Interview de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts pour les élections européennes de 1999, à France-Inter le 23 février 1999, sur la campagne électorale des Verts, notamment le respect de la directive européenne sur les dates d'ouverture de la chasse aux oiseaux migrateurs, les relations des Verts avec la gauche, et les enjeux de la construction européenne.

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Média : France Inter

Texte intégral

Question
En studio, avec nous, D. Cohn-Bendit, tête de liste des Verts aux européennes, et pardons du jeu de mot, mais aussi tête de Turc des chasseurs. Mais pas seulement des chasseurs.
Condamnation par P. Daillant de la violence, mais mollement.

D. Cohn-Bendit
- « Non, pas mollement Mais, il l'a fait « avec modestie » - pour reprendre l'éditorialiste, il y a une minute -, à la hauteur de ses possibilités. Il a dit et c'est vrai, que symboliquement le geste de la rencontre est le message. C'est-à-dire qu'il faut trouver le moyen de se parler, même si on n'est pas du tout d'accord. Et si on commence modestement, on pourra arriver, petit à petit, à trouver non seulement une structure de dialogue, mais une structure d'accord. »

Question
- Sur le fond, ce n'est franchement pas lisible. Même chez D. Voynet. Quand elle dit : on va respecter la directive européenne, mais on va quand même trouver un petit système qui va permettre aux chasseurs de s'exprimer. Franchement, ou on respecte ou on ne respecte pas !

D. Cohn-Bendit
- « Même les journalistes ont le droit de regarder comme fonctionne l'Europe. Il y a un accord, et différents pays peuvent négocier - après avoir adapté l'accord - des aménagements, des dérogations sur une directive. Cela se fait partout et toujours, étant donné que l'Europe est un corpus commun avec des appréciations différentes. Donc, il n'y a aucun problème - à partir du moment où on accepte la directive pour la France - de négocier avec la Commission de Bruxelles des dérogations pour le gibier d'eau, pour ceci ou pour cela. C'est dans le cadre de la directive que l'on trouve des dérogations."

Question
- Comment corrige-t-on les erreurs initiales ? Car la France va être condamnée pour n'avoir pas respecté la directive européenne. On a été très flou, très ambigu au début.

D. Cohn-Bendit
- « Il y a deux choses qu'il faut dire. Si des députés français avaient été à Strasbourg, ils auraient pu faire capoter ce vote du Parlement européen. Par exemple, M. de Villiers n'était pas là. La majorité des députés du Front national n'était pas là. La majorité des députés communistes n'était pas là. S'ils avaient été là, comme la motion est passée avec neuf voix de majorité, ces députés-là faisaient la différence, et la France ne se serait pas trouvée dans cette situation. C'est cela qui m'énerve ! C'est qu'il y a le cumul des mandats, on n'a pas le temps, on dit : « diktat de Bruxelles », alors qu'on n'était pas à Strasbourg. Il y a un fonctionnement démocratique en Europe avec un Parlement ; il y a des majorités ; on gagne où on perd. Moi non plus, je n'étais pas là. Si on avait perdu, on me dirait : « c’est de ta faute. » Avec raison. Le problème c'est qu'on n'accepte pas les structures démocratiques. Il faut les améliorer parce qu'il y a un déficit citoyen en Europe. Mais, au moins, faisons ce qu'on peut faire. Donc, ceux qui critiquent aujourd'hui - M. de Villiers parle du « diktat de Bruxelles. » Mais, celui qui lui a payé sa campagne, M. Goldsmith, avait voté « pour », parce qu'en Angleterre on voit les choses autrement. Les députés qui ont voté une loi en France - le 5 juillet - savent très bien que cette loi ne tient pas la route face à la directive. Donc, la chose la plus simple c'est que le gouvernement français fasse respecter la directive et, en même temps, aille négocier ... "

Question
- Il faut aussi que le premier ministre ait un discours lisible par tous ?

D. Cohn-Bendit
- « Mais, dites-lui ! »

Question
- Chacun son boulot !

