Interview de M. Charles Millon, ministre de la défense, dans "Le Progrès" du 7 novembre 1995, sur le rôle de la gendarmerie dans la défense du territoire, la polémique sur la mort de Khaled Kelkal et l'application du Plan Vigipirate.

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Média : Le Progrès

Texte intégral

Gendarmerie nationale (lutte antiterroriste)

Q. : Parmi les missions qu'elle exerce, la gendarmerie semble occuper une place de plus en plus importante dans la défense militaire du territoire. Ce constat est-il lié surtout à la situation actuelle en France ?

R. : La gendarmerie a une mission essentielle, celle de garantir la sécurité des biens et des personnes, tant sur le territoire national que dans le cadre de ses missions internationales. Ses missions se sont d'ailleurs multipliées au fil des ans, prouvant ainsi sa grande capacité d'adaptation. Mais il est vrai que ce qui frappe l'opinion aujourd'hui, compte tenu de certains événements récents, c'est la dimension militaire de la mission. Elle est d'autant plus importante qu'un certain nombre de nouveaux dangers sont apparus ou se sont développés : le grand banditisme, – qui s'organise parfois autour de puissantes « mafias » –, les trafics de drogue, et le terrorisme inspiré par des intégristes et des extrémistes. Dans la lutte contre ces formes de « terrorisme » et pour garantir la paix civile, cette mission militaire de la gendarmerie est tout à fait exemplaire.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la gendarmerie est placée sous l'autorité du ministère de la défense.

Mort de Khaled Kelkal

Q. : Revenons sur l'épilogue de l'affaire Kelkal. Avec du recul, pensez-vous que les gendarmes ont agi comme ils devaient le faire, ou la mort de Khaled Kelkal aurait-elle pu être évitée ?

R. : Chacun a suivi ces événements qui ont été largement médiatisés. Il y a eu en France des attentats terribles qui ont frappé à l'aveugle : des personnes sont mortes, d'autres ont été blessées, souvent grièvement. Que dire de l'angoisse des familles, ou des blessures psychiques de ceux qui se sont trouvées sur les lieux d'une explosion et oui doivent vivre encore aujourd'hui avec la peur. Les gendarmes ont accompli, jours et nuits, leur mission de recherches de renseignement, dans le cadre de l'enquête sur les auteurs de ces attentats meurtriers. Ils n'ont pas ménagé leur peine pour faire avancer l'enquête. Finalement, l'un des auteurs de ces crimes atroces est identifié et repéré. C'est alors que se déroule l'interception de Kelkal. Les gendarmes font les sommations d'usage. Kelkal déclenche les tirs. Il n'est ensuite blessé, ce qui prouve bien la volonté manifeste de le prendre vivant. À terre, alors que les gendarmes sont prêts à le secourir pour le remettre à la justice, il les met à nouveau en joue : un gendarme se trouve dans sa ligne de mire à quelques mètres de lui. Ce qu'il faut que les Français comprennent bien, c'est que ce n'est pas du cinéma, mais la réalité qui se déroule à grande vitesse. Et c'est la vie de gendarmes qui est en jeu face à un poseur de bombe qui entend aller jusqu'au bout de sa démarche meurtrière. Les gendarmes avaient non seulement le droit mais le devoir de se défendre. Ils étaient en outre en état de légitime défense. Alors, je sais que certains mots prononcés, – ces « finis-le, finis-le » – ont fait couler beaucoup d'encre et fourni le prétexte à une polémique. Certes, ce sont des mots durs quand on les isole de leur contexte. Ils correspondent à une situation très particulière face à un homme qui manifeste son intention jusqu'au bout de tirer pour tuer. C'est une situation de combat, où une seconde d'hésitation peut coûter la vie d'un de nos gendarmes. Dans le feu de l'action, ce sont des expressions parfaitement compréhensibles, et je salue le sens des responsabilités de la rédaction en chef de M6 dans cette affaire. Cette chaîne de télévision a fait preuve d'un grand sens déontologique en refusant la fausse évidence du scoop. Je regrette bien sûr que cela se soit passé ainsi, mais dans la lutte contre le terrorisme, on ne peut pas se contenter de bons sentiments. Je rends donc hommage au courage de ces gendarmes.

Plan Vigipirate

Q. : Le rôle des gendarmes dans le plan Vigipirate vous donne-t-il satisfaction ?

R. : Il y a plus de 15 000 gendarmes et 4 500 soldats mobilisés. Bien que ce ne soit pas l'objectif premier, on constate une baisse sensible de la petite délinquance. Un sentiment de sécurité est réapparu, et la présence de militaires dans les rues ou les gares est très bien perçue. C'est ce que voulait le gouvernement. Est-ce que cela sera suffisant pour écarter tous risques d'atteintes à l'ordre public, en particulier les attentats ? Je ne le crois pas. Mais nous rendons la marge de manœuvre des terroristes de plus en plus étroite. Je souhaite que très rapidement on puisse arrêter le plan Vigipirate. Cela signifierait que la paix et la sécurité seront alors complètement rétablies. Les derniers succès enregistrés montrent que les choses vont dans le bon sens.

Q. : Compte tenu des récentes interpellations, allez-vous réduire les effectifs de gendarmes sur le terrain dans le cadre de ce plan ?

R. : En l'état actuel. Il n'en est pas question.

Q. : La population semble très bien accepter ces contrôles dans les rues ou dans les magasins. Mais un problème s'est posé à Strasbourg, où on s'est étonné de voir des militaires en armes dans les véhicules de transports en commun.

R. : Si je pouvais montrer mon courrier, vous seriez étonné de constater le nombre de personnes qui souhaitent leur présence sur le terrain et qui nous remercient du climat de sécurité qu'elles ont rétabli. C'est vrai que des jeunes soldats en armes dans un métro ou dans un bus, cela peut surprendre au premier abord. Mais à situation extraordinaire réponse extraordinaire ! Ce n'est pas une situation ordinaire d'avoir eu à déplorer deux attentats dans le métro, un autre à l'air libre, un attentat devant une école à Villeurbanne, ou de vivre dans l'angoisse chaque fois que dans un transport en commun on y voit un objet douteux. Mais dans mon esprit, comme dans celui des militaires engagés dans cette mission, il n'y a aucune confusion entre Vigipirate et le problème des banlieues.

Q. : Y voyez-vous une tentative de récupération politique ?

R. : Je dis à ceux qui, par esprit critique ou polémique, remettent en cause le plan Vigipirate, qu'ils devraient peut-être penser davantage à toutes les victimes de ces attentats, et à leurs familles.