ne limitera rien, sauf si on touche maintenant aux remboursements. Si on touche aux remboursements, si on ferme des hôpitaux, effectivement il y aura des économies. Le problème est de savoir si la Sécurité sociale sera encore la Sécurité sociale.
P. Lapousterle : Vous prévoyez des actions ?
M. Blondel : C'est aujourd'hui que les choses vont évoluer. Dans le secteur des DASS et des DRASS, de l'administration de la Sécurité sociale, il y a un mécontentement très fort. J'ai eu mécontentement très fort chez les directeurs de la Sécurité sociale et vous savez que nous sommes assez fortement implantés. Et puis j'ai un mécontentement naissant chez les hospitaliers. Cela veut dire que je vais travailler.
P. Lapousterle : Travailler à quoi ?
M. Blondel : Travailler avec mes amis pour essayer de voir comment nous pourrions fixer un objectif et le cas échéant, essayer de prendre les initiatives nécessaires pour avoir satisfaction.
P. Lapousterle : Vous pensez à des arrêts de travail ?
M. Blondel : Peut-être des arrêts de travail, je ne sais pas exactement la formule mais ça fait partie de la discussion que j'aurai avec mes camarades aujourd'hui. À l'intérieur de Force ouvrière, les militants sont très attentifs, ils acceptent mal cette espèce de réforme faite aux forceps dont on doute beaucoup du résultat.
P. Lapousterle : Le vice-président de la CNAM dit que si FO n'est pas d'accord avec la réforme, elle devrait abandonner la présidence de la CNAM ?
M. Blondel : Je sais que cette histoire fait beaucoup saliver. M. Jolles est vice-président de la CNAM et à ce titre, il devrait défendre les intérêts de la CNAM. Il n'y a pas de contradiction dans le fait que M. Jolles est à la fois vice-président de la CNAM et en même temps président de la fédération du textile, et que ladite fédération du textile a obtenu ces jours derniers l'exonération des cotisations sociales. Est-ce qu'il n'y a pas là pour M. Jolles une véritable interrogation. En tout cas je la lui pose, à savoir si cela ne le travaille pas un peu. Deuxièmement, M. Jolles défendait il y a quelque temps encore le paritarisme intégral patrons-syndicats. Or l'ordonnance, c'est un paritarisme patrons-syndicats, plus la mutualité, plus les personnes qualifiées. M. Jolles ne dit plus rien, il a abandonné ses positions. Troisièmement, j'ai ici quelque chose de M. Jolles : « Je serai aux côté des médecins pour défendre la médecine privée libérale ». Regardez, il va bientôt manifester avec les médecins libéraux dans quelques jours. Tout le monde a ses contradictions. Moi, j'essaie de me bagarrer contre une réforme que je trouve absolument mauvaise pour les salariés. Eh bien je vais essayer de tenir jusqu'au bout. Après, je suis suffisamment pragmatique pour prendre les décisions qu'il faudra et je n'ai pas besoin des conseils de M. Jolles.
Force ouvrière hebdo : 24 avril 1996
Discours prononcé le 24 avril 1996 par Marc Blondel à la mutualité
Mes chers camarades mes chers amis,
Ce 24 avril 1996 s'inscrit pour la Sécurité sociale, pour les droits des salariés, chômeurs et retraités dans une triste lignée.
Celle qui, de l'instauration du ticket modérateur en 1958, aux ordonnances néfastes de 1967 et à la loi de compensation démographique de 1974, s'évertue à remettre en cause la Sécurité sociale comme structure solidaire et égalitaire. La générosité s'efface devant la froideur économique, comptable et technocratique, la fracture sociale est oubliée au profit de la pensée unique.
En novembre/décembre 1995, des millions de manifestants ont marqué leur attachement au rôle et à l'esprit de la Sécurité sociale. Plus largement, ils ont crié leur rejet d'une conception par trop éloignée de leurs problèmes quotidiens et qui renvoie toujours au lendemain la prise en compte de leurs intérêts.
Les salariés n'admettent pas, ou n'admettent plus, que les engagements à lutter contre le chômage, à préserver les droits fondamentaux voient leur réalisation repoussée continuellement à l'horizon.
