Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à France 3 et RTL les 16 et 17 juin 1997 et propos à la presse le 19, sur l'accord au Conseil européen d'Amsterdam autour de la proposition française d'équilibrer le Pacte de stabilité monétaire par une résolution sur la croissance et l'emploi.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Sommet franco-allemand au Futuroscope de Poitiers le 13 juin 1997 (rencontre du chancelier Kohl avec le Président Chirac puis avec Lionel Jospin). Conseil européen à Amsterdam du 16 au 18 juin 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - France 3 - RTL - Télévision

Texte intégral

Date : Lundi 16 juin 1997
Source : France 3

France 3 : Que s’est-il passé ? Est-ce que ce sont les Allemands qui ont fait un pas vers la position française, ou est-ce que Lionel Jospin a un petit peu adouci ses exigences ?

Pierre Moscovici : C’est un compromis, ça veut donc dire que chacun a avancé vers l’autre. Mais, malgré tout, il faut quand même dire que ce qui s’est produit c’est que le Gouvernement de Lionel Jospin en liaison avec le Président de la République a rouvert le débat. Jusqu’à présent, il n’y avait qu’un pacte de stabilité, donc que des impératifs monétaires ; désormais, on traite à égalité de la stabilité, mais aussi de l’emploi et de la croissance. Et je crois que c’est une avancée extrêmement importante et positive pour la France. Je crois que nos partenaires – notamment les Allemands – ont fini par comprendre nos préoccupations, ils ont compris que l’on avait besoin de temps, ils ont aussi compris que l’on voulait un équilibre nouveau en Europe entre ces préoccupations. C’est pour cela que, je crois, ce soir, nous avons enregistré un succès extrêmement important.

France 3 : On parle d’un volet social ou d’un volet sur l’emploi au pacte de stabilité, mais concrètement, qu’est-ce que ça va changer pour les 18 millions de chômeurs européens, est-ce que ça n’est pas simplement une déclaration de bonnes intentions ?

Pierre Moscovici : Non, c’est plus que cela, mais c’est vrai aussi qu’il faut dire que tout ne sera pas résolu tout de suite – j’allais dire « évidemment » – mais il y a des changements concrets. D’abord, demain – parce que ce Sommet européen n’est pas terminé –, il y aura un Traité qui devrait être conclu à l’issue de la conférence intergouvernementale qui comprendra un chapitre sur l’emploi, et qui fera qu’il y aura un comité sur l’emploi qui sera aussi important que les comités économiques et monétaires. Ensuite, ça veut dire que les travailleurs désormais seront consultés sur tous les projets de restructuration ; et par rapport à tout ce qui a pu se passer, type crise Vilvorde, c’est extrêmement fort. Et puis, il y a des mesures concrètes pour la croissance et pour l’emploi qui transitent par cette fameuse BEI, la Banque européenne d’investissements, qui pourra financer des projets innovants dans les hautes technologies pour les petites et moyennes entreprises et qui pourra aussi financer par des prêts à très long terme ces fameux grands projets de communication et de transport. Je pense par exemple au TGV-Est qui était en panne depuis quelques années. Et donc il y a une politique nouvelle pour la croissance et pour l’emploi qui se mettra en place. Il y a aussi un meilleur équilibre social ; et tout cela, c’est un premier pas. Encore une fois, premier pas qui devra être confirmé par une réflexion approfondie. C’est le sens du sommet qui devrait avoir lieu à l’automne sur cette question.

France 3 : Justement, cette méthode Jospin pour le pacte de stabilité va-t-elle être appliquée à d’autres dossiers européens. Est-ce qu’il faut, d’après vous, plus de négociation réelle entre les Quinze ?

