Interview de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, à TF1 le 21 février 1999, sur la réforme de l'éducation nationale et sur la charte du lycée présentant le projet de réforme des lycées.

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Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Michel Field : Bonsoir à tous, bonsoir à toutes. Merci de rejoindre le plateau de « Public ». Claude Allègre, bonsoir. Merci d'être avec nous. Alors, j'ai à la fois affaire au ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, peut-être à quelqu'un qui est une sacrée épine dans les pieds du gouvernement aujourd'hui, un cas, le cas Allègre, c'est le titre qu'a choisi « Le Monde de l'éducation », notre confrère « Le Monde de l'éducation » qui va sortir dans quelques jours. On parle beaucoup de vous, pas souvent en bien dans ce qu'on entend, vous en êtes conscient ?

Claude Allègre : Non.

Michel Field : Alors je vais commencer juste par une question…

Claude Allègre : Non, je vous réponds « non » parce que quelqu'un qui réforme, inquiète et on se demande s'il va s'arrêter. On se demande si enfin on pourra avoir une réforme de l'éducation à laquelle tout le monde aspire. Alors, on discute sur ceci ou cela, mais c'est ça qui est en cause : c'est le fond qui est en cause. Il faut arrêter ces questions sur les problèmes de personnes. La chose importante, c'est le fond. Est-ce que les réformes que nous proposons pour l'éducation correspondent aux nécessités des temps présents et de ce pays. Voilà la vraie question.

Michel Field : Eh bien, on va essayer de la prendre en charge dans la majeure partie de l'émission. On entendra aussi forcément par les appels d'enseignants ou d'élèves qui ont été retenus, les critiques qui vous sont adressées. Mais, pour commencer, une vraie question : est-ce que vous allez ou non démissionner ? Est-ce que vous avez été tenté de le faire ?

Claude Allègre : Non. Ça me paraît une question qui traîne dans les médias…

Michel Field : Elle a traîné un peu au Parti socialiste aussi. Je voudrais vous l'apprendre si vous ne le savez pas.

Claude Allègre : Attendez, le Parti socialiste… quelques députés du Parti socialiste disent ce qui leur plaît. Ce n'est pas comme ça que marche le gouvernement. La politique de l'éducation, ce n'est pas une politique Allègre. C'est une politique du gouvernement de la France qui est discutée collégialement et que des ministres mettre en oeuvre. Cette politique, elle représente un progrès. Je vous dirai tout à l'heure pourquoi, parce que l'école est plus difficile, parce que la situation demande un changement et qu'il faut aider et les élèves, et les enseignants. Mais, avant tout ça, moi, je voudrais vous dire une chose : pourquoi je suis ministre de l'éducation nationale ? pourquoi Jospin m'a demandé d'être ministre de l'éducation nationale ? Eh bien, je vais vous répondre : parce qu'il sait que je suis un produit de cette école de la République. Je dois tout à cette école de la République. Depuis ma plus tendre enfance, j'ai fréquenté cette école de la République. Je me souviens de l'école maternelle qui, pour moi, a été un ravissement qui m'a ouvert sur la poésie, sur la chanson, qui ne m'a jamais quittée. Je me souviens de mes années d'école primaire. Je me souviens du nom de mes instituteurs. Je me souviens, par exemple, vous n'avez pas connu ça, il y avait un concours d'entrée en sixième. Eh bien, au moment du concours d'entrée en sixième, je me débrouillais pas mal, mais je faisais quinze fautes à la dictée au début de l'année. Or, il fallait moins de cinq fautes ou on avait zéro. On ne rentrait pas en sixième. Eh bien, cet instituteur m'a pris en mains en me disant : tu vas faire zéro faute à la dictée. Je suis rentré en me disant : « il est fou. Je n'y arriverai jamais parce que les accents circonflexes, tout ça… » Et puis un jour, miraculeusement, j'ai fait zéro faute à la dictée. Et du coup, mon grand-père m'a acheté un vélo. Mais, grâce à cet instituteur, je suis rentré au lycée. Donc, éternellement je lui en serai reconnaissant. Ensuite, j'ai été au lycée parce qu'au collège, on n'appelait pas ça collège, on l'appelait le lycée. Et en troisième, j'ai eu un professeur de français qui m'a non seulement enthousiasmé pour le français, mais m'a appris des choses essentielles dans la vie : écrire une lettre, savoir comment on dispose une lettre, quelles phrases écrire au début, à la fin, quelles formules de politesse, quel cadrage, comment on doit faire un rapport, apprendre à décrire. Je me souviens, on a eu à décrire un arbre. Alors, on nous avait mis en face d'un arbre, en plus c'était au printemps, il fallait décrire un arbre et on a appris à faire une description. Et puis après, on a appris à rédiger. Alors premièrement, un sujet, un verbe, un complément, pas autre chose ; et puis ensuite, on mettait des adjectifs, puis ensuite, on mettait proposition principale, proposition secondaire, etc. Donc moi, toute ma vie est là. Et en plus, je suis d'une famille d'enseignants : ma mère était institutrice, mon père professeur ; tout autour de moi, ma famille est dans l'enseignement et j'ai vécu dans ce monde enseignant. Comme Obélix, je suis tombé dans la marmite étant jeune. Je n'ai jamais envisagé de faire autre chose que d'être enseignant.

Michel Field : Mais alors, pourquoi ils réagissent comme ça ? Est-ce qu'au moins, vous avez l'impression… je ne sais pas… on démarre plus vite que prévu, mais d'avoir fait une erreur de communication ? Est-ce que vous avez été maladroit ? Est-ce que vous regrettez certains de vos propos ?

