Texte intégral
Cette session extraordinaire du Conseil supérieur de la fonction militaire avait initialement pour objet l’examen du projet de modification de la rémunération des militaires en opérations extérieures et du projet de loi sur les réserves. Elle me paraît avoir un troisième intérêt : celui de faire, ensemble, le point de la mise en oeuvre de la professionnalisation qui s’est engagée depuis maintenant un trimestre.
Je ne reviendrai par sur la question des opérations extérieures que nous venons d’évoquer. Je vous tiendrai informés, dans quelques instants, des travaux relatifs aux réserves ; mais je voudrais avant tout insister sur le fait qu’aujourd’hui, la réforme de la défense est engagée dans de bonnes conditions et en dresser avec vous un premier bilan.
* Professionnalisation des armées
Les moyens permettant d’engager la professionnalisation des forces armées sont désormais en place : le budget 1997 du ministère est conforme à la première annuité de la programmation ; la loi relative aux mesures en faveur du personnel militaire dans le cadre de la professionnalisation est entrée en vigueur ; sur la vingtaine de textes d’application qu’il était nécessaire de publier, 16 l’ont été à cette date.
Ces textes traitent : de la revalorisation de la solde des engagés ; de la revalorisation de l’indemnité de départ et des frais de changement de résidence ; du cumul des accessoires de l’indemnité pour charges militaires ; des conditions de mutation de certains militaires des armées vers la gendarmerie. Les derniers textes vont bientôt paraître. Il s’agit des décrets relatifs aux primes d’engagement et au congé de conversion.
Par ailleurs, la circulaire relative aux modalités de reconversion, particulièrement importante à mes yeux, est en cours d’élaboration. Un travail d’envergure est mené par la DFP (Direction de la fonction militaire et du personnel civil) et les armées pour identifier l’ensemble des besoins et mettre en place méthodes efficaces. J’ai demandé au secrétaire général pour l’administration de mettre tout en œuvre, afin que cet ultime texte d’application soit publié avant la fin de l’année.
* Personnel militaire (vote de la loi d’accompagnement social et financier)
Grâce au vote, en décembre dernier de la loi relative aux personnels militaires, les décisions concernant l’octroi des mesures d’incitation au départ ont pu prendre effet dès les premiers jours de janvier. Les délais ont donc été tenus. Le pécule a rencontré un vif succès, qui doit beaucoup à la concertation qui a précédé sa définition :
- pour les officiers, 387 demandes ont été déposées et 175 agréées ;
- pour les sous-officiers et officiers mariniers, 10 758 demandes ont été déposées et 2 106 agréé(es).
Le coût de ces mesures s’élève à 572 millions de francs.
L’attribution du pécule a reposé, ainsi que je m’y été engagé, sur des critères objectifs et transparents établis par chacune des armées. Les candidats ont été clairement informés que le pécule constitue un moyen temporaire de gestion, et non un droit attaché à la condition militaire. En effet, il est destiné à permettre aux armées d’atteindre les objectifs que leur fixe la loi de programmation.
Pour 1998, les dispositions antérieures seront reconduites en tenant compte, naturellement, de l’expérience acquise et des besoins nouveaux qui sont apparus. Je voudrais évoquer, à cet égard, la délégation générale pour l’armement et la gendarmerie.
La réforme que conduit la Délégation générale pour l’armement se traduira par une réduction de ses effectifs militaires qui n’avait pu être inscrite dans la loi de programmation militaire compte tenu du calendrier. Je confirme donc que l’accès au pécule sera ouvert à la Délégation générale pour l’armement, dans des conditions financières qui restent à définir.
Des demandes de pécules se sont également manifestées au sein de la gendarmerie. Si la gendarmerie n’est pas concernée, à proprement parler, par des réductions d’effectifs, elle fournira toutefois un effort d’accueil à l’égard d’officiers et de sous-officiers d’autres armées. Dans ces conditions, l’attribution de pécules à des officiers et des sous-officiers de cette arme sera étudiée à l’occasion de la rédaction de la directive pour 1998.