Pierre Moscovici : Ah oui, c’est clair ! Vous savez, finalement, tout s’est passé en une semaine. Le nouveau Gouvernement est là depuis deux semaines, il a fallu s’ajuster, s’ajuster entre les partenaires français, s’ajuster avec nos partenaires qui nous découvrent en même temps qu’ils changent un peu la politique européenne. C’est un premier pas qui veut dire : oui, la France est pour un rééquilibrage, mais nous devons en parler, nous devons en parler à fond. Et d’ailleurs, je souligne que ce n’est pas la France contre tous les autres ; et que, comme l’a dit Lionel Jospin, comme l’a dit aussi Jacques Chirac, finalement, nous avons trouvé un écho chez beaucoup d’autres. Chacun partageait un petit peu ces préoccupations, n’osait pas finalement les mettre en avant. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, encore une fois, c’est un premier pas extrêmement important, à la fois sur le fond et sur la méthode, pour l’avenir.


Date : Mardi 17 juin 1997
Source : RTL

RTL : Il y a une semaine, vous disiez à ce micro que vous vouliez un vrai délai et pas seulement deux paragraphes dans une résolution, et moins d’une semaine plus tard, l’accord est réalisé. Que s’est-il donc passé ?

Pierre Moscovici : Je crois qu’il y a eu un travail de conviction extrêmement important qui a été fait au cours de cette semaine. Finalement, il y a une semaine, quand Dominique Strauss-Kahn est arrivé au conseil des ministres des Finances, il a fait valoir quelles étaient les positions de la France. Chacun a senti en Europe, et notamment les Allemands, que ces exigences étaient très fortes et que nous souhaitions vraiment que la politique soit rééquilibrée et qu’à côté des impératifs monétaires, il y ait aussi la croissance et l’emploi. Et cette semaine a été utilisée par chacun, par la présidence hollandaise, par les Allemands et par nous-mêmes pour trouver une solution.

RTL : Ce sont les autres qui se sont couchés pour que cela aille plus vite que prévu ?

Pierre Moscovici : Pas du tout ! Au fond, nous avons été plus vite que prévu. Nous aurions souhaité plus de temps à l’origine mais chacun a fait un énorme effort pour aller vers l’autre. C’est comme cela que fonctionne l’Europe, à savoir à coups de compromis et s’il n’y a pas de compromis, il n’y a probablement plus d’Europe.

RTL : Votre satisfaction à l’issue de cette semaine est d’avoir marqué le coup auprès des Allemands ?

Pierre Moscovici : Ce n’est pas une question de rapport de forces par rapport à tel ou tel. L’Europe ne fonctionne pas si les Allemands et les Français ne s’entendent pas et ne se comprennent pas. Notre satisfaction est d’avoir montré qu’il y avait en Europe une priorité aussi forte pour la croissance et pour l’emploi – avec les 18 millions de chômeurs européens comment faire autrement ? – que pour la fameuse stabilité monétaire, pour les critères budgétaires ou pour tel ou tel impératif de gestion. Désormais, l’Europe marche sur deux pieds. Même si ce n’est qu’un début, c’est une volonté politique, symbolique, extrêmement forte qui a été marquée hier et qui devrait être suivie d’effets sans cesse plus grands.

RTL : Avec cette résolution qui est annexée au pacte de stabilité mais qui ne le modifie pas vraiment, qu’y a-t-il de changé concrètement pour l’emploi en Europe ?

Pierre Moscovici : D’abord, elle n’est pas annexée au pacte de stabilité. Il y a deux résolutions : une qui concerne le pacte de stabilité et l’autre qui concerne la croissance et l’emploi et elles sont mises sur le même pied.

RTL : Sauf que le pacte de stabilité prévoit des obligations par rapport au budget et par rapport au déficit budgétaire alors que la résolution sur l’emploi ne prévoit aucune mesure contraignante !

Pierre Moscovici : C’est très juste mais vous aurez noté aussi qu’il y a des rendez-vous qui sont prévus pour plus tard à l’automne et que l’on devra aller plus loin car il est clair pour nous que ce n’est qu’un début, une porte qui est ouverte. Il va falloir maintenant marcher dans ce nouvel espace. C’est cela que nous voulons faire. Mais pour revenir à votre question sur ce qu’il y a de concret là-dedans : Il y a d’abord le fait qu’aujourd’hui, il va être signé un traité – je l’espère du moins – après la conférence intergouvernementale et qu’il y aura dans ce traité un chapitre sur l’emploi qui aura une valeur contraignante celui-là et qui permettra une coopération entre les Etats, qui permettra une prise en compte des préoccupations d’emploi clans la mise en œuvre de toutes les politiques monétaires et c’est très important.