Claude Allègre : Attendez, on va revenir là-dessus. S'il y a un certain nombre d'enseignants qui ne comprennent pas ce que je fais ou qui sont blessés, moi, je suis un scientifique. Je regarde les faits : c'est probablement qu'on a mal communiqué, qu'on a été maladroits, qu'on n'a pas pris les bonnes choses. Je n'ai pas de vertu à dire tout est parfait, tout est bien. Simplement beaucoup de choses ont été complètement déformées, voire inversées, voire défigurées et, deuxièmement – il y a un deuxième point –, c'est que je crois que l'école actuellement et les enseignants sont dans des situations difficiles et que, en conséquence de quoi, des propos qui sont mal interprétés ont des résonances trop grandes. Mais je vais vous dire : qu'est-ce qu'on peut espérer de plus ? Aider l'élève, aider l'enseignant. Et je vais vous le démontrer… Je vais vous le démontrer, aider l'élève, aider l'enseignant, parce que l'école de la République, l'école laïque, obligatoire et gratuite, c'est l'école qui, pour moi, doit être l'école de l'égalité des chances. Or, aujourd'hui, l'égalité des chances n'existent plus.

Michel Field : On va regarder ça dans le détail avec les appels d'enseignants, d'élèves, qui nous ont fait l'amitié de bien vouloir participer à l'émission par le biais du téléphone, du Minitel. On a pris les questions les plus représentatives, tout ça après la première page de pub.

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Michel Field : Retour sur le plateau de « Public » en compagnie de Claude Allègre, le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Tout de suite, un premier appel qui va en quelque sorte représenter tous les reproches que certains enseignants vous adressent.

Auditeur : Monsieur Allègre, que pensez-vous d'un homme qui attaque le droit syndical, le droit au congé maternité, le droit à la formation sur le temps de travail, qui trouve que les vacances sont trop longues, qui réduit les rémunérations des professeurs et qualifie l'école publique de « mammouth graisseux » et les enseignants d'« absents chroniques » ? Cet homme peut-il rester le ministre de l'éducation nationale et cet homme peut-il se prétendre encore de gauche ?

Michel Field : Alors voilà un paquet cadeau qui vous est destiné…

Claude Allègre : Oui, mais c'est assez caractéristique parce que tout ce qui est raconté, est faux.

Michel Field : Le « mammouth », ce n'est pas faux. C'est vous qui avez eu la métaphore.

Claude Allègre : Non, pas du tout. Il ne s'agit pas du tout de l'ensemble de l'éducation nationale. Il s'agissait de l'administration centrale, du ministère que je trouve trop gros et qui écrase au contraire les enseignants et que je souhaite déconcentrer, qu'il aille plus près des gens. Il ne s'agit pas de l'éducation nationale. Jamais je n'ai parlé d'« absentéisme chronique des enseignants ». Je ne sais pas d'où est sortie cette phrase. J'ai parlé d'un système dans lequel il y avait trop de classes qui n'avaient pas d'enseignant en face d'elles. Et d'ailleurs on a pris des mesures calmement pour que ça se fasse. Qui a parlé du droit syndical ? Je crois être le ministre qui a parlé le plus avec les syndicats dans le temps qui nous est imparti. Et ainsi de suite. Voilà le genre de dérive…

Michel Field : Alors comment comprenez-vous ce divorce persistant et qui s'aggrave ?

Claude Allègre : Non, non, attendez ! Ce n'est pas un divorce là. C'est quelque chose qui est très important. On vit dans une société dans laquelle un certain nombre de bruits se propagent, se déforment et, finalement, finissent par pénétrer… Je crois que la responsabilité de celui qui l'émet, n'est tout de même pas totale. Peut-être que certaines phrases sont maladroites. Je veux bien l'admettre, mais je n'ai aucune intention de tout ça. Je ne comprends absolument rien avec le droit des femmes enceintes. C'est même le contraire puisqu'en fait, ce que j'ai proposé, c'est de donner un mois de plus aux femmes enseignantes, de congé de maternité, si elles le désiraient. Donc vous voyez, c'est absolument à l'envers.

Michel Field : Alors est-ce qu'on n'est pas dans un domaine, si vous voulez, où la crispation à votre égard est telle que, quoi que vous disiez maintenant, et ce serait à la limite pour abonder dans votre sens, quoi que vous disiez, est mal interprété ou interprété de façon négative par des enseignants que vous avez choqués, blessés et qui ont l'impression d'être méprisés par leur propre ministre ?

Claude Allègre : Non, non, ne parlez pas de tous ces mots. Le mot mépris, je ne sais pas ce que ça veut dire. Je ne méprise personne. Il suffit de vivre avec moi pour le savoir…

Michel Field : Et vous demandez à tous les enseignants de faire cette expérience de vie commune ?

Claude Allègre : Par conséquent, arrêtons cela. Moi je ne crois pas cela. Je crois que les enseignants, dans leur grande majorité, sont des personnes qui sont rationnelles et capables de juger. Eh bien, je vais vous donner un exemple, ce qu'on n'a pas fait… la charte du lycée, comme on a fait pour l'école du XXIe siècle, chaque enseignant la recevra. Il pourra la lire.

Michel Field : La charte du lycée, c'est le projet de réforme des lycées que vous allez présenter devant le Conseil supérieur de l'éducation en mars ?

Claude Allègre : Absolument. Il pourra la lire et il pourra s'autodéterminer lui-même. Il est paru déjà trois chartes des lycées dans des endroits divers. Ce sont des faux, ce n'est pas la charte. Et donc, à partir de là, on se détermine. Je lisais même dans « Le Monde », une académicienne écrire : des rumeurs disent que. Eh bien, les rumeurs, c'était au sujet du grec. Savez-vous qu'on rétablit une filière littéraire dans laquelle, pour la première fois depuis vingt ans, on pourra faire latin et grec normalement, pas en option, comme discipline à l'intérieur de la filière littéraire, et dans laquelle on sera jugé sur ses qualités de littéraire et non pas sur les mathématiques. Il faut attendre pour voir. Alors il y a des gens qui sont un peu au courant, ils ne répandent pas pour autant l'information. Voilà.

Michel Field : Un autre appel tout de suite.

Auditeur : Je vous téléphone de Carcassonne. Militant socialiste depuis plus de vingt ans, vous comprendrez, monsieur Allègre, que je n'ai qu'une envie, celle de vous défendre dans vos réformes. Mais comment expliquer aux professeurs, aux parents d'élèves du collège Varsovie de Carcassonne que, pour l'année prochaine, les heures de cours vont être réduites dans ce collège qui privilégie, depuis de nombreuses années, deux langues vivantes dès la sixième. Pour favoriser les zones d'éducation prioritaire, vous supprimez au collège des heures de cours. N'êtes-vous pas en train de déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Merci monsieur Allègre.