* Recrutement (nouveaux engagés)
Sur la durée de la programmation militaire, le nombre d’engagés va plus que doubler, passant de 47 000 à près de 93 000.
La loi de finances pour 1997 prévoit que ce nombre s’accroîtra d’environ 7 700 en 1997, dont 5 900 engagés supplémentaires pour l’armée de terre, 1 340 pour l’armée de l’air et 240 pour la marine. Ces engagements s’ajoutent, bien évidemment, aux recrutements habituels. L’armée de terre doit ainsi assurer 10 000 engagements cette année.
Les campagnes de recrutement favorable. Elles ont rencontré l’intérêt de très nombreux jeunes, puisque le nombre de demandes est toujours notablement supérieur à celui des postes offerts.
* Reconversion
La reconversion constitue, je ne cesse de l’affirmer, une condition « sine qua non » du succès de la professionnalisation et de la politique des carrières courtes que vous étudierez lors de votre prochaine session.
Je suis en effet convaincu de l’intérêt d’une bonne reconversion afin d’attirer des engagés, des sous-officiers et des officiers de qualité pour une carrière qu’une première étape dans leur vie professionnelle.
La durée, nécessairement limitée, de ces carrières doit être compensée par l’affirmation d’un droit à l’acquisition de compétences valorisantes sur le marché, soit qu’elles proviennent d’une adaptation des compétences techniques acquises dans les armées, soit qu’elles proviennent une formation spécifique acquise en vue du reclassement.
Les actions de reconversion doivent être d’abord menées en milieu militaire et un effort spécial doit être entrepris pour les engagés et les cadres des branches combattantes dont les compétences techniques ne sont pas directement utilisables dans le monde civil. La formation qualifiante reçue pendant la durée du service doit faire l’objet d’une validation professionnelle afin d’élargir encore l’accès aux diplôme de l’éducation nationale. Les actions de formation générale ne doivent pas être négligées : elles devront être entreprises pour tous ceux au profit desquels elles se révéleraient nécessaires.
La reconversion doit également être conduite hors des armées, par des collaborations avec les branches professionnelles, les entreprises, les organismes compétents (AFPA, ANPE) et les collectivités locales. Je me félicite, à cet égard, de la journée « Jeunes-Armées » organisée en région Rhône-Alpes la semaine dernière. Comme vous le savez, ce sont les régions qui sont aujourd’hui responsables de la formation professionnelle et je crois indispensable que des contacts étroits soient établis, comme à Lyon vendredi dernier, entre les militaires responsables de la professionnalisation des unités et les acteurs locaux qui disposent d’un réseau et de savoir-faire qu’ils tiennent à la disposition des armées.
Dernière recommandation sur ce point : il ne faut pas céder à la tentation de penser que l’on fait mieux que le voisin et qu’il est inutile de lui faire connaître les bonnes recettes que l’on a pu mettre au point. Bien au contraire, je souhaite que toutes les initiatives soient connues, que les expériences soient partagées, c’est le rôle de la DFP et de la mission pour la mobilité professionnelle d’animer et d’être le point de rassemblement et d’échange des expériences de chacune des armées.
* Personnel civil (soutien des forces opérationnelles)
La professionnalisation accorde une place plus grande au personnel civil. La loi de programmation a prévu l’arrivée d’environ 9 000 civils supplémentaires dans les armées ; à titre d’exemple, la marine et la gendarmerie verront leurs effectifs de civils doubler.
Le recours accru au personnel civil doit permettre de rapprocher les tâches de soutien des forces opérationnelles ; ainsi dans l’armée de terre chaque régiment professionnel accueillera environ 30 à 40 civils c’est-à-dire trois à quatre fois plus qu’aujourd’hui. Ces civils constitueront l’ossature de la fraction stable de ces unités qui, toutes, ont désormais vocation à être « projetées ».
