Texte intégral
France-Inter le 2 février 1999
S. Paoli
A la formule, « Des pains et du jeu », tout le monde sait qu'il y a longtemps qu'on a rajouté le dopage. Est-ce que c'est une reconnaissance de cette réalité qui va être accomplie à Lausanne ?
M.-G. Buffet
- « J'espère en effet que la conférence reconnaîtra la réalité du dopage, tout en refusant le "tous-dopés" ou le dopage médicalement assisté. Et j'espère surtout qu'elle va prendre les dispositions nécessaires pour faire reculer ce fléau. »
S. Paoli
Refuser le « tous-dopés », on a envie de le croire. Mais, quand on regarde les calendriers sportifs c'est surhumain !
M.-G. Buffet
- « C'est la cause principale du dopage. Avec la pression financière sur les grands événements sportifs, les droits télés, les sponsors, les produits dérivés, on assiste à une surcharge de calendrier qui fait que, humainement, il est de plus en plus dur pour un sportif de faire face. »
S. Paoli
On ne va pas en sortir comme ça ; on ne va pas diminuer le nombre de retransmissions de football à la télé, ni les épreuves... Sydney 2000, il y aura 300 disciplines ! Il parait que le record sera battu.
M.-G. Buffet
- « Oui, mais on va vers une course infernale. Est-ce que les Jeux olympiques du XXIème siècle seront des espèces de shows médiatiques avec des sportifs qui deviennent des cobayes, ou est-ce qu'on va retrouver le sens de l'olympisme avec une pratique sportive, et avec avant tout l'épanouissement individuel ? »
S. Paoli
Pensez-vous que l'on va changer les mentalités en si peu de temps ? En 1984, un médecin américain révélait qu'il avait traité avec de l'hormone de croissance des athlètes américains. Tout le monde le savait.
M.-G. Buffet
- « Jusqu'à présent, il y a eu une sorte de loi du silence, de banalisation. On laissait faire, il faut le reconnaître. Donc, si on prend vraiment cette question - comme on l'a fait au niveau de la France, au niveau de l'Union européenne - si on la prend vraiment au niveau du mouvement sportif international, je crois qu'on a les moyens, avec la prévention, le suivi médical, avec les contrôles, et avec quand même une sévérité accrue pour les pourvoyeurs, on a les moyens d'arrêter ce fléau, du moins le faire reculer, refuser sa banalisation. C'est cela l'essentiel. »
S. Paoli
On pourra aller contre tous les enjeux ? Il n y a pas simplement les sportifs et le sport, il y a souvent l'intérêt d'une région, d'une ville. Cela nous renvoie aux affaires de corruption du Comité olympique international.
M.-G. Buffet
- « Le problème c'est que, si maintenant, un événement sportif porte des enjeux financiers tels qu'à la limite on est prêt à tout, à n'importe quels moyens pour obtenir cet événement sportif, ou pour faire en sorte que cet événement sportif prenne un relief extraordinaire, je crois qu'on est en train de détourner le sport de son sens, et surtout d'utiliser les sportifs à des fins qui ne sont pas les fins du sport. »
S. Paoli
A Lausanne, va-t-on réfléchir autant sur les sanctions que sur la philosophie et le projet du sport ?
M.-G. Buffet
- « J'espère qu'on réfléchira aux deux. Je crois que si on ne réfléchissait qu'à l'aspect sanction, la conférence aura échoué. »
S. Paoli
Sur les sanctions cela sera difficile. Trois disciplines - le football, le cyclisme et le tennis - refusent le protocole en sept points envisagé ?
M.-G. Buffet
- « Je pense que l'on a besoin d'harmoniser les sanctions. Quand je dis cela, je ne pense pas à harmoniser au sens sanction maximum pour tout le monde. Je pense, au contraire, que l'on a besoin de graduer. Je pense, par exemple, à un jeune sportif qui est contrôlé positif pour la première fois : on doit plus l'aider à s'en sortir que sanctionner directement. S'il y a une volonté forte, les fédérations concernées seront bien obligées de l'admettre. »
S. Paoli
Une volonté forte cela voudrait dire : sanctionner les fédérations qui ne voudraient pas suivre ?
