Document rédigé par M. Edouard Balladur, député RPR, destiné aux parlementaires de la majorité, sur ses conceptions des modalités de l'élargissement de l'Union européenne et de la réforme des institutions européennes, et sur les ambitions de l'Europe et ses objectifs, Paris diffusé le 7 mars 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

L'Europe – Pourquoi ? comment ?

Depuis plusieurs générations, la construction de l'Europe a été poursuivie par la France de façon continue, à travers les changements de régimes, de majorités et de gouvernements. C'est une ambition qui a inspiré toute son action internationale, mais aussi qui a inspiré l'action sur son économie et sur la société.

Aujourd'hui, nous sommes devant des choix : l'Union Européenne, qui comporte déjà de nombreux membres, en comportera certainement davantage encore ; elle ne doit pas avoir une consistance uniquement économique et monétaire, mais aussi politique et militaire ; elle doit avoir pour ambition d'exister en tant que telle sur la scène internationale en respectant non seulement les intérêts des nations qui la composent, mais aussi l'identité de ces nations elles-mêmes.

Pour nous préparer à faire ces choix dans les meilleures conditions possibles, nous avons devant nous une échéance à court terme : la conférence intergouvernementale qui doit être essentiellement consacrée aux institutions de l'Europe et à leur adaptation en vue de l'élargissement. Mais le problème est d'une bien plus vaste portée : il s'agit de savoir ce que doit être l'Europe d'ici une dizaine d'année, non pas seulement le visage qu'elle doit avoir, mais aussi les résultats auxquels es pays européens doivent parvenir pour leur capacité économique, l'équilibre de leurs sociétés, pour leur force à la fois commerciale et politique dans le concert des grandes puissances mondiales.

C'est en fonction de cette ambition à long terme que doivent être choisis les objectifs des années 1996 et 1997. C'est la raison pour laquelle il m'a paru utile, après avoir rappelé quelle fut l'histoire de la construction européenne et les problèmes qu'elle rencontre, de tenter de définir ses objectifs à long terme.

1. À l'origine, pourquoi l'Europe ?

Ruinée par les deux dernières guerres, l'Europe avait perdu sa position de puissance mondiale. Les pays européens étaient confrontés à deux nouvelles superpuissances, les États-Unis et l'Union Soviétique, qui disposaient toutes deux de pouvoirs politique, militaire et économique bien supérieurs aux leurs. Les pays d'Europe occidentale devaient se prémunir contre une propagation du communisme et trouver ensemble les voies d'une coopération étroite qui leur permette de tirer tous les bénéfices de l'aide et de la protection américaine.

L'édification de la Communauté européenne fut soutenue par la volonté du Général de Gaulle et du Chancelier Adenauer de ne plus voir renaître les cauchemars du passé et leurs millions de morts. L'Allemagne a rompu avec son passé hitlérien et est devenue une vraie démocratie. La France n'a pas renouvelé l'erreur consistant à accabler son ancien adversaire de « réparations insupportables ». Les deux pays ont su sceller leur réconciliation, insérer leur relation dans un système de dialogue et d'intégration européenne et trouver ainsi les voies d'un véritable équilibre politique et économique.

Le domaine économique, moins sujet que d'autres aux débats sur les transferts de souveraineté, a été le point d'application le plus fructueux de la construction européenne. Première étape, la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier en 1952. Deuxième étape, après l'échec de la Communauté Européenne de Défense, la création de la Communauté européenne de l'énergie atomique et surtout de la Communauté économique européenne en 1958. La coopération franco-allemande là encore fut décisive lors des négociations du Traité de Rome : la libération des échanges entre pas européen c'est-à-dire la création du marché commun a été accompagnée de la mise en place de politiques communes permettant de faciliter les révolutions nécessaires et d'assurer l'égalité des conditions de concurrence.

Les voies du retour à la prospérité économique faisaient l'objet de vifs débats qui trouvent encore aujourd'hui un écho. La France, adepte de la planification, de la protection des barrières douanières, handicapée par le poids de charges sociales plus élevées que chez ses concurrents, pouvaient être tentée par le refus d'une union douanière. Fort heureusement, la clairvoyance de certains de ses dirigeants politiques et l'arrivée au pouvoir du Général de Gaulle, son autorité et sa politique économique, ont permis la mise en place du Marché commun puis de la politique agricole commune. Le choix de la compétition internationale fait par le Général était le bon, il était celui de la croissance et de la compétitivité de l'économie française, il a permis à notre pays et à ses partenaires européens de connaître de longues années de prospérité économique.

La réussite de la Communauté européenne a bien sûr suscité des demandes d'adhésion des pays d'Europe occidentale qui n'avaient pas participé aux négociations du Traité de Rome. Elle a aussi puissamment contribué à l'évolution historique qui a abouti à la chute du mur de Berlin et à la libération de centaines de millions d'hommes du joug communiste. Modèle de prospérité économique, elle a exercé un pouvoir d'attraction qu'il ne faut pas sous-estimer.

Bien des évolutions sont intervenues depuis la naissance de la Communauté européenne. Pour autant, les mêmes raisons nous incitent à poursuivre dans la voie de la construction européenne.

Le progrès économique, en premier lieu.

L'échelle nationale n'est plus suffisante dans un monde ouvert aux échanges et la coopération est toujours préférable à l'isolement.

Que serait aujourd'hui la force de notre agriculture sans la politique agricole commune ? Quel aurait été le taux de croissance de notre industrie sans la réalisation du marché intérieur européen ? Comment la France aurait-elle pu défendre sa monnaie lorsqu'elle subissait des attaques injustifiées sans les mécanismes d'entraide du Système Monétaire Européen ?

La paix et la sécurité, en second lieu.

La Communauté Européenne est née du souci d'éviter un nouveau conflit fratricide en Europe. La guerre froide n'a pas affecté cette volonté de paix. Les crises de Berlin ont témoigné de la solidité de la relation nouvelle entre la France et l'Allemagne. Le recours à la force, une guerre entre les États membres de la Communauté est devenu inconcevable.

La voie de la construction européenne a été choisie et suivie dans l'intérêt de la France, dans son intérêt économique et dans son intérêt diplomatique. Comment l'interrompre, comment ne pas voir qu'elle ne dispose d'aucune politique internationale de rechange, ni sur le plan économique, ni sur le plan commercial, ni sur le plan diplomatique, ni d'ailleurs sur le plan militaire ?

2. Les réalisations de l'Europe

L'Europe est une construction originale qui a été progressivement adaptée et améliorée. Ses succès ont naturellement suscité des demandes d'adhésion qui ont porté le nombre des pays membres de la Communauté de six, à neuf, à douze puis à quinze.

2.1. Ses institutions ont permis d'aller au-delà de la simple coopération entre États.

La Commission, en particulier, institution nouvelle d'inspiration française, a fait faire à la construction européenne des progrès remarquables.

Pour ses adversaires, la construction européenne était une menace pour les États nations qui devait nécessairement aboutir à un gouvernement supranational peu soucieux de leurs intérêts.  Ce n'était pas l'objectif de ses fondateurs. Ce n'est d'ailleurs pas le cas. Lorsque la Commission, par exemple, a été tentée de sortir de son rôle, n'était-ce pas au fond que les États membres n'étaient pas suffisamment vigilants pour exercer leurs pouvoirs et leurs responsabilités ? L'exemple des dernières négociations du GATT l'a montré : en l'absence de mandat clair donné par le conseil des Ministres à la Commission, celle-ci s'était engagée imprudemment sur des conclusions qui n'étaient pas acceptables. La réaffirmation des prérogatives du Conseil, à l'initiative de la France, a permis à l'Europe d'adopter une position offensive et de faire prévaloir son point de vue dans ces négociations face aux États-Unis.

Les institutions européennes reposent sur un équilibre entre les transferts de pouvoirs consentis par les États membres et les contre-pouvoirs qu'ils conservent. Cet équilibre a évolué notamment pour ce qui concerne les règles de décision du Conseil des Ministres, unanimité ou majorité qualifiée, ce qui a permis des réalisations importantes. Ainsi, l'extension de la règle de la majorité qualifiée, par l'Acte Unique a permis en 1986, la réalisation du grand marché européen. Cette évolution devra se poursuivre pour que l'Europe affirme son identité et puisse faire contrepoids à la mondialisation des échanges et la multiplication des grands ensembles régionaux sur tous les continents.