Michel Field : Alors ça, c'est évidemment un argument qu'on a reçu des centaines de fois dans les messages Minitel. C'est, quand bien même les enseignants seraient d'accord avec vos réformes, avec quels moyens, avec quels crédits et dans la mesure où il n'y a pas une augmentation envisagée du budget de l'éducation nationale, eh bien les enseignants ont le sentiment que vous bricolez un certain nombre de réformes avec des moyens qui restent des moyens constants.

Claude Allègre : Attendez. Le budget de l'éducation nationale est le premier budget de l'État. Cette année, c'est le budget qui croît le plus en masse. Et la population des élèves décroît. 35 000 élèves de moins dans le primaire. En sept ans, 250 000 élèves de moins. Or, le gouvernement a décidé, pas moi, ce n'est pas moi qui décide, de maintenir le nombre d'instituteurs. Par conséquent, ça correspond à une amélioration considérable de l'encadrement. Dans les lycées et collèges, nous avons créé 3 500 postes en plus. Ce qui se passe, c'est que nous avons des décroissances démographiques qui ne sont pas uniformes et donc la gestion qui n'est pas faite par le ministre de l'éducation nationale, vous vous doutez bien – je ne gère pas 1,2 million de fonctionnaires comme un jeu d'échecs, ce n'est pas moi qui fais ça –, on est bien obligé de répartir cette somme. Quant aux problèmes des moyens, parlons-en des problèmes des moyens ! Vous savez combien on a mis cette année, supplémentaires, pour faire la charte du XXIe siècle à l'école primaire ? On a mis 4,2 milliards, et dans le secondaire, on a mis plus de trois milliards. On a mis un milliard pour augmenter le plan social étudiant qui va permettre à plus d'étudiants d'être aidés. Le gouvernement fait un effort considérable sur le plan des moyens et continuera à faire un effort considérable sur le plan des moyens, mais il y a des ajustements de cartes scolaires qui se font depuis toujours ! Non, je voudrais quand même faire une comparaison parce que, de temps en temps, la moutarde me monte au nez ! Monsieur Bayrou, vous savez combien il supprimait de postes ? 5 000 postes par an ! Vous savez, quand je suis arrivé, combien de maîtres auxiliaires devaient être mis à la porte ? 10 000 ! Je les ai pris. Et en plus, on a créé 60 000 emplois jeunes. Donc, faut quand même être un peu sérieux et comparer avec ce qui s'est fait avant. Ce gouvernement est un des gouvernements de la République qui a fait le plus d'efforts pour l'éducation. Mais, je vous le dis tout de suite : réformer, ce n'est pas mettre de l'argent sans avoir un projet. Il faut d'abord avoir un projet et puis ensuite, on se bat pour avoir tous les moyens qu'il faut pour ce projet. Eh bien, c'est ce que nous faisons. Pour l'école primaire, ce projet est fait. Pour le lycée, nous sommes en train de le faire. Pour le collège, Ségolène Royal est en train de le discuter.

Michel Field : Alors, avant de détailler les grands axes de cette réforme des lycées, deux questions l'une après l'autre : une première par un appel d'auditeur qui touche un des points qui a mis un peu le feu aux poudres, les mesures sur les heures supplémentaires des enseignants.

Auditeur : Qu'est-ce que monsieur Allègre compte faire de la diminution des heures supplémentaires qui est intervenue à la rentrée ? Le taux a baissé de 17 %. Si ce taux n'est pas remis au taux normal, ce sera une condition sine qua non pour que les enseignants cessent leur action contre lui. On sait d'autant plus que cet argent n'a pas servi à financer les emplois jeunes, mais à autre chose. Donc, il nous a menti.

Michel Field : Alors ces heures sup', ça a été un pavé dans la mare ?

Claude Allègre : Attendez, je vais m'expliquer très clairement… La fin de l'intervention de cet enseignant est inexacte : bien sûr cet argent a servi à financer à la fois des emplois jeunes et une partie des créations de postes d'enseignants. Je vais vous dire très franchement : j'ai cru bien faire, nous avons cru bien faire. Le slogan des syndicats – et d'ailleurs ils continuent dans d'autres endroits sur les trente-cinq heures – : utilisons les heures supplémentaires pour créer des emplois. Nous l'avons fait. Et en plus, on nous a donné comme information, à ce moment-là, que chaque enseignant perdait 120 francs par mois, ce qui est vrai en moyenne, mais ce qui n'est pas vrai normalement. J'ai dit 120 francs par mois pour créer 20 000 emplois jeunes, c'est un geste de solidarité. Eh bien, je vous dis, je pense que ça ne passe pas. Ça n'a pas été compris. Peut-être je l'ai mal expliqué, mais ça n'a pas été compris. Par conséquent, il est clair qu'il faut réfléchir par rapport à ça.

Michel Field : Donc vous allez rapporter cette mesure ?

Claude Allègre : Je dis qu'il faut réfléchir par rapport à ça.

Michel Field : Oui, mais les profs ont envie de savoir si vous allez rapporter cette mesure. Réfléchir, ils vous font confiance, vous réfléchissez, mais la décision ?

Claude Allègre : Je vous dis qu'il faut réfléchir à la manière de le faire parce que ces heures supplémentaires – en plus, comme ça a été montré dans le rapport de la Cour des comptes – ne rentraient pas dans des conditions légales. Alors moi, je n'ai pas envie de faire des choses qui sont hors des clous. Donc il faut qu'un certain nombre de choses soient faites. Mais je vais vous dire, moi, je n'ai pas du tout vocation à enlever de l'argent aux enseignants. Ce n'est pas mon but. Simplement les heures supplémentaires, moi, j'en ai fait la démonstration, dans ce pays, sont considérées comme un élément du salaire. Et je vais vous dire tout de suite, je vais contre-attaquer. Il faut arrêter ces balivernes qu'on lit : on va créer des emplois en supprimant les heures supplémentaires. Je lis ça tous les jours dans les journaux à propos des trente-cinq heures. Eh bien, ce n'est pas vrai. Et moi, j'en ai fait l'expérience. J'en tire les conclusions et je ferais en sorte de ne pas recommencer cette erreur. Je peux vous garantir que je ne créerai pas d'emplois en supprimant les heures supplémentaires des enseignants parce que ça correspond pour eux à un salaire, que ce soit dommage, que ce soit ceci, mais c'est comme ça.

