Interview de M. Alain Deleu, président de la CFTC, dans "Les Echos" du 4 avril et articles de M. Jacques Voisin, secrétaire général de la CFTC, dans "La Lettre confédérale CFTC" du 22 avril, du 20 mai et du 27 mai 1996, sur l'annualisation et la réduction du temps de travail.

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Média : Les Echos - La Lettre confédérale CFTC

Texte intégral

Les Échos : 4 avril 1996

Alain Deleu : l'annualisation sans réduction du temps de travail serait « intolérable »

Les Échos : La « flexibilité socialement négociée », selon la formule utilisée par Jacques Barrot à l'issue du G7, est-elle selon vous une idée neuve ?

Deleu : Nous sommes en France depuis plus de dix ans dans une démarche de flexibilité croissante en matière d'organisation du travail et d'aménagement du temps de travail. En matière d'emploi, quand on sait que 80 % des embauches sont précaires, on ne voit pas comment on pourrait aller plus loin. Ce qui me paraît important, c'est de savoir si, à l'issue de ce sommet du G7, nous allons, dans chacun des pays concernés, avoir une approche plus sociale, je dirais même plus humaine de la flexibilité.

Les Échos : Qu'est-ce qu'une flexibilité qui serait « plus humaine » ?

Deleu : Il est certain que ce qui se dégage de ce G7, c'est davantage de flexibilité. Le ministre du Travail, Jacques Barrot, comme le ministre de l'économie et des Finances, Jean Arthuis, considèrent qu'il faut en introduire encore plus dans notre pays. Mais, parallèlement, le ministre du Travail a insisté sur le rôle des négociations contractuelles. Pour cela, la seule bonne volonté du gouvernement ne suffira pas. De ces déclarations, je tire donc une première piste : comment peut-on donner un nouvel élan aux négociations de manière à ce qu'elles soient plus équilibrées ? Car, sous la pression de la mondialisation des marchés, les négociations sur la flexibilité se sont toujours faites au profit de l'entreprise et non en faveur des salariés. Un bon poste d'observation sera le textile : le gouvernement a promis des aides financières au entreprises de ce secteur en contrepartie, notamment, de l'ouverture d'une négociation sur le temps de travail. Nous verrons si le gouvernement pèsera, dans ces négociations, en faveur des personnes.

Les Échos : Comment cette nouvelle approche pourrait-elle se traduire dans les négociations de branches ?

Deleu : Pourquoi ne pas faire en sorte par exemple que la baisse de charges profite aux salariés ? Admettons que la durée du temps de travail soit réduite de 39 à 35 heures, il faudrait que la baisse des charges permette de compenser la baisse des salaires.

Les Échos : que répondez-vous à Jacques Barrot qui estime qu'une annualisation du temps de travail n'implique pas « forcément » une réduction de sa durée ?

Deleu : S'il n'y a pas, parallèlement à une annualisation, une réduction du temps de travail, l'effet immédiat sera négatif sur l'emploi. Ce serait intolérable.

Les Échos : Les représentants patronaux sont-ils prêts ?

Deleu : Beaucoup de dirigeants sont ouverts et en acceptent l'idée. Ce sont les appareils intermédiaires qui bloquent. Autrement dit, les représentants patronaux dans les branches sont souvent réticents, alors que le président du CNPF Jean Gandois en accepte l'idée.


La Lettre confédérale CFTC : 22 avril 1996

En finir avec la précarité - Jacques Voisin

Le 1er mai se fête cette année à quelques jours du sommet sur la famille, que nous avions obtenu du gouvernement en décembre dernier. Voilà qui doit nous faire réfléchir sur le sens réel du travail et sur la nécessité d'un véritable droit pour tous à travailler. Comment imaginer une fête du travail, sans en même temps se donner comme projet d'en finir avec la précarité ?

Et c'est bien ce thème qui nous a servi de fil conducteur pendant le Comité national confédéral qui s'est tenu vendredi et samedi dernier. De tous les coins de France, remontent les mêmes constats moroses face au développement des dérégulations, de la flexibilité, des plans sociaux et du chômage.

La tentation est grande sur le terrain de baisser les bras devant un fardeau de plus en plus lourd. Telle n'a pourtant pas été l'ambiance du Comité national, parfois grave, mais active, studieuse et dynamique. Ce fut l'occasion de nous redire nos priorités.