2.2. Les réalisations de l'Europe sont allées bien au-delà du marché commun

Le Marché commun consiste en une union douanière dotée d'un tarif extérieur commun. Concurrencé à sa naissance par un projet de zone libre échange soutenu par le Royaume-Uni, il faut de nouveau menacé par la demande d'adhésion présentée par le gouvernement britannique en 1961.

Les échanges avec les pays du Commonwealth auraient bouleversé le fonctionnement de l'Union douanière, en particulier dans le domaine agricole. À l'initiative du Général de Gaulle, les négociations d'adhésion furent interrompues en 1963. La suppression, des restrictions aux échanges la mise en place de l'Union douanière furent réalisées en 1968 avec un an et demi d‘avance sur le calendrier prévu par le Traité de Rome.

Des politiques communes étaient le complément nécessaire du Marché commun et voulues par le Traité de Rome.

La première d'entre elles, la politique agricole commune fut mise en place en même temps que l'union douanière grâce à la détermination du Général de Gaulle. Cette politique a été une réussite incontestable. Initialement, l'Europe des Six était déficitaire pour pratiquement toutes les exportations agricoles. En 1992, la Communauté était devenue la seconde puissance exportatrice de produits agricoles derrière les États-Unis et la France le premier producteur agricole européen. Si la politique agricole commune a dû être remaniée pour mieux adapter la production à la demande et maîtrise le coût des interventions communautaires, ses principes demeurent : l'unité du marché européen, la préférence communautaire et la solidarité financière entre les États membres.

Deuxième exemple de politique commune, celui de la politique commerciale de la Communauté vis-à-vis du reste du monde. Elle était la conséquence logique de la création d'un marché commun : la Communauté devait s'exprimer d'une seule voix dans les négociations commerciales internationales pour éviter le démantèlement de l'union douanière. Rapidement confrontés aux négociations commerciales du Kennedy Round, les Six ont su faire de la Commission leur unique porte-parole et s'accorder sur les positions qu'elle devait défendre. Il en a été de même, grâce à l'action de la France, lors de la conclusion des négociations de l'Uruguay round.

Troisième exemple, la cohésion économique et sociale devenue une politique commune en 1988. Avec l'adhésion de la Grèce en 1981, de l'Espagne et du Portugal en 1986, les écarts de richesse entre les différentes régions de la Communauté s'étaient creusés. Les ressources des fonds destinés à lutter contre les problèmes structurels de la Communauté ont été doublées en 1988 et leur affectation concentrée sur les régions les plus défavorisées. Elles ont été de nouveau doublées en 1992. Cette politique de développement régional peut bénéficier aux régions défavorisées de tous les États membres de la Communauté : ainsi, 85 % du territoire français sont éligibles aux concours des fonds structurels. Elle a été complétée ne 1994 par la création d'un fonds de cohésion destiné aux États membres dont le PNB est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire c'est-à-dire l'Espagne, la Grèce, l'Irlande et le Portugal.

En revanche, dans les autres domaines mentionnés par le Traité de Rome, par exemple les transports, la recherche, la politique de la concurrence, la définition de véritables politiques communes a été plus longue et peut encore être améliorée.

Le Système Monétaire Européen a créé une zone de relative stabilité monétaire entre les pays membres, après l'effondrement du système monétaire international et les grands désordres monétaires des années 1970. Né d'une initiative franco-allemande, il fut institué par une résolution du Conseil Européen du 5 décembre 1978. Il était destiné avant tout à corriger les perturbations créées par l'instabilité du dollar. S'il a atteint ce but, il n'a pas permis de stabiliser tout à fait les relations entre les monnaies européennes : cela aurait nécessité la poursuite de politiques budgétaires et monétaires appropriées. Nombre des pays de la Communauté, la France en particulier au début des années quatre-vingt, n'ont pas voulu ou pas su s'y plier de manière continue.

Les changements de parité entre les monnaies du SME ont donc été assez fréquents mais ils ont été accompagnés des changements nécessaires des politiques économiques. L'inflation a été dans l'ensemble maîtrisée. Le SME a permis de préserver le bon fonctionnement du marché commun, du moins entre les pays dont les monnaies y participent et sous réserve de mécanismes compensatoires dans le domaine agricole.

Le grand marché européen a donné un nouvel élan à l'intégration européenne. Auparavant, les négociations d'élargissement à neuf puis à douze et la renégociation de la contribution britannique au budget communautaire qui aboutit en 1984 avaient absorbé une grande part des énergies. En 1984, la Commission proposa de franchir un nouveau pas vers l'intégration économique. L'objectif était de réaliser un grand marché européen des marchandises, des services et des capitaux à horizon de 1992, en remplaçant les réglementations nationales par des directives communautaires : il s'agissait tout à la fois de libéraliser les échanges et d'harmoniser les réglementations afin de ménager entre les économies des États membres des conditions de concurrence loyales et équitables.

L'Acte Unique, signé en 1986, a réuni tous les amendements nécessaires au Traité de Rome et prévu que la plupart des mesures nécessaires pouvaient être adoptées à la majorité qualifiée.

Mise en œuvre rapidement, cette nouvelle étape a renforcé la puissance économique de l'Europe. Ses effets positifs ont été néanmoins masqués par le ralentissement de la croissance puis la récession de 1993 et contrariés par les désordres monétaires.

2.3. Le tournant des années 1990

En 1988, après avoir adopté un programme de libéralisation des mouvements de capitaux, les pays membres de la Communauté avaient chargé un groupe d'experts de rechercher les moyens de réaliser des progrès concrets en matière de stabilité monétaire.

Le bon fonctionnement d'un marché unifié rendait nécessaire des progrès vers l'Union monétaire. En décembre 1989, le conseil Européen de Strasbourg décidait de lancer une conférence intergouvernementale en vue de fixer les étapes finales de l'Union économique et monétaire.

La nécessité d'une meilleure organisation politique de l'Europe était bientôt prise en compte. L'Europe était devenue un modèle et un pôle d'attraction. Elle devait avoir aussi une ambition politique pour devenir un acteur international à part entière. En avril 1990, le Conseil Européen de Dublin décidait de lancer en parallèle à la conférence sur l'Union monétaire une conférence sur l'Union politique.

Les deux conférences aboutirent à la signature du Traité sur l'Union Européenne à Maastricht le 7 février 1992. D'une grande complexité, ce texte comporte des objectifs nouveaux.

Ambitieux sur le plan monétaire, le Traité comporte une innovation importante puisqu'il prévoit une différenciation entre les pays membres selon qu'ils remplissent ou non les conditions de participation à la monnaie européenne. En outre, le Royaume Uni et le Danemark bénéficient d'une dérogation permanente qui leur permet de ne pas participer à l'Union monétaire.

Pour la première fois, le Traité institue une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), mais les procédures prévues ne s'écartent guère de la conception politique classique. La PESC conserve un caractère intergouvernemental, même si la Commission se voit reconnaître un droit d'initiative partagé avec les États membres : les décisions sont prises à l'unanimité par le Conseil des Ministres ou par le Conseil Européen.

Une autre innovation majeure du Traité est l'inclusion de dispositions sur la défense. Pour la première fois depuis l'échec du Traité sur la Communauté Européenne de Défense en1954, l'idée d'une défense européenne est reprise dans un traité communautaire. Toutefois, si le Traité prévoit de définir à terme une politique de défense commune, il est précisé que la politique de sécurité n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, par exemple leur neutralité ou leur statut de puissance nucléaire. Là encore la notion de différenciation est introduite explicitement par le Traité.

Dernier volet, la coopération dans le domaine des affaires intérieures et de justice. La coopération intergouvernementale est institutionnalisée mais les thèmes retenus par le Traité sont ceux qui avaient été définis par le Conseil Européen en 1991. Seule la politique des visas devient une matière communautaire. Le maintien de la règle de l'unanimité, la lourdeur des structures de négociation, les désaccords entre pas membres font que la mise en œuvre de ce troisième pilier a été décevante. Les avancées sur des matières qui intéressent directement les citoyens – la sécurité, la libre circulation des personnes par exemple – sont modestes.

Les mois qui ont suivi la signature du traité sur l'Union Européenne ont été marqués par de graves difficultés. Trois crises monétaires ont ébranlé le système monétaire européen, en septembre 1992, en février 1993, en juillet-août 1993. Le SME a été préservé mais la livre et la lire ont cessé d'y participer et la peseta et l'escudo ont dû être dévalués à plusieurs reprises.

