Interviews de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, à RTL et France 2 le 25 mars 1996, sur l'expulsion des africains du gymnase Japy, l'intégration des populations immigrées en France et le contrôle des flux migratoires notamment par l'application scrupuleuse des lois Pasqua.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Expulsion par la police le 24 mars 1995 de 300 étrangers sans papiers qui occupaient le gymnase Japy dans le 11ème arrondissement de Paris

Média : RTL - France 2

Texte intégral

RTL : lundi 25 mars 1996

M. Cotta : Est-il normal qu'on en arrive à situation de conflit ouvert, public et difficile à supporter pour tout le monde et surtout pour les trois cents personnes expulsées ?

É. Raoult : Ceux qui ont fait ça ont fait une mauvaise action contre l'intégration et une provocation contre l'opinion.

M. Cotta : Comme Monseigneur Lustiger, vous pensez que c'est un piège politique qui leur a été tendu, à eux et au Gouvernement ?

É. Raoult : Monseigneur Lustiger l'a dit avec beaucoup de courage : on ne peut pas repartir à zéro à chaque fois que des images semblables sont montrées à l'opinion qui sait que l'intégration est une démarche individuelle et pas un coup de force. La population, en France, sait qu'il y a une nécessité d'accueil dans notre pays, mais que nous ne sommes pas un pays d'abus et que l'intégration se joue au quotidien dans les quartiers, avec une politique humaine, et qu'on ne peut pas repartir à zéro avec ceux qui se servent des immigrés comme des boucliers humains.

M. Cotta : Je ne sais pas si on se sert des immigrés, mais ces familles séparées, ces enfants nés en France qu'on sépare de leurs parents ... Est-ce vraiment utile d'arriver à des situations de ce genre ?

É. Raoult : Il y a parfois beaucoup plus d'humanité chez un préfet que chez un président d'association politisée ...

M. Cotta : Cela ne se voit pas forcément.

É. Raoult : Cela se voit au quotidien, ça se voit au cas par cas, parce que toutes les possibilités de régularisation sont possibles pour des parents étrangers d'enfants français. Le souhait du Gouvernement est de régler au cas par cas ces situations.

M. Cotta : Mais les procédures d'examen prennent beaucoup de temps.

É. Raoult : Parce que nous appliquons le droit. Parce que nous avons fait voter des textes qui visent à favoriser l'intégration mais tout en bloquant l'immigration clandestine. On ne peut pas faire une réussite de l'intégration avec des clandestins toujours plus nombreux. On ne peut pas, à chaque fois, remarquer un point déterminant contre l'intégration. J'ai l'impression que certains voudraient, au travers de ces opérations, non pas faire « SOS-Racisme » mais « SOS-LE PEN » ou « SOS-JOSPIN ».

M. Cotta : Comme J.-L. Debré, vous pensez donc que – je le cite – si nous voulons intégrer les étrangers en situation régulière, nous devons être intransigeants à l'égard de ceux qui sont en situation irrégulière ?

É. Raoult : J.-L. Debré a totalement raison, et ceux qui ...

M. Cotta : Mais comment passer de la situation irrégulière à la situation régulière ? Certains le peuvent peut-être ?

É. Raoult : Nous avons ici à contrôler les flux migratoires parce que nous sommes un pays d'accueil, nous pouvons accueillir ceux qui sont opprimés, nous pouvons accueillir ceux qui veulent venir travailler ensemble, mais nous ne pouvons pas accueillir tous ceux qui, à travers le monde, pensent que la France peut être un paradis. Aujourd'hui, l'intégration est un défi pour la République, mais c'est un défi que nous devons, je dirais, réussir en tenant compte du fait que les populations étrangères de plus en plus nombreuses ne peuvent pas toutes être accueillies sur notre territoire.

M. Cotta : Le Gouvernement applique avec une grande vigueur les lois Pasqua votée en 1993. A. Juppé affirme attendre, au surplus, les conclusions d'une commission parlementaire et envisage d'aggraver ces lois.

