Interview de M. Jacques Chirac, président du RPR, dans "Le Journal du Dimanche" du 20 mai 1990, sur la procédure des élections primaires pour la désignation du candidats unique pour l'élection présidentielle, l'expression de courants au sein du RPR et l'union de l'opposition.

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Jacques Chirac : l’union sacrée contre Le Pen
Interview : 
Christian Sauvage

C’est son appel à l’opposition pour répondre à l’extrême droite. Le président du RPR s’engage à respecter le verdict des « primaires »


Jacques Chirac relance l’idée de l’opposition. Dans son grand bureau de l’hôtel de ville, peu de temps avant de rejoindre Lyon, pour une réunion commune avec Michel Noir, le président du RPR s’explique.

Christian Sauvage : Est-ce que l’opposition peut parvenir à mettre au point une procédure de désignation d’un candidat unique à la prochaine élection présidentielle ?

Jacques Chirac : Sur le plan technique c’est tout à fait possible. Il s’agit de demander à des électeurs et à des élus de choisir par un système de primaires un candidat commun à l’ensemble de l’opposition.

Politiquement est-ce possible ? Cela dépend de la volonté et des arrière-pensées des responsables de l’opposition. Mais s’ils sont véritablement animés par une volonté d’union dans une stratégie de victoire, alors ils accepteront cette procédure.

Moi je l’ai dit, je le répète : si je suis candidat je m’engage à respecter cette procédure, à accepter son verdict et à soutenir le candidat désigné. Je demande à tous les responsables de l’opposition d’adopter la même attitude. C’est la façon la plus claire et la plus efficace de témoigner de notre volonté d’union.

Christian Sauvage : Cela veut dire que si votre candidature n’est pas retenue pour la première fois depuis le début de la Ve République il n’y aurait pas de candidat gaulliste ?

Jacques Chirac : J’ai clairement pris un engagement et je m’y tiendrai. Dans la mesure naturellement où tous les responsables de l’opposition prendront le même engagement. 

Christian Sauvage : Quel rôle attribuez-vous aux élus locaux dans le processus d’union de l’opposition ?

Jacques Chirac : Vendredi, aux états généraux de l’opposition, j’ai demandé aux élus un conseil. Leurs connaissances des problèmes locaux, la participation qui sera inévitablement la leur dans cette procédure exigent qu’on les consulte. Notamment sur les modalités techniques. Ensuite leur participation matérielle sera indispensable pour une bonne organisation de ces primaires. Les élus ont aussi un rôle politique et ils compteront beaucoup dans ce qui sera malgré tout une campagne électorale.

Christian Sauvage : Mais n’ont-ils pas un rôle particulier ? L’union ne doit-elle pas partir des élus comme le propose les responsables de la Force unie ?

Jacques Chirac : L’union de l’opposition c’est l’union des partis qui composent l’opposition. Je n’entends pas sous-estimer le rôle des élus locaux. Mais c’est au niveau des responsables que l’accord doit intervenir.

RPR : je ne souhaite pas de crise

Christian Sauvage : Vous fixez la date du mois d’octobre pour décider la procédure à adopter pour ces primaires. Pourquoi ? 

Jacques Chirac : On ne peut pas indéfiniment laisser les électeurs de l’opposition dans l’ignorance de ce qui va se passer. Il faut répondre vite à ce désir d’union. Plus vite nous nous serons mis d’accord plus les divisions qui existent encore s’estomperont. Et plus l’efficacité de l’opposition grandira. S’il faut un peu de temps pour réfléchir, reconnaissons que ce n’est pas si compliqué que les choses ne puissent être résolues dans des délais raisonnables.

Christian Sauvage : La désunion de l’opposition passe entre ses composantes mais aussi de chacune des familles politiques. Considérez-vous que Charles Pasqua joue le jeu au sein du RPR actuellement ?

Jacques Chirac : J’ai décidé qu’au sein du RPR les courants pourraient s’exprimer. En prenant la parole, en cherchant à convaincre. Un certain nombre d’initiatives plus ou moins fortes ont été prises. Les deux principales qui subsistent en dehors du grand courant central : celui qu’anime Charles Pasqua et celui qu’anime Alain Carignon.

Ces courants sont représentés dans les instances nationales du mouvement, mais, contrairement au Parti socialiste, ils n’ont pas de réalité au niveau départemental. C’est ce que nous avons souhaité unanimement.

Si chacun joue le jeu dans le cadre du mouvement et en respectant ces règles, je ne peux que m’en réjouir. Si certains ne jouent pas le jeu - je n’ai pas de raison de l’imaginer aujourd’hui - alors nous risquons de développer des éléments de faiblesse. Il est évident que je ne souhaite pas de crise.

Christian Sauvage : En décembre vous ironisiez en mettant en cause l’influence néfaste de la lune sur ces phénomènes contestataires. Son influence a-t-elle disparu ?

Jacques Chirac : Elle a diminué mais je ne crois pas qu’elle ait disparu… 

Christian Sauvage : Le RPR demande au Premier ministre de s’engager solennellement à renoncer au vote des immigrés dans le débat parlementaire mardi. Si tel était le cas, à quoi vous engagez-vous ?

Jacques Chirac : Les socialistes sont toujours restés dans le flou et l’hypocrisie. C’est ce qui explique notre demande d’engagement clair et public. Nous avons toujours dit ce que nous voulions notamment à Villepinte. Nous l’avons fait notamment en déposant une proposition de loi sur le code de la nationalité. Chacun connaît nos positions. J’espère que le gouvernement dira clairement ce qu’il pense et ce qu’il veut faire. Si c’est le cas nous dirons dans quelle mesure une concertation est possible et souhaitable.

M. Mitterrand et les socialistes : des apprentis sorciers.

Christian Sauvage : Vous avez lancé l’offensive contre Jean-Marie Le Pen et le président de la République à qui vous reprochez d’avoir favorisé le développement du Front national. Mais MM. Mauroy et Zuccarelli vous ont rétorqué hier que certains élus de votre mouvement ont fait l’alliance dans certaines villes ou régions avec le Front national.

Jacques Chirac : J’ai toujours condamné les alliances avec le Front national. Je vous rappelle qu’à Paris en 1983 comme en 1989, j’ai préféré prendre le risque de perdre un arrondissement plutôt que de transiger avec mes principes. Par ailleurs, j’ai indiqué que tout le monde avait une part de responsabilité dans le développement de l’extrémisme et pas seulement les hommes politiques. Mais qui ne voit que certains sont plus responsables que d’autres ? Tous les Français savent qu’en jouant avec le Front national pour diviser et affaiblir l’opposition, M. Mitterrand et les socialistes ont joué aux apprentis sorciers ! 

Quant à l’opposition c’est en renforçant son union, comme je l’ai proposé vendredi, qu’elle répondra le mieux aux aspirations de ses électeurs et notamment de ceux qui sont tentés de voter pour l’extrême droite.

Christian Sauvage : L’opposition consacre ses états généraux à la décentralisation. Pensez-vous que les Français voient les effets de ce mouvement ?

Jacques Chirac : C’est un mouvement qui s’impose de lui-même, conforme aux besoins de liberté et de bonne efficacité de gestion des affaires publiques. La décentralisation a commencé il y a longtemps. Elle a connu une impulsion nouvelle dans les années 80 avec sans aucun doute des abus, notamment sur le plan financier. La décentralisation doit être approfondie. On observe aujourd’hui une espèce de volonté cachée du gouvernement de retour en arrière. C’est dangereux. Il faut se débarrasser des imperfections dues au caractère trop idéologique de certaines réformes qui doivent être corrigées.