Texte intégral
Discours à Angkor, le 17 mars 1996
Monsieur le ministre d'État,
Il y a trois ans, la conférence de Tokyo appelait à la mobilisation de la communauté internationale pour la sauvegarde et la réhabilitation du prestigieux site d'Angkor. De par les liens privilégiés qu'elle a toujours entretenus avec le Cambodge, la France se devait de répondre à cet appel en dépêchant l'École française d'Extrême Orient qui fut déjà le fleuron de sa présence en ces lieux.
Je voudrais dire, Monsieur le Ministre d'État, toute l'émotion qui est la mienne aujourd'hui, de voir se réaliser, au-delà du temps et du drame, la permanence de liens de culture et de grandeur entre nos deux pays. La cérémonie d'aujourd'hui est un hommage à Bernard Philippe Groslier qui fut contraint de quitter Angkor et ce chantier pour n'y jamais revenir, elle est aussi un hymne à l'art, à sa permanence et au retour de l'EFEO. L'École devait reprendre cette restauration de la Terrasse du Roi Lépreux que les seuls aléas de l'histoire avaient dû suspendre. Ici la France a voulu apporter de nouveau toute sa passion, toutes ses connaissances et tout son savoir-faire et les mettre sans réserve et sans calcul au service du Cambodge et de ce qui symbolise l'essence même de sa culture et de son identité. Qu'il me soit permis de saluer le travail accompli et d'exprimer aux équipes cambodgiennes et françaises notre plus grande satisfaction. Je sais les difficultés qui ont été les vôtres. Je sais les problèmes que vous avez rencontrés pour rassembler une équipe affaiblie et meurtrie. Je mesure la patience dont vous avez dû vous armer pour reconstituer le cahier de dépose emporté dans la tourmente. La transmission du savoir et la formation des hommes ont accompagné la reprise et la poursuite de vos travaux : les tailleurs de pierres, formés par la Ligue française de l'enseignement, ont ainsi pu s'associer à l'œuvre de reconstruction et s'enrichir encore davantage au contact d'un compagnon du Tour de France.
Démontage, confortation de la structure, puis un lent et minutieux montage ont été les étapes d'un travail auquel vous n'avez jamais cessé de croire, même si des éléments ont parfois manqué en trop grand nombre pour restituer définitivement à cet édifice, après trois mois de labeur, la perfection de ses origines.
Monsieur le ministre d'État,
Depuis le renouveau du Cambodge, la France a toujours apporté à Angkor le soutien que tant de siècles et de beauté ont légitimement suscité. Après la Terrasse du Roi Lépreux, la Terrasse des Éléphants verra s'ouvrir un autre chantier, tandis que les travaux du Baphuon progressent rapidement et que les fouilles archéologiques ont livré de la cité d'Angkor Thom les premiers et riches secrets. Nous avons pu saluer à notre arrivée la Police du Patrimoine, nous pouvons considérer· les résultats des travaux. d'entretien .du parc, la conservation d'Angkor s'est dotée d'un inventaire scientifiquement et systématiquement établi et le Colloque international sur la cité hydraulique a réuni il y a quelques mois à Siem-Reap des spécialistes de renommée internationale. Pour n'être pas exhaustive, cette liste témoigne cependant de l'engagement de mon pays pour ce site qui relève désormais du Patrimoine mondial. L'histoire nous a légué ce trésor non pas en héritage mais en simple dépôt pour le transmettre dans sa splendeur aux générations futures.
Je citais il y a un instant la conférence de Tokyo. Mais au-delà des engagements de Tokyo, que la France respecte scrupuleusement, il y a « l'esprit de Tokyo », ce sentiment qui se doit d'être partagé par l'ensemble des pays d'avoir à relever l'un des plus beaux défis culturels de cette fin de millénaire. Le concert des nations en matière d'archéologie ne saurait souffrir la cacophonie de partitions individuelles où les uns joueraient d'instruments culturels et historiques et les autres d'instruments touristiques et économiques. Qu'il soit permis à Apsara – dont nous ne répéterons jamais assez qu'il s'agit d'un établissement public cambodgien au service du seul Cambodge – de jouer pleinement son rôle de chef d'orchestre. L'esprit de Tokyo est bien aussi d'organiser l'approche économique de la zone de Siem-Reap – Angkor, mais il intègre cette nécessaire dimension dans l'impérieuse obligation de respecter l'âme d'un territoire qui fut celle d'une cité hydraulique, d'une capitale d'empire et qui encore aujourd'hui constitue le foyer de l'identité culturelle du peuple khmer.
Monsieur le ministre d'État,
Dites au Cambodge et aux Cambodgiens que le seul souci de la France à Angkor est de contribuer à démontrer au monde enclin au doute que les civilisations ne sont pas toujours mortelles.
Allocution à l'occasion de l'inauguration de l'ambassade de France, à Phnom Penh, le 18 mars 1996
Messieurs les Ministres,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames, Messieurs,
Ici même, il y aura bientôt vingt-et-un ans, les couleurs de la France étaient amenées. Le portail de cette ambassade s'ouvrait sur deux convois étrangers qui allaient entamer un périple à travers une succession de localités cambodgiennes déjà vidées de leurs habitants pour gagner la frontière thaïlandaise. La France disparaissait alors du Cambodge pour seize années.
Pendant les trois semaines précédentes, les quelque huit-cents étrangers que les Khmers rouges avaient dirigés, dès la prise de Phnom Penh, le 17 avril, vers cette ambassade, s'étaient entassés dans des conditions particulièrement pénibles dont se souviendront avec émotion deux des témoins de cette époque, présents parmi nous aujourd'hui : Monseigneur Ramousse, Évêque de Phnom Penh, et le Père Destombes, de la Société des Missions étrangères de Paris.