D. Cohn-Bendit
- « Mais, je ne suis pas le conseiller politique de toute une classe politique pour qu'elle soit logique avec elle-même. Je vous dis comment fonctionne l'Europe. Elle fonctionne de manière très simple : il y a une directive qui a été signée par tout le monde. Cette directive doit être appliquée en France. Mais, mais on peut l'aménager. Il y a des possibilités d'aménagement qui peuvent donner satisfaction, en partie, pour certaines chasses. Allons trouver ces satisfactions ! »

Question
« Est-ce que cette question sur la lisibilité du discours n'est pas une question posée à tout le discours politique en général ? Par exemple, sur les européennes : qu'est-ce qu'on met dans les prochaines européennes ? Est-ce qu'on y met l'Europe, on est-ce qu'on y met un enjeu de politique politicienne en disant, par exemple : « est-ce que les Verts feront plus que le Parti communiste ? »

D. Cohn-Bendit
- « Attendez, je demande aussi aux médias d'arrêter. Arrêtez ! Il y a eu une demi-phrase. Un journaliste me demande : « Est-ce que vous aimeriez faire mieux que le Parti communiste ? » Si je dis « non », il me dit : « c'est de la langue de bois. Si je fais une élection, je veux faire des voix. Mais ce n'est pas mon problème que de faire mieux que le Parti communiste. Au centre de l'Europe, il y a un déficit citoyen. Il y a un déficit de la lisibilité de la réalité de l'Europe sociale ... »

Question
- De qui parle-t-on ?

D. Cohn-Bendit
- « Je n'arrête pas d'en parler, et quand on veut poser des problèmes, dès qu'on touche à quelque chose, on ne lit - et ce n'est pas seulement les politiques, mais aussi les médias - que le spectaculaire. Parce que le concret est difficile, il n'est pas tellement spectaculaire. Parler d'une déclaration des droits fondamentaux du citoyen, dire que l'Europe ne doit pas seulement être la liberté des marchés, mais que cela doit être la liberté de la justice sociale, de l'égalité sociale, etc., voilà un vrai sujet de débat ! Et puis, il y a un problème fondamental : pour qu'il y ait lisibilité, il faut qu'il y ait débat. Et ce moment, la classe politique française, dans sa majorité, ne débat pas. Elle préfère faire une campagne dans son camp, pour son camp, sur son camp. Quand on propose des débats politiques, ils vous disent : « On n'a pas le temps, pas maintenant », etc. »

Question
- Quelle est la méthode pour le débat ? Est-ce que la provocation est la méthode ?

D. Cohn-Bendit
- « Qui a provoqué quoi ? »

Question
Vous savez bien qui vous êtes, de quelle nature vous êtes, et la personne que vous êtes !

D. Cohn-Bendit
- « Alors, ça, c'est fantastique ! D'abord, il y a une nouvelle définition de la provocation : elle est génétique. Alors, ça, c'est extraordinaire ! »

Question
- Non, on ne va pas rentrer là-dedans !

D. Cohn-Bendit
- « Vous me dites : « Vous savez bien qui vous êtes. »

Question
Mais, parce que c'est votre tempérament !

D. Cohn-Bendit
- « Est-ce que dire des choses c'est provoquer ? Non ! J'ai fait des débats avec M. Guaino qui est vraiment… on n'est pas les mêmes, M. Guaino et moi. Mais c'était des débats intéressants à Sciences Po, parce qu'on a posé les questions de l'Europe. Lui, contre cette Europe, et moi pour une réforme radicale de l'Europe, mais pour cette Europe. Et, l'on voyait les divergences. Donc, le débat politique ce n'est pas la préséance, ce n'est pas un débat de salauds comme ça, c'est : les forces politiques, c'est les personnages politiques qui acceptent de débattre - pas seulement à la télévision, à la radio - mais dans des villes. Et ça, ça intéresse les citoyens : ils viennent massivement Il y avait plus de 1 000 étudiants à Sciences Po. Quand on leur propose un vrai débat contradictoire, ça intéresse les citoyens. Donc, essayons d'intéresser les citoyens. »

Question
- Donc, vive le risque des idées ! Parce c'est ce qui est intéressant en politique !

