Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre, dans "Le Progrès" du 29 mars 1996, sur l'Europe sociale, les dommages de la "vache folle" et l'élection du président de l'UDF.

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Média : Le Progrès

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Le Progrès : Vous avez hier rencontré des élus locaux, les conseillers généraux. À vous-même, que vous ont apporté vos mandats locaux ?

R. : On dit toujours que les hommes politiques n'ont pas de proximité avec leurs concitoyens, qu'ils ne connaissent pas leurs problèmes de vie quotidienne ... Ce n'est pas exact, justement grâce à ces charges assumées sur le terrain, au contact des Français, qu'il s'agisse par exemple des questions d'aménagement des quartiers, du cadre de vie ou de sécurité, traités par les responsables locaux et les associations. Tout cela me passionne et m'apporte une expérience précieuse dans l'action quotidienne du gouvernement. C'est pourquoi j'ai toujours considéré que l'exercice d'un mandat national et d'un mandat local représentaient un enrichissement mutuel.

Le Progrès : Vous insistez, depuis quelques semaines, sur votre « proximité » avec les citoyens. Elle n'allait pas d'elle-même ?

R. : Sans doute n'était-ce pas toujours perçu ainsi. Mais c'est bien la ligne directive de notre politique : faire en sorte que la vie quotidienne de nos concitoyens soit plus facile, plus sereine, et nous savons que cela signifie avant tout des résultats sur l'emploi.

Le Progrès : Vous aviez annoncé la création d'un million d'emplois en trois ans ...

R. : 150 000 ont été créés sur l'ensemble de l'année 95, et le chômage a diminué, même s'il a depuis recommencé à augmenter. Nous avons mis en place de nouveaux dispositifs qui donnent des résultats, comme le CIE (Contrat initiative emploi) qui a permis l'embauche de 210 000 personnes qui sans cette mesure seraient tombées dans l'exclusion. Je pourrais également citer les mesures sur le bâtiment, qui vont bientôt produire tous leurs effets.

Le Progrès : Et quel est votre objectif, en termes d'emplois, pour 1998 ?

R. : Le chômage devra avoir décru de manière significative, avec l'objectif que nous avons annoncé.

Le Progrès : La France présente aujourd'hui à Turin un « mémorandum » sur l'Europe sociale. Mais est-ce le rôle de l'Europe ou des États de créer des emplois ?

R. : C'est le rôle des deux, devant le caractère dramatique de la situation de l'emploi en Europe. L'Europe peut apporter un plus, en permettant de mieux coordonner nos actions. Ainsi sur l'aménagement et la réduction du temps de travail agir à Quinze plutôt que seul évitera des effets pervers pour la compétitivité de nos entreprises. Ainsi encore pour les grands réseaux de transport, qui peuvent créer des emplois par leur construction et par les échanges qu'ils aideront à développer, mais qui malheureusement n'avancent pas.

Le Progrès : Ils avanceront encore moins si l'Europe doit leur prendre de l'argent pour financer les dommages de la « vache folle » ...

R. : C'est une contre vérité flagrante. Nous avons toujours récusé la confusion des genres : il y a des crédits pour l'agriculture, et des crédits pour les grands travaux, et il n'est pas question de transferts des uns vers les autres. Les problèmes auxquels la Grande-Bretagne fait face appellent évidemment un acte de solidarité communautaire, mais l'argent existe pour cela dans le budget agricole, pas dans celui des grands travaux. Je voudrais cependant citer en point ou l'Europe peut apporter un plus à l'emploi : par une politique commerciale européenne, une politique dynamique qui ne se limite pas à créer des zones de libre-échange avec l'ensemble de la planète.

Le Progrès : « Protectionnisme », traduiront les Britanniques ...

R. : Non, pas du tout. Les Américains ne sont pas suspects de protectionnisme, ce qui ne les empêche pas, dans certaines enceintes comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de défendre des thèses voisines des nôtres. Ce n'est pas être protectionniste que de dire qu'il n'est pas juste de mettre en concurrence des entreprises qui respectent un minimum de normes sociales, et d'autres qui usent du travail forcé ou du travail des enfants, qui trichent avec le droit international. Il ne faut pas confondre le libre-échange et la tricherie.

Le Progrès : Vous espérez vraiment que la Grande-Bretagne accepte le « protocole social » européen qu'elle a toujours refusé ?

R. : Voua savez, cela me fait penser à la négociation du GATT, quand tout le monde nous disait que les États-Unis n'accepteraient jamais de renégocier Blair House – et pourtant, nous y sommes parvenus parce que nous avons osé dire ce que nous voulions et que nous avons tenu bon. Eh bien, pour le protocole social aussi, il faudra du temps, mais je ne doute pas que nous saurons convaincre.

Le Progrès : L'UDF se choisira dimanche un Lyon un nouveau président. Qu'en attendez-vous ?

R. : Je ne me prononcerai pas sur la personne du nouveau président. Ce n'est pas mon rôle. Mais j'ai une certitude : la majorité a besoin d'un RPR fort et d'une UDF forte. La majorité, dont je suis le chef en tant que Premier ministre, a besoin de deux jambes de même force pour marcher droit. Je suis persuadé que ce congrès saura donner à l'UDF un nouvel élan et une nouvelle cohésion. Et je veillerai personnellement, au moment des investitures pour les élections législatives de 1998, au respect entre nous des règles d'union de la majorité.

Le Progrès : Vous n'êtes pas favorable à des primaires, qui offriraient le choix aux électeurs de la majorité ?

R. : Pas du tout. Des primaires seraient justifiées s'il existait des différences fondamentales entre nous. Mais nous sommes d'accord sur l'essentiel. Et comme on l'a bien vu lors des dernières élections partielles, la division est facteur d'échec. Il faudra donc l'union entre un RPR fort et une UDF forte.