Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre, dans "L'Express" du 6 juin 1996, sur la parité homme femme dans la vie politique et la réforme constitutionnelle pour aboutir à la parité.

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Média : L'Express

Texte intégral

L'Express : Difficile d'aborder le thème de la parité sans vous demander une explication sur l'éviction des femmes de votre premier gouvernement…

Alain Juppé : Puis-je rappeler qu'avant de m'en séparer je les avais appelées au gouvernement ?… Elles y ont toutes fait preuve de grandes qualités. Mais elles n'avaient aucune représentativité politique, aucun poids personnel dans les partis. Je les avais choisies pour la plupart dans les milieux professionnel et associatif, parce que les partis n'en avaient aucune à me proposer. Et quand, par nécessité politique, je me suis demandé : « Que pèse celle-ci pour parler au nom du RPR, ou telle autre au nom du PR ou du CDS ? je n'avais rien à répondre. J'ai eu une expérience de même nature à Bordeaux. Je m'étais fixé de mettre 50 % de femmes sur ma liste municipale. Là encore, devant la carence des partis, j'ai choisi mes colistières dans la vie associative et dans la société civile. Je n'ai pas dépassé 33 %. Fort de toutes ces expériences, j'en suis ainsi venu, contre ma réaction de départ mais en convenant qu'il n'y a pas d'autre solution, à me rallier aux quotas.

L'Express : Notre sondage IFOP montre que les Français veulent un référendum sur la parité. Seriez-vous prêt à en organiser un ?

Alain Juppé : Oui. Je pense que la révision de la Constitution de l'été 1995 le permettrait, dans son principe.

L'Express : Et accepteriez-vous de modifier cette Constitution pour y introduire la parité ?

Alain Juppé : L'Observatoire de la parité, que je préside, et dont Roselyne Bachelot est le rapporteur, travaille là-dessus. Nous savons d'ores et déjà que l'instauration d'un système de quotas exigerait une modification de la Constitution. Je n'y suis pour ma part pas hostile. Même si d'autres mesures peuvent intervenir sans cette modification. Par exemple : une modulation du financement public des partis politiques en fonction de la place faite aux femmes ou une amélioration du statut de l'élu.

L'Express : Seriez-vous favorable à une dose de proportionnelle pour arriver à la parité ?

Cette suggestion n'a pas de lien, à mes yeux, avec le problème posé. Les élections régionales, comme les européennes, ont lieu au scrutin proportionnel. Cela n'a nullement favorisé les candidatures féminines, ni en 1986 ni en 1992. Pas plus qu'elles n'ont bénéficié de façon évidente de la proportionnelle aux législatives de 1986. C'est donc moins le mode de scrutin qui est en cause que le comportement des états-majors, des partis politiques, puisqu'ils sont en définitive responsables des investitures.

Pour ma part, j'entends bien, en tant que président du RPR, augmenter de manière très significative le nombre de femmes qui seront candidates avec l'investiture du mouvement gaulliste aux prochaines élections régionales. Pour cette occasion, j'ai demandé que l'objectif soit de tendre vers la parité dans la composition des listes.

L'Express : L'adoption d'une loi sur le sexisme vous choquerait-elle ?

Alain Juppé : Pas du tout. Mais je souhaite qu'au préalable on dresse un bilan de l'application des textes existants. Notamment des dispositions du Code pénal (articles 225-1 et 222-3) et du Code du travail (articles L. 123-1 et suivants), qui sont d'ores et déjà très précises. S'il s'avérait que ces dispositions sont insuffisantes ou que leur application se heurte à des difficultés, je serais prêt à envisager une modification législative.

L'Express : Prendriez-vous, dans ces colonnes, un engagement sur un délai [illisible] pour aboutir à la parité ?

Alain Juppé : Il [illisible] aucune échéance électorale avant l'année 1998. Cette dernière sera en revanche chargée : des législatives, des régionales, des cantonales et, dans le tiers des départements, des sénatoriales. C'est donc 1998 qui sera, pour le gouvernement et pour toutes les formations politiques, un véritable banc d'essai de leur volonté d'agir pour promouvoir la parité.