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Le Quotidien : Après la rupture des négociations conventionnelles et la fixation par l'État d'un taux d'évolution des dépenses de médecine de ville, le temps est-il venu, selon vous, de mettre en chantier une nouvelle convention médicale ?
Alain Deleu : Dès que les ordonnances seront promulguées, un contexte tout à fait nouveau s'ouvrira pour les régimes d'assurance-maladie. Dans ces conditions, il me semble tout à fait normal de renégocier la convention médicale, qui, en principe, arrive à échéance à la fin de l'année 1997. Il faut anticiper cette renégociation. Cela me paraît logique.
Le Quotidien : Quelle analyse faites-vous de l'échec récent des négociations entre les caisses d'assurance-maladie et les syndicats de médecins ?
Alain Deleu : Il faut reconnaître qu'il était très difficile de négocier dans le contexte actuel, où les marges de manoeuvre sont extrêmement faibles. La nouvelle convention médicale que souhaite la CFTC doit donner aux médecins l'occasion de mesurer les enjeux que représente une maîtrise médicalisée des dépenses véritablement négociée. Il va de soi que, dans le cas contraire, les impératifs économiques conduiront inévitablement à une maîtrise comptable des dépenses et personne, je le crois, ne peut souhaiter qu'on en arrive là.
Le Quotidien : La nouvelle convention que vous souhaitez doit-elle être une convention pluri-catégorielle ?
Alain Deleu : Nous proposons une modernisation de la convention médicale, à savoir une convention générale unique pour l'ensemble des médecins, qu'ils soient spécialistes ou généralistes, et qui comprendrait un socle garantissant la pratique libérale et les droits et devoirs des patients comme des médecins. Au sein de cette convention, nous devrions consacrer un chapitre à l'exercice spécifique des médecins généralistes et de leurs confrères spécialistes. Enfin, une convention pluri-professionnelle permettrait de fixer des orientations dans le cadre de contrats locaux d'exercice.
Le Quotidien : Êtes-vous favorable à un taux d'évolution de dépenses opposable aux médecins ?
Alain Deleu : La convention doit fixer un objectif et des modes de régulation des dépenses. Tout le problème est de savoir par quel mécanisme de régulation on pourrait aboutir au respect de l'objectif. Il faut que chaque médecin soit individuellement responsable de la régulation. À cet égard, nous sommes favorables à l'idée d'une signature individuelle du texte conventionnel par les médecins. Quant au mécanisme d'autorégulation que nous souhaitons, nous sommes, sur ce point, favorables à l'idée d'un écrêtement du revenu des praticiens au-delà d'un certain volume d'actes, comme cela existe déjà pour certaines professions comme les infirmières, par exemple. Au-delà d'un certain plafond d'actes, la lettre clé serait baissée. Ce mécanisme et ce principe d'autorégulation nécessiteraient pour chaque médecin une évaluation très régulière de son activité. Cette évaluation ne pourra être réellement efficace qu'au moment où l'informatisation des cabinets médicaux sera une réalité.
Le Quotidien : Souhaitez-vous l'extension, voire la généralisation, du carnet médical ?
Alain Deleu : Nous considérons cet outil comme la clé de voûte d'une bonne maîtrise médicalisée. Il faut que le carnet médical devienne rapidement aussi important que le livret de famille. Il est un gage de qualité des soins et de bonne coordination entre les différents acteurs de santé. L'expérience prouve, par ailleurs, qu'il est générateur d'économies financières réelles et qu'il ne comporte pas d'effet pervers. Il faut donc l'étendre et le généraliser rapidement.
Le Quotidien : Souhaitez-vous la mise en place, somme le souhaite MG-France, de filières de soins facilitant le passage préalable chez le médecin généraliste ?
Alain Deleu : Même si nous considérons que ce système n'est pas une panacée, nous sommes favorables à des expérimentations qui nous permettraient de vérifier et d'évaluer les éventuels avantages des filières.
Le Quotidien : Le taux de 2,1 % fixé par le gouvernement pour 1996 vous semble-t-il raisonnable ?
Alain Deleu : Il s'agit pour nous d'un taux réaliste, qu'il faudra savoir gérer au plus près. C'est un taux qui devrait par ailleurs pouvoir être corrigé en cours d'année en fonction des évolutions sanitaires.
Le Quotidien : Le gouvernement souhaite modifier la composition des conseils d'administration des caisses. Une réforme qui prendra la forme d'une ordonnance dans les semaines à venir. Qu'en pensez-vous ?
Alain Deleu : Nous tenons à ce que cette future ordonnance donne aux partenaires sociaux davantage de responsabilités dans la gestion des caisses, et en particulier aux syndicats de salariés. Nous ne souhaitons pas que l'introduction massive dans les conseils d'administration de personnalités qualifiées nommées par les pouvoirs publics engendre des déséquilibres. Ces personnalités qualifiées ne doivent pas faire ou défaire les majorités. Enfin, et pour contrer cette impression qui, parfois, fait penser que les conseils d'administration sont gérés par deux syndicats seulement – FO et la CFDT, des organisations qui refusent de nouvelles élections à la Sécurité sociale, ce qui pose un problème de démocratie sociale -, nous demandons qu'un nombre égal de sièges soit accordé à chacun des syndicats de salariés. Dans le cas contraire, ce serait pour nous un cas de litige très fort avec le gouvernement. C'est désormais à lui de trancher.