En se manifestant, en exprimant publiquement leur mécontentement, ils ont retrouvé la dignité de ceux qui ont trop souvent aujourd'hui l'impression d'affronter un rouleau compresseur : celui du libéralisme économique en lutte permanente contre les droits collectifs.
Avec beaucoup de mal, le gouvernement a reculé sur certaines de ses annonces, dont la suppression des régimes spéciaux et particuliers dans les domaines de la maladie et de la vieillesse. Il a également amendé ses intentions sur le rôle du Parlement et le caractère couperet du taux de progression des dépenses.
Pour le reste, le gouvernement fait comme si novembre/décembre n'avait pas eu lieu, comme si novembre/décembre avait en quelque sorte été un exutoire ou un soubresaut.
Erreur fondamentale : ce que novembre/décembre a montré, c'est un renouveau et une détermination.
C'est la prise de conscience très forte que la société va dans le mur.
La seule question, mes chers camarades, que le gouvernement n'ose pas se poser est la suivante : une société peut-elle vivre durablement en écartant de plus en plus de monde, en fermant les yeux sur la réalité de la cohésion sociale, en laissant se développer les inégalités ?
En d'autres termes, quel est le rôle des formations politiques vis-à-vis d'une telle évolution, et comment concilient-elles leur rôle de représentation de l'intérêt général en démocratie ?
Cette question-là, mes chers camarades, ne pourra éternellement être éludée ou réservée aux campagnes électorales. Elle se pose concrètement. Elle est posée.
Avant le 15 novembre 1995, Force Ouvrière avait clairement fait connaître ses analyses et propositions.
Dès le 15 novembre, nous avons, publiquement et clairement, annoncé notre opposition sur ce qui nous semble être contraire aux intérêts des salariés : car c'est le rôle d'une véritable organisation syndicale.
Force Ouvrière n'a qu'une parole et qu'une logique.
Nous avons répondu aux consultations lors des différents ateliers. Nous y avons sérieusement fait notre travail.
Nous avons examiné les trois projet d'ordonnances soumis aujourd'hui au Conseil des ministres. Conformément à notre analyse, à nos positions et à nos responsabilités, nous avons donné des avis négatifs, motivés dans les différentes instances (Caisses nationales et Conseil supérieur des hôpitaux) qui ont été consultées.
La générosité s'efface devant la froideur économique, comptable et technocratique
Force est de constater que les (...) semblent plus importantes que les critiques sur le fond du dossier. Ainsi, avec une analyse critique proche de la nôtre, le patronat s'est prononcé favorablement. Et constatons enfin que toutes les organisations syndicales n'ont pas eu la même cohérence que nous puisque l'ordonnance sur l'hospitalisation, pour la CFDT, est acceptable à la CNAMTS et inacceptable au Conseil supérieur des hôpitaux.
Aujourd'hui, nous voulons précisément expliquer aux assurés sociaux ce que ces ordonnances vont changer dans leur vie.
Ils ont le droit de savoir, c'est un droit démocratique essentiel.
Le débat n'est pas qu'un débat d'experts sur l'architecture des caisses, le rôle des uns et des autres.
Concrètement, dans la vie de tous les jours des salariés, chômeurs et retraités, des choses vont changer, des droits vont disparaître ou être atténués.
C'est particulièrement vrai pour l'assurance-maladie, cible privilégiée des remises en cause.
Aujourd'hui, lorsqu'un assuré social s'adresse à la Sécurité sociale pour se faire rembourser, la Sécurité sociale vérifie que ses droits sont ouverts, que les papiers sont bien remplis, et rembourse.
Demain, le médecin, sous prétexte de régulation comptable, sera conduit à l'enregistrement de l'acte, des prescriptions, …
Très facile dès lors, dans un système étatisé, de constituer demain des fichiers pour les assurés : M. ou Mme Untel aura eu telle maladie (ou maladie supposée s'agissant d'un diagnostic), tel montant de prescriptions, tel arrêt de travail. Il aurait coûté tant à la Sécurité sociale ! À partir de là, on entrerait dans une autre logique : celle que connaissent bien les compagnies d'assurances privées, celle qui se base sur le risque et la rentabilité.
