Texte intégral
France 2 : vendredi 5 janvier 1996
D. Bilalian : Les Français ont l'air de penser, comme vous, que les musées restent encore trop peu visités ?
P. Douste-Blazy : C'est vrai mais il y a un mouvement extraordinaire dans ce pays : il y a une augmentation de la fréquentation de 35 % depuis cinq ans et je crois que la mission de tout ministre, et en particulier du ministre de la Culture, est de s'inscrire dans ce mouvement. Alors, pourquoi le Louvre et pourquoi le dimanche ? Pourquoi le Louvre, parce que c'est un symbole, il s'agit du plus grand musée du monde, le plus connu et je dirai que ce qui est important pour nous, c'est dire que tous les Français ont droit à la culture. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à rendre gratuit le Louvre le premier dimanche de chaque mois. Pourquoi le dimanche, parce que le dimanche, on est décontracté, on a du temps et c'est le jour de la famille. Je me souviens que la première fois que je suis allé au Louvre, c'était avec ma famille.
D. Bilalian : Il y a la gratuité le premier dimanche de chaque mois, il y a aussi des prix réduits avec une carte que vous allez mettre en circulation ?
P. Douste-Blazy : Oui, on a une carte que l'on vient de faire qui est une carte pour les moins de 26 ans qui coûte 100 francs. Avec cette carte, les moins de 26 ans pourront aller le nombre de fois qu'ils voudront au Louvre. J'espère que l'on pourra faire cela pour tous les musées de France bientôt.
D. Bilalian : Un autre projet, interactif, vous avez l'intention dans 26 banlieues en difficulté de faire parrainer un certain nombre de spectacles soit de danse, de théâtre par des personnalités mais vous voulez que la population y participe et ne soit pas simplement spectateur ?
P. Douste-Blazy : Oui, je crois que la culture est un lieu de partage, de rencontre, d'échange et souvent le début d'un dialogue à l'autre, aux autres pour lutter contre les ghettos, les isolements. Et nous avons voulu aller dans ces quartiers, les quartiers les plus difficiles, où on brûle des voitures, pour expliquer aux habitants qu'ils ne sont pas des spectateurs mais des acteurs. Donc, ils feront eux-mêmes des spectacles et au bout de huit ou neuf mois, on pourra les monter, les présenter dans ces banlieues mais aussi dans les centres ville et pourquoi pas à Paris. Je crois que c'est ça la culture, c'est ce qui rapproche les femmes et les hommes d'un pays.
Europe 1 : mardi 9 janvier 1996
M. Grossiord : On a entendu les propos de J. Chirac hier soir : cet hommage avait quelque chose de chaleureux, d'affectueux, au-delà du combat politique.
P. Douste-Blazy : Au-delà des clivages politiques, des jugements que l'on est amené ou que l'on sera amené à porter sur les actions politiques de F. Mitterrand, il faut se dire que la Culture est veuve d'un homme qui lui avait, au cours d'une longue vie publique, consacré à la fois son intelligence, son talent et son action. J'ai des souvenirs surtout, pour ma génération, d'hommes de Culture dont il était par l'écrit et par la parole. C'était un tribun politique remarquable, tout le monde le sait. Il l'était aussi par la trace qu'il laisse au coeur même de Paris, avec les grands travaux qu'il a voulus, imaginés, construits. Et surtout, homme de Culture, il l'était par un incomparable rapport à l'histoire qui faisait de lui l'acteur conscient de sa propre destinée. Je dirais que F. Mitterrand a traversé le siècle de sa vie.
M. Grossiord : Quel âge aviez-vous en 81 lors de l'avènement de la gauche et de F. Mitterrand au pouvoir ?
P. Douste-Blazy : Je suis né en 1953 donc je n'étais pas très vieux.
M. Grossiord : Comment aviez-vous réagi à cette époque en voyant tout ce peuple de gauche déferler sur Paris, la rose à la main ?
P. Douste-Blazy : Je ne faisais pas de politique à l'époque, je n'avais pas voté pour F. Mitterrand en 81. Aujourd'hui comme hier soir, ce ne sont pas des attitudes politiques que je prendrais, mais surtout des repères par rapport à l'homme de Culture qu'il était, repères aussi par rapport aux quelques moments où je l'ai vu. J'ai deux souvenirs précis : d'abord décembre 94 dans un Sommet franco-africain à Biarritz, où le médecin que je suis avait été très frappé, très marqué par le courage physique et psychologique dont il faisait preuve. Il avait très mal, je l'ai vu, je lui en avais parlé, nos regards s'étaient croisés plusieurs fois durant tout le dîner de 9 heures à minuit. Il était resté à la table des chefs d'État. Il avait fait sa mission de chef d'État et j'avais été vraiment impressionné, je lui avais dit sur le moment. Deuxième souvenir très personnel : lors d'un conseil des ministres et à la fin de ce conseil, il me fait un petit geste de l'index pour venir le voir de manière très paternaliste. J'y vais et il me parle du Rwanda car j'avais, pendant ce conseil, rapporté des conclusions d'une mission que M. Balladur m'avait donnée au Rwanda en tant que ministre de la Santé.
M. Grossiord : Vous n'y étiez pas forcé, vous qui avez beaucoup égratigné F. Mitterrand.
P. Douste-Blazy : Oui, mais je n'allais pas le faire aujourd'hui, c'est la moindre des choses. Un décès même si c'est un adversaire, c'est toujours triste et toujours délicat à faire. Je ne suis pas le genre deuil tragique à Colombey. Ce n'est pas mon truc.