La ratification du Traité a été difficile : elle a nécessité deux référendums au Danemark ; elle n'a été obtenue qu'à une faible assortie de précisions contraignantes de la cour constitutionnelle en Allemagne. Les turbulences monétaires sont réapparues en Europe après l'échec du premier référendum danois et n'ont pas cessé depuis. Enfin, l'Union Européenne n'a pas su prévenir la guerre en ex-Yougoslavie ni mettre un terme à elle seule à ce conflit.

3. Aujourd'hui, plus qu'hier, l'Europe sert les intérêts des peuples qui la composent et en particulier ceux de la France et de l'Allemagne.

La construction européenne est conforme aux intérêts de la France comme de l'Allemagne. Celle-ci dispose sans doute de solutions de repli en dehors de la construction européenne : devenir le partenaire privilégié des Etats-Unis en Europe ; développer sa zone d'influence à l'Est. Mais les deux pays sont l'un pour l'autre un partenaire économique privilégiés ; non seulement en raison de la primauté de leurs échanges commerciaux mais aussi en raison des liens qui se sont tissés entre leurs industries ou leurs systèmes financiers. Ils ont le même intérêt à la stabilité du continent.

Comment imaginer que celle-ci puisse être préservée en l'absence d'une alliance étroite entre eux ?

Comment ne pas voir que le vieux schéma d'accords bilatéraux isolés, avec la Russie par exemple, serait au contraire source d'instabilité ?

Dans les affaires européennes, les relations franco-allemandes sont à un degré différent de toutes les autres. Faute d'une bonne entente entre les deux pays, rien ne peut se faire et beaucoup peut se dégrader. Malgré les innombrables accidents de parcours, les heurts parfois très rudes de leurs intérêts, la France et l'Allemagne sont toujours arrivées à trouver une solution. Lorsqu'un problème majeur survenait chez l'un des deux partenaires, il savait qu'en dernier ressort l'autre ne l'abandonnerait pas. Les sommets franco-allemands ont toujours permis de trouver des solutions aux multiples problèmes rencontrés par les deux pays.

Aujourd'hui, la France et l'Allemagne doivent, ensemble, clarifier leurs positions et répondre en commun à toute une série de questions fondamentales qui se posent à elles deux comme à toute l'Union européenne. Si elles y parviennent, il faudrait qu'elles signent un nouveau traité. Le traité de l'Elysée conclu en 1963 entre deux pays membres de l'Europe des Six, et dont l'un deux n'était pas alors réunifié, peut-il encore régir les rapports entre deux pays membres d'une Union à quinze dans une Europe où le rideau de fer n'existe plus et où l'Union soviétique s'est effondrée ?

Que les choses soient claires : il ne s'agit pas, par un nouveau traité, de faire renaître une prétendue opposition entre le bilatéralisme franco-allemand, la construction européenne, l'alliance atlantique. L'expérience a prouvé que le couple franco-allemand sert l'intérêt des deux pays et celui de la construction européenne. L'un et l'autre sont indissociables. La coopération franco-allemande peut aller plus loin qu'aujourd'hui dans tous les domaines politiques, économique, diplomatique, militaire et culturel.

Un nouveau traité permettrait de systématiser les pratiques et les structures qui se sont développées depuis le traité de 1963, par exemple le conseil économique et financier franco-allemand institué en 1986. Il permettrait également de prévoir de nouveaux domaines de coopération concret, par exemple les questions budgétaires et fiscales pour lesquelles la concertation est trop peu développée, ou bien encore les domaines de l’éducation, de l'enseignement supérieur et des affaires sociales. Enfin la coopération entre les deux pays devrait être plus diversifiée dans ses acteurs : outre l'échelon gouvernemental et celui des collectivités locales, il s'agit de favoriser le développement de liens plus étroits entre toutes les composantes de la société des deux pays (syndicats, associations, entreprises…)

Cette coopération n'est pas exclusive, elle est destinée à construire un partenariat ouvert aux autres pays européens. Mais son renforcement est indispensable pour donner un nouvel élan à l'Europe, préciser ses objectifs et résoudre les questions institutionnelles. La réciproque n'est pas vraie : aucune réforme des institutions ne permettra de pallier l'absence d'un accord politique global entre la France et l'Allemagne.

La recherche de la croissance et de la prospérité passe par la bonne gestion pour notre pays comme pour tous ses partenaires. Certains estiment que la marche vers l'union monétaire serait responsable des difficultés d'adaptation auxquelles notre pays est confronté. Hier, la contrainte extérieure était désignée comme seule responsable de la nécessité de lutter contre l'inflation et de corriger les erreurs de politique économiques des années 1981-1983.

Aujourd'hui, la construction de l'Europe monétaire est présentée comme la principale raison de la lutte contre les déficits publics et sociaux.

C'est un mauvais service à rendre aux Français que de laisser penser que les efforts qui leur sont demandés sont exclusivement liés à des obligations externes alors qu'ils doivent être accomplis dans l'intérêt même de la croissance et de l'emploi.

Ayons le courage d'affronter la réalité économique sans fausser le débat. Les contraintes sont celles de la bonne gestion, les mêmes dans tous les cas. En revanche, le passage à l'euro permettra à la France de jouer un rôle important dans la définition de la politique de la Banque Centrale Européenne. N'est-ce pas là un progrès important par rapport à la situation dans laquelle il faut s'adopter aux évolutions de la monnaie dominante, le mark ? N'est-ce pas la seule alternative pour que la France ne soit pas isolée face à l'extension probable de la zone d'influence du mark vers l'Est ?

L'Europe, enfin, est pour la France un élément supplémentaire de force et d'influence. L'Europe sert les intérêts de la France lorsque la volonté de celle-ci s'exprime sans ambiguïté. Deux exemples récents l'ont bien montré, qu'il s'agisse des négociations du GATT ou de la conclusion du pacte de stabilité. La France ne peut avoir de politique étrangère alternative à la construction de l'Europe, sans se priver d'un élément essentiel à son influence dans les affaires du monde.

L'Europe est un moyen de sa politique, un moyen d'assurer l'équilibre du continent européen qui, sinon, se rompra au profit des plus forts, un moyen d'exister face à la puissance américaine.

Quels doivent être les objectifs de la France ?

Affirmer sa place en Europe en étant le moteur des réformes nécessaires, notamment pour ce qui concerne les institutions.

Confirmer sa conception d'une Europe qui préserve les nations. Il ne s'agit pas de ressusciter un débat idéologique, pour ou contre le fédéralisme. Les nations d'Europe sont très diverses par leurs langues et par leurs cultures. L'Union Européenne constituera un jour un ensemble de plus de 500 millions d'habitants. Seules des formules souples d'organisation d'un tel ensemble sont envisageables.

Poursuivre la voie tracée vers l'union monétaire, en complétant les dispositions prévues par une meilleure coordination des politiques des États membres en matière économique et sociale.

Construire une Europe qui ait un sens diplomatique et militaire, pour faire face à la multiplication des problèmes de sécurité et jouer le rôle politique qui devrait être le sien dans l'équilibre du monde.

4. Quelle réponse aux élargissements futurs de l'Union Européenne ?

La chute du mur de Berlin et la dislocation de l'ancien empire soviétique ont bouleversé la question des contours de l'Europe. Auparavant, la liberté servait à la fois de principe d'unité et de frontière. La fin du communisme rend l'élargissement à l'Est inéluctable. L'Union Européenne n'a ni le droit moral, ni de motif politique, ni d'intérêt économique à refuser d'associer à ‘Union des nations devenues libres.

Jusqu'où pousser l'élargissement ? Faut-il l'étendre à la Russie, à l'Ukraine et à la Biélorussie. Cela n'est souhaitable ni pour des raisons d'équilibre politique, ni pour des raisons stratégiques. La Russie devra, durant de longues années encore, mettre sur pied un nouveau système politique et administratif, réformer son économie et sa société atteintes aujourd'hui de graves désordres. Toutes les nations européennes de « l'Atlantique à l'Oural », pour reprendre la formule du Général de Gaulle, doivent coopérer le plus étroitement possible sur le plan économique comme en matière de sécurité.