Précisions que nombreux sont les experts qui considèrent que le traitement annuel de milliards d'informations délicates ne peut pas être médicalement fiable. C'est avant tout un traitement statistique et comptable. Car entre un diagnostic effectué et la réalité d'une maladie, il peut y avoir un écart important. La médecine est un art, ce n'est pas une science exacte et les réactions de chaque individu, pour une même prescription, peuvent être différentes. Ces mêmes, informations, le médecin les consignera sr le carnet de santé, en possession de chaque assuré social. Quelles garanties peut-on avoir, lors d'une embauche par exemple, que l'employeur ne demandera pas à avoir connaissance de ce carnet, et que cela, officieusement, déterminerait l'embauche ? Ne constate-t-on pas déjà, aujourd'hui, le faible recours des candidats à l'emploi contre les atteintes à leur vie privée venant des employeurs ?
Force Ouvrière n'est, bien entendu, pas opposée à l'utilisation des moyens informatiques qui sont d'ailleurs déjà largement mis en œuvre. Mais ce qui nous importe, ce qui est essentiel pour les assurés sociaux, c'est que les règles établies garantissent l'indépendance de la prescription, des normes et références médicales non soumises aux intérêts mercantiles, une réelle qualité des soins. La libre prescription c'est cela, ce n'est ni la contrainte comptable, ni la liberté pour le médecin de faire n'importe quoi. Ces garanties-là, seule une gestion paritaire réelle peut les apporter. Autre conséquence des ordonnances : aujourd'hui, un médicament est remboursé s'il figure sur la liste des médicaments remboursables. Demain, il faudra en outre qu'il soit prescrit conformément à son utilisation. Cela dépendra de la nature du diagnostic posé, ce qui restreint par définition les remboursements. En clair, si le diagnostic établi est l'angine, il n'y a aucune raison pour qu'on vous prescrive un médicament dont l'utilisation définie ne prévoit pas l'angine.
Concernant le rôle du médecin libéral jusqu'aujourd'hui, cela relevait de la pratique conventionnelle avec les caisses. Cela se faisait progressivement et sérieusement, par accord entre les caisses et les professions de santé, sur des critères médicaux, non comptables. Cela aurait d'ailleurs encore mieux fonctionné si les gouvernements successifs n'intervenaient pas de manière intempestive.
Demain, la pratique conventionnelle risque d'être remisée par l'intervention et le rôle omnipotent de l'État. Des normes d'évolution des dépenses seront fixées, compte tenu des recettes prévisibles, c'est-à-dire de la politique économique menée. Celle-ci étant ancrée dans la restriction, on peut, sans risque, pronostiquer des taux serrés d'évolution des dépenses d'assurance-maladie. Je dis bien d'assurance-maladie car ce qui importe pour le gouvernement ce sont les dépenses remboursées, non les dépenses engagées par les assurés.
On peut s'interroger de la complicité, sur ce point, de ceux qui soutiennent avec une ardeur démesurée ces orientations. C'est bien encore la logique comptable qui prévaut. D'ailleurs, nulle part il n'est question de remettre en cause le secteur II, c'est-à-dire le secteur où les médecins fixent librement le prix de leurs consultations, en fonction du marché en quelque sort. Ça choque qu'un assuré se fasse trop rembourser. Ça ne choque pas que certains puissent payer 600 francs une consultation et d'autres les encaisser.
La norme une fois fixée, des sanctions sont prévues pour les médecins qui la dépasseraient. A contrario, s'ils sont en dessous, ils percevront une prime d'intéressement. Dans ces conditions, le gouvernement demande aux médecins de s'autocensurer et d'entrer eux-mêmes dans la logique du rationnement. Carotte financière pour les médecins, bâton pour les assurés sociaux. Cela va inéluctablement jouer sur le rôle du médecin. La libre prescription sera sérieusement remise en cause, par conséquent, une certaine conception de la médecine libérale.