Michel Field : Donc il y a l'ombre d'une autocritique sur cette question de votre part…

Claude Allègre : Attendez, faire de la politique… je vous répète encore une fois : j'étais sincère, je pensais faire quelque chose de bien. Ça a été mal compris. Je ne vais pas faire des réformes contre les enseignants. Par conséquent, j'en tire des leçons.

Michel Field : Il y a une enseignante que vous aurez, je crois, beaucoup de mal à convaincre. Elle s'appelle Nathalie Chouchan. Elle est professeur à Henri IV après avoir été prof en Seine-Saint-Denis. Elle est à l'origine d'une des pétitions peut-être la plus radicale qui demande votre démission et on est allé la voir.

Nathalie Chouchan : Monsieur le ministre, je suis professeur de philosophie aujourd'hui à Paris, hier en Seine-Saint-Denis. Je m'exprime au nom du collectif qui a rédigé et diffusé le manifeste pour un lycée démocratique. Nous y affirmons qu'une autre politique scolaire est possible, une politique vraiment démocratique sur le fond, comme dans les formes. Démocratiser, ce n'est pas offrir aux élèves et aux familles une culture au rabais, par exemple, en diminuant les horaires, en allégeant les programmes. Démocratiser, c'est inventer pour tous l'accès à la culture. Monsieur le ministre, ma question est simple : jusqu'à quand allez-vous affirmer, au mépris de toute vérité, que notre opposition à votre politique est le fruit d'une pensée conservatrice voire réactionnaire ?

Michel Field : Voilà, porte-parole de ceux des enseignants qui vous accusent de préparer un lycée « light », un lycée allégé avec moins d'exigences, moins de programmes, moins d'heures de cours et, d'un certain point de vue, d'affaiblir le système éducatif et le service public d'enseignement.

Claude Allègre : Alors je vous remercie de me poser cette question…

Michel Field : C'est elle qu'il faut remercier…

Claude Allègre : Parce qu'elle est au coeur du débat. Elle est au coeur du débat pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, le lycée est inégalitaire et le lycée n'est pas du tout un lycée qui offre la culture pour tous. L'excès des programmes, notamment en sciences, l'excès des horaires font que tout le monde est handicapé : les élèves qui ne suivent pas très bien, ils plongent ; les bons élèves, ils n'ont pas le temps de travailler et de s'intéresser à leurs matières favorites. Et les moyens, eh bien, ils font de l'à-peu-près. Et l'à-peu-près s'installe notamment dans les horaires scientifiques. L'à-peu-près s'installe et, finalement pour sortir de l'à-peu-près, qu'est-ce qu'il faut faire ? La seule discipline à-peu-près qui survit à ça, c'est les mathématiques, d'où on installe la règle des mathématiques. Eh bien, je vais vous dire une chose : au lycée, la matière principale, ce n'est pas les mathématiques. C'est le français. Et c'est le français qui doit être le guide. Et dans les disciplines scientifiques, la première qualité qu'on doit apprendre au lycée, c'est l'observation. On doit apprendre à observer. C'est ce qui sert dans la vie, partout, y compris dans la vie personnelle. Or, il faut du temps pour cela. Et moi, je ne suis pas du tout pour le lycée « light ». C'est une invention. Les horaires ne sont pas diminués. Les horaires sont maintenus. Ils sont organisés autrement. Simplement, ce que je veux monsieur Field, c'est que les choses soient sues. Le lycée n'est pas fait pour faire plaisir aux professeurs. Il est fait pour que les professeurs transmettent un savoir aux élèves. Et la transmission du savoir, elle se juge sur la manière dont les élèves l'ont reçu. Donc ce que je veux, c'est aider les uns et les autres. Quant au lycée « light », je vous ai apporté… voulez-vous le soulever ?

Michel Field : C'est une bombe ! C'est lourd.

Claude Allègre : Moi figurez-vous, quand j'étais au lycée, j'avais une serviette. Je n'étais pas obligé de porter mes livres sur le dos. Je n'avais pas quelque chose comme ça. Voilà, classe de terminale, vous pouvez ouvrir…

Michel Field : Je vais me gêner !

Claude Allègre : Voilà.

Michel Field : C'est à qui ça ? À qui vous avez piqué ce sac ? À la sortie d'un collège ? C'est quoi comme classe ? Terminale S. Donc c'est lourd, pour les téléspectateurs, c'est lourd.

Claude Allègre : Tenez-le ! Vous verrez !

Michel Field : Oui, oui, je vois.

Claude Allègre : Donc ce que je veux, c'est un lycée qui soit un mieux. Alors parlons-en.

Michel Field : Alors c'est quoi cette réorganisation ?

Claude Allègre : Cette réorganisation, c'est… Vous savez, dans l'ensemble de nos réformes, il y a une idée centrale. L'idée, c'est que le métier d'enseignant est plus difficile et la transmission se fait moins bien parce que la société est déchirée. Les sources d'information sont multiples et donc les enfants arrivent souvent avec des connaissances disloquées. Et donc, il faut aider les élèves et les enseignants. Comment ? Eh bien aider les élèves en faisant en sorte que les cours particuliers, les cours en petites classes se fassent à l'école par les enseignants et que ceux-ci, ça fasse partie de l'école.

