Interview de M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, dans "La Revue politique et parlementaire" de janvier 1997, sur le passage à la monnaie unique en janvier 1998, l'importance de l'Euro comme seule monnaie européenne pour les entreprises et l'harmonisation des politiques fiscales.

Prononcé le 1er janvier 1997

Intervenant(s) : 

Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

Mario Guastoni : L’euro est condamné à réussir à compter du 1er janvier 1999. Quelle sera l’importance de cette monnaie unique au sein du Système Monétaire International ?

Michel Barnier : L’euro n’est pas « condamné » à réussir. Il réussira. Il est le fruit d’une décision raisonnée et raisonnable. Il s’agit de tirer le meilleur parti du marché intérieur, en place depuis le 1er janvier 1993. La monnaie unique fera de l’Europe une grande zone de stabilité monétaire et lui permettra de retrouver le chemin de la croissance et surtout de l’emploi. Ce dynamisme, la solidité fondamentale des économies des pays qui entreront dans l’euro feront de la monnaie unique une grande monnaie. Ce sera l’un des trois principales devises internationales, avec le dollar et le yen.

R.P.P. : Les critères de convergences déterminés par le Traité de Maastricht (déficit, dette publique, taux d’inflation) ne vous paraissent-ils pas trop contraignants, non seulement pour l’économie française mais pour les économies de nombreux pays de l’Union européenne, notamment l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce qui sont actuellement destinés à être exclus de la monnaie unique ? Il semblerait en définitive que l’euro accentue le fossé entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud.

Michel Barnier : L’euro est fondamentalement porteur de convergence, pas de division : c’est la logique même de la construction européenne, du projet européen.

Il faut bien voir que la résorption des déficits publics et la maîtrise de l’inflation sont aujourd’hui une nécessité, qu’il s’agisse ou non de préparer le passage à la monnaie unique. Ceci a été parfaitement compris par l’Italie, par l’Espagne et par tous les autres États membres. Il est vrai que les efforts que consentent certains pays sont importants et impliquent parfois des sacrifices. Mais ils sont indispensables pour remettre les économies sur pied et relancer la croissance. J’en veux pour preuve le fait que le Portugal et l’Espagne ont réalisés des efforts considérables d’assainissement de leurs économies sans pour autant pénaliser la croissance qui a connu chez eux des taux supérieurs à 2% en 1996 et qui devrait encore s’améliorer en 1997.

Mario Guastoni : Pour aboutir à l’euro, comment les taux de conversion seront-ils décidés ? Certains proposent, comme les Allemands, d’utiliser des parités de change entre monnaies sur une période de trois ans (1996-1998). Est-ce qu’une évolution s’est faite sur cette question ?

Michel Barnier : Il s’agit d’une question essentiellement technique qui n’est pas encore tranchée. L’idée est que le passage à l’euro devrait être une mesure neutre pour l’ensemble des opérateurs économiques et financiers. Un des critères d’accès à l’euro étant précisément la stabilité de la monnaie nationale dans le cadre du système monétaire européen, la conversion en euro ne devrait avoir aucune incidence particulière pour les uns comme pour les autres.

R.P.P. : Nombre d’économistes pensent que la phase la plus dangereuse pour les entreprises est le passage à l’euro entre 1999 et 2002. Êtes-vous de cet avis et sinon quelles explications pouvez-vous fournir ?

Michel Barnier : Il faut insister sur un point qui n’est pas toujours suffisamment mis en lumière : l’euro sera la seule monnaie européenne à partir du 1er janvier 1999, en tout cas pour ceux qui entreront dans la monnaie unique. Le franc, le mark ne seront plus que des expressions de l’euro. En d’autres termes, nous ne serons pas, comme le disent certains économistes, dans un système de changes fixes, mais dans une zone dotée d’une seule monnaie qui, pour une durée assez brève, se présentera matériellement sous des formes différentes selon les pays. Il n’y a là aucune prise pour des pressions spéculatives que redoutent certains. Quant aux autres monnaies européennes, dans le nouveau système monétaire européen, elles seront rattachées à l’euro. C’est une autre garantie de stabilité. A Dublin, en décembre dernier, les chefs d’État et de gouvernement des Quinze se sont d’ailleurs déjà mis d’accord sur les principes qui vont régir le nouveau S.M.E. Ils se sont mis aussi d’accord sur les grandes lignes d’un Pacte de stabilité et de croissance qui va s’appliquer à partir de 1999 et qui a renforcer ma convergence et la stabilité économique de l’Europe. Souvenons-nous de la réaction, extrêmement positive, des marchés européens au lendemain du conseil européen de Dublin ; elle a montré, je crois, que la confiance était déjà au rendez-vous de l’euro.

R.P.P. : Un pays qui aurait décidé d’adopter l’euro peut toutefois, pour des raisons économiques ou sociales, déraper totalement. Que se passera-t-il alors ?

