Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, à France 3 le 7 février 1999, sur la préparation des élections européennes par le MDC et l'enquête sur le meurtre du préfet Erignac.

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Média : Emission Journal de 19h - France 3 - Télévision

Texte intégral

Louis Laforge : Jean-Pierre Chevènement bonsoir. Merci de répondre à nos questions. Tout au long du congrès de Créteil, vos militants ont montré leur préférence pour une liste indépendante du MDC. Vous allez les suivre ?

Jean-Pierre Chevènement : D’abord, tous les éléments n’étaient pas disponibles et tous ne le sont pas encore. Je voudrais rappeler que la problématique du Mouvement des citoyens, c’est de peser au sein du gouvernement de la gauche plurielle, dans le sens d’une cohérence républicaine pour qu’on traite un certain nombre de problèmes – pas seulement la sécurité ou l’immigration, mais tous les problèmes – à la lumière d’une certaine exigence, qui est celle de l’intérêt général. Donc, comment peser le mieux ? Est-ce que c’est dans une alliance avec le Parti socialiste qui est la force principale de la majorité plurielle ? Ou est-ce que c’est en mettant, en avant, une liste de la gauche républicaine, que, bien sûr, nous « vertèbrerions » ? Donc le chef de file serait, non pas moi-même puisque je suis ministre de l’intérieur, je pense que ça ne serait pas convenable.

Louis Laforge : C’est la raison pour laquelle vous ne menez pas cette liste MDC ?

Jean-Pierre Chevènement : Oui, mais je pense aussi que Sami Naïr peut être symbolique du combat prioritaire, du combat que nous menons pour l’accès à la citoyenneté, parce que les problèmes de la société française ne sont solubles que si tous se sentent appelés à exercer leurs droits, mais aussi leurs devoirs.

Louis Laforge : Finalement, Jean-Pierre Chevènement, pardonnez-moi, mais est-ce que votre vision de l’Europe n’est pas davantage proche de celle de Charles Pasqua, que de celle de François Hollande ?

Jean-Pierre Chevènement : Il y a certaines convergences, mais il y a aussi certaines divergences. Disons que le combat du Mouvement des citoyens, c’est relever la gauche avec la France. Ce n’est pas l’objet de Charles Pasqua.

Louis Laforge : Jean-Pierre Chevènement, un autre dossier d’actualité vous intéresse, nous intéresse : c’est celui de la Corse. Il y a un an, le préfet Érignac était assassiné à Ajaccio. Coïncidence ou pas, hier soir, un attentat a visé la direction régionale des impôts. Un an donc jour pour jour et même heure par heure, après le meurtre de Claude Érignac. La charge explosive, qui n’a pas fait de victimes, a causé d’importants dégâts matériels. L’attentat n’a pas été revendiqué, mais les enquêteurs privilégient la piste des nationalistes corses, même si le FNLC-canal historique a annoncé, le mois dernier, une trêve durant la campagne des élections territoriales, mais exclusivement sur l’île. Jean-Pierre Chevènement, je le rappelle, cet attentat n’a pas été revendiqué. Néanmoins, est-ce que le ministre de l’intérieur interprète cette action comme un message ?

Jean-Pierre Chevènement : Écoutez, ceux qui manient le plastique n’auront pas de gain, il faut être tout à fait clair. Quant à l’enquête, nous en sommes pour le moment au stade des hypothèses. Comme vous l’avez dit, ce peut être le FLNC. Ce peut être aussi un autre groupe. L’un et l’autre ont commis des attentats sur le continent et le FNLC a revendiqué deux attentats contre des perceptions en Corse même, à la fin de l’an dernier. Donc c’est une possibilité, mais il ne faut en exclure aucune autre. Laissez-moi cependant, condamner ce type d’attentat qui pourrait faire des victimes, qui heureusement n’en a pas fait. Il est clair que, en utilisant ces moyens, eh bien, il peut y avoir des morts à l’arrivée.

Louis Laforge : Nous allons parler d’une autre enquête à présent : celle concernant le préfet Érignac, mercredi dernier à l’issue du conseil des ministres. Vous avez paru très en colère après la parution d’un article dans Le Monde, d’éléments de l’enquête sur le meurtre, de fuites apparemment de la police ou de la gendarmerie. À qui profite ces fuites, selon-vous ?

Jean-Pierre Chevènement : Eh bien, vous savez, il y a des indiscrétions, elles sont condamnables. D’où viennent-elles ? Je l’ignore. Je sais que, quelquefois, elles sont suscitées et il y a des gens assez faibles de caractère, ou alors franchement complices, qui n’hésitent pas à essayer de rendre public tel ou tel élément de l’enquête. Mais pour autant, ces révélations – ces soi-disant révélations – n’empêcheront pas la poursuite de l’enquête qui repose également, croyez-moi, sur quelques autres bases.

Louis Laforge : Alors où en est l’enquête justement parce que, d’après les fuites dont on parlait, les enquêteurs auraient ciblé les auteurs. Vous confirmez ?

Jean-Pierre Chevènement : Je vous ai dit qu’elles progressaient. Maintenant, si je pouvais vous dire qui est l’auteur de l’assassinat, je ne vous le dirais pas parce que cela, seul un tribunal pourra le dire, sur la base du travail qui est fait par la division nationale anti-terroriste sous le contrôle du juge.

Louis Laforge : Mais l’enquête progresse ?

Jean-Pierre Chevènement : Je voudrais rappeler que, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, c’est la division nationale anti-terroriste au ministère de l’intérieur qui a compétence et, au niveau de la justice, c’est bien évidemment la 14e section anti-terroriste, c’est-à-dire les juges que vous connaissez – le juge Bruguière, le juge Le Vert, le juge Thiel et, en quatrième nom, le nom m’échappe là – mais voilà c’est ce qui est souvent contesté par un certain nombre de gens qui voudraient en quelque sorte mettre à bas ce dispositif qui a pourtant fait ses preuves dans la lutte contre le terrorisme intégriste, islamiste et qui nous a permis d’éventer un certain nombre de desseins qui auraient pu être graves au moment où s’est déroulé, sur le sol de notre pays, la coupe du monde de football.

Louis Laforge : Monsieur le ministre, depuis trois jours, en raison de l’assassinat de Claude Érignac, nous diffusons dans nos journaux une série de reportages sur la Corse, dernier aspect ce soir : le rétablissement de l’État de droit sur l’île. Des centaines d’arrestations, de nombreuses mises en examen qui, pour l’instant, n’ont pas abouti à la vérité ; mais en Corse, cette reprise en main semble de plus en plus contestée par une partie de la population.