Atroce aura été le sort réservé par les Khmers rouges à ceux de nos amis cambodgiens, quelque six-cents, qui, pour leur part, avaient cru trouver un asile dans cette enceinte et qui, en dépit des efforts pour les sauver par la négociation ou par le subterfuge de notre dernier représentant, M. Jean Dyrac, vice-consul, ont été contraints de se rendre à leurs bourreaux ou qui ont décidé, volontairement de refranchir la ligne. Certains seront assassinés aussitôt, les autres endureront l'interminable calvaire de cinq ans qu'a connu le peuple khmer dans son entier.
Ce drame marque de façon indélébile ce terrain. Nos pensées et nos prières se tournent vers la mémoire de ceux qui avaient cru y trouver le refuge qu'ils étaient en droit d'attendre.
Sa vocation lui est aujourd'hui rendue. Elle l'est selon le souhait de S. M. le Roi du Cambodge qu'une indéfectible amitié unit à la France. L'intervention de Sa Majesté, alors Prince Sihanouk, Président du Conseil national suprême, auprès de qui la France avait tenu à être la première à dépêcher un ambassadeur, le lendemain même de son retour parmi les siens, dans la liesse de la paix durablement retrouvée, le 14 novembre 1991, son intervention, disais-je, fut décisive, en reconnaissance du rôle que nous avions joué en initiant le processus de paix qui devait conduire à la signature des Accords de Paris.
Que Sa Majesté le Roi en soit une nouvelle fois remerciée.
La France n'a pas voulu décevoir cet hommage. À ceux qui oseraient penser que ce terrain est démesuré et que ce que nous y avons reconstruit l'est tout autant, il faut répondre que cette Ambassade est au contraire à la mesure de la France, de ce qu'elle fait et entend faire pour concourir au redressement du Cambodge, à la demande de son Roi et de son gouvernement. Elle n'est ni trop belle, ni trop vaste : elle est à l'image du rayonnement de notre pays, à la mesure de l'amitié plus que centenaire qui l'unit au royaume, à la dimension de l'effort que déploient chaque jour nos experts en coopération, dans les domaines les plus variés. On a trop dit, par ci, par là, que les actions de la France manquaient de visibilité et qu'en définitive on ne savait pas très bien ce qu'elle faisait au Cambodge. Justice est aujourd'hui rendue à son rôle. Cette nouvelle ambassade, la plus 'vaste et la plus moderne que notre pays ait construite en Asie, est bien le signe de notre engagement résolu aux côtés du peuple khmer et la marque de la sûre confiance de la France dans l'avenir du Cambodge.
L'occasion solennelle de cette inauguration m'autorise à adresser aujourd'hui les félicitations appuyées du gouvernement à tous ceux qui ont concouru à la réalisation de cet ensemble monumental. Les services compétents du ministère des Affaires étrangères, les architectes, MM. Dubus et Lott, qui ont su relever le pari d'une véritable création contemporaine à partir des bâtiments préexistant que le cahier des charges leur commandait de conserver dans leur structure. Le décorateur, M. Leclerc, qui a su rendre le juste effet des arts décoratifs français de notre époque, un ami écossais de notre pays. M. Grant, paysagiste, à qui a été confiée l'ambition de reconstituer le parc botanique du Cambodge qu'était autrefois ce jardin, en y introduisant toutes les essences du royaume. Le sculpteur Luyckx, qui, en concevant les deux blocs de granit mobiles, d'une esthétique pure et puissante qui signent l'Ambassade, dans la Chancellerie, a deviné à travers ces deux figures, qu'il a plu à certain d'identifier comme la France et le Cambodge, ce qui fait la force et la difficulté des relations des deux pays. Hommage, enfin à la société FEAL, constructeur, dont il serait juste que la preuve apportée dans ce chantier de grande ampleur de ses compétences techniques lui ouvre d'autres grands contrats, notamment publics, au Cambodge et dans la région.
En recevant aujourd'hui ce magnifique outil, les représentants de la France vers lesquels je me tourne, en premier lieu vers M. l'Ambassadeur, doivent être conscients des engagements que leur commande de relever le sentiment de légitime fierté pour leur pays qui les habite en servant ici leur pays. Ils auront à cœur le rayonnement de ces lieux. Loin d'être seulement un phare puissant marquant la présence de la France au Cambodge, un simple symbole, cette Ambassade doit être une maison constamment ouverte à nos amis cambodgiens, dans laquelle ils se sentent aussi à l'aise que la communauté française qu'ils accueillent eux-mêmes si chaleureusement dans leur pays, une maison ouverte pour servir l'amitié et la coopération entre nos deux peuples.
Je suis particulièrement sensible, Monsieur le ministre, au fait que vous avez bien voulu témoigner aujourd'hui, précisément, de cette familiarité naturelle qui nous unit depuis déjà si longtemps en vous joignant, au nom du gouvernement royal, à ce moment solennel où notre représentation au Cambodge reprend officiellement possession de ce petit bout de France qui marque la permanence de notre présence à vos côtés.
Je sais d'ailleurs qu'il serait vain que je vous fasse les honneurs du propriétaire tant il est vrai que vous connaissez déjà mieux que moi, pour l'avoir souvent fréquentée, cette Ambassade, depuis que l'ambassadeur y a fait flotter à nouveau nos couleurs en s'y installant le 12 juillet dernier. Je me contenterai, dans ce cas, de vous faire tout à l'heure les honneurs de la table.