Michel Barnier : La question de la conduite à tenir dans le cas où un État passé à l’euro serait confronté à un risque de dérapage a été au cœur des discussions de Dublin en décembre 1996. Les chefs d’État et de gouvernement se sont mis d’accord sur un « Pacte de stabilité et de croissance » qui est l’assurance d’une gestion saine des finances publiques. Le Conseil européen conservera un pouvoir d’appréciation pour les situations de caractère exceptionnel qu’il examinera au cas par cas avant de prendre une décision.

R.P.P. : Que sera l’impact de l’utilisation de l’euro sur les entreprises ? Doivent-elles convertir leur comptabilité et à partir de quand ? Doivent-elles former leur personnel et avec quels moyens financiers, etc. ? La difficulté ne sera-t-elle pas pour les petites entreprises qui auront en 2002 à utiliser deux unités monétaires ?

Michel Barnier : Le Conseil européen en décembre 1996 a finalisé un règlement sur le statut juridique de l’euro qui est très important pour les opérations économiques puisqu’il comporte déjà de nombreuses précisions concrètes sur les modalités d’utilisation de l’euro. Ce règlement établit par exemple le principe de la continuité juridique, ce qui signifie que le fait de passer de l’écu ou du franc à l’euro n’aura pas d’incidence sur la validité des contrats qui n’auront pas été modifiés. Ce principe évite notamment d’avoir à tenir une double comptabilité, l’important étant d’être prêt au moment du retrait des monnaies nationales en 2002.

Au niveau national, le gouvernement travaille depuis longtemps sur le dossier. Des professionnels ont commencé à être auditionnés en 1996 sous l’égide de la Banque de France. En octobre 1996, le Premier ministre a mis en place un plan de six ans pour organiser le processus de passage à la monnaie unique. C’est dans ce cadre qu’un Comité national de l’euro se réunit périodiquement sous la présidence de mon collègue Jean Arthuis, ministre de l’Économie et des Finances. Il s’agit de faire travailler ensemble les élus, les organismes consulaires, les entreprise, les associations, tous ceux qui seront les acteurs du passage à l’euro. Une place particulière a été faite aux PME-PMI, aux artisans, aux commerçants, aux associations de consommateurs. Des membres du Comité ou des groupes de travail seront chargés de réfléchir à des sujets spécifiques pour répondre ainsi à toutes les questions qui se posent quant à l’arrivée de l’euro. Cette logique, qui est celle de la concertation et de la plus grande diffusion possible de l’information nous permettra, je le crois, d’assurer la transition dans les meilleures conditions.

R.P.P. : Certains décideurs ont toujours constaté que la solidarité européenne était toujours mise en défaut. C’est pourquoi ils doutent que la monnaie ait la capacité de « tenir la route » durablement. Qu’en est-il selon vous ?

Michel Barnier : Soyons sérieux ! La solidarité européenne existe, nous en avons chaque jour la preuve dans les domaines les plus divers, y compris dans le domaine de la monnaie. Le passage à la monnaie unique n’est rien d’autre qu’un des aboutissements de la solidarité européenne.

R.P.P. : Les critiques de la monnaie unique affirment que, parce que l’euro est une création artificielle, il ne peut-être une solution suffisamment convaincante. Que pensez-vous de ce scepticisme ?

Michel Barnier : Depuis la fin des accords de Bretton-Woods, en 1971, le flottement des monnaies est devenu la règle. Que proposent les Européens ? Ils veulent créer une monnaie assise sur un continent où un processus d’intégration économique est à l’œuvre ; les barrières douanières ont été abolies ; les normes industrielles et commerciales sont homogènes : la liberté de commercer, d’investir, de travailler est la règle. La décision qui a été prise à Maastricht est une décision saine et réaliste. La monnaie unique est le complément naturel du marché unique. Il n’est pas normal qu’une monnaie entraîne, pour certains, une perte de compétitivité alors qu’à d’autres, au contraire, elle procure un avantage indu.

R.P.P. : Est-il souhaitable pour la France que le Royaume-Uni entre dans l’Union Économique et Monétaire ?
En effet, dans cette perspective, Londres pourrait dominer le marché lié à l’euro.
Si la Grande-Bretagne renonçait à l’euro, elle pourrait perdre un certain volume d’affaires au profit de Francfort ou de Paris.
Dans quelles hypothèses situez-vous la décision britannique et que serait-il préférable pour la France ?

Michel Barnier : L’euro a vocation à être la monnaie unique de tous les citoyens de l’Union et donc aussi des Britanniques.

Le passage de l’euro est désormais inéluctable. Il faut en tirer les conséquences. La monnaie unique amènera l’ensemble des opérateurs économiques et financiers des pays de l’Union européenne à fournir un effort d’adaptation, qu’ils appartiennent ou non à la zone euro dès 1999. Les marchés financiers de Londres, qui sont généralement favorables à l’euro, en sont, je crois, tout à fait conscients. Pour ma part, j’espère que, le plus vite possible, le Royaume-Uni pourra se déterminer en faveur d’un retour dans le S.M.E. puis d’une entrée dans la monnaie unique. L’avènement pour l’Europe et pour tous les Européens.