M.-G. Buffet
- « Il faut que le Comité international olympique aille au bout. C'est-à-dire qu'à partir du moment où il déclare vouloir lutter très clairement contre le dopage, il faudra bien prendre des sanctions envers les mouvements sportifs qui refuseraient de le faire. »
S. Paoli
Cela voudrait dire exclure certaines fédérations du projet olympique ?
M.-G. Buffet
- « Si vraiment des sports ne respectaient pas ce qui est l'esprit olympique, la charte olympique, je pense qu'en effet le CIO aurait des décisions à prendre. Alors, on va voir les débats qui vont se dérouler pendant trois jours ! J'espère que ces débats seront à la hauteur des enjeux du sport, du rêve que porte le sport. »
S. Paoli
La création d'une Agence de lutte et de prévention cela fait partie du cahier des charges ?
M.-G. Buffet
- « Je suis pour la création de cette Agence, à condition qu'elle soit réellement indépendante. Si c'est simplement une émanation du CIO, je ne pense pas qu'elle aura une efficacité. Il faut qu'on crée une organisation comme les grandes organisations internationales, l'OMS ou d'autres, qui soit financée à la fois par les Etats et par le mouvement sportif. Mais, qui se donne des garanties de transparence dans son fonctionnement et d'efficacité. »
S. Paoli
Des rumeurs disent que M. Samaranche pourrait être le patron de cette Agence indépendante, c'est pas sérieux !
M.-G. Buffet
- « Je n'ai pas entendu parler de cette rumeur. »
S. Paoli
Elle est dans toutes les dépêches de l'agence France-Presse de ce matin !
M.-G. Buffet
- « Ecoutez, elles ne sont pas arrivées jusqu'à moi. Je crois qu'il faut aborder cette conférence avec un peu plus de sérieux. »
S. Paoli
L'argent occupe une place extraordinaire dans le sport ? Comment va-t-on résoudre cela ?
M.-G. Buffet
- « Qu'il y ait de l'argent dans le sport, cela ne me gêne pas. Le sport a besoin d'argent comme tout autre domaine. Le problème c'est, qu'aujourd'hui, nous sommes arrivés à une situation où l'argent dicte ses règles au sport. Et nous avons des sports très médiatisés, et d'autres qui sont laissés à l'abandon. Il faut que le mouvement sportif se donne les moyens de maîtriser l'arrivée de l'argent dans le sport, de ne pas se soumettre à lui. Nous allons essayer, au niveau de la loi française, de lui donner quelques outils pour le faire. Mais la question ne se pose pas qu'en France, loin de là, elle se pose au niveau international. »
S. Paoli
Est-ce que vous êtes tous conscients, à Lausanne, que c'est toute la crédibilité du mouvement olympique et du sport en général qui est en jeu ?
M.-G. Buffet
- « Je le pense profondément. J'espère que beaucoup de personnes à Lausanne ont la même conviction. Si on sortait de cette conférence sans mesures réelles par rapport à ce fléau du dopage, je crois que c'est la crédibilité du Comité international olympique qui serait en jeu. »
S. Paoli
A votre voix, je vous sens un peu douter ?
M.-G. Buffet
- « J'espère beaucoup, mais je ne suis pas sûre du résultat. »
S. Paoli
Vous allez faire une déclaration dans quelques minutes. Elle est très attendue. Qu'est-ce que vous direz en gros ?
M.-G. Buffet
- « Je vais présenter la démarche française, la loi que nous sommes en train de débattre à l'Assemblée. Je vais revenir très clairement sur les causes du dopage et faire une série de propositions au mouvement sportif international ; des propositions que nous avons travaillées au niveau de l'Union européenne avec mes quinze collègues. »
RTL le 3 février 1999
O. Mazerolle
Les ministres européens sont entrés en guerre ou en rébellion - je ne sais pas - à l'égard du Comité olympique international qui veut garder la haute main sur l'agence de lutte contre le dopage ?