Michel Field : Vous dites moins d'heures de cours magistraux…

Claude Allègre : De cours formels, mais plus de travaux en petits groupes. Vous savez, là on n'a rien inventé. C'est ce qu'on a fait en faculté il y a vingt ans. Il y a vingt ans, on a installé les travaux dirigés en faculté. Et c'est comme ça que le niveau des études supérieures s'est élevé. Et deuxièmement, il faut aider les enseignants car ce qui est à l'intérieur de cette réforme, c'est une réforme profonde du temps de travail des enseignants. On pourra parler du temps de travail… On parle du temps de travail des fonctionnaires, mais sur celui des enseignants, leur travail est plus difficile aujourd'hui. Je pense donc qu'il faut qu'ils aient moins d'heures de cours devant la classe entière et qu'ils puissent organiser leur temps pour précisément prendre les élèves en petite classe. Un professeur de français qui fait dix-huit heures en particulier dans des quartiers difficiles, il lui est très difficile de pouvoir apprendre à rédiger à des élèves. Il faut qu'il puisse prendre les élèves en petits groupes et qu'il leur apprenne à rédiger calmement. Eh bien moi, je pense qu'un professeur de français doit pouvoir faire quatorze heures plus quatre heures. Je ne veux pas alourdir du tout le temps de présence des enseignants dans ce domaine. Donc c'est une révolution. Améliorer les enseignants et améliorer les élèves. Et les aide-éducateurs qu'on met, c'est pour aider les enseignants. Ce n'est pas pour les substituer aux enseignants. Quand on met des assistants de langue… La France, vous le savez, est le dernier des pays européens pour la pratique des langues étrangères. Ce n'est pas de ma faute. Il faut donc améliorer ça. On rentre dans l'Europe, on rentre dans le monde ; quand on dit : il faut que les assistants de langue viennent aider les professeurs de langue pour pouvoir améliorer la pratique des langues, ce n'est pas pour se substituer aux professeurs de langue où, par ailleurs, on en manque… Vous savez qu'on n'a pas assez de candidats à l'agrégation d'espagnol ou au CAPES d'espagnol. C'est pour aider les professeurs. C'est un nouveau lycée. C'est une nouvelle école où tout le monde sera aidé. Quand on voit les emplois jeunes, les aide-éducateurs dans les écoles, rendre des services au point que, maintenant, on nous dit « mais c'est impensable que vous arrêtiez ces aide-éducateurs. C'est ça : c'est rétablir avec une seule idée, rétablir l'égalité des chances. Quand je vois que le nombre d'élèves de familles modestes a diminué en valeur absolue à l'entrée de l'École polytechnique, de l'École normale supérieure, de HEC, alors que le nombre d'enfants qui accèdent à l'enseignement supérieur a crû, je dis que notre école a régressé sur ce point. Je suis socialiste et je m'en excuse mais, pour moi, l'égalité des chances… l'égalité que tout enfant, quelle que soit son origine sociale, quel que soit son pays d'origine, s'il a du talent, il puisse l'exprimer, c'est essentiel. Et la deuxième façon de le faire, c'est la diversité. Il ne faut pas… que ce soient les mathématiques qui sélectionnent tout. Les mathématiques, c'est très important. Il faut en faire pour ceux qui veulent être mathématiciens ou être ingénieurs. Mais il faut que celui qui est bon en français, puisse s'en sortir avec le français. Il faut que celui qui est bon en langues, puisse s'en sortir avec les langues. Il faut que celui qui est bon en disciplines artistiques, puisse s'en sortir avec les disciplines artistiques. Savez-vous combien, monsieur Field, de lycéens accèdent aux disciplines artistiques aujourd'hui ? Savez-vous combien ?

Michel Field : Non, mais ça doit être un pourcentage…

Claude Allègre : 3 %. Eh bien, le projet que nous faisons, va permettre que 50 % des lycéens accèdent aux disciplines artistiques. Ça veut dire la diffusion de la culture pour tous. Ce n'est pas seulement les enfants de familles aisées qui pourront accéder à la culture. On a parlé de la citoyenneté. Nous allons faire des cours au lycée. Il n'y a plus de cours d'instruction civique. On parle de la violence… et on sera interrogé au bac dessus.

Michel Field : Il y aura une épreuve d'instruction civique au bac ?

Claude Allègre : Il y aura une interrogation sur l'instruction civique au baccalauréat, parfaitement ! Et nous rétablissons un certain nombre de choses. Quant à la philosophie, elle n'est pas touchée. S'il y a une discipline qu'on n'a pas touchée, c'est bien celle-là. Elle n'est pas touchée, la philosophie. Donc, cette remarque de ce professeur de philosophie, elle ne doit pas bien être au courant de ce qui se fait. Et justement, on se détermine sur des rumeurs, sur des présupposés avant d'attendre les choses. Mais il n'y a pas le feu. Les réformes vont se mettre progressivement… que les gens attendent de lire les textes. Car cette réforme, monsieur Field, elle ne vient pas de ma tête. Elle ne vient pas du haut…

Michel Field : Vous dites « elle ne vient pas du haut » en faisant le signe qu'elle vient du bas…

Claude Allègre : Oui, elle vient du bas. Bien sûr qu'elle vient du bas ! Il y a eu le questionnaire fait par les enseignants, aux enseignants, aux élèves ; le colloque de Lyon. Ensuite, on a consulté l'Assemblée nationale et puis on a consulté les syndicats. Toutes les associations spécialistes ont été consultées et finalement il y a cette charte. Donc c'est quelque chose qui a mobilisé beaucoup de gens y compris les lycéens. Oui, ça aussi, ça dérange les gens qu'on ait consulté les lycéens sur leur vie au lycée, sur le fait qu'on ait une charte de la vie lycéenne avec les droits et les devoirs, les deux, à l'intérieur du lycée. On a naturellement associé les chefs d'établissement. On n'en parle jamais. C'est les gens les plus importants dans ce système. Il est fondamental dans le système du lycée que les chefs d'établissement soient aidés. Quand on voit un chef d'établissement condamné pour des raisons pénales parce qu'un panneau de basket est tombé, qui le défend si ce n'est le ministre de l'éducation nationale ? Mais là-dessus, on ne fait pas de publicité.

Michel Field : D'autres questions après une page de publicité, justement.

