Déclaration de Mme Margie Sudre, secrétaire d’État chargé de la francophonie, sur le plurilinguisme et la nécessité de développer l'usage du français dans les institutions européennes et sur la formation des fonctionnaires européens et l'apprentissage du français, Paris le 21 mai 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Margie Sudre - secrétaire d’État chargé de la francophonie

Circonstance : Réunion de l'intergroupe francophone du Parlement européen à Paris le 21 mai 1996

Texte intégral

Madame la présidente,
Mesdames et Messieurs les députés,

1. - Je voudrais, tout d’abord, vous remercier de votre invitation. C’est un grand plaisir pour moi de rencontrer les parlementaires européens membres de l’intergroupe francophonie qui constituent un puissant soutien à la francophonie.

Comme vous le savez, la communauté des États ayant le français en partage compte aujourd’hui 49 membres dont trois, la Belgique, le Luxembourg et la France, sont également membres de l’Union européenne. Il s’agit d’une communauté vivante, qui se développe et qui, à travers la création du poste de secrétaire général décidée à Cotonou, devrait acquérir dans moins de deux ans une place reconnue dans les relations internationales.

2. - Avant de présenter les actions que mène la France en faveur de la diffusion du français en Europe et de sa place dans les institutions de l’Union, je souhaiterais vous faire part de deux convictions :

La diversité des langues constitue une richesse européenne inséparable de l’identité de notre continent. La France est attachée au respect du principe de l’égalité des langues au sein de l’Union et l’action que nous menons s’inscrit dans le cadre de la défense du pluralisme culturel et linguistique. Pluralisme linguistique et culturel qui a été affirmé dans de nombreuses organisations internationales, lors des négociations du cycle de l’Uruguay au GATT, au sommet des pays francophones de Maurice et de Cotonou, aux Nations-unies et très récemment encore à la conférence de Midrand sur la société de l’information à laquelle je représentais la France. Je note d’ailleurs avec intérêt que le principe de diversité culturelle et linguistique qu’il avait été si difficile de faire accepter à nos partenaires du G7 à la réunion de Bruxelles de février 1995 consacrée aux inforoutes a été repris par de nombreuses délégations y compris la délégation américaine.

Ma seconde conviction, c’est que c’est en Europe, au sein de l’Union, que cette démarche revêt aujourd’hui un caractère prioritaire. L’avenir du français se joue d’abord en Europe. Si notre langue ne garde pas son statut de langue de communication internationale au sein des pays européens, si elle ne conserve pas son statut de langue de travail au sein des instances de l’Union européenne comme dans celles du conseil de l’Europe, comment pourrions-nous, ailleurs, maintenir le statut international du français ?

3. - Cette conviction exige de nous deux attitudes :

D’abord la vigilance et le rappel, quand cela est nécessaire, aux règles et aux principes.

Je n’ignore pas que ces rappels à l’ordre peuvent quelquefois agacer certains de nos partenaires mais ils sont indispensables, si nous souhaitons que les citoyens se reconnaissent dans la construction européenne.

Ainsi, à plusieurs reprises des textes communautaires n’ont pu être traduits dans les délais suffisants, ce qui a contraint la France à poser des réserves à leur discussion ou à leur adoption au conseil. Je vous rappelle que le Parlement français ne peut utiliser la compétence qui lui a été donnée, par l’article 88-4 de notre Constitution de se prononcer sur les projets de textes communautaires, que sur un texte en français.

La vigilance doit s’exercer de manière générale sur la place du français dans les instances communautaires, qui passe également par une attention particulière portée à la place des Français et des francophones dans les institutions de l’Union.

a) On compte 11,5 % de Français parmi l’ensemble des fonctionnaires travaillant à la Commission, proportion qui monte à près de 17 % pour la catégorie A, c’est-à-dire le personnel de conception. En outre, 24 % des agents temporaires et 22 % des experts nationaux détachés qui occupent généralement des fonctions de catégorie A, sont français. La présence massive de Belges francophones parmi les fonctionnaires d’exécution (chez les assistants et parmi les secrétaires), liés à la localisation de ces institutions à Bruxelles, joue également en faveur de l’usage du français.

Néanmoins, la situation du français se dégrade en matière de relations extérieures. Certains services de la commission européenne tendent à utiliser exclusivement la langue anglaise pour les appels d’offre, effectués notamment dans le cadre de programmes Phare et Tacis, destinés aux pays d’Europe centrale et orientale ainsi qu’à la Russie et aux autres États de la CEI. La France est intervenue auprès de la commission pour que les documents présentés aux États membres soit traduits dans toutes les langues de l’Union et pour que soit mis fin aux pratiques visant à privilégier la présentation des projets dans une seule langue.