Sur l'insertion des jeunes, nos efforts, avec nos partenaires, doivent être concentrés sur les résultats à l'appui du dispositif mis en place, en action concertée avec les politiques publiques. Nos actions, dans les entreprises, doivent nous conduire à soutenir les démarches engagées au niveau national sur le temps de travail, son organisation, sa réduction, sans oublier, bien sûr, les conditions de travail, qui, dans certains secteurs, ont tendance à se dégrader rapidement. C'est aussi sur les conventions collectives, les accords d'entreprise, la négociation que doivent se concentrer nos actions pour l'emploi et contre la précarité.

Le 1er mai, fête du travail, est enfin un moment privilégier de rencontre avec les parlementaires, les élus, les partenaires économiques et sociaux. Chacun sait aujourd'hui, au moins confusément, que notre société doit accoucher d'un autre projet social, et que toutes les énergies et les bonnes volontés sont à mobiliser. Le 1er mai est traditionnellement une journée d'espoir, l'espoir que l'on fasse place à une société où chacun ait véritablement sa place.


La Lettre confédérale CFTC : 20 mai 1996

Temps de travail : passons aux actes ! - Jacques Voisin

Taillables et corvéables à merci ! telle était, au Moyen-Âge, la condition du serf. Avec le temps, avait oublié le sens concret de l'expression. Mais en période de chômage massif, la flexibilité, la pression du toujours plus, la disponibilité permanente, les heures supplémentaires non décomptées, les horaires aléatoires comme le temps partiel imposé, tout cela renforce le lien de dépendance entre le salarié et son entreprise. Lutter contre la précarité, c'est aussi ne pas laisser l'entreprise dévorer l'ensemble du temps à vivre.

C'est, en plus, un bon moyen de créer des emplois. Les heures supplémentaires abusives peuvent en libérer 100 000. L'aménagement avec réduction du temps de travail peut en sauver et en créer bien plus encore. Les accords de branche doivent donc encadrer un processus novateur et non pas se contenter d'encadrer la flexibilité.

Le Président de la République, lors de notre rencontre lundi, a considéré qu'il fallait expérimenter notre proposition d'allègement de charges sociales pour les salariés qui signeraient un accord de réduction du temps de travail générateur d'emplois. Les idées CFTC avancent, c'est donc bien le moment d'agir.

Au sein même des entreprises, et dans les actions interprofessionnelles que vous organiserez, la journée du 23 mai marquera notre détermination à voir les négociations produire des résultats concrets. La note proposée en encart fait le point sur l'état actuel des négociations. La compagne d'adhésion que nous vous demandons de lancer dès maintenant est centrée sur le même sujet : un tract et une affiche sont disponibles.

C'est sur le terrain que nous gagnerons la bataille du temps de travail et de l'emploi. Je suis sûr que vous y mettrez toute votre énergie.


La Lettre confédérale CFTC : 27 mai 1996

Rien ne se fera sans les salariés - Jacques Voisin

On se demandait naguère si la France était bloquée. On se demande cette semaine si le printemps ne ressemblera pas à décembre. Une chose est sûre : la morosité persiste et fait courir à la cohésion sociale de nombreux dangers.

Comme le disait Alain à 7/7, dans le privé s'installe le règne du salarié jetable. Les négociations en cours dans les branches professionnelles sur le temps de travail doivent déboucher sur une autre sur une plus grande flexibilité sans contrepartie en terme d'emplois. Si la négociation se fait à reculons, les limites du supportable vont bientôt être franchies.

Dans le secteur public, le gouvernement – qui oublie parfois la mesure des mots – est coupable de jouer avec la peur des personnels. Ce faisant, c'est lui-même qui risque de globaliser des conflits, là où les problèmes ont à résoudre de façon séparée.

On le voit, les éléments se mettent en place pour un nouveau durcissement des relations sociales. Plus que jamais une attitude responsable est nécessaire de la part du gouvernement, du patronat et des syndicats. Il faut donc poursuivre la démarche que nous avons initiée lors du sommet social : réussir d'abord en juin le sommet sur les jeunes, avancer sur la réduction du temps de travail créateur d'emplois le 30 juin avec le CNPF, donner un nouvel élan à la politique familiale à l'issue des ateliers.

Il existe un espace de bon sens et de volonté qui peut changer la morosité en espoir. Mais une chose est sûre : rien ne se fera sans les salariés.