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Michel Field : Claude Allègre est l'invité de « Public » et immédiatement la suite des questions puisque vous êtes très nombreux et nombreuses à nous appeler sur cette émission et sur son thème évidemment, la réforme de l'enseignement.

Auditrice : Moi, je suis une élève de troisième et je m'inquiète au sujet des options au bac que monsieur Allègre compte supprimer car j'aurais aimé faire latin et grec et, apparemment, à cause de lui, ça devient impossible. De plus, les proviseurs de lycée ne peuvent nous donner aucune indication précise à ce sujet.

Michel Field : Alors latin-grec… S'il vous plaît, je ne vous ai pas invitée à parler, donc si le ministre en est d'accord, on va vous donner un micro. Vous interviendrez, mais vous vous rasseyez sagement, gentiment. Et puis, il va d'abord répondre à la question de cette jeune fille. Les options ?

Claude Allègre : Cette jeune fille de toute manière… rien ne se met en place pour le baccalauréat avant trois ans. Par conséquent, cette jeune fille pourra faire ses options tout à fait naturellement. Et quand elle dit : je ne peux pas me renseigner, etc., elle se renseignera quand les proviseurs auront les textes, quand ce sera nécessaire. Rien ne se fait dans l'urgence. Il ne se fait pas de réforme… Il faut laisser le temps aux professeurs de se préparer dans les nouveaux programmes qui sont les programmes scientifiques. Il faut que les nouvelles sections puissent se faire. Mais, dans le futur, ce sera encore mieux que ça pour les gens qui veulent faire latin et grec. Il n'y aura pas des options : ce sera à l'intérieur, ce sera normalement dans l'enseignement.

Michel Field : Vous revalorisez les filières littéraires ?

Claude Allègre : Complètement. J'ai signé, l'année dernière, un engagement avec le ministre italien, à Sienne, sur la défense de la culture classique, mais c'est un engagement pour moi extrêmement important, aussi important symétriquement que rénover l'enseignement scientifique.

Michel Field : Est-ce que vous êtes d'accord pour qu'on laisse parler cette intervenante qui n'était pas du tout prévue au programme. Très court, très bref et rapide.

Enseignante : Bien sûr, je serai brève et rapide. Je voulais simplement dire, au nom de tous les enseignants en colère qui descendent aujourd'hui dans la rue et dont on n'a guère parlé depuis le début de l'émission, que nous désavouons la politique de Claude Allègre…

Michel Field : Ça, je crois qu'on l'avait compris depuis le début de la tonalité des questions au téléphone.

Enseignante : Bien sûr mais, depuis tout à l'heure, monsieur Allègre multiplie les mensonges. Il a parlé par exemple d'un enseignement de langues qui était maintenu en l'état en lycée. C'est entièrement faux. L'enseignement de langues en lycée est nettement diminué. On remplace éventuellement quelques demi-heures ou quelques heures d'enseignement de langues par des assistants, ce qui est tout à fait inadmissible. D'autre part, excusez-moi, c'est extrêmement important : la politique de monsieur Allègre est une politique qui vise à privatiser l'éducation nationale, et ce, de la maternelle à l'université. Ce n'est par conséquent pas une politique égalitaire contrairement à ce qu'il voudrait nous faire croire.

Claude Allègre : La première chose que dit cette dame est absolument faux concernant les langues et d'ailleurs comment pourrait-elle le savoir ? Comment pourrait-elle savoir ce qui va se passer puisqu'encore une fois elle ne l'a pas la charte. Vous l'avez devant vous. Vous voulez lire monsieur Field ce qu'il y a écrit sur les langues ?

Michel Field : Non, non, je vous laisse en parler. Je ne suis pas porte-parole du gouvernement Claude Allègre.

Claude Allègre : Non, lire, simplement lire sur les langues.

Michel Field : Non, mais dites au fond…

Claude Allègre : Aucun horaire actuel ne sera supprimé. Il sera ajouté un certain nombre de choses supplémentaires. Rien ne sera supprimé.

Michel Field : Mais comment comprenez-vous ce dialogue de sourds ? À chaque fois que vous répondez, ou certains enseignants ne vous croient pas, ou ils disent le contraire de ce que vous dites.

Claude Allègre : Parce qu'un certain nombre de bruits… mais attendez, les choses doivent se faire dans l'ordre. Les instituteurs peuvent parler, les professeurs d'école… la charte du XXIe siècle de l'école, ils l'ont et ils peuvent en parler. Cette charte, elle n'est pas encore donnée. Donc, à partir de ce moment-là, ils en parleront. Quant à l'accusation de la privatisation, honnêtement, c'est absolument grotesque. La privatisation, elle se fait malheureusement, ailleurs. Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui dans l'école du XXIe siècle ? Aujourd'hui, quelle est la réalité ? Les villes riches peuvent se payer des intervenants extérieurs et les villes pauvres, rien. Qu'est-ce que nous faisons ? Avec les aide-éducateurs, nous rétablissons l'égalité républicaine. Mais plus que ça, ces intervenants extérieurs, ils viennent sans aucune coordination, sans les enseignants, sans rien. Dans la charte de l'école du XXIe siècle, nous affirmons que seuls les enseignants sont habilités à décerner l'enseignement et c'est sous leur responsabilité que se fait l'intervention des éléments qui viennent…

Michel Field : S'il vous plaît… attendez… je voudrais dire aux enseignants ici qu'ils donnent une singulière idée des règles du jeu et de la socialité à leurs élèves en intervenant alors qu'ils n'y sont pas invités, dans une émission jusqu'à maintenant où c'est moi qui pose les questions. S'il vous plaît… Vous répondrez avec vos syndicats… On va être obligés de vous expulser de la salle…

Claude Allègre : Je regrette…

Michel Field : Moi aussi…

Claude Allègre : Et je ne pense pas que ce soit représentatif. Je pense que l'immense majorité des enseignants n'ont pas cette culture-là. Ils ont une culture démocratique, une culture qui est une culture de dialogue et pas cette culture-là. Je le regrette. Les moyens… je vous l'ai dit tout à l'heure, sur l'école, on a mis quatre milliards et quelques. La Seine-Saint-Denis, avant que nous nous en occupions, s'était réglée à coups de maîtres-auxiliaires. Nous avons mis, l'année dernière, des postes comme jamais il n'en a été mis en Seine-Saint-Denis, jamais. Et nous continuons. Donc les moyens, nous les mettons. Et ce n'est pas Claude Allègre qui met les moyens ; Claude Allègre, il n'est pas le Père Noël avec une hotte et il prend les moyens ; c'est le gouvernement qui, dans le cadre du budget de l'État, arbitre des moyens, les uns par rapport aux autres. Et que font les ministres qui sont chargés de l'éducation nationale, Ségolène Royal et moi-même ? Nous nous battons pour avoir le maximum de moyens pour l'éducation nationale comme c'est normal que nous le fassions.