Si en tant que salariés, nous avons toujours tenu à deux caractéristiques, à savoir : le libre choix du médecin par le malade et la liberté de prescription du médecin, c'est parce que nous ne voulons pas d'un médecin dépendant des choix économiques ou politiques d'un gouvernement, ou dépendant d'un employeur, ou dépendant d'une compagnie d'assurances ou d'un réseau intégré. C'est fondamentalement pour nous la garantie que seul le malade compte. Et ce n'est pas parce qu'aujourd'hui le système n'est pas parfait, qu'il faut y déroger largement.
D'ores et déjà, des laboratoires américains envisagent de vendre en France leur propre système de gestion. Et il a été fait état de constats avancés avec la FNMF et MG-France. D'ores et déjà, pour l'informatisation des cabinets médicaux, MG-France a créé une société anonyme, c'est-à-dire un fonds de commerce. Encore des exemples concrets de la signification des ordonnances pour les assurés sociaux : le gouvernement, sur la demande de MG-France, syndicat de médecins généralistes, veut expérimenter le passage obligé par le généraliste. Une évaluation financière a été faite sur les conséquences : cela coûterait cinq milliards de francs par an de plus à la Sécurité sociale. Les assurés sociaux sont-ils assez stupides pour aller voir un gynécologue s'ils ont mal à la tête, ou un ORL s'ils ont mal au pied. Par contre, nous devons renforcer une véritable coordination des soins.
Continuons : une des ordonnances examinées aujourd'hui par le Conseil des ministres prévoit, pour l'assurance-maladie, la mise en place d'un répertoire national interrégimes qui pourrait être accessible aux assurances privées. Encore un acte significatif de la démarche gouvernementale. Enfin le gouvernement, vraisemblablement dans son souci de privilégier le libéralisme économique, réautorise les cliniques ouvertes à l'hôpital, c'est-à-dire la possibilité pour un médecin extérieur à l'hôpital, d'utiliser les moyens matériels et le personnel de l'hôpital public. Tout cela correspond bien au cocktail rationnement/libéralisme économique et inégalités sociales, qui remet fondamentalement en cause les finalités et le rôle de la Sécurité sociale solidaire et égalitaire.
Force Ouvrière alerte donc publiquement les assurés sociaux. Un tract à plusieurs millions d'exemplaires va être prochainement diffusé et des réunions d'information seront organisées. Ce sont là bien entendu quelques-uns des éléments importants, les plus visibles pour les assurés sociaux.
Mais pour que ces conséquences voient le jour, il faut bien que l'État prenne le contrôle de la Sécurité sociale remette en cause le paritarisme, c'est pourquoi il étatise les structures et les modes de fonctionnement, y compris en se réfugiant derrière une apparence de démocratie, en rendant les parlementaires responsables des décisions dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale.
Si l'enjeu de la réforme était de donner au Parlement les pleins pouvoirs en la matière, n'aurait-il pas été pour le moins logique qu'il en déballe sérieusement, au fond.
Or, le gouvernement agit par ordonnances, sans débat parlementaire. D'ailleurs, le Parlement ne se prononcera-t-il pas à chaque fois sur un rapport présenté par le gouvernement ? Ne devra-t-il pas aussi se prononcer sur les régimes spéciaux et particuliers ?
De fait, on demande aux parlementaires d'avaliser les objectifs économiques, et ce sont eux qui porteront la responsabilité de la décision prise alors que par ailleurs le système sera de plus en plus étatisé. Il y a là, de la part du gouvernement, un jeu de mistigri vis-à-vis du Parlement. Le gouvernement serre la vis, mais entend en faire porter la responsabilité au Parlement.
L'étatisation s'inscrit à tous les niveaux : national, régional et local.
L'accent mis sur la régionalisation, tant en matière d'hospitalisation que d'assurance-maladie, laisse entrevoir à terme une régionalisation des droits et prestations. Partout, la logique comptable devient prédominante.