La France est également intervenue pour que les informations fournies par la commission sur son serveur soient en français. Les États membres doivent faire en sorte d’éviter que ne s’accrédite l’idée que la diffusion d’informations sur l’Union passe par une langue unique.

Depuis janvier 1995, le régime monolingue français qui était en vigueur dans la salle de presse de la commission européenne depuis sa création a été remplacé par un régime de bilinguisme français-anglais pour les points de presse quotidiens de la commission et les communications officielles ; les conférences de presse continuant comme auparavant à être faites dans toutes les langues officielles de l’Union européenne. Le principal argument avancé pour l’introduction de l’anglais en salle de presse a été, outre celui du nombre élevé de journalistes anglophones, la nécessité d’assurer une large publicité aux travaux de la commission européenne. Il a été difficile de s’opposer à la fin d’une pratique ressentie par beaucoup comme un privilège.

b) Les effectifs français du conseil des ministres sont en proportion satisfaisants, en moyenne 8 % et plus de 10 % pour les postes de responsabilité. Cependant, compte-tenu de la création depuis le traité de Maastricht, de nouvelles directions compétentes en matière de politique étrangère et de sécurité commune ainsi que pour la justice et les affaires intérieures, il convient de veiller au recrutement de fonctionnaires francophones dans ces domaines importants.

c) L’Institut monétaire européen, créé en 1994, travaille principalement en langue anglaise, malgré un régime linguistique juridiquement similaire à celui des autres institutions communautaires, à savoir l’égalité des onze langues de l’Union. En revanche, l’usage du français est prédominant dans les instances judiciaires de l’Union européenne et les délibérations de la Cour ou du tribunal de première instance se déroulent, en l’absence d’interprétation, dans une seule langue, qui est le français.

Ce rapide panorama permet donc de constater que les équilibres linguistiques entre le français et les autres langues et particulièrement entre le français et l’anglais, au sein des instances communautaires ne sont pas fondamentalement remis en cause, à ce jour, grâce en particulier à l’environnement francophone de Bruxelles. Force est néanmoins de constater que la place encore privilégiée du français est menacée. On constate, en effet, qu’un nombre croissant de nouveaux partenaires maîtrisent trop imparfaitement notre langue pour l’utiliser comme langue de travail, ce phénomène ne peut d’ailleurs qu’être accentué par les élargissement successifs de l’Union.

Aussi la France considère-t-elle qu’une action volontariste devient nécessaire. Celle-ci doit se mener dans deux directions : la promotion du plurilinguisme et l’apprentissage du français.

La France a fait de la promotion du plurilinguisme l’une des priorités de sa présidence. Trois initiatives avaient été lancées dans cette perspective :

Une résolution sur l’amélioration de l’apprentissage de l’enseignement des langues au sein des systèmes éducatifs de l’Union européenne, a été approuvée par le conseil des ministres de l’éducation, lors de sa session du 31 mars 1995.

Un mémorandum proposant de prendre en compte, dans l’ensemble des politiques communautaires, la diversité linguistique et culturelle de l’Union européenne, préconisait une série de mesures dont : le développement et la diversification de l’enseignement des langues vivantes en formation initiale et en formation continue, l’accès des utilisateurs de la société de l’information à des domaines plurilingues, la sauvegarde du droit du citoyen à recevoir une information dans sa langue, et la valorisation de la diversité linguistique des États membres dans les relations extérieures de l’Union européenne. Après examen de ce mémorandum, le conseil affaires générales a adopté le 12 juin 1995 des conclusions visant à conforter la diversité et le pluralisme linguistiques dans l’Union européenne. Ce document qui reprend une grande partie des propositions françaises est le premier texte communautaire abordant de manière globale la diversité linguistique de l’Union.

L’essentiel des objectifs que s’était fixée la présidence française ayant été atteint grâce à ces deux premières initiatives, il convenait à la fois de renforcer, autant que possible, dans les différents pays de l’Union, et d’élargir éventuellement aux pays membres du conseil de l’Europe, ces mesures en faveur du pluralisme linguistique. D’où un projet de convention intergouvernementale pour la promotion du plurilinguisme en Europe, soumis pour l’heure de manière informelle à nos quinze partenaires, mais dont une nouvelle version, prenant en compte les différentes observations, sera·soumis à l’ensemble·des·pays membres du Conseil de l’Europe.

Enfin, le Conseil européen de Cannes des 26 et 27 juin 1995 a, dans ses conclusions, souligné l’importance de la diversité linguistique dans l’Union européenne.