D. Cohn-Bendit
- « C'est la seule chose qui soit passionnante en politique. »

Question
- Est-ce que vous souscrivez à ce qu'on dit : « la France néo-poujadiste » ? Est-ce que c'est vraiment cela la réalité française que vous mesurez ?

D. Cohn-Bendit
- « Ce n'est pas mon problème. C'est vrai qu'il y a une France qui se mobilise sur certaines choses, et ce n'est pas la mienne. Mais c'est une réalité. Mon problème n'est pas de dire : « Il y a une France néo-poujadiste », mon problème c'est de faire comprendre aux citoyens français, que nous comprenons ensemble, quelles sont les possibilités qu'il y a dans cette construction européenne. Par exemple, on a dit : « L'Europe n'est pas capable d'imposer la paix au Kosovo. » Ce n'est pas tout à fait vrai. L'Europe a imposé aux Américains cette réunion de Rambouillet. Et c'est après seulement que les Américains sont venus. Eux, voulaient bombarder dès le début Mais, il est vrai que tant que l'on ne posera pas les jalons d'une politique de paix et de sécurité européenne, on n'y arrivera pas. »

Question
- Jusqu'à quel prix ? Demain, il y a une échéance. Qu'est-ce qu'on fait avec l'échéance de demain ?

D. Cohn-Bendit
- « Si vous voulez prendre le problème du débat qui a été introduit par les Allemands, je suis très à l'aise parce que je l'ai critiqué en Allemagne. Je trouve que le ton et la manière du chancelier Schröder est une mauvaise introduction à la présidence allemande. Parce qu'il est effectif qu'il y a une plus grande contribution allemande. Mais l'Allemagne gagne aussi énormément de ce marché unique. C'est l'Allemagne qui profite le plus économiquement. Donc, c'est un faux débat. Et il est vrai que si l'on veut, aujourd'hui, faire avancer la PAC, ce n'est pas sur le dos des Allemands que cela doit se faire, mais il faut qu'il y ait une autre contribution. Mais, l'Allemagne restera toujours, pour des raisons objectives et nécessaires, le plus grand payeur. D’une, le dire franchement ! Il y a un autre problème fondamental : c'est la remise que l'on a donnée aux Anglais sous le chantage de Mme Thatcher. Au moins que l'on parle de cela ! Il est impossible qu'un pays, parce qu'il a fait du chantage pour rester dans l'Europe, puisse avoir une contribution aussi basse que celle que l'Angleterre a. Que la France se pose - que nous nous posons - le problème de la réforme de l'agriculture, c'est un vrai problème ! Qu'on dise que cela ne peut pas aller si vite, d'accord ! Mais qu'il y ait de vraies discussions de fond, et que chaque pays accepte de lancer, au moins, les réformes qu'elle veut faire. »

Question
- Est-ce que l'honnêteté politique, telle que vous souhaiteriez qu'elle s'exprimant plus, c'est de dire : là, on a été trop fort ; trop vite Les Verts allemands et le nucléaire ? n’y a quand même plus qu'un coup de frein !

D. Cohn-Bendit
- « Sortir du nucléaire c'est aussi difficile que sortir du socialiste réel. Regardez les difficultés qu'ont la Pologne, la Russie. Le nucléaire c'est un circuit fermé, un circuit opaque. Donc, en sortir, avec les pouvoirs et l'argent qu'il y a derrière, c'est difficile. Là encore, je suis à l'aise. Les Verts allemand - M. Trittin - ont fait une erreur au début : il est évident que l'on ne pouvait pas mettre le retraitement dans l'interdiction au début, parce que cela avait des conséquences d’étranglement du reste du nucléaire allemand. Le fait qu'il faut sortir en même temps du retraitement et du nucléaire, c'est un processus sur 25 ans. Donc, quand on me dit : les Verts reculent parce que ce ne sera pas en 25 ans, mais en 25 ans et trois mois, je signe ! Ce n'est pas ça le problème, C'est celui d'une stratégie de sortie sur une période de 25 ans. A vouez, quand même, qu'il faut apprendre ! »