* Recrutement (depuis la DGA et au titre de la loi 70-2)
L’augmentation des effectifs de civils s’effectuera de manière différente pour les ouvriers et les fonctionnaires. Pour les ouvriers, il s’agit essentiellement de transferts en provenance de la DGA. Pour les fonctionnaires, il s’agira également de mutations depuis la DGA, mais surtout de recrutement (environ 1 700 sont prévus en 1997) et d’emplois ouverts au titre de la loi 70-2 (97 emplois en 1997 contre 28 en 1996). Mais il ne s’agit pas uniquement d’une évolution quantitative. En effet, le personnel civil comporte des cadres de haut niveau qui ont vocation et compétence pour occuper des postes de conception et de direction.
Je ne méconnais pas les craintes et les préventions qui s’expriment çà et là devant cette évolution, beaucoup d’entre elles s’expliquent par une relative méconnaissance de ces deux manières différentes de servir la collectivité que constituent le statut militaire et les statuts de fonctionnaires ou d’ouvriers. J’ai demandé au secrétaire général pour l’administration d’engager un processus de concertation pour cerner les éventuelles difficultés que soulèverait cette évolution et de prévoir des réponses adaptées.
En tout état de cause, chacun devra faire un effort de connaissance et de reconnaissance, afin que le travail de tous au service d’un but commun, notre défense, puisse s’effectuer avec efficacité.
* Femmes militaires
Avec environ 22 000 femmes dans leurs rangs, les armées françaises sont aujourd’hui les plus « féminisées » de l’Europe occidentale. Longtemps confinées dans des fonctions et des corps spécifiques, les femmes, depuis 1972, sont recrutées et poursuivent leur carrière dans des conditions comparables aux hommes. Cependant en ce qui concerne les officiers, les sous-officiers et les officiers mariniers, des quotas établis par les statuts particuliers limitent souvent l’accès des candidats féminins.
La présence des femmes est une richesse pour les armées. Il convient de leur ouvrir de plus en plus largement des spécialités jusque-là fermées. La suppression des dispositions générales et systématiques limitant le nombre de femmes doit être envisagée, toute restriction ne devant reposer que sur les contraintes réelles d’emploi ou d’autres éléments objectifs. Des travaux entrepris dans cette perspective sont en cours, et des propositions me seront bientôt faites. J’ai demandé que l’ensemble des modifications aux textes statutaires vous soit présenté lors de votre session de juin.
* Mesures d’adaptation en 1997
Le 17 juillet, j’ai annoncé les mesures d’adaptation des armées couvrant la période 1997-1999. Ces mesures vont prendre effet principalement à partir de l’été 1997. Elles concernent les forces, avec notamment, je vous le rappelle, la dissolution de 38 régiments de l’armée de terre, dont 11 en Allemagne, la fermeture de 4 bases aériennes, le désarmement de 13 bâtiments de la marine et la fermeture de quatre hôpitaux des armées.
Ces restructurations ont été admises et comprises localement. Je voudrais relever le rôle déterminant des chefs de corps, des commandants de base, des directeurs d’établissement, de l’ensemble de la communauté militaire qui ont su expliquer cette adaptation, et contribuer ainsi de manière essentielle à son acceptation par les élus et les populations.
Ceux-ci ont saisi les points positifs de ces restructurations, liés à la professionnalisation des unités et il existe aujourd’hui une réelle volonté chez les élus et les populations de réussir l’accueil des unités professionnalisés, notamment en matière de logements et d’accès aux équipements publics. Ceci augure bien de la contribution au lien armée/nation que cette insertion locale permettra.
* Réforme du service national (discussion parlementaire)
Je ne reviendrai pas sur l’économie générale de cette réforme, dont les principes et les objectifs vous ont été présentés lors de la précédente session.
Le projet de loi a été examiné en deuxième lecture par l’Assemblée nationale la semaine dernière. La deuxième lecture au Sénat aura lieu à la fin de ce mois. Les débats ont permis d’enrichir et de préciser le texte initial sur plusieurs points, relatifs notamment au volontariat. La nature de l’accord de volontariat, le statut social et fiscal des volontaires, les conditions d’accomplissement du volontariat ont fait l’objet d’aménagements utiles tant pour les volontaires que pour les organismes d’accueil. L’adoption définitive du texte devrait intervenir dans le courant du mois de mai. Il restera alors à publier les décrets d’application, pour que cette réforme puisse entrer en vigueur à l’été.