M.-G. Buffet
- « D'abord ce qui a dominé, hier, c'est le fait que, pour la première fois, s'est exprimée la volonté des Etats, et notamment de l'Union européenne, d'être aux côtés du mouvement sportif pour lutter contre le dopage et autres dérives. Nous avons eu simplement un point de discussion qui, j'espère, va se résoudre aujourd'hui, en effet, sur l'agence. On a besoin d'une agence qui soit réellement indépendante des pressions financières, des pouvoirs politiques, y compris peut-être des pouvoirs sportifs. Or, là, on a présenté une agence, je dirais, qui est simplement une sous-commission du CIO. Et je pense que cela ne correspond pas aux besoins actuels pour lutter contre le dopage. »
O. Mazerolle
Qu'est-ce qui vous choque le plus ? La présence dans cette agence également de laboratoires pharmaceutiques, de sponsors ?
M.-G. Buffet
- « D'abord le fait que cette agence soit présidée par le CIO avec beaucoup de membres de CIO à l'intérieur, puis les laboratoires pharmaceutiques, les sponsors, des organisations mondiales. Je pense qu'il faudrait trouver un mode de financement où il y a participation des Etats, participation du mouvement sportif. Et puis, faire en sorte que cette agence soit dirigée par des personnalités qualifiées - médecins, scientifiques, magistrats. »
O. Mazerolle
Mais qui ?
M.-G. Buffet
- « Qu'on peut nommer à partir d'organisations internationales comme nous l'avons fait en France. Le Conseil indépendant que nous allons mettre en place pour le dopage en France est composé de gens issus de la Cour de cassation, de la faculté des sciences, du Comité d'éthique. »
O. Mazerolle
Mais, au niveau mondial, qui les désignerait ces personnes ?
M.-G. Buffet
- « Je pense qu'on peut se mettre d'accord avec l'Unesco, avec l'Office mondial de la santé pour qu'il nous fasse des propositions, par exemple. »
O. Mazerolle
Tout cela révèle, quand même, de gros doutes par rapport au CIO. Il y a eu les affaires de corruption: le délégué américain en a parlé, hier. Le ver est dans le fruit, quand même, dans l'organisation mondiale du sport ?
M.-G. Buffet
- « Que ce soit le dopage, que ce soit d'autres dérives - comme, par exemple, l'achat de tout jeune sportif à l'étranger, les transferts commerciaux qu'on peut faire sur tel ou tel sportif -, ou que ce soit les problèmes de corruption, on a, aujourd'hui, trop de pressions financières sur les événements sportifs, c'est cela qui entraîne tout ce qu'on voit. »
O. Mazerolle
Vous avez le sentiment que le CIO ne veut pas se dégager de ces pressions financières ?
M.-G. Buffet
- « Je pense que beaucoup de gens, dans le mouvement sportif, ont envie de trouver un peu d'espace pour que le sport reprenne son sens et ses valeurs. »
O. Mazerolle
Vous bottez en touche, comme on dit ?
M.-G. Buffet
- « Non, mais je pense, en effet, qu'au niveau du CIO, il y a une difficulté de se sortir d'un mode de fonctionnement, d'une espèce de course que l'on a connue, par exemple par rapport aux Jeux olympiques qui sont devenus une énorme machine avec de plus en plus de pratiques sportives, avec de plus en plus d'enjeux en liaison avec les sponsors. Moi, je pense qu'il faudrait que les dirigeants du CIO fassent un peu le point et sentent qu'il faut que cela bouge à ce niveau-là. »
O. Mazerolle
Le Prince de Mérode, hier, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. Il a dit : comment, les politiques, vous nous donnez des leçons ! Mais, quand on parle de corruption c'est à eux qu'on pense !
M.-G. Buffet
- « Il faudrait que le Prince de Mérode comprenne que l'arrivée des gouvernements sur cette question du dopage, ou sur d'autres questions liées au sport, n'est pas contre le mouvement sportif. Tous les intervenants hier, tous les ministres qui sont intervenus ont dit : nous voulons être à vos côtés, nous ne voulons pas nous mêler des affaires qui vous concernent, mais nous voulons jouer notre rôle d'Etat sur la santé publique, sur l'éthique du sport. Je crois qu'il faut que le Prince de Mérode réagisse en disant : ils nous tendent la main, travaillons ensemble. »
O. Mazerolle
Vous êtes un peu en porte-à-faux parce que la France est candidate à l'organisation des Jeux olympiques de 2008. La désignation se fera par le CIO, et vous dites que le CIO devrait changer ses méthodes ?
