Interview de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts pour les élections européennes de 1999, dans "Le Monde" du 27 février 1999, sur la réforme de la PAC, le programme des Verts pour une "Europe démocratique et sociale", la position allemande sur le nucléaire et la stratégie électorale des Verts.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Question
- Comment jugez-vous la position de Gerhard Schröder sur la réforme de la politique agricole commune et la contribution allemande au budget de l’union ?

Daniel Cohn-Bendit
- La rhétorique du chancelier Schröder, qui réduit le problème de l’Agenda 2000 et de la réforme de la PAC à celui de la contribution allemande, peut-être fatale à l’élan européen. On ne pourra assurer à long terme l’élargissement de l’Europe en gelant ses dépenses. L’Allemagne s’honorerait en prenant l’initiative de maintenir le niveau de sa contribution, tout en revendiquant la nécessité de réformer le budget européen. Au lieu de raisonner sur la base d’un égoïsme national, elle devrait faire le choix stratégique d’un intérêt économique européen, dont on ne parle plus beaucoup ces derniers jours.

Question
- Les Verts européens se réunissent à Paris ce week-end pour mettre au point leur programme. Comment définissez-vous l’Europe verte ?

Daniel Cohn-Bendit
- Les Verts ont fait le choix radical de renforcer les institutions européennes et l’Europe politique. Nous sommes aussi pour une harmonisation par le haut des politiques de l’environnement et des politiques sociales. L’Europe verte, c’est définir le « vivre ensemble ». La difficulté que nous avons tous, c’est de créer une citoyenneté européenne.

Question
- « Pour une Europe démocratique et sociale »… C’est aussi le programme des socialistes ?

Daniel Cohn-Bendit
- Non. Quand Pierre Moscovici déclare que la plupart des décisions resteront prises au Conseil des ministres européens, il renforce une Europe-confédération des nations, mais pas les institutions communautaires : la Commission, le Parlement, la Cour de justice européenne. Pourquoi les socialistes, qui tiennent tous les ministères de l’Intérieur, ont-ils choisi de ne pas laisser aux policiers qui se baladent en Europe leur immunité – une ineptie, dès lors qu’on est favorable au droit européen ?

Question
Les socialistes sont-ils prêts à adapter leur politique des drogues ? A harmoniser leur politique de l’immigration avec les Grecs ou les Italiens, qui viennent de régulariser leurs sans-papiers ?

Daniel Cohn-Bendit
Non, les socialistes ne font pas le choix des institutions européennes.

Question
- Vous êtes favorable à une politique de grands travaux européens. Comme Jacques Delors ?

Daniel Cohn-Bendit
- Il faut préciser à quels grands travaux chacun pense… C’est vrai que Delors l’avait proposé, que Romano Prodi l’a repris à son compte, et que le gouvernement français se montre maintenant d’une prudence totale. Il y a, au niveau européen, un manque de volontarisme évident.

Question
- Pourquoi avoir choisi Romano Prodi, un démocrate-chrétien, comme votre candidat pour la présidence de la Commission, lors de son renouvellement, en Juin ?

Daniel Cohn-Bendit
- À l’heure où on s’apprête à élargir l’Europe, je suis pour un président du Sud, plutôt qu’autrichien ou allemand. Prodi me paraît le meilleur : il a très bien géré sa majorité, il a l’intelligence d’un fonctionnaire non hégémonique, il a fait de son gouvernement une vraie structure de dialogue, à la différence de l’Allemagne ou de la France, où à la pratique de Lionel Jospin s’apparente plus à la traditionnelle union de la gauche.

Question
- Vous vous moquez des dirigeants français qui conduisent la liste de leurs partis aux élections du 13 juin. Et si c’était enfin la preuve de l’intérêt des responsables politiques pour l’Europe ?

Daniel Cohn-Bendit
- À condition de siéger ! Ce qui me fascine dans le débat actuel sur la chasse et qu’on ne dit pas, c’est que, lors de ce fameux vote par le Parlement européen, le 16 février 1996, si tous les communistes avaient été présents, si le FN et les amis de Philippe de Villiers avaient été présents, cette résolution du Parlement européen aurait été battue !
C’est hypocrite : on dénonce le « manque de démocratie européenne », mais il y avait la possibilité de combattre démocratiquement cette proposition. Elle n’a pas été utilisée. Les députés qui dénoncent ce texte n’ont pas fait leur travail. Si l’on adopte une réforme de la Constitution qui définit une nouvelle souveraineté européenne, il faut être présent pour lui donner forme.

Question
- Quelle analyse faites-vous des derniers différends franco-allemands sur le nucléaire ?

Daniel Cohn-Bendit
La majorité réunie autour de Gerhard Schröder a eu du mal à définir la façon de sortir du nucléaire, bien qu’elle soit très unie sur le principe de cette sortie. Le ministre de l’environnement, le Vert Jürgen Trittin, a très mal géré les conséquences internationales de la décision allemande. Il n’a eu aucune stratégie de coordination au niveau européen. On ne peut pas avoir un discours pro-européen et l’oublier dans les actes. La sortie du nucléaire doit être coordonnée. Et sortir du nucléaire, c’est aussi compliqué que de passer du socialisme réel à une économie de marché.

Question
- La réaction française vous a-t-elle paru légitime ?

Daniel Cohn-Bendit
- Elle s’explique par la connivence entre une grande partie des forces politiques françaises et les entreprises nucléaires. Mais la France n’échappera pas au débat sur sa politique de l’énergie en 2010-2015, quand on commencera à ferme les centrales. Ce débat se posera au niveau européen.

Question
- Lors des élections régionales dans le land de Hesse le 7 février, les Grünen doivent en partie leurs revers à une perte des voix des jeunes. Sont-ils démodés ?

Daniel Cohn-Bendit
- Pour une partie de la jeunesse urbaine, qui a été fascinée par le discours des Verts, les thèmes écologistes n’ont plus le même impact. Les jeunes veulent un discours sur une société capable de solidarité, mais qui leur propose aussi une perspective individuelle. Par exemple, ils sentent très bien qu’ils n’auront plus un seul métier toute leur vie, mais plusieurs. Ils veulent qu’on leur offre cette flexibilité des formations. En fait les Verts ont le même problème que la presse écrite. Retrouver des lecteurs jeunes, ce n’est pas simple. Trouver des représentants politiques capables d’exprimer cette évolution non plus.

Question
- En Europe, les partis verts pourront-ils sortir de la marginalité ?

Daniel Cohn-Bendit
- Alors qu’ils étaient des partis protestataires, les Verts ont à se bâtir comme parti de gestion et de pouvoir. Leur avenir dépendra de leurs capacités, des personnalités politiques capables de gérer ces nouvelles obligations. Je serais heureux s’ils arrivaient à se stabiliser en Europe dans la gamme des 10 %, comme étape historique transitoire.