É. Raoult : Il ne s'agit pas de les aggraver, il s'agit de les adapter car l'immigration est un phénomène intelligent, un phénomène humain, qui est une pression démographique. Et si nous n'en tenons pas compte, il est évident qu'au travers de modifications législatives, le problème des certificats d'hébergement, il y a d'autres possibilités pour une personne étrangère venue ici pour mieux vivre que dans son pays, eh hier, elle s'adapte à la législation ; il faut aussi que la législation s'adapte à ces nouveaux phénomènes de flux migratoires.

M. Cotta : Certains vous demandent un médiateur pour régler ces problèmes, pour que les formalités aillent plus vite. Que répondez-vous ?

É. Raoult : Quand on applique la loi, il n'est pas nécessaire d'avoir des médiateurs. La loi a été votée par le Parlement pour régler ces problèmes. Je le dis individuellement car on ne peut pas faire une intégration à marche forcée ou par un mouvement de foule quand on vient régulariser ses papiers dans une préfecture. On ne le fait pas en bousculant : on le fait en s'adressant tranquillement et individuellement auprès des autorités. Je ne vois donc pas la nécessité d'un médiateur.

M. Cotta : L'accueil est parfois difficile : bureaux surpeuplés, les administrations sont énervées et traitent, de temps en temps, par-dessus la jambe les demandes. Ne peut-on pas régler ça en amont au lieu d'être confrontés à de telles situations en aval ?

É. Raoult : Il y a beaucoup d'hypocrisie sur ce problème. Depuis 1974, normalement, nos frontières devraient être fermées et donc ceux qui rentrent sur notre territoire rentrent avec des motifs qui ne sont pas ceux qui sont affirmés. Nous avons une volonté de régularisation mais nous ne pouvons pas toujours oublier que nous avons, en France, un certain nombre d'étrangers qui vivent dans des situations et dans des quartiers difficiles, et qu'à chaque papier donné, il faut aussi trouver une place d'école, un travail, des conditions de vie décentes.

M. Cotta : On a appris qu'un millier de personnes par mois ont été raccompagnées aux frontières, c'est J.-L. Debré qui l'a dit. Pensez-vous qu'il y a un tournant dans la façon dont les Français, aujourd'hui, vivent l'immigration irrégulière ? Les charters qu'ils n'acceptaient pas il y a quelque temps, les acceptent-ils aujourd'hui ?

É. Raoult : Je croyais que la gauche et la droite avaient une politique responsable. J'ai été choqué par les propos de M. Rocard, hier, dans la mesure où quand on est un homme public, un homme d'État, on a été aussi conscient des réalités de ces problèmes d'immigration.

M. Cotta : Il a parlé du côté humanitaire de ce regroupement à l'église Sainte-Ambroise et au gymnase ...

É. Raoult : Oui, mais j'avais cru comprendre, de 1988 à 1990, qu'il avait pris, notamment concernant les réfugiés, concernant un certain nombre de textes, des mesures beaucoup plus responsables. Il n'est pas bon qu'on se serve des immigrés comme d'arguments électoraux. Je crois qu'avec les lois Pasqua et avec le souhait du Premier ministre, nous sommes parvenus à un point d'équilibre. Ne nous servons pas des immigrés comme d'arguments.

M. Cotta : L'Europe : J. Chirac lance un appel ce matin, par le biais de Libération, « pour l'instauration d'un véritable pacte social européen » à l'occasion de la rencontre de Turin. Cela ne relève-t-il pas d'une certaine utopie, comme dit Delors ? Qui parle d'une Sécurité, qui veut d'une Sécurité sociale européenne ?

É. Raoult : Je crois que J. Chirac a eu raison de montrer que l'Europe devait être protectrice. J. Chirac montre, dans son entretien à Libération, que la volonté politique de construire l'Europe demain se fera plus avec une idée sociale qu'avec une idée uniquement monétaire. L'Europe politique, dans le débat pour la conférence de Turin, je crois que J. Chirac l'a replacée au centre des préoccupations du débat politique.