Cela ne signifie pas que l'Union Européenne elle-même doit s'étendre au-delà des frontières orientales de la Pologne et de la Roumanie, faute de quoi elle serait déséquilibrée, vouée à la paralysie et à l'inefficacité.

La limite qu'il paraît raisonnable de poser à l'élargissement de l'Union Européenne doit s'accompagner de l'établissement d'un partenariat étroit avec la Russie, l'Ukraine et les pays de la CEI.

Le Conseil de l'Europe élargi, mais surtout l'organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe (OSCE), doivent jouer un rôle majeur pour que notre continent s'accorde sur des principes communs, développe un dialogue politique fructueux et établisse dans le domaine de la sécurité des rapports de confiance et des mécanismes de diplomatie préventive et de maintien de la paix. C'est à ce niveau que doit se situer la grande Europe et il faut pour cela donner un nouveau dynamisme à l'OSCE.

Il conviendra également de renforcer, sur des bases appropriées, les relations entre l'Union européenne et certains États, tels la Turquie ou les pays du Maghreb, qui se situeront au-delà de la frontière méridionale de l'Union européenne mais qui ont vocation à développer avec celle-ci des formes privilégiées de partenariat.

L'élargissement devra être bien ordonné et donc progressif, les pays candidats devront conclure un accord d'association c'est-à-dire observer un régime de pré-adhésion ; le respect de critères définis à l'avance permettra de passer à l'adhésion. Il reste que l'Union Européenne devra englober plus de trente États membres au cours des prochaines décennies.

Comment organiser cette diversité sans courir le risque de l'affadissement, de la dilution de l'Union Européenne en vaste zone de libre échange ?

Toutes les fonctions de l'Union Européenne ne peuvent être assurées simultanément par tous les pays membres actuels et futurs. Une solution consisterait à former un groupe central de pays qui auraient entre eux des liens renforcés. C'est une voie qui a été évoquées dans le document du groupe parlementaire CDU-CSU du Bundestag publié en septembre 1994. Poussée à l'extrême, elle pourrait conduire à mettre sur pied deux ensembles de moindre statut. C'est une idée dangereuse qui rétablirait une coupure de l'Europe en deux. Au surplus, elle n'offrirait pas une bonne réponse à la diversité de la nouvelle Europe.

La bonne solution consiste à recourir à des formules souples d'organisation qui permettent à la fois de préserver l'acquis communautaire et de continuer de progresser dans certains domaines comme celui de la monnaie ou de la défense.

Tous les États membres de l'Union devraient appliquer l'ensemble des dispositions du Traité. En même temps, les États qui le voudraient et qui le pourraient auraient la faculté de s'associer pour aller plus loin et plus vite dans certains domaines.

Mais ces associations de solidarité renforcée ne seraient pas fermées : les autres États membres pourraient les rejoindre plus tard. Cette possibilité de diversification est déjà prévue par le Traité de l'Union européenne dans le domaine monétaire. Elle pourrait et devrait être étende au domaine militaire.

Que les choses soient claires. Il ne s'agit pas de construire une Europe « à la carte » où chaque Etat membre choisirait les droits et les obligations qui lui conviendraient. Il ne s'agit pas non plus d morceler l'Europe en une constellation de groupes de pays, groupes qui n'auraient aucun lien entre eux. La formule proposée a pour but de préserver la dynamique de la construction européenne, en permettant aux États membres de participer à leur rythme aux étapes les plus ambitieuses de l‘intégration européenne.

Ainsi, l'Europe pourrait être organisée en trois cercles :

– le cercle de droit commun, c'est l'Union Européenne avec le Marché unique, ses politiques communes et la politique extérieure et de sécurité. Ses membres doivent appliquer l'acquis communautaire, c'est-à-dire l'ensemble des dispositions du Traité, même si à partir de 1996 les institutions doivent être simplifiées pour plus d'efficacité, de représentativité et de transparence ;

– le cercle des proches, ce sont les pays restant en dehors de l'Union et les pays en attente d'adhésion. Ils auraient vocation à participer à un cercle plus large, lié à l'Union par des accords de coopération ou des accords économiques et commerciaux et aussi par des accords de nature politique et militaire, tels que le pacte de stabilité ou le partenariat pour la paix ;

– il y aurait également des cercles plus restreints permettant des coopérations plus approfondies entre un nombre plus limité de pays. Des cercles et non pas un seul : il y aurait un cercle monétaire dont la composition pourrait ne pas être la même que celle du cercle de défense. La composition de ces cercles devrait être ouverte pour permettre progressivement à tous les pays de l'Union de les rejoindre, au gré de leurs possibilités.

Le cercle de défense, par exemple, aurait tout avantage à comprendre, outre la France et l'Allemagne, la Grande Bretagne, l'Italie, l'Espagne entre autres.

Resterait un problème difficile : selon quel principe institutionnel ces cercles plus étroits devraient-ils être régis ? Le traité de 1992 le prévoit sur l'Union monétaire, mais les rôles respectifs de la Banque centrale et du Conseil des Ministres ne sont pas totalement clairs. Quant aux questions militaires, les règles de fonctionnement de l'U.E.O. sont trop vagues encore comme le sont ses liens avec l'Alliance. Il en résulte lourdeur et complexité. Elles devront être précisées.

Cette organisation ne devra pas être synonyme de cloisonnement. Les institutions de l'Union devront veiller à la cohérence des actions entreprises dans les différents domaines. En même temps, des procédures particulières devront permettre l'expression des solidarités restreintes. En d'autres termes il faudra éviter de recourir à des instruments de type Convention de Schengen de caractère purement intergouvernemental, et privilégier une approche analogue à celle qui a été retenue pour l'Union monétaire.

Outre la France et l'Allemagne qui ont vocation à participer à tous les cercles, il faudra s'efforcer de réunir le plus grand nombre d'États possible à l'intérieur des cercles de solidarités renforcées. Pour des raisons d'équilibre, car il n'est pas souhaitable de se résigner à l'officialisation d'ensembles réunissant un petit nombre de pays déjà liés entre eux par des relations étroites mis enfermées dans le passé. Pour des raisons de crédibilité, car des cercles trop restreints n'auraient pas une dimension européenne. Il est bien clair par exemple que les avantages de l'Union monétaire seront d'autant plus grands que les pays participant à la monnaie unique seront plus nombreux. De la même manière, dans le domaine militaire, la participation du plus grand nombre possible d'États ira dans le sens de leurs intérêts économiques, de leur poids stratégique et de l'équilibre de l'Europe. Naturellement, la question de la dissolution nucléaire devra être dissociée et faire l'objet d'une réflexion spécifique.

5. Quelles réformes institutionnelles préalables aux élargissements ?

Le fonctionnement des institutions européennes, conçues à l'origine pour six États membres, n'est déjà plus satisfaisant à quinze. La conférence intergouvernementale qui sera lancée le 29 mars à Turin a notamment pour objet d'améliorer le fonctionnement des institutions.

Son ambition devrait être d'aboutir à une réforme en profondeur c'est-à-dire à un système institutionnel rénové capable d'accueillir efficacement les nouveaux adhérents. À défaut, l'Union Européenne serait condamnée à être en état de réforme permanente.

Quels sont les points sur lesquels des améliorations sont nécessaires ?

En premier lieu, clarifier les dispositions du Traité. L'Union Européenne est aujourd'hui régie par un ensemble de traités qui forment un ensemble opaque et difficilement lisible.

Il est indispensable de codifier ces différents textes dans un traité unique et d'éliminer les dispositions qui sont devenues obsolètes ou superflues.

En deuxième lieu, garantir l'efficacité du fonctionnement de l'Union.

La Commission doit conserver son rôle, son indépendance et sa collégialité. Elle est l'institution la mieux à même de proposer les solutions qui correspondent au point d'équilibre entre les différents États membres.

Son monopole d'initiative doit demeurer la régie pour toutes les questions de compétence communautaire.

Faut-il pour autant renforcer sa légitimité politique ? Ce serait rompre l'équilibre au détriment du Conseil et du Parlement européens.

Quelle est en réalité la source des difficultés de la Commission ? Le nombre trop élevé des commissaires. Pourquoi ne pas retenir la formule déjà appliquée dans de nombreuses institutions internationales qui consiste en ce que plusieurs États membres se regroupent pour désigner un ou deux commissaires ? Cette solution permettrait de ramener le nombre des commissaires à des proportions raisonnables et de disposer d'un système qui pourrait être adapté sans difficulté à l'augmentation du nombre des États membres.