Le gouvernement dispose d'un fusil à deux coups. Le premier coup, ce sont les ordonnances qui décident de la prise de contrôle de l'État sur la Sécurité sociale, en quelque sorte une OPA sur les cotisations sociales. Cette prise de contrôle a pour fonction de bien montrer aux intervenants sur les marchés financiers et à nos interlocuteurs européens, que le gouvernement entend bien parvenir à limiter les déficits publics et sociaux. Il agit en la matière, comme il agit dans d'autres domaines du social, de manière interventionniste ou dirigiste. On prend le contrôle pour déréglementer avant de libéraliser.
La Sécurité sociale va-t-elle être sacrifiée aux dogmes économiques ? Elle sera sous double tutelle : l'État et la Banque de France.
Quand on sait que certains économistes veulent limiter arbitrairement l'évolution des dépenses de santé à celle de la croissance économique, cela pourrait conduire à restreindre les dépenses en période de crise, les laisser s'accroître en période de croissance, ce qui est contraire aux besoins sociaux qui sont plus importants en période de difficultés économiques. Le deuxième coup est déjà perceptible. Étant donné que le gouvernement s'enferme dans la logique de la réduction prioritaire des déficits, que ceux-ci persisteront, le moment n'est pas loin où l'on ouvrira plus largement la porte à ce qui est aujourd'hui l'accessoire : les compagnies d'assurances et la Mutualité, de plus en plus complémentaire l'une de l'autre, y compris sur les placements financiers. Rappelons notamment que même si les dépenses de médecine ambulatoire n'augmentaient pas d'une année sur l'autre, l'assurance-maladie serait quand même en déficit. Et comme les recettes pâtissent de l'augmentation du chômage et de l'insuffisance des salaires, le gouvernement sait très bien qu'il est engagé dans la voie du rationnement.
Pour FO, une vraie réforme positive pour les assurés suppose aussi que l'on renforce le rôle des partenaires sociaux
Quelques beaux esprits estiment que pour pallier les problèmes de recettes, il faudrait accroître la fiscalisation du financement, ce qui par ailleurs serait conforme au choix de l'étatisation. Et de nous faire croire par exemple que remplacer deux points de cotisation ouvrière maladie par 1,6 points de CSG, ferait quelque 40 francs de plus par mois sur un salaire de 10 000 francs. C'est oublier que l'impôt sur le revenu sera plus lourd, que la CSG s'applique à d'autres choses que le salaire et qu'en fin de course, le salarié sera perdant.
Alors on nous dit : « Mais si la CSG était déductible ? » Outre que cela désavantagerait ceux qui ne payent pas d'impôts, on peut s'interroger sur le poids croissant d'un impôt dont le taux ne progresserait pas en fonction des revenus. Tout cela n'est pas acceptable et il est de notre rôle d'informer les assurés sociaux et de prendre date en ce 24 avril 1996. Personne ne fera taire Force Ouvrière. Ni le gouvernement, ni certains médias, qui se sont évertués ces derniers temps, selon une campagne inspirée, - comme l'écrit dans son livre le directeur d'un grand journal du soir – à salir Force Ouvrière. De tels procédés, comportant mensonges et calomnies, ne sont pas dignes de la démocratie.
Il faut savoir – et ce n'est pas notre habitude et notre volonté – que nous avons dû, à plusieurs reprises, porter plainte. Regardez bien, il y a longtemps qu'une organisation syndicale n'a pas fait l'objet d'attaques aussi virulentes et continues. Mais cela ne nous fera pas plier ou changer, bien au contraire ! Ce n'est pas en se couchant qu'on se fait respecter !
Il faut vraiment que nos positions indisposent pour qu'on essaie d'inventer des histoires comme celle du fromage de FO. J'ai même l'impression que certains médias en quête de lecteurs considèrent que FO pourrait bien être leur fromage ! Et je ne parle pas d'un article récent, écrit par un plumitif qui depuis une dizaine d'années vomit Force Ouvrière. Pour vous situer ce personnage, il y a quelques années, on leur avait demandé ce qu'il avait contre FO. Sa réponse fut : « Je ne nous aime pas ! » C'est vraisemblablement ce qu'on appelle de l'objectivité !