M.-G. Buffet
- « Je pense que si l'on veut porter une belle candidature de la région capitale, de Paris, aux Jeux olympiques, il ne faut pas commencer en faisant des compromissions. Il faut la porter justement d'une façon claire, nette en disant qu'on souhaite des Jeux Olympiques qui soient des Jeux Olympiques renouvelés où vraiment le sport reprend toute sa place. »
O. Mazerolle
Dans cette affaire de lutte contre le dopage, l'Europe est vraiment solidaire ?
M.-G. Buffet
- « Je crois que c'est peut-être le fait le plus important de ces derniers mois au niveau du sport. C'est que, pour la première fois, les quinze ministres des sports de l'Union européenne se sont retrouvés, ont débattu, ont adopté une résolution commune. Nous avons de nouveau rendez-vous le 31 mai pour le premier Conseil des sports de l'histoire de [a construction européenne. Quelque chose de très fort a commencé, et on a vu, dès hier, que, oui ! l'Europe pouvait parler d'une même voix sur le sport. »
O. Mazerolle
Vous voulez être aux côtés des mouvements sportifs, mais on voit que par exemple, dans le cyclisme, l'Union cycliste internationale est très dubitative sur les mesures antidopage que vous préconisez. Est-ce la Fédération française de cyclisme va pouvoir appliquer la loi qui a été votée à l'unanimité par le Parlement français ?
M.-G. Buffet
- « La Fédération française de cyclisme et son président M. Bale ont même devancé la loi qui va être adoptée définitivement au mois de mars en prenant des mesures tout à fait courageuses au niveau du cyclisme, avec ce suivi médical, avec une volonté de prévention, une volonté de débat avec les coureurs cyclistes. J'ai moi-même reçu l'Union professionnelle des coureurs cyclistes, et nous avons eu une très bonne discussion. Je pense que l'attitude de la Fédération française fera qu'au niveau international les choses devront bouger également. »
O. Mazerolle
A propos d'assainissement, vous voulez vous occuper du football et empêcher que les jeunes français de 15 ou 16 ans, qui sont en formation, puissent être débauchés comme cela par des clubs à coût de milliards ou de millions ?
M.-G. Buffet
- « Je crois que c'est le souhait des clubs formateurs français, c'est le souhait aussi du directeur technique national, A. Jacquet. On ne peut pas faire un effort de formation envers les jeunes, et puis ensuite constater que ces jeunes sont victimes de transactions commerciales par tel ou tel club. Donc, je souhaite que la loi française, la loi sur le sport puisse interdire les transactions commerciales. Mais là aussi, si on reste au niveau franco-français on ne va pas y arriver puisque les transactions se font entre différents pays. C'est donc une des propositions que je ferai lors de la prochaine réunion des ministres des Sports au plan de l'Europe. »
O. Mazerolle
Du côté français, ces dispositions deviendraient légales à partir de quand ?
M.-G. Buffet
- « C'est le problème de l'inscription de la loi sur les sports qui est maintenant prête et que je vais envoyer au Conseil d'Etat. J'espère qu'elle pourra être inscrite au calendrier de 1999. »
O. Mazerolle
A propos de drogue, de dopage ou je ne sais quoi : la première cigarette c'est quand pour vous ?
M.-G. Buffet
- « Il n'y a plus de cigarettes. »
O. Mazerolle
Plus du tout ? c'est fini ? D'un coup, comme ça, vous avez arrêté ?
M.-G. Buffet
- « Oui, il faut décider. »
O. Mazerolle
Avec une aide médicale ?
M.-G. Buffet
- « Bien sûr. »
O. Mazerolle
Ah oui ! Et c'est dur ?
M.-G. Buffet
- « On va voir. »
O. Mazerolle
En tout cas, vous courez plus vite maintenant ?
M.-G. Buffet
- « Je cours normalement. »