M. Cotta : Et quand Juppé parle, aux assises du RPR, samedi, de la « protection sociale contre l'exclusion », de quoi s'agit-il ?

É. Raoult : Tout simplement que nous sommes, avec notre système de santé, avec notre système d'aides pour lutter contre l'exclusion, au top niveau européen et que ce souhait de voir l'Europe en plus avec une volonté sociale, la France doit donner l'image de réussite et pas simplement une image de contrainte.


France 2 : lundi 25 mars 1996

P. Chêne : Selon vous, est-ce que l'on a cherché à faire un coup politique en utilisant des immigrés ?

É. Raoult : Je crois que l'on a considéré les clandestins comme des boucliers humains. On a oublié qu'au quotidien, beaucoup de gens, partout en France, se battent pour l'intégration mais que l'intégration réussie, c'est une immigration qui est bloquée, qui est contrôlée. Je crois que ce qui s'est passé au travers des événements du gymnase Japy, c'est que l'on s'est servi des étrangers en oubliant que tous ensemble, nous devons travailler pour régulariser au cas par cas un certain nombre de situations humaines difficiles mais qu'en aucun cas, on ne peut mettre les étrangers comme des boucliers.

P. Chêne : Vous devez vivre cette expulsion comme un échec ?

É. Raoult : Une expulsion, c'est d'abord la constatation que l'on ne peut vivre ici quand on est entré ici en situation irrégulière. Toutes les familles étrangères que l'on régulariserait, il faut leur donner du travail, il faut leur donner des logements, des places de crèche, de cantines. Je dis avec beaucoup de solennité à tous ceux qui sont émus par cette situation, qu'il faut d'abord régler les cas qui sont ici, les gens qui veulent s'intégrer ici et que notre pays ne peut pas être un hall de gare, que notre pays est une maison commune en respectant ces devoirs, ces droits qui sont des devoirs et des droits d'intégration. Ce qui s'est passé malheureusement ce week-end, c'est que l'on fait un peu trop de politique sur le dos des immigrés. Ce n'est pas parfois SOS-Racisme mais parfois SOS-LE PEN, ce que l'on est en train de voir.

P. Chêne : C'est peut-être un raccourci de dire que l'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ...

É. Raoult : Ce n'est pas moi qui l'ai dit, vous le savez, c'est M. Rocard.

P. Chêne : Il faut peut-être adapter cette loi Pasqua qui fait tant parler, elle n'est pas adaptée notamment à ces nouveaux flux migratoires ?

É. Raoult : Je crois qu'il faut – et c'est la préoccupation de J.-L. Debré et du Premier ministre A. Juppé – que les lois Pasqua soient un socle parce que tout pays doit régler ces problèmes de migrations mais il doit le faire avec intelligence et avec humanité. Aujourd'hui en France, nous avons une population étrangère qui est en train de s'intégrer, qui a des réussites à l'école, dans l'entreprise, partout ailleurs mais véritablement soyons conscients que nous ne pouvons pas régler par bousculades, par coups de force un certain nombre de situations. Quand on est devant une file d'attente pour régler des situations individuelles, il ne faut pas considérer que tout peut arriver par les médias et ce qui s'est passé malheureusement, ce n'est pas un constat de difficulté ou d'échec pour l'intégration. L'intégration, elle réussit dans les quartiers, dans les familles, dans l'école, mais on ne peut pas multiplier les situations semblables.

É. Raoult : Allez-vous pouvoir agir pour savoir ce que vont devenir ces immigrés qui seront expulsés ?

É. Raoult : Pour ce qui concerne les familles, le ministre de l'Intérieur est attentif à ce que les situations humaines difficiles puissent être étudiées au cas par cas. Pour ce qui concerne les personnes qui sont ici, en situation de clandestinité, nous ne pouvons pas faire autre chose que d'appliquer la loi. Qu'un gouvernement applique la loi c'est tout de même assez normal.