Mes chers camarades, ce qui importe aujourd'hui, c'est la survie de la Sécurité sociale dont la mission et le rôle originaux sont de répondre aux besoins des assurés sociaux en matière de santé, de retraite, d'allocations familiales. Nos convictions sont fondées par nos conceptions, par notre expérience, par nos responsabilités. Cela nous donne le droit et le devoir de défendre la Sécurité sociale, ce qu'elle représente pour les salariés actifs, chômeurs et retraités. Qu'il faille réformer est une évidence. Nous avons en la matière formulé nos propositions. Nous avons, dans l'assurance-maladie, mis en place la maîtrise médicalisée par la pratique conventionnelle avec les professions de santé. Nous avons combattu la maîtrise comptable. Nous sommes partisans d'une meilleure couverture et d'une amélioration du niveau des prestations. Nous sommes partisans d'un renforcement du régime général.
Nous avons travaillé à contre-courant des dogmes économiques. La Sécurité sociale est à la croisée des chemins, une vraie réforme, c'est-à-dire une réforme positive pour les assurés, suppose que l'on rétablisse des relations saines entre l'État et la Sécurité sociale en renforçant le rôle des partenaires sociaux. C'est la position Force Ouvrière. Cela conduit à revivifier le paritarisme entre le patronat et les organisations syndicales. Cela vaut pour l'ensemble de la protection sociale collective. Jusqu'à un temps relativement récent, le patronat se montrait attaché au paritarisme. Apparemment, ce n'est plus le cas puisque malgré des réserves, il accepte les ordonnances. Cela signifie-t-il que le patronat entend se dégager discrètement de ses responsabilités en la matière ? Le paritarisme est intrinsèquement lié à la démocratie sociale. En matière de protection sociale, il correspond à la gestion par les syndicats et les employeurs d'une partie de la masse salariale.
Il faut être logique : on ne peut se réclamer de la pratique contractuelle, de la responsabilité des partenaires sociaux, de leur maturité et supprimer de fait le paritarisme. Certaines organisations syndicales, celles qui ont constitué « vigi-Sécu », soutiennent par ailleurs le plan Juppé, se comportant comme des formations politiques désireuses de participer à la gestion de l'État et de la fiscalité. Cala vaut en particulier pour la CFDT et la Fédération nationale de la Mutualité Française.
Quelques mots sur les relations historiques entre la Mutualité et la Sécurité sociale. La législation de 1928/1930, confiait la gestion des Caisses d'assurance sociale en majeure partie aux mutualistes. En 1945, quand la Sécurité sociale fut mise en place, le constat fut fait que si l'on prenait l'ensemble des présidents de Caisses d'assurance sociale, on n'en trouvait qu'un tout petit nombre qui fussent des salariés, si bien, comme l'a écrit l'un des pères de la Sécurité sociale, Pierre Laroque, qu'on ne pouvait pas dire que la gestion mutualiste aboutirait à une gestion par les bénéficiaires. Et Pierre Laroque d'écrire : « L'un des buts que l'on s'est proposé en 1945 et qui va soulever de véhémentes protestations dans les milieux mutualistes, la relève de la Mutualité par le syndicalisme. La Mutualité y a vu une marque de défiance à son égard. Je pense pour ma part, continuait Laroque, qu'on s'est approché un peu plus de ce que doit être la démocratie sociale. » Ce même Pierre Laroque, parlant de la mise en place de la Caisse nationale de Sécurité sociale, écrivait : « Que cette Caisse a été au Centre de controverses passionnées en 1945 car elle réunissait contre elle l'opposition à la fois des syndicalistes chrétiens, des mutualistes, des employeurs et des compagnies d'assurances.
Néanmoins, elle a triomphé.
Aujourd'hui, mes chers camarades, le libéralisme économique retourne la situation : les opposants de 1945 veulent détruire la Sécurité sociale. C'est aussi pourquoi nous n'avons pas de leçon de morale à recevoir.