Une solution alternative serait que le Président de la commission, nommé par le Conseil européen et confirmé par le Parlement Européen, désigne lui-même les commissaires à partir d'une liste établie par le Conseil Européen.

Cette liste comporterait, par exemple, deux candidats pour chacun des grands États membres et un candidat pour chacun des autres États. Le Président de la Commission choisirait lui-même les commissaires sur cette liste dans la limite d'un nombre réduit fixé par le Traité. Ainsi constituée, la Commission serait investie par le Parlement Européen.

L'objectif doit être une Commission restreinte, en charge de la fonction de proposition et d'exécution des politiques et un Conseil, Conseil Européen et Conseil des Ministres, qui décide. Il s'agit en somme de faire prévaloir l'équilibre qui s'est institué dans la phase finale de négociation de l'Uruguay Round.

Le Conseil doit être à même d'exercer ses prérogatives. Pour cela, il doit pouvoir prendre des décisions qui permettent à l'Union de progresser sans pour autant que l'équilibre entre les États membres soit bouleversé. C'est dire que l'élargissement doit conduire à une modification des règles des décisions. Il faut sans doute élargir le champ d'application des décisions à la majorité qualifiée, sans pour autant remettre en cause le compromis de Luxembourg.

Mais il faut aussi prendre garde, d'une part, à ce que les mécanismes de pondération des voix entre États membres ne conduisent pas, sous l'effet mécanique des élargissements successifs, à un déséquilibre accru et injustifiable au détriment des États les plus peuplés et les plus développés de l'Europe de demain et, d'autre part, à ce qu'un État ou une minorité d'États ne puisse faire obstacle durablement à une décision souhaitée par la majorité.

Pour résoudre ces difficultés, il faut d'abord revoir le système actuel de pondération des voix. Cette révision pourrait être accompagnée de la définition de nouveaux modes de décisions : extension du champ des décisions la majorité qualifiée ; introduction d'une majorité surqualifiée dans certains domaines ; admission d'un système d'abstention positive qui permette de considérer que le consensus est réuni à défaut d'unanimité. Cette dernière formule pourrait être utile en particulier dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité commune.

Le Parlement européen : le processus européen de décision souffre de deux défauts. Il est inutilement compliqué et insuffisamment démocratique. Pour le simplifier, il conviendrait de réduire le nombre des procédures de consultation du Parlement dont le nombre pourrait être ramené à trois : avis simple, avis conforme, codécision. Pour démocratiser ce processus, il faudrait que la codécision, qui seule garantit qu'aucune directive ou aucun règlement ne puisse être adopté sans l'accord conjoint du Parlement, élu au suffrage universel, et du Conseil détenteur de la légitimité des États, soit étendue à l'essentiel de l'activité législative ou normative de la Communauté.

Ne serait-il pas aussi raisonnable de revoir le nombre des sièges par État membre de manière à ne pas dépasser le nombre total actuel de parlementaires, soit 626, malgré l'élargissement ?

En France, l'élection des parlementaires européens sur une liste nationale à la proportionnelle ne leur permet pas d'entretenir des liens suffisamment étroits avec leurs électeurs. Une réforme du mode de scrutin est souhaitable de même qu'une limitation du nombre des membres du Parlement Européen. Il faudra également mieux associer le Parlement français à l'élaboration des règles communautaires, en veillant à la bonne application de l'article 88-4 de la Constitution.

A elle seule, la réforme des institutions ne répondra pas au but à atteindre pour l'Europe qui est d'exister dans le monde en tant que personne et en tant que puissance. Elle devra être complétée par une évolution de la politique européenne.

6. Quelles ambitions pour l'Union Européenne ?

Retrouver la croissance et créer des emplois.

Nombre d'initiatives de l'Union Européenne sont restées jusqu'à présent lettre morte. Il faut leur donner un nouvel élan. Il y a aujourd'hui plus de 18 millions de chômeurs en Europe. L'Allemagne s'est fixée pour objectif de réduire de moitié le nombre des chômeurs d'ici la fin de la décennie. La France devrait s'attacher à faire diminuer le nombre des chômeurs de 200 000 par an. Peut-on accepter que la politique de l'emploi ne figure pas dans la liste des politiques communautaires ? Le Traité doit être modifié et complété en ce sens.

L'Union Européenne a déjà adopté en 1993 un Livre Blanc sur la croissance, la compétitivité et l'emploi. Il prévoit un ensemble de mesures pour lutter contre le chômage.

Par la baisse des charges sur le coût du travail en premier lieu. La marge de manœuvre n'est pas illimitée : le coût de cet allégement pour les finances publiques ou les régimes sociaux est important. Ne faut-il pas que les pays européens évaluent ensemble les effets des décisions prises, obtiennent des engagements des entreprises en contrepartie des efforts faits ?

La formation et l'éducation, en second lieu. Les investissements en formation sont des investissements pour l'emploi. La rapidité des évolutions technologiques les rendent encore plus nécessaires. Or le niveau moyen de formation est plus faible en Europe qu'aux États-Unis ou au Japon. Il faut absolument combler ce retard.

Le fonctionnement du marché du travail, en troisième lieu. Comment l'améliorer : en approfondissant le dialogue social. Il n'est pas possible d'imposer les réformes nécessaires, il faut les négocier. L'Europe offre un cadre particulièrement adapté, qui permet d'échanger les enseignements tirés des expériences par les partenaires sociaux et les gouvernements des différents États membres. Il faut relancer la négociation collective au niveau européen. L'Europe doit mettre l'emploi au cœur de ses préoccupations.

Enfin, il est temps de réunir les ressources nécessaires au lancement des grands travaux d'infrastructures et de concrétiser enfin les décisions prises par le Conseil Européen.

Les ressources budgétaires sont disponibles pourvu que l'on veuille bien les mobiliser. La sous-consommation de certaines enveloppes autorise des redéploiements. Naturellement il faut s'assurer que toutes les garanties permettent de considérer que cette sous-consommation est durable. Si tel est bien le cas, pourquoi ne pas consacrer immédiatement une part importante des ressources inutilisées à la réalisation des grands travaux ?

Réussir l'Union monétaire

Il n'y a pas d'alternative à l'Union monétaire pour recueillir tous les bénéfices de l'intégration économique européenne.

C'est le seul moyen d'éliminer le risque de change dans les relations entre les économies européennes et de donner tout son poids à l'Europe dans les relations monétaires internationales.

Le passage à la monnaie européenne comporte des contraintes mais ce sont les contraintes de la bonne gestion que les pas européens ont tout avantage à respecter.

Sans un effort d'assainissement des finances publiques, la ponction sur l'épargne au détriment de l'investissement et de l'emploi restera trop importante. Aujourd'hui, 40 % de l'épargne européenne sert à financer les déficits publics. C'est excessif. Il faut tout faire pour réduire ce prélèvement, créer la confiance, favoriser la baisse des taux d'intérêts, le financement des investissements et les créations d'emplois. Une réduction de 1 % des déficits publics en Europe dégagerait plus de 400 mds F supplémentaires par an pour l'investissement et la consommation.

Le Traité comporte un calendrier, il faut s'y tenir et ne pas céder à la tentation de repousser davantage les efforts nécessaires sauf à admettre que le mark ne reste la monnaie dominante de l'Europe et à renoncer à tout partage du pouvoir monétaire.

En revanche, il faut s'attacher à combler les lacunes du Traité, par accord entre les États membres. Il est silencieux sur les relations entre les monnaies des pays de l'union qui se conforment aux règles de l'Union monétaire et ceux qui ne les acceptent ou ne les respectent pas. C'est là une grave lacune. Les turbulences monétaires du printemps 1995 ont eu un effet négatif sur la croissance estimée à un demi-point en moins pour les années 1995 et 1996. Il faudrait sans tarder préciser les règles du jeu pour lutter contre les distorsions de concurrence et revenir aux principes de base du SME. Ne pourrait-on imaginer que tous les membres de l'Union soient tenus de participer à un système monétaire rénové ?

Deuxième lacune du Traité, le silence gardé sur la manière dont le Conseil des Ministres pourra jouer son rôle de « gouvernement économique » face à la Banque Centrale Européenne. Comment pourra-t-il mieux coordonner les politiques économiques des États membres ? Comment harmoniser les politiques budgétaires et sanctionner les dérapages ? Comment le Conseil pourra-t-il jouer son rôle dans la politique de change, c'est-à-dire dans la définition de la relation entre la monnaie européenne et les autres grandes devises ?