Michel Field : Une autre question au téléphone.

Auditrice : Monsieur Allègre, après les nombreuses manifestations de lycéens en fin d'année 98, vous avez accédé aux demandes d'allègement du programme de sciences physiques pour les secondes. Cependant, la nouvelle répartition, qui consiste à ajouter cette matière en première, me semble étrange. Pourriez-vous expliquer ce choix ? Merci.

Michel Field : Alors l'allègement des programmes. Est-ce que vous voulez expliquer aux téléspectateurs qui ne sont pas tous, en plus, ou enseignants ou parents d'élèves, donc ils ne sont pas forcément au courant… Ils ne comprennent pas comment vous pouvez justifier le fait de vouloir un meilleur enseignement en allégeant des programmes. C'est-à-dire dans la tête de tout le monde, en faisant en sorte que les élèves apprennent moins de choses…

Claude Allègre : Ce n'est pas ce que dit cette demoiselle…

Michel Field : Non, c'est une question à moi parce qu'entre les profs qui s'invitent et vous-même, je n'ai plus le temps de poser des questions.

Claude Allègre : Je vous ai apporté un livre de terminale de sciences naturelles dans lequel vous apprenez toute la génétique, y compris la génétique humaine, y compris les maladies génétiquement transmissibles, toute l'immunologie qui est une discipline très difficile, y compris les maladies, tout ce qui concerne les neurosciences, depuis le cerveau, le muscle, le réflexe, etc., toutes les régulations hormonales. Ensuite vous apprenez l'histoire de la terre – c'est une chose que je connais, figurez-vous, j'y retrouve mes propres figures – la formation de la terre, le déplacement des continents, l'origine de la vie, l'origine de l'homme. Eh bien, je dis que quand je lis tout ça… chaque sujet est un sujet très important et très bien fait, très bien traité, mais ce n'est pas possible d'assimiler cela en un an.

Michel Field : Vous dites donc que, d'un côté, il y a des programmes surchargés et que, du coup, dans les faits, ne sont jamais maîtrisés par les étudiants ou les élèves.

Claude Allègre : Écoutez, nous avons allégé le programme de biologie avec l'accord de l'association des professeurs de biologie et géologie et sciences de la terre et monsieur Ulysse, qui en est son président, a travaillé dans le groupe de travail. Parce que les professeurs sont contraints par des programmes qui sont trop lourds et donc ils ne sont pas sus complètement. Dites-vous bien une chose, en 2020 – c'est demain 2020 –, un élève qui rentre maintenant, en 2020, il sera en université. En 2020, la moitié des connaissances auront été modifiées en sciences. La moitié, c'est la prévision de tout le monde. Alors, est-ce qu'on va surcharger de connaissances, alors qu'il faut se recentrer sur les fondamentaux, sur les choses qu'il faut bien maîtriser ? Et, dans les sciences, nous sommes tous, dans cette opération, tous les plus grands savants français – Pierre-Gilles de Gennes, Georges Charpak, Jean Marilene (phon) en chimie, madame Le Douarin en biologie, Jean-Pierre Changeux –, pour travailler et faire en sorte qu'on apprenne les choses fondamentales et qu'on les apprenne bien. C'est un lycée plus exigeant, mais plus exigeant sur les fondamentaux, qui n'oblige pas à survoler. Vous savez le résultat quand même ! Vous savez le résultat : 20 % d'élèves en moins en sciences à l'université depuis trois ans. 20 % ! Si ça continue, la France n'aura plus de scientifiques. Est-ce que c'est ça qu'on veut ?

Michel Field : Alors les travaux personnels encadrés, c'est une formule… ça fonctionne toujours par sigles dans l'éducation nationale, donc les TPE, c'est le versant activités des élèves et des étudiants, c'est la manière dont vous voulez rendre les élèves plus actifs dans l'enseignement ?

Claude Allègre : Eh bien, on a fait cette expérience dans les classes préparatoires aux grandes écoles, il y a quelques années. J'étais conseiller de Lionel Jospin à ce moment-là. Et cette expérience a donné d'excellents résultats et les élèves ont été très contents. L'idée, c'est que chaque élève puisse avoir un sujet sur lequel il travaille. Les très bons, les moins bons, tout le monde. C'est aussi l'occasion d'aider les élèves, encadrés par les professeurs qui les aident à développer leur sujet. Et, à cet effet, ils pourront en particulier prendre des sujets pluridisciplinaires car là aussi, une des caractéristiques de la science moderne, c'est que les frontières entre les disciplines s'estompent et il faut apprendre à travailler entre les disciplines et les enseignants à travailler en équipe, et nous prévoyons dans les horaires, des horaires pour les enseignants pour qu'ils travaillent en équipe parce que c'est une nécessité que ce soit fait. Mais, la tête des enfants ne va pas grossir pour autant et la journée n'aura que vingt-quatre heures. Donc on ne va pas s'amuser à accroître. Qu'est-ce qu'on a fait depuis des années ? Comme les connaissances augmentent à toute vitesse, on a empilé, on a empilé en refusant de choisir. Et du coup, c'est pour ça que les programmes et les horaires ont grossi, c'est parce que les connaissances augmentent et aucune n'est inutile. Rien n'est idiot dans ces programmes, bien sûr, mais on ne peut pas continuer comme ça. Alors je vais vous dire par exemple : en ce moment, on n'enseigne pas la bio-informatique parce que c'est quelque chose qui vient de naître depuis trois ans et qui est fondamental : étudier le code génétique avec les méthodes de l'informatique… Alors on va rajouter une couche de bio-informatique. L'autre… la nanotechnologie, alors c'est de la technologie à l'échelle des atomes, par exemple, on fait des petits moteurs avec des atomes… alors on va rajouter… Et ça va aller jusqu'où ? Le résultat, c'est que des choses qui sont fondamentales, vous prenez un élève, vous lui demandez une chose simple en physique : vous prenez une boule de pétanque et une balle de tennis, vous les lâchez, laquelle arrive la première ? L'élève, il va vous dire la boule de pétanque. Eh bien non ! Ils arrivent ensemble et c'est un problème fondamental. On a mis deux mille ans pour le comprendre. Ça, c'est des bases. Tout le monde doit savoir ça.