RTL : Pour le sommet qui est prévu à Luxembourg à l’automne prochain, le Premier ministre luxembourgeois, J-C. Juncker, qui sera président de l’Europe pour cette période prévient déjà qu’il ne faudra pas créer de faux espoirs !

Pierre Moscovici : Il y a là une juste prudence dans ce que le Premier ministre luxembourgeois veut dire. Il faut peut-être prendre un peu plus son temps et il vaut mieux avoir beaucoup de mesures concrètes en décembre que pas grand-chose en octobre. Mais en même temps, si l’on peut avoir des choses concrètes en octobre, tant mieux. C’est le calendrier, en fait, qui risque d’être réaménagé. On verra bien. Nous souhaitons le plus tôt possible mais en même temps, avec le plus de choses possible.

RTL : Croyez-vous avoir vraiment résolu les contradictions de fond entre la France, qui veut se lancer dans une politique de croissance et de relance de l’activité, et les autres qui n’ont que le mot de flexibilité à la bouche ?

Pierre Moscovici : Les contradictions demeurent mais les choses sont un peu plus compliquées que cela. Ce n’est pas exact de présenter la France comme étant contre tous les autres. C’est vrai qu’il y a une vision française de l’Europe, il y a une vision française de la politique économique qui traverse d’ailleurs les camps, à savoir la droite et la gauche, mais il y a en même temps des préoccupations françaises qui ont rejoint tel ou tel de nos partenaires. Nous n’avons pas été seuls, sans quoi nous n’aurions pas abouti. Les Italiens partageaient beaucoup de nos vues, les Belges partageaient beaucoup de nos vues. Par exemple, dans cette résolution, il y a aussi le fait que les partenaires sociaux doivent être consultés dans les opérations de restructuration. On ne devrait pas voir de nouveau Vilvorde dans les mêmes conditions et cela aussi, c’est important. Cela aussi, c’est concret. Nous avons trouvé ponctuellement des alliés ici ou là et chacun a fait un effort, y compris les Allemands évidemment.

RTL : À partir de ce texte, que pouvez-vous espérer de plus dans l’avenir, concernant l’emploi ?

Pierre Moscovici : Nous pouvons espérer que tout ce qui a été prévu pour la croissance à travers la Banque européenne d’investissement, c’est-à-dire la création de facilités financières pour financer les projets de haute technologie dans les PME, des prêts à très long terme pour les projets prioritaires à savoir ces fameux grands travaux comme le TGV-Est, nous pouvons espérer que tout cela soit davantage développé et que l’Europe prenne une attitude plus volontaire, qu’elle soit à nouveau consacrée à un projet de relance pour l’emploi et la croissance. C’est cela que nous voulons promouvoir dans l’avenir et les mots ont une très grande force, ils ont un grand sens politique. L’Europe a pris conscience qu’elle devait désormais être rééquilibrée. C’est là-dessus que j’insiste beaucoup, à savoir ce rééquilibrage entre la priorité monétaire qui était la sienne jusqu’à maintenant et la priorité à la croissance et l’emploi qui doit devenir au moins son égal.

RTL : La France a accepté définitivement le pacte de stabilité, cela veut-il dire qu’elle a adhéré de manière irrévocable à l’euro ?

Pierre Moscovici : D’abord, la France a toujours milité pour l’euro et les socialistes aussi. Là-dessus, il n’y a pas d’ambiguïtés. Ce pacte de stabilité avait déjà été adopté à Dublin et la parole de la France avait été donnée. C’est d’ailleurs pour cela que nous n’avons pas souhaité y revenir parce que cela eut été une crise à la fois européenne et française et chacun l’a souligné, en l’occurrence le Président Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin, en travaillant en bonne intelligence.

RTL : Donc, vous avez accepté Super-Maastricht, comme dirait Lionel Jospin !