Ce dernier point est essentiel. La monnaie unique doit être créée dans les délais mais il importe que le taux de change de la future monnaie européenne, par rapport aux grandes monnaies du monde, s'établisse à un niveau qui ne nuise pas à la compétitivité de l'économie européenne.

À sa création, la valeur externe de la future monnaie européenne sera essentiellement le fruit des parités du franc et du mark par rapport aux autres grandes monnaies du monde, le dollar et le yen.

Or, aujourd'hui, si le franc et le mark ont, l'un par rapport à l'autre, des parités exprimant la réalité de leurs économies, il n'en est pas de même par rapport au dollar et au yen vis-à-vis desquels ils sont surévalués.

Il importe de corriger cette surévaluation sans modifier la parité franc/mark. À cet effet, la France et l'Allemagne doivent ouvrir une négociation entre les États-Unis et le Japon afin d'obtenir que ces deux pays mettent en œuvre tous les moyens permettant de réévaluer leurs monnaies. En tout état de cause, il appartient à la France et à l'Allemagne de gérer leurs deux monnaies d'abord, la monnaie européenne ensuite, de telle sorte, qu'elles aient leur juste valeur vis-à-vis du dollar. L'avenir de l'économie européenne et de la future monnaie en dépend.

De tout cela, il faut que les pays de l'Union commencent à parler sans tarder.

Harmoniser les prélèvements fiscaux

L'Union monétaire est-elle une ambition suffisante pour assurer la compétitivité des économies européennes ? Non, si l'on en juge par le poids des prélèvements obligatoires en Europe par rapport au reste du monde.

La réflexion doit être guidée par deux ordres de considérations. Préserver les valeurs de solidarité auxquels les pays européens sont attachés à juste titre, ce qui conduit à écarter un alignement par le bas. Dans le même temps, favoriser l'initiative, la création d'entreprises, la mobilité, la création d'emplois. N'y a-t-il pas aujourd'hui un consensus sur la nécessité de réduire le coût indirect du travail ?

Exprimés en pourcentage du PIB, les prélèvements obligatoires dans l'Union Européenne sont nettement supérieurs à ceux pratiqués aux États-Unis et au Japon : de plus de 10 points de PIB pour la moyenne de l'Union Européenne ; de l'ordre de 4 à 18 points de PIB selon les pays européens considérés. L'ambition devrait être de réduire ces écarts. En tout état de cause, s'agissant de la France, il faudrait ramener le taux de ses prélèvements au niveau de la moyenne européenne. Cela représenterait un effort substantiel de l'ordre de 2,5 points de PIB qui pourrait être réalisé en 5 ans.

Par ailleurs, pourquoi ne pas se fixer pour objectif, d'ici 2002, de supprimer, toute fiscalité sur les transferts de capitaux et d'harmoniser la fiscalité sur les revenus d'épargne à l'intérieur de l'Europe, et de créer un tarif fiscal extérieur commun en harmonisant les conventions fiscales passées par les pays européens avec les pays tiers ?

Cela suppose d'ici là de procéder à une mesure exacte des écarts et d'analyser leurs effets sur le fonctionnement du marché européen et de reprendre les travaux sur l'harmonisation de la TVA. Il faudra s'attaquer à l'évasion fiscale : la liberté des mouvements de capitaux le rend indispensable. Il faut parvenir à un équilibre entre les systèmes fiscaux et les systèmes de contrôle appliqués dans les différents pays. Parallèlement, en matière de fiscalité des entreprises, un code de bonne conduite devra être instauré afin que des incitations fiscales ne créent pas de délocalisations à l'intérieur du marché européen.

Défendre ses intérêts commerciaux

L'Union Européenne est la première puissance commerciale mondiale. Elle doit savoir défendre ses intérêts économiques légitimes dans un monde de plus en plus concurrentiel. Elle doit en avoir la volonté politique.

À la demande de la France, les instruments de défense commerciale de l'Europe ont été renforcées et les règles du jeu multilatérales clarifiées à l'occasion des dernières négociations du GATT. Pourtant, l'Europe n‘est pas assez présente dans les négociations commerciales.

Peut-elle se contenter d'être un simple spectateur des négociations entre les Etats-Unis et le Japon ? Peut-elle se satisfaire d'avoir si peu de représentants dans l'Organisation Mondiale du Commerce qui vient d'être créée ?

Les pays européens doivent savoir dépasser leurs clivages traditionnels sur les questions commerciales. L'Union Européenne est plus ouverte aux échanges extérieurs que les Etats-Unis et le Japon. Pourquoi devrait-elle renoncer à la défense d'une concurrence équitable dans les échanges internationaux ? Elle doit se servir de manière offensive de l'OMC pour défendre ses droits. Il faut obtenir que les pratiques protectionnistes de ses partenaires commerciaux soient examinées de près et qu'il y soit mis un terme.

En second lieu, l'Union Européenne doit s'attacher à préserver le caractère multilatéral des règles du jeu en matière de commerce international. Comme l'a déclaré récemment le Secrétaire Général de l'OMC la multiplication des zones de libre-échange aboutit à une régionalisation qui est contraire à la discipline du multilatéralisme.

Enfin, à la conférence de Marrakech en avril 1994, la France avait obtenu que soit mise à l'étude « une clause sociale » dans le commerce international. Il s'agit de faire respecter par tous les pays des droits élémentaires comme la prohibition du travail des enfants et du travail forcé et le respect des droits syndicaux. Est-il acceptable que ce dossier n'ait pas progressé depuis lors dans les négociations internationales ?

Devenir un acteur international à part entière.

L'Europe se doit de contribuer à l'équilibre et à la paix à sa périphérie mais aussi dans le monde, rôle qu'aucun de ses pays membres ne peut aujourd'hui jouer seul.

L'affirmation du rôle politique de l'Union européenne sur la scène internationale est insuffisante. L'ambition affichée à Maastricht à ce sujet a été déçue et la mise en œuvre de la politique extérieure et de sécurité est laborieuse.

Ce n'est pas uniquement un problème institutionnel, c'est aussi et surtout un manque de volonté permettant de surmonter le désaccord et un défaut de cohérence de la part des États membres selon qu'ils s'expriment à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union.

Le dispositif institutionnel actuel porte toutefois sa part de responsabilité en ce qu'il n'organise pas suffisamment la possibilité de cercles de coopération allant de l'expression générale d'une politique extérieure commune à la mise en œuvre de solidarités militaires étroites. Pour aller de l'avant dans cette voie, il convient de répondre à trois questions.

Comment favoriser la conception et l'expression d'une politique étrangère commune ? Plusieurs améliorations devraient être apportées au dispositif actuel.

En premier lieu, il parait souhaitable de mettre sur pied une cellule d'analyse chargée de réparer les décisions du Conseil. Elle pourrait être commune au Secrétariat général du Conseil et la Commission de manière à contribuer à une bonne articulation entre les actions de nature intergouvernementale et les actions de nature communautaire.

Certains souhaitent en outre que la politique extérieure de l'Union soit incarnée par une personne pour une durée insuffisante. L'allongement de la durée de la Présidence de l'Union, de 6 mois à un an par exemple, pourrait répondre à ce souci, sans souffrir l'inconvénient que présenterait un dédoublement institutionnel.

S'agissant des initiatives en matière de politique extérieure et de sécurité, il est sans doute possible de développer un droit d'initiative volontaire des Etats membres. L'expérience a montré que lorsqu'un État membre faisait preuve de détermination, l'Union pouvait appuyer son action : le Pacte de stabilité ou l'affaire du Rwanda en sont des exemples. Ne faut-il pas convenir d'admettre plus fréquemment l'abstention de certains États membres sans que celle-ci ne fasse obstacle à la mobilisation de l'Union ?

Enfin, il faut parvenir à meilleure articulation des actions de nature intergouvernementale et des interventions financières extérieures de l'Union, pour établir une approche globale de la politique de l'Union à l'égard d'un pays tiers.

L'expérience du Pacte de stabilité est en exemple concret des avantages d'une bonne articulation.

Il faut désormais approfondir et élargir cette démarche.

L'approfondir à l‘égard de pays signataires du Pacte de Paris, pour s'assurer que les mécanismes des tables régionales destinées à assurer le bon voisinage soient effectivement utilisés.