Michel Field : Mais Claude Allègre, comme il nous reste peu de temps, comment allez-vous sortir de cette situation dont les manifestations intempestives de tout à l'heure… Ce n'est pas la peine de vous relever, vous allez vous rasseoir. Vous n'aurez plus la parole parce que je ne vous la donne pas. Comment allez-vous sortir de ce guêpier qui fait qu'aujourd'hui, il y a une sorte de crispation qui est polarisée sur votre personne, sur votre politique et qui est un frein à la possibilité même que la réforme de l'enseignement voit le jour parce que, s'il n'y a pas que des enseignants dans l'institution scolaire, il y a aussi eux et, cette réforme, elle ne passera pas sans eux, elle ne passera pas contre eux.

Claude Allègre : Évidemment non. C'est même plus que ça. C'est aux enseignants de la faire, cette réforme, de la mener. Et, par conséquent, c'est bien comme ça que ça doit se faire et c'est pour ça que je vous ai dit que nous prenons notre temps pour mettre en route cette réforme.

Michel Field : Par exemple, au conseil supérieur de l'éducation, il y a les syndicats enseignants qui sont représentés ?

Claude Allègre : Il n'y a que les syndicats enseignants.

Michel Field : Qu'est-ce que vous attendez de ce vote ?

Claude Allègre : Vous allez le voir, attendez-le !

Michel Field : Mais, est-ce que vous êtes confiant, inquiet ? Est-ce que vous voudriez vous adresser à eux ?

Claude Allègre : Est-ce que vous me voyez inquiet ?

Michel Field : Peut-être, vous feriez bien de l'être un petit peu plus… Je ne sais pas…

Claude Allègre : Ou confiant ?

Michel Field : Plutôt confiant.

Claude Allègre : Non ! Je suis déterminé. Je suis déterminé parce que je crois que c'est l'intérêt général. Je ne fais pas une carrière politique. Je ne suis pas un homme politique. Quand j'aurai fini d'être ministre, je redeviendrai quoi ? Enseignant. Donc, je suis là parce que je pense qu'il faut faire ces réformes et que ces réformes sont essentielles parce que, sinon – et on peut revenir au problème du service public –, le service public est menacé. En Angleterre, les écoles qui ne marchent pas bien, on les donne au privé. En Italie, comme tout se fait par des cours particuliers qui s'organisent en dehors de l'école, nos collègues italiens étaient obligés, pour contrôler ça, d'admettre que les cours particuliers payants se fassent dans l'école. On voit là la privatisation arriver. On entend bien, la semaine dernière, rapport du gouvernement sur le travail des fonctionnaires et je vois les gens de droite continuer à parler de telle et telle privatisation. Je suis contre toute privatisation de l'enseignement public, même partielle ou quoi que ce soit. Je pense que les fondements de la République, c'est l'école laïque, gratuite, obligatoire et, par conséquent, je considère que, pour qu'elle soit à la hauteur de sa tâche, il faut qu'elle s'adapte à son temps. Mais c'est vrai que le travail, dans ce domaine, est difficile parce qu'on demande plus à l'école aujourd'hui qu'on lui demandait hier. Hier, c'était un sanctuaire dans lequel on allait pour recevoir un enseignement. Aujourd'hui, on lui demande d'être un coeur dans la cité, de former les élèves pour qu'ils trouvent du travail, de former les gens à la citoyenneté complètement parce qu'il y a de temps en temps un déchirement dans le tissu social, et donc, l'école est essentielle. Et c'est pourquoi je pense que cette réforme de l'école que nous devons faire tous ensemble, et d'abord les enseignants, est absolument essentielle. Mais les réformes sont difficiles. Elles sont difficiles dans l'enseignement. Elles sont difficiles ailleurs. Je voudrais revenir sur le problème que vous avez souligné sur les trente-cinq heures puisqu'on doit parler de choses un peu plus générales également. On parle beaucoup de temps de travail. Moi, dans ce débat, je suis désolé qu'on ne parle pas d'un paramètre qui est aussi important que le temps de travail, qui est l'intensité du travail. Eh bien, je peux vous dire que, dans le rapport Roche, vous n'avez rien vu contre les enseignants. J'ai eu une longue discussion avec monsieur Roche alors que, dans le précédent rapport, on parlait de ça. L'intensité du travail des enseignants est considérable et je peux vous dire que l'aménagement de leur temps de travail, ce que nous proposons dans cette réforme, est une nécessité absolue pour adapter les choses au temps présent.

Michel Field : Claude Allègre, merci. On n'a pas eu le temps de parler de la charte pour l'enseignement professionnel, des universités, du problème des rapports entre les universités et les grandes écoles. Je ne vois qu'un moyen, c'est que vous reveniez avant la fin de la saison pour parler de tout ça. Pardon pour les quelques incidents. La chose est un peu difficile. À la fois, il faut donner la parole aux gens quand ils la demandent ; en même temps, il ne faut pas non plus transformer les émissions de télé en happening indéterminé. Donc, ce n'est quand même pas très, très chouette ce qui s'est passé là-bas au fond. Vous aurez la possibilité d'interroger Alain Madelin, la semaine prochaine, puisque c'est le président de Démocratie libérale qui sera mon invité. Claude Allègre, je vous remercie.