Pierre Moscovici : Je crois que le fait de l’avoir équilibré en change aussi le sens. Cela dit, il y a d’autres rendez-vous qui nous attendent et il faudra voir quelle est la situation de nos finances publiques et c’est au regard de cette situation des finances publiques que nous déciderons ou pas de passer dans l’euro. J’espère bien sûr qu’on le fera. Une fois que nous sommes dans l’euro, il faut effectivement la stabilité.

RTL : Précisément, en entrant dans le pacte de stabilité, il y a des critères à observer. Quelles conséquences cela aura-t-il sur le discours de politique générale que Lionel Jospin doit adresser au Parlement après-demain ?

Pierre Moscovici : Je pense que Lionel Jospin expliquera que nous voulons faire l’euro, que nous voulons faire l’euro dans les délais, que nous voulons faire l’euro en respectant le traité de Maastricht parce qu’il a été adopté par le peuple mais qu’en même temps, nous voulons conduire notre politique économique et que notre priorité n’est pas que l’Europe mais aussi la France, car nous voulons faire l’Europe sans défaire la France. Notre politique économique sera donc appliquée. Nous ferons notre programme.

RTL : Précisément, n’y a-t-il pas une contradiction entre l’acceptation du pacte de stabilité et cette politique économique qui peut amener des déficits au-delà des 3 % prévus par le traité de Maastricht ?

Pierre Moscovici : Je crois qu’il faut quand même rectifier un petit peu les choses. Quand on dit que le pacte de stabilité, c’est du super-Maastricht c’est vrai, mais peut-être pas pour tout de suite. Il y a d’abord le passage aux critères en 1998 et qui conditionne l’entrée dans la monnaie unique et ensuite, il y a l’idée que l’on entre dans une stabilité des finances publiques. Mais les six mois qui viennent vont être absolument décisifs. Là, il y aura une discussion politique entre les Européens pour savoir si, oui ou non, on fait la monnaie unique. Le pacte de stabilité ne s’applique qu’une fois que la monnaie unique est faite.

RTL : Donc, on pourra éventuellement être largement au-delà des 3 % cette année ?

Pierre Moscovici : Je ne crois pas que l’on pourra être largement au-delà des 3 % mais le cas échéant, comme le prévoit le traité, on pourrait avoir une lecture politique, une interprétation en tendance de ces critères. D’ailleurs, le problème peut se poser pour plusieurs États européens. Vous savez, c’est un projet historique de faire l’euro. C’est quelque chose de fondamental et j’y reste très attaché. Faut-il y renoncer pour 0,1 ou 0,2 %, pour des raisons conjoncturelles ? Je n’en suis pas sûr. Je ne prône pas le laxisme budgétaire mais cette question doit être examinée avec beaucoup de sagesse par nous-mêmes et par les Allemands qui ont, eux aussi, des problèmes de finances publiques.

 

Propos du ministre délégué aux affaires européennes, M. Pierre Moscovici, à l’issue de l’entretien du ministre des Affaires Étrangères, M. Hubert Védrine, avec le ministre Luxembourgeois des Affaires Étrangères, M. Jacques Poos (Paris, 19 juin 1997)

Question : Êtes-vous déçu par les résultats du sommet d’Amsterdam ?

Réponse : Il n’y a pas de déception. Nous avons un sentiment mitigé et plutôt positif sur les résultats de la Conférence intergouvernementale tout en ayant certaines frustrations, notamment sur ses aspects institutionnels. Nous avons eu des échanges très positifs avec la future présidence luxembourgeoise. Nous avons évoqué la mise en œuvre du Pacte de stabilité et de croissance.

Nous attendons beaucoup du Conseil européen spécial sur l’emploi qui se tiendra sous la présidence du Luxembourg. Nous avons également évoqué les décisions préalables de procédure sur l’élargissement. Nous avons eu un long entretien très utile sur ces questions. La présidence luxembourgeoise s’engage sous les meilleurs auspices.

Question : Est-ce que le report des décisions sur les aspects institutionnels reporte d’autant les négociations d’élargissement ?

Réponse : Il s’agit en réalité de deux processus parallèles et concordants qu’il convient de faire avancer ensemble. Il ne s’agit donc pas de bloquer l’élargissement mais de faire avancer les deux processus.