Cela justifie un engagement permanent de l'Union européenne, faute de quoi l'élan en faveur du bon voisinage risque de se perdre.

L'élargir à de nouvelles zones. Cela vaut en particulier pour la région des Balkans, qui avait été délibérément laissée à l'écart du projet en 1995, du fait de la guerre yougoslave.

La paix étant, on peut l'espérer, en voie de revenir, il convient de la consolider en suivant la même démarche que celle qui a été utilisée à l'égard des PECOS. Il ne suffit pas de lancer l'idée d''un nouveau Pacte de stabilité pour les Balkans. Il faut que l'Union européenne se donner les moyens de poursuive cet objectif par deux incitations fortes : en confirmant que le chemin vers l'appartenance à l'Union européenne, association puis, à terme, adhésion, sera réservé aux pays ayant conclu un accord de bon voisinage avec leurs voisins ; en liant l'aide aux pays candidats à une altitude positive en la matière.

Comment traduire la solidarité qui doit être celle des pays de l'Union en matière de sécurité ? L'expression de cette solidarité passe aujourd'hui par l'UEO qui est la seule institution européenne qui offre à ses membres une garantie de sécurité mutuelle.

Juridiquement, l'UEO est indépendante de toute autre institution. Cette indépendance est restée théorique : militairement, la garantie de sécurité du Traité de Bruxelles a été conçue comme un simple complètement de la garantie offerte par l'OTAN, c'est-à-dire par les Américains. En revanche, du point de vue politique, la mise en valeur de l'UEO depuis 1986 s'est effectuée en liaison avec le développement de l'Union européenne. Il faut clarifier la position de l'UEO si l'on souhaite que l'Union européenne développe une véritable dimension de sécurité.

Plusieurs arguments plaident pour une fusion de l'UEO et de l'Union Européenne. Dans les faits, la solidarité politique, humaine et économique résultant de l'appartenance à l'Union européenne est aussi forte que la solidarité inscrite dans le traité de Bruxelles. Mieux vaut en tirer les conclusions et reprendre au sein de l'Union européenne l'engagement juridique du traité de Bruxelles.

Du point de vue institutionnel, cette fusion simplifierait les statuts qui se sont multipliés au sein de l'UEO ces dernières années (membres à part entière, membres associés – Turquie, Norvège – ; partenaires associés – PEECOS –) et devrait également clarifier la position des pays neutres au sein de l'Union européenne.

Enfin et surtout, du point de vue stratégique, une fusion des deux institutions (en réalité une absorption de l'UEO par l'Union européenne) donnerait son sens à l'idée d'un partenariat euro-américain équilibré sur la scène internationale. Celui-ci n'arrive pas à émerger dans le domaine de la sécurité, car l'UEO n'existe pas face à l'OTAN. Le poids politique de l'Union européenne, renforcé par son absorption de l'UEO, donnerait une autre dimension à ce dialogue transatlantique et ce faisant, au rôle politique de l'Union européenne sur la scène internationale.

Ce raisonnement vaut également pour la position particulière de la France. Une certaine normalisation de la position française au sein de l'OTAN ne vaut que si elle est contrebalancée par l'affirmation d'un pôle européen fort.

Comment enfin mettre sur pied l'organisation de la défense commune prévue par le Traité de Maastricht ? Les pays qui le souhaitent pourraient s'associer dans un cercle de solidarité renforcée et montrer la voie d'une véritable défense commune, notamment en rassemblant les coopérations opérationnelles et industrielles qui existent déjà.

Le développement de ces coopérations doit se poursuivre, en particulier en matière industrielle. Les contraintes qui pèsent sur les budgets d'équipement militaires, les restructurations importantes de l'industrie américaine et la combativité des États-Unis l'exportation rendent nécessaire la construction d'une industrie européenne de l'armement. Il faut dépasser les coopérations au coup par coup, sur des programmes d'armement de nature différente et favoriser des alliances durables entre industriels. L'objectif pourrait être de constituer deux grands groupes au moins, pour maintenir une concurrence toujours utile dans les techniques de pointe et disposer d'un contrepoids réel à l'industrie américaine d'armement.

Pour ce cercle de défense, il serait possible de s'inspirer, mutatis mutandis, de la démarche de l'UEM, c'est-à-dire de définir des attitudes, faute de pouvoir appliquer des critères parfaitement rigoureux en la matière, attestant la volonté ou la capacité d'un pays à appartenir au cercle restreint de la coopération militaire.

Les éléments suivants pourraient par exemple être pris en compte : participation à des forces multinationales européennes et à un État-major interarmées chargé d'organiser leur coopération ; participation à des coopérations d'armements européennes, et ultérieurement à la structure franco-allemande récemment créée en matière d'armement ; participation effective à des opérations de maintien de la paix. …

Les États participeront à ces différents projets constitueraient le cercle de la défense européenne, c'est-à-dire l'ossature d'une organisation de défense européenne.

Afin que ces coopérations militaires puissent bénéficier de l'impulsion nécessaire et jouer un rôle d'entraînement, il conviendrait que les pays membres participant à ce cercle de défense puissent se réunir au sommet.

Ces rencontres devraient être informelles et ne se traduire par aucune institutionnalisation, mais permettraient aux Chefs d'État et de gouvernement concernés de faire le point entre eux sur l'état des coopérations qui touchent au cœur de leur souveraineté.

Mieux assurer les droits et la sécurité des citoyens européens.

Il faut donner un contenu concret à la notion de citoyenneté européenne. Le texte du traité ne comporte pas certaines dispositions fondamentales. Par exemple, la Convention européenne des droits de l'homme devrait s'appliquer à l'Union européenne et la Cour de Justice devrait être compétente pour faire respecter ces droits.

La coopération dans le domaine des affaires intérieures et de justice n'apparaît pas suffisamment efficace face aux problèmes de l'immigration, du trafic de drogue, de la criminalité organisée… Cette inefficacité s'explique en partie par la lenteur et la lourdeur des procédures actuelles. Il devrait être possible de supprimer un échelon dans les multiples instances qui préparent les décisions du Conseil. Elle s'explique aussi par la règle de l'unanimité qui rend difficile l'application des décisions concrètes. Ne faut-il pas envisager de communautariser c'est-à-dire de recourir à une procédure de décision à la majorité qualifiée pour les questions relatives à la politique des visas et au droit d'asile, par exemple ?

La ratification et l'entrée en vigueur de la convention Europol constitueront un progrès appréciable. Il faudra veiller à procéder à une évaluation périodique des résultats obtenus et, si besoin est, améliorer son application ou son contenu. Il est en revanche peu réaliste de vouloir modifier les règles applicables au domaine de la coopération policière et judiciaire, pour passer de la coopération intergouvernementale à la communautarisation. Comment améliorer davantage la coopération entre Etats membres ? Il ne faut pas réitérer le recours à des conventions du type de la convention de Schengen. Il est sans doute malheureusement impossible de recourir à un instrument intermédiaire entre une directive, contraignante pour tous les États membres, et une convention, qui doit être ratifiée à l'unanimité. Dès lors, pourquoi ne pas étudier la possibilité de créer un cercle de solidarité renforcée entre les Etats membres qui le voudraient dans certains domaines ?

Au total, quelles ambitions pour la France et pour l'Europe ?

Donner, avec l'Allemagne, un nouvel élan à la construction européenne

La coopération franco-allemande peut aller plus loin qu'aujourd'hui, dans tous les domaines politique, économique, diplomatique, militaire et culturel. Les deux pays pourraient conclure ensemble un nouveau traité. Le traité de l'Elysée, qui remonte à 1963, doit être actualisé.

Préparer les élargissements futurs de l'Union Européenne

Ces élargissements devront être bien ordonnés et progressifs. Les adhésions devront se faire sur la base de critères définis à l'avance. Au préalable, les pays candidats devront conclure un accord d'association, c'est-à-dire observer un régime de pré-adhésion.

Mieux organiser l'Europe

Tous les États membres devront appliquer l'ensemble des dispositions du Traité. En même temps, la diversité de la nouvelle Europe rendra plus nécessaire encore de permettre aux États qui le veulent et qui le peuvent de développer entre eux une coopération plus approfondie dans certains domaines. Enfin, l'Union Européenne devra développer des formes privilégiées de partenariat avec ses voisins.