Mes chers camarades, ce n'est pas notre conception du syndicalisme. Ce n'est pas notre conception de la Sécurité sociale. En d'autres termes, ou l'on s'inscrit dans la logique du libéralisme économique, c'est-à-dire que l'on accepte, en les cogérant, les sacrifices. Ou l'on se bat contre cette logique infernale et on défend réellement les intérêts des salariés et des assurés. Ce problème n'est pas spécifique à la France. Les programmes de réduction des déficits publics et sociaux sont en cours en Allemagne, au Royaume-Uni aux Pays-Bas, en Suède, en Espagne et ailleurs. Derrière tout cela, c'est l'avenir de nos sociétés qui est en cause, ce que d'aucuns appellent le modèle social européen, qui en fait repose dans tous les pays sur une articulation entre le collectif et l'individuel. Le problème n'est donc pas spécifiquement français, mais se pose au niveau international, ce qui rend d'autant plus indispensable l'action syndicale à ce niveau. La modernité n'est pas la soumission de l'homme à l'expertise, à l'économie, à la fatalité. La modernité n'est pas la religion de la compétitivité et de la trilogie privatisation/déréglementation/libéralisation.
Nous voulons que nos enfants puissent vivre dignement et se faire respecter
Défendre une Sécurité sociale solidaire et égalitaire c'est bien entendu défendre les droits des assurés sociaux, c'est aussi défendre la démocratie sociale et les valeurs républicaines. Oser, comme le fait le gouvernement, affirmer qu'il veut sauvegarder la Sécurité sociale, est un demi-aveu. C'est considérer qu'elle est en crise sans s'interroger sur les raisons de ses difficultés, car il ne peut être question de s'interroger sur le bien-fondé de la politique économique.
Ne trouvez-vous pas curieux qu'un gouvernement qui privatise, y compris le service public, étatise la Sécurité sociale ?
Ne trouvez-vous pas curieux qu'un gouvernement qui parle de dialogue social et de partenaires sociaux responsables mette fin au paritarisme ?
Ne trouvez-vous pas curieux qu'un gouvernement qui prétend vouloir préserver la cohésion sociale laisse le chômage se développer, les inégalités sociales se creuser, les salaires se tasser ?
C'est bien parce que l'étatisation de la Sécurité sociale est un passage obligé pour se conformer aux dogmes économiques. C'est bien aussi pourquoi l'étatisation en question est le faux nez de la privatisation. C'est pourquoi Force Ouvrière ne se tait pas. C'est pourquoi Force Ouvrière entend informer largement les assurés sociaux.
Nous allons entamer (…) de sensibilisation sur tout le territoire. Et je suis sûr que nombreux seront ceux qui nous comprendront. Comme toujours, nous saurons prendre et prendrons nos responsabilités dans le seul intérêt des salariés actifs, chômeurs et retraités. Aujourd'hui, nous prendrons à nouveau date.
Nous voulons que demain les jeunes générations, nos enfants, soient fiers de nous, leurs parents, et aient la possibilité de vivre dignement et de se faire respecter.
Mes chers camarades, je conclurai par une citation : « La Sécurité sociale crée des besoins nouveaux. Son évolution conduit à des charges de plus en plus lourdes et, aussi paradoxale que pourrait apparaître au premier abord cette contestation, l'amélioration de l'État sanitaire conduit à des dépenses plus importantes parce que l'on aborde des traitements auxquels on ne rêvait pas
Autrefois, parce que la longévité a augmenté, parce que, ayant couvert partiellement des besoins, on veut maintenant les couvrir complètement. Les hommes politiques qui ne comprennent pas cet impératif, manquent singulièrement de logique ; ceux qui le comprennent, mais ne font rien, restent ipso facto, les défenseurs d'intérêts particuliers que notre société, toujours basée sur le capitalisme, s'acharne à maintenir. Car tel en définitive, se pose le problème : La Sécurité sociale reste un système socialiste isolé, un corps étranger dans l'économie et dans la société capitaliste qu'est encore la société française.
Ainsi parlait un Secrétaire confédéral de FO à l'occasion du Xe anniversaire de la Sécurité sociale, Charles Veillon. Cette situation est actuelle, elle n'est pas démodée. Elle marque à la fois la continuité de nos analyses et révèle ce qu'est cette soi-disant réforme : la soumission de la Sécurité sociale à l'économie, la soumission des besoins sociaux aux intérêts du marché. Comme toujours, la société française n'évolue que par la tension. Ce fut le cas en novembre/décembre 1995.
