Article de M. Yves Cochet, porte-parole des Verts, dans "Vert contact" du 17 février 1996, sur l'Internet, créateur d'un nouvel espace "virtuel" et générateur d'un "basculement des désirs vers l'immatériel", nécessité du "développement soutenable", intitulé "L’Éloge de l'Internet ?".

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Média : Vert contact

Texte intégral

L’Internet est-il en passe de réaliser l’espace public, concept cher à Habermas dans les années soixante-dix ? Est-ce la nouvelle agora mondiale ? Nos institutions et nos réflexes culturels eux-mêmes, hérités de la lutte multimillénaire de l’espèce humaine contre le temps et les distances, sont-ils remis en cause ? Un nouvel intervalle se fait jour, selon Paul Virilio, l’intervalle-lumière, qui abolit la durée et les distances (la succession passé-présent-avenir ; l’horizon comme réalité géométrique). Ce Cyberespace engendre une situation dans laquelle l’urbanité (comme rapport interindividuel) ne peut plus être pensée uniquement en termes de géographique physique. L’Internet instaure un découplage entre proximité et communauté. Nous ne vivons plus simplement dans des lieux biophysiques, mais dans des cités virtuelles construites comme des toiles d’araignées affinitaires. La vie publique perd son lien exclusivement territorial.

L’Internet est interactif, symétrique : chacun peut être, tour à tour, consommateur de services et production d’information. L’Internet, c’est prendre et donner. Sur Internet, les informations proviennent directement de la source et son diffusées sans réécriture ou filtrage. Internet n’est contrôlé par personne. Seuls quelques sociétés savantes, à but non lucratif, accompagnent et coordonnent l’évolution technique du réseau. Ces sociétés sont très récentes alors que l’Internet existe depuis plus de quinze ans. Ceci montre que le réseau s’est construit par la base, sans projet global planifié. Sur Internet, tout le monde est égal. L’Internet est un puissant outil de réduction des inégalités sociales ou géographiques. Chacun, où qu’il soit dans le monde, peut accéder à tout le réseau et être connu de tout le réseau, via une infrastructure de communication bon marché. Enfin, l’Internet est écologique. Les économies d’énergie, de papiers, de déplacements sont considérables. Et nous les électrons sont recyclés !

Du point de vue du développement soutenable, nous savons que la croissance de la production et de la consommation des biens matériels ne peut être indéfinie, à la fois pour des raisons écologiques (épuisement des ressources et pollutions croissantes) et pour les raisons d’équité géopolitiques (droit d’accès des pays pauvres à la production et à la consommation matérielles). Par ailleurs, l’imagination et les besoins humains sont sans limites. L’Internet et, plus généralement, les biens immatériels peuvent et doivent offrir un domaine de projection illimité pour l’imaginaire individuel et collectif (le phénomène « frontier » bien connu des Américains). Les Verts ne parviendront pas à convaincre quiconque de diminuer sa consommation matérielle par un pur discours sur les ressources raréfiées et les pollutions croissantes, s’ils ne proposent pas, simultanément, un horizon alternatif de dépense sans entrave. Le basculement des désirs vers l’immatériel est une nécessité du développement soutenable.