Il y aurait ainsi plusieurs cercles :

– le cercle de droit commun c'est-à-dire tous les États membres de l'Union qui appliquent les dispositions de droit commun du Traité ;
– des cercles plus restreints permettant des coopérations plus approfondies, dans le domaine monétaire, dans le domaine militaire, et éventuellement dans le domaine des affaires intérieures et de justice ;
– le cercle des proches comprenant les États en attente d'adhésion et les États voisins de l'Union avec lesquels elle pourrait développer des liens privilégiés.

Réformer les institutions européennes avant les élargissements pour éviter que l'Union Européenne ne soit condamnée à être en état de réforme permanente

L'ensemble des traités qui régissent l'Union Européenne forment un ensemble opaque et peu lisible. Il faudrait les codifier en un texte unique.

Le fonctionnement des institutions européennes n'est déjà plus satisfaisant à quinze. Il faut le rénover pour pouvoir accueillir efficacement les nouveaux adhérents.

La Commission : le nombre des commissaires est trop élevé. Le Président de la Commission, nommé par le Conseil Européen, désignerait lui-même les commissaires à partir d'une liste établie par le Conseil Européen dans la limite d'un nombre réduit fixé par le Traité.

Le Conseil : il doit être à même d'exercer ses prérogatives et son rôle vis-à-vis de la Commission, c'est-à-dire lui donner des mandats clairs. Pour permettre à l'Union Européenne de progresser, il faut élargir le champ d'application des décisions à la majorité qualifiée, sans pour autant remettre en cause le compromis de Luxembourg ; introduire dans certains domaines une majorité surqualifiée ; admettre un système d'abstention positive qui permette de considérer que le consensus est réuni à défaut d'unanimité en matière de politique extérieure et de sécurité par exemple. Il faut enfin revoir le système actuel de pondération des voix pour éviter que les élargissements successifs ne conduisent à un déséquilibre accru et injustifiable au détriment des États les plus peuplés et les plus développés.

Le Parlement : il faut simplifier le nombre des procédures de consultation et le ramener de 23 à 3. Il faut étendre la codécision à l'essentiel de l'activité législative ou normative de la Communauté. Il faut enfin revoir le nombre de sièges par État membre pour ne pas dépasser le nombre actuel de 626 parlementaires.

En France, le mode de scrutin devrait être revu pour que les parlementaires européens aient des liens étroits avec leurs électeurs.

Fixer des objectifs pour les années à venir pour que l'Union Européenne réponde le mieux possible aux préoccupations légitimes de ses citoyens

Retrouver la croissance et créer des emplois. La politique de l'emploi devrait figurer dans le liste des politiques communautaires. Pour lutter contre le chômage, il faut mettre en œuvre les recommandations du Livre Blanc de 1993 et relancer le dialogue social au niveau européen.

Enfin, il faut mobiliser les ressources disponibles dans le budget européen pour lancer sans plus tarder les grands travaux d'infrastructure.

Réussir l'Union monétaire. La France doit se mettre en situation d'entrer la tête haute dans l'Union monétaire dès 1999. Le Traité comporte des lacunes qu'il faut combler par accord entre les États membres : il est silencieux sur les relations entre la monnaie unique et les monnaies des pays qui ne participeront pas immédiatement à l'Union monétaire. Ne peut-on prévoir que ces pays soient tenus de participer à un système monétaire rénové ?

Deuxième condition impérative : le Conseil devra jouer pleinement son rôle de gouvernement économique face à la Banque Centrale Européenne. Dans le domaine de la coordination des politiques économiques, de l'harmonisation des politiques budgétaires et du respect de la discipline nécessaire, enfin et surtout dans le domaine de la politique de change. Il faut s'y préparer dès à présent. Il est essentiel que la monnaie européenne ait sa juste valeur vis-à-vis du dollar. L'Europe ne peut tolérer que le dollar soit durablement sous-évalué, il y va de la compétitivité de ses entreprises, de ses perspectives de croissance et de création d'emplois.

Harmoniser les prélèvements fiscaux. Le poids des prélèvements obligatoires est très élevé en Europe par rapport au reste du monde. Il faut naturellement préserver les valeurs de solidarité auxquels les pays européens sont à juste titre attachés. Mais il faut également favoriser la croissance, l'initiative la création d'emplois. L'ambition devrait être de réduire les écarts par rapport au reste du monde. La France quant à elle devrait se donner pour objectif de ramener en 5 ans le taux de ses prélèvements au niveau de la moyenne communautaire.

Défendre les intérêts commerciaux de l'Europe. L'Union Européenne est plus ouverte aux échanges extérieurs que les Etats-Unis et le Japon. Elle doit s'attacher à faire respecter une concurrence équitable dans les échanges internationaux. En veillant à ce que l'OMC joue pleinement son rôle. En s'attachant à préserver le caractère multilatéral des règles du jeu qui pourrait être menacé par la multiplication des zones de libre-échange. En obtenant le respect par tous les pays des droits élémentaires du travail par l'introduction d'une « clause sociale » dans ces règles du jeu.

Faire de l'Europe un acteur international à part entière. L'affirmation de son rôle politique sur la scène international est insuffisante. Les événements de Bosnie l'ont malheureusement montré. C'est l'affaire de volonté politique et la France doit continuer de jouer un rôle moteur comme elle l'a fait avec le Pacte de stabilité auquel il faut donner un nouvel élan. Il faut aussi améliorer le dispositif institutionnel de la politique extérieure et de sécurité commune. En renforçant les moyens d'analyse à la disposition du Conseil. En allongeant la durée de la Présidence du Conseil. En développant un droit d'initiative volontaire des Etats membres. En améliorant l'articulation entre les actions de nature intergouvernementale et les interventions financières extérieures de la Communauté.

Dans le domaine de la sécurité et de la défense, les objectifs devraient être les suivants :

– une politique étrangère et de sécurité commune plus forte car reposant sur une garantie de sécurité entre les États membres de l'Union Européenne, après que l'engagement juridique du Traité de Bruxelles ait été reprise au sein de l'Union Européenne ;
– un cercle de solidarité renforcée, entre certains Etats membres, qui constituerait l'ossature d'une organisation de défense européenne comportant ;
– une capacité militaire à la disposition de l'Union Européenne, composée de moyens militaires proprement européens (forces multinationales, moyens de renseignements européens, système d'observation spatiale…) et de moyens mis à la disposition de l'OTAN (moyens de commandement notamment) ;
– une véritable industrie européenne d'armement, comprenant pour chaque secteur industriel, deux grandes entreprises au moins, pour maintenir une concurrence toujours utile dans les techniques de pointe et disposer d'un contrepoids réel à l'industrie américaine qui se regroupe ;
– une Alliance atlantique rénovée, où les Européens peuvent faire entendre leur voix, et mieux adaptés à la conduite des nouvelles missions (maintien de la paix).

Mieux assurer les droits et la sécurité des citoyens européens. La convention européenne des droits de l'homme devrait s'appliquer à l'Union Européenne. Dans le domaine des affaires intérieures et de justice, il faut donner plus d'efficacité à la coopération des États membres pour répondre aux problèmes de l'immigration, lutter contre le trafic de drogue et la criminalité organise. L'entrée en vigueur de la convention Europol sera un premier progrès. Pour aller plus loin, sans réitérer le recours à des instruments imparfaits comme la convention de Schengen, la réflexion devrait être engagée sur la possibilité de créer un cercle de solidarité renforcée dans ce domaine des affaires intérieures et de justice.

La Conférence Intergouvernementale qui va s'ouvrir à Turin le 29 mars est l'occasion de répondre aux interrogations des citoyens européens. Elle doit réussir les réformes institutionnelles qui sont indispensables pour que l'Union Européenne soit plus efficace, plus dynamique, plus démocratique et soit à même d'accueillir de nouveaux membres. Mais elle doit aussi et surtout répondre aux attentes des Européens. Ne répétons pas l'erreur du Traité de 1992. Les raisons d'être de l'Union Européenne sont claires : assurer la paix et la sécurité, être un facteur de progrès et de croissance dans un monde économique ouvert et concurrentiel, défendre les valeurs de solidarité auxquelles les Européens sont à juste titre attachés. Comment ne pas voir qu'il est essentiel de leur donner un contenu plus concret, de définir des objectifs communs pour les années qui viennent ? La France doit s'y employer résolument.