La France a également décidé de renforcer son action de promotion du français à destination des fonctionnaires de l’Union. Elle a décidé en particulier d’accroître sensiblement les moyens de l’Alliance française de Bruxelles en créant, dans le quartier des instances communautaires, un Centre européen de langue française doté des technologies d’information et de formation les plus avancées. Ouvert aux fonctionnaires européens et à leur famille, ce centre aura trois fonctions : offrir un lieu d’apprentissage du français, mettre à disposition un centre de documentation sur la France contemporaine, et assurer une coordination des formations destinées aux fonctionnaires européens, que nous envisageons de mettre en place dans notre dispositif culturel à l’étranger. J’aurai le plaisir d’inaugurer ce centre en compagnie du président Santer le 25 juin prochain.

Dans le même temps, nous avons confié à l’École nationale l’administration l’organisation de stages de fonctionnaires européens. En 1994, six sessions d’une durée de deux semaines chacune ont été organisées. Elles ont regroupé des représentants des quatre pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne. Chaque stage ouvert à douze personnes, s’est déroulé dans les locaux de l’ENA pour partie à Paris, et à Strasbourg. Ont alterné des conférences sur des thèmes généraux concernant la vie politique, économique et administrative française et des cours de perfectionnement linguistique. Ces formations ont été maintenues en 1995, à l’intention de cadres des trois nouveaux membres.

Au cours de l’automne de cette année des formations à Paris et en région seront proposées, aux fonctionnaires de l’ensemble des pays de l’Union.

Une formation en amont des futurs fonctionnaires européens apparaît également de plus en plus nécessaire, avant leur affectation à Bruxelles. Dans cette perspective, la France a décidé de proposer des formations spécifiques dans ses centres culturels des différentes capitales européennes à compter de septembre 1996, une expérience ayant été conduite avec succès depuis 1994 dans les trois nouveaux pays membres et en Norvège.

D’autre part, la France mettra en place des cours de langue et de familiarisation à la vie politique, administrative et économique françaises, à destination des fonctionnaires du conseil de l’Europe arrivés récemment en poste à Strasbourg, généralement originaires des pays d’Europe centrale et orientale, en liaison avec les collectivités territoriales françaises.

Toutes ces actions permettent de promouvoir le français dans les instances de l’Union européenne et du conseil de l’Europe, mais il convient de rappeler que la France intervient également dans le cadre de ses relations bilatérales avec l’ensemble des pays européens à travers ses services culturels et le réseau de ses établissements culturels : 91 centres culturels, instituts, bureaux de coopération linguistique et éducative, 45 alliances françaises.

Nos priorités en matière linguistique sont reconnues et soutenues par la commission comme un objectif essentiel de l’intégration européenne. Cet objectif est repris par certains programmes éducatifs de l’Union (Socrates, Léonardo, Linga) ainsi que par le Livre blanc « Enseigner et apprendre : vers la société cognitive » qui rejoint en partie nos propositions : promouvoir la maîtrise de trois langues communautaires et favoriser le développement de l’enseignement précoce des langues.

La France et l’Allemagne ont d’ailleurs demandé à la commission de proposer une réforme des concours d’accès à la fonction publique européenne qui permettrait d’exiger des candidats qu’ils parlent trois langues de l’Union au lieu de deux actuellement.

À cet égard, la France a pris des mesures qui s’inscrivent dans cette perspective en favorisant le développement d’une initiation à l’enseignement des langues étrangères dès la deuxième année du primaire, en généralisant dans la troisième année des collèges, notre classe de 4e, l’apprentissage d’une deuxième langue vivante étrangère et en créant des sections européennes où une discipline est désormais enseignée dès la 1re année du lycée, en classe de seconde, en langue étrangère. Cette expérience porte actuellement sur près de 1 000 établissements et se répartit selon les langues de la façon suivante : 44 % en anglais, 36 % en allemand, 10 % en espagnol, 7 % en italien et 1 % en portugais. Nous devons en effet donner l’exemple dans un souci de réciprocité. Je dois vous confier que je suis inquiète de la place du français dans les systèmes éducatifs de certains de nos partenaires, en particulier en Italie et en Espagne où une seule langue vivante étrangère est proposée dans les systèmes éducatifs. Je n’ignore pas les contraintes financières qui s’exercent sur eux comme sur tous les États de l’union. Je souhaiterais que nous puissions les convaincre, notamment par un comportement exemplaire de notre part, de changer cet état de chose.

Tels sont les éléments de réflexion que je souhaitais vous livrer. Je m’efforcerai maintenant de répondre à vos questions, et me réjouis des suggestions et avis que vous voudrez bien exprimer.