Article de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Le Figaro" du 12 février 1996, sur la nécessité pour l'agriculture de l'Union monétaire et sur la réforme des institutions communautaires, intitulé "Les agriculteurs pour la monnaie unique".

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Média : Le Figaro

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La FNSEA ne fait pas mystère de son engagement européen et s'est prononcée, dès 1992, en faveur de la monnaie unique. Que l'on n'aille pas croire pour autant que les agriculteurs français se font une religion de l'union monétaire. Non, notre expérience du marché intérieur européen, sur lequel nous réalisons les deux tiers de nos exportations, nous a simplement convaincus qu'il ne pouvait pas y avoir de marché unique sans monnaie unique.

Nous refusons de continuer à voir nos marchés déstabilisés par les dévaluations compétitives encore pratiquées par certains États membres. Nous ne voulons plus connaître de crise similaire à celle de l'été dernier, où nos exportations bovines et les cours de nos fruits et légumes se sont effondrés, en quelques semaines, du fait de la dépréciation de la lire et de la peseta. Nous refusons d'être les victimes impuissantes de distorsions de concurrence d'origine monétaire, qui mettent en péril l'unité du marché intérieur.

Les agriculteurs veulent la monnaie unique le plus tôt possible. Nous ne craignons pas que la France rate ce rendez-vous. Nous savons que le passage à la monnaie unique relèvera avant tout d'une décision politique et nous comptons sur le couple franco-allemand pour y parvenir. La France s'est montée solidaire de l'Allemagne depuis sa réunification. Les agriculteurs veulent toucher, dès 1999, le dividende de cet investissement. L'euro marquera d'une façon historique la volonté des États membres de gérer ensemble leurs économies, en commençant par remettre de l'ordre dans le système monétaire européen. Quelle solution plus satisfaisante les économistes nous proposent-ils pour éviter, une bonne fois pour toutes, qu'u pays se mette hors la loi monétaire en Europe et déstabilise les autres ?

Naturellement, il faudra que le plus grand nombre possible d'États membres participent à l'euro dès 1999. La volonté politique devra pour cela l'emporter sur la seule raison économique. Par ailleurs, un mécanisme contraignant devra régir les rapports de change entre l'euro et les autres devises du SME. La monnaie unique ne nous servira à rien sur les marchés agricoles si les autres États membres peuvent continuer à pratiquer délibérément le laxisme monétaire.

Le pouvoir de décision

L'union économique et monétaire doit être adossée sur une Europe capable de fonctionner politiquement. Les agriculteurs souffrent actuellement de l'impuissance du conseil des ministres à décider. Imagine-t-on la difficulté d'organiser un plan de cultures lorsque le conseil n'arrive pas à statuer en temps et en heure sur le taux de gel des terres applicables pour l'année ? Les agriculteurs pâtissent tous les jours des dysfonctionnements communautaires. C'est pourquoi nous souhaitons que le système de vote au conseil soit révisé et prenne en compte le poids démographique et économique des États membres. Les agriculteurs souffrent aussi de la trop grande indépendance de la Commission européenne. Elle doit être un organe réellement responsable devant le conseil des ministres et n'agir que sur des mandats précis. Le souvenir des conditions dans lesquelles fut négocié l'accord de Blair House est encore cuisant dans la mémoire de tous les agriculteurs. Ils se sentent mal compris par le Parlement européen et souhaitent que les parlements nationaux soient associés plus étroitement à son travail. Ils aspirent à une meilleure application du principe de subsidiarité. La conférence intergouvernementale, qui s'ouvre à Turin le mois prochain, doit impérativement rénover en ce sens les institutions communautaires. Elle doit marquer le retour en force du politique en Europe.

Nous ne pouvons plus fuir nos responsabilités politiques si nous prétendons toujours à un destin commun pour l'Europe. Comment procéder à l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale si nous échouons à nos rendez-vous de 1996 et 1999 ? La crise de confiance serait trop grave pour continuer à élargir l'Europe. Les agriculteurs, j'en suis convaincu, ne l'accepteraient pas.