Je souhaiterais insister à nouveau sur le rôle très important que le ministère de la défense va jouer dans la mise en oeuvre de cette réforme. La réussite du rendez-vous citoyen tiendra pour beaucoup à la qualité de son organisation et à la valeur de l’encadrement que les armées, la gendarmerie et le service de santé mettront à disposition des centres ou service national.
* Volontariat
Il y a là, avec le volontariat, une chance à saisir, un atout à jouer alors que la professionnalisation est en oeuvre. Je suis persuadé que le volontariat deviendra progressivement un lieu de passage spontané avant l’engagement. Tous y trouveront avantage : les volontaires, qui pourront ainsi confirmer ou non leur intérêt pour le métier des armes ; les armées et la gendarmerie, qui souhaiteront naturellement profiter du volontariat pour mieux connaître les aptitudes des futurs engagés.
Vous le savez, cette réforme sera conduite de manière progressive :
- ouverture du centre de Mâcon cet été ;
- ouverture des centres de Nîmes et de Compiègne cet automne ;
- ouverture du centre de Sathonay en 1998.
Par ailleurs, il a été demandé aux états-majors de préparer dès maintenant l’accueil des volontaires du domaine défense-sécurité-prévention, afin que des activités leur soient offertes, si possible dès 1997.
Pour conclure sur le service national, je voudrais vous confirmer l’importance que le président de la République et le Gouvernement attachent à cette réforme. Les débats au Parlement, comme ceux qui ont précédé l’élaboration du projet de loi, ont permis de souligner combien les Français sont attachés à leur armées, combien ils tiennent au maintien d’un lien fort entre l’armée et la nation, entre la communauté militaire et la société dans laquelle elle vit.
Les plus âgés d’entre vous mesureront le chemin parcouru, depuis l’antimilitarisme de la décennie 65-75. Ce rapprochement entre l’armée et la nation tient pour beaucoup aux évolutions – y compris celle des mentalités – que l’armée a su s’imposer à elle-même. La réforme du service national doit permettre de comporter encore ce mouvement, dans des formes différentes.
* Réserves (projet de loi)
Le projet de loi sur la réserve doit venir compléter l’édifice législatif constitué par la loi de programmation, la loi relative aux mesures en faveur des militaires et la loi portant réforme du service national. Le but de ce projet de loi est de permettre à la nation de disposer des capacités indispensables aux forces armées et aux services publics pour faire face aux situations de crise et assurer, en toutes circonstances, la sécurité des populations.
* Réserve militaire et réserve civile
Par comparaison avec ce qui a pu exister dans le passé, ce texte définit non seulement les fondements d’une réserve militaire mais aussi d’une réserve civile. Il est en effet apparu que de nombreuses similitudes existaient et qu’il était donc judicieux qu’une seule loi fixe les caractéristiques générales qui leur sont communes, notamment les mesures relatives au statut du réserviste. La même loi déterminera les principes d’organisation du service de défense, jusqu’à présent contenus dans le code du service national.
* Réserve opérationnelle de 100 000 hommes
Comme l’a précisé la loi de programmation militaire, la réserve militaire sera composée d’une première réserve opérationnelle 100 000 hommes destinée à renforcer les unités d’active, et d’une deuxième réserve d’un volume à déterminer.
Dans la logique de la professionnalisation, la participation aux activités de la réserve sera essentiellement volontaire. Il est également envisagé de faire appel à d’anciens militaires professionnels ou à d’anciens volontaires du service national, dans le cadre d’une disponibilité, limitée dans le temps (trois ou cinq ans après la fin effective des services) pour faire face à des situations exceptionnelles.
Le passage d’une logique de l’obligation à la logique du volontariat, du concept d’une réserve de fort volume mais d’emploi théorique au concept d’une réserve restreinte considérée comme un élément permanent de la force armée ne va pas sans poser des problèmes pratiques.
Ceci explique la durée des travaux d’élaboration de ce texte, dont la phase interministérielle ne s’achèvera qu’au début de l’été.