Force Ouvrière ne faillera pas, Force Ouvrière prendra toutes ses responsabilités et sera toujours là où les intérêts des salariés doivent être défendus.
Vive la Sécurité sociale solidaire et égalitaire,
Vive la CGT-Force Ouvrière.
Date : 30 avril 1996
Source : Force Ouvrière hebdo
Ils ont dit
Plusieurs acteurs et experts reconnus du système de protection sociale se sont exprimés lors du meeting pour la défense de la protection sociale organisé par la Confédération FO mercredi 24 avril, dans le lieu symbolique qu'est la Mutualité à Paris. Morceaux choisis.
M. Lancry, directeur du CREDEDS (Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé) : « En ce qui concerne la solidarité, on a tout raté dans le domaine du logement, on a raté beaucoup de choses sur l'emploi. Le seul domaine où il est encore possible de faire preuve de solidarité, c'est la santé, c'est la Sécurité sociale. »
Pr Genetet, professeur de médecine et directeur du Centre de transfusion sanguine de Rennes : « La Sécurité sociale, c'est le respect de la dignité de la personne humaine, c'est l'un des fondements de notre nation (…) Les dix derniers jours de la vie sont ceux qui coûtent le plus cher à la Sécurité sociale. Avec ce qui arrive, peut-être que demain, on n'aura plus droit qu'à huit jours. »
M.Bedossa, président du haut comité de la santé publique, biologiste : « J'exerce à Saint-Ouen, une banlieue peu favorisée de la région parisienne. Pour moi, la Sécurité sociale, c'est la mère qui vient avec un enfant malade et qui sort sa « carte navette. C'est sa dignité. Je prends sa carte, et je lui dis que le résultat de l'analyse sera prêt à 17 heures le même jour. »
Pr. Segala, professeur au centre hospitalier universitaire de Toulouse : « Nous avons beaucoup à craindre pour l'hôpital local. L'ordonnance est fondée sur la notion de rentabilité. Le directeur d'une agence régionale d'hospitalisation peut à tout moment décider de couper les moyens de tel service ou hôpital, s'il ne correspond pas aux critères fixés par lui-même et son agence. »
Réaction
Sécurité sociale
À qui profitent les ordonnances ? - Jean-Claude Mallet
Ce jour, Alain Juppé propose aux ministres le texte définitif des ordonnances et le Parlement commence la préparation de la loi organique sur le financement autrement dit, la mise en place du contingentement des dépenses de Sécurité sociale.
Ce jour, Alain Juppé, et tous ceux qui l'ont soutenu de Mme Notat à M. Davant, instaurent une réforme qui réduit le rôle des conseils, place les caisses et les partenaires sociaux légitimes en situation de délégataires des pouvoirs publics fait planer sur les hôpitaux et la médecine de ville le spectre des fermetures, restructuration et d'une maîtrise qui n'aurait plus rien de médicalisée.
Mais pour autant, tout est-il réglé ?
Je ne le crois pas. Les contradictions sont multiples. Ainsi le Conseil supérieur des hôpitaux a-t-il condamné l'ordonnance sur l'hôpital. La CFDT-Santé également, alors que sa confédération applaudissait des deux mains. Par ailleurs, les médecins, les hospitaliers ont appelé à réagir ce jour alors que les dirigeants de MG-France appuient toujours le contenu des ordonnances.
M. Juppé est d'ores et déjà condamné à l'échec 10 milliards et plus, de déficit attendu du fait de la révision à la baisse des prévisions de croissance. Les mêmes causes produisent les mêmes effets : l'État nationalise la Sécurité sociale mais ne paie toujours autant les entreprises : plus de 30 milliards de cotisations « ristournées » par an !
Dès lors, l'échec étant constaté, il y aura un gouvernement pour expliquer qu'il faudra laisse la place aux assurances privées.
Cela, nous ne pouvons le laisser faire. Le rassemblement d'aujourd'hui n'est ni un baroud d'honneur, ni un enterrement mais une nouvelle phase, qui passe obligatoirement par les militants, les syndiqués, la population salariée.