Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front National, à France 2 le 13, à RTL et dans "Le Parisien" du 15 mai 1997, sur sa préférence pour une victoire de la gauche aux élections législatives de 1997.

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Circonstance : Elections législatives anticipées des 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - Le Parisien - RTL - Télévision

Texte intégral


France 2 : mardi 13 mai 1997

Daniel Bilalian : Monsieur Debré vient de parler de vous, mais d’une manière générale, majorité, opposition, on vous ignore depuis le début de la campagne. Est-ce pour vous replacer au centre de la campagne que vous redoublez de violence ? Vous avez dit hier que vous proposiez de pendre haut et court 90 % de la classe politique.

Jean-Marie Le Pen : Non, je vous en prie, citez exactement les choses. J’ai dit que si on faisait une investigation des marchés publics depuis dix ans, 90 % des hommes politiques seraient probablement en prison. En revanche, j’ai dit que pour un certain nombre de grands criminels, de grands voleurs de l’argent public, la pendaison pratiquée sous la monarchie me paraissait un bon remède. Voyez-vous, il y a dans notre pays plus de 5 millions de gens qui vivent avec moins de 2 500 francs par mois. Parmi ces gens-là, il y en a qui meurent de misère ou qui se suicident de désespoir. Eh bien, je ne voudrais pas que ce soit toujours les victimes qui soient coupables de la peine de mort, et que les coupables échappent à la peine de mort. Je pense que ce serait justice que de leur réserver quelques postes.

Jean-Michel Carpentier : Après avoir pendant la présidentielle préféré Lionel Jospin à Jacques Chirac, vous semblez souhaiter cette fois-ci plutôt une Assemblée de gauche qu’une Assemblée de droite. Avez-vous le sentiment que vos électeurs comprennent ces choix ?

Jean-Marie Le Pen : Je voudrais bien qu’ils le comprennent parce que je voudrais qu’ils comprennent que la volonté de Jacques Chirac et de son gouvernement c’est de dissoudre la France, dans les années qui viennent, dans l’Europe de Maastricht. Et je pense que Monsieur Jospin, dont je ne partage pas les convictions, est moins hystériquement européiste que ne le sont Jacques Chirac et Juppé.

Jean-Michel Carpentier : Quitte à appeler vos électeurs à voter pour le PS ou pour le PCF ?

Jean-Marie Le Pen : Nous verrons bien cela au deuxième tour, je ne suis pas suspect d’avoir été complice en quoi que ce soit des crimes du communisme. Beaucoup de gens pourraient faire dans ce domaine leur examen de conscience.

Jean-Michel Carpentier : Vous ne croyez pas nécessairement aux sondages mais un sondage montre qu’au second tour, les voix du FN se reporteraient en majorité sur la majorité sortante actuelle. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Marie Le Pen : Tout cela est dérisoire. Ce que je souhaiterais, c’est qu’il y ait eu un vrai débat. J’aurais souhaité qu’il aurait été possible de débattre, et en particulier avec les gens qui représentent la gauche et la droite qui ont gouverné le pays, chacune pendant dix ans avec les échecs que l’on sait. Malheureusement, la législation française et la pratique médiatique nous écartent pratiquement totalement du débat. Alors je ne peux que donner un conseil aux citoyens français, c’est de regarder la télévision : regardez nos adversaires et comme nous ne sommes pratiquement jamais-là, imaginez que nous sommes exactement l’inverse de tout ce qu’ils disent.

Jean-Michel Carpentier : On ne va pas passer entièrement en revue votre programme économique, mais prenons l’exemple de la fiscalité. Vous prônez la diminution voire la suppression de l’impôt sur le revenu et en échange, vous voulez augmenter très fortement la TVA. Est-ce que ce n’est pas antisocial ?

Jean-Marie Le Pen : C’est totalement inexact.

Jean-Michel Carpentier : C’est dans votre programme de campagne.

Jean-Marie Le Pen : Jamais de la vie. Je vous mets au défis de citer l’augmentation de la TVA. Je suis là pour vous dire le programme du FN à cette élection. Il n’y a pas d’augmentation de la TVA. Il y a une charge écrasante pour les travailleurs français et le peuple français, une charge de prélèvements obligatoires qu’il faut absolument diminuer. Nous avons choisi d’appliquer cette réduction décisive des impôts sur l’impôt le plus nuisible à l’activité économique, le plus paralysant de l’activité économique : l’impôt sur le revenu qui représente 300 milliards.

Jean-Michel Carpentier : Et en échange, vous voulez augmenter la TVA…

Jean-Marie Le Pen : Non, je vous dis carrément non ! C’est clair ! Nous attendons de la suppression de l’impôt sur le revenu, un développement de l’activité économique qui bénéficiera à la TVA parce qu’il est bien évident que l’argent que nous aurons laissé aux citoyens français – on le leur confisque pour plus de la moitié – s’investira après épargne ou bien alimentera la demande. Et dans ce cas, il permettra à la TVA de se procurer quelques ressources supplémentaires non pas par l’augmentation du taux de la TVA, par l’augmentation de sa base.

Daniel Bilalian : Et vous pensez que ça compensera effectivement l’un dans l’autre ?

Jean-Marie Le Pen : Je pense que ce sera mieux que ça. Je pense que c’est une nouvelle politique économique, mais je vais vous en citer un aspect. Nous avons une politique alternative de celle des gouvernants actuels. J’ai à ce propos un petit conseil aux électeurs et comme un bon croquis (croquis montré par Jean-Marie Le Pen mais très peu visible à l’écran, NDLR) vaut mieux qu’un long discours, je leur propose de méditer ceci qui leur apprendra beaucoup plus que tous les discours que je pourrais leur tenir sur le sujet des promesses fiscales faites par les candidats.

Jean-Michel Carpentier : Vous promettez moins d’impôts, mais vous ne dites pas comment vous y arrivez sauf que vous augmenteriez la TVA.

Jean-Marie Le Pen : Si vous m’invitiez aussi souvent que Monsieur Jospin et Monsieur Juppé, je vous promets que je vais vous l’expliquer dans le détail.

Daniel Bilalian : Sur le chômage, l’essentiel de votre propos est de dire : si nous renvoyons les immigrés dans leur pays avec une aide au retour, ça suffit à régler une bonne partie du chômage en France ?

Jean-Marie Le Pen : Jamais de la vie. C’est un tiers de l’explication. Nous constatons que ni la gauche, ni la droite n’ont été capables de résoudre le problème du chômage. Et je note que l’actuel Gouvernement, en quatre ans, a augmenté le nombre des chômeurs de 400 000. Alors, à partir de là, nous disons : cet échec tient au fait qu’on ne fait pas la bonne analyse. Les vraies raisons du chômage sont d’une part la politique de Maastricht, la suppression des frontières et la livraison de l’économie française à une concurrence internationale qu’elle ne peut pas subir sans ruine, d’une part. Ensuite, il y a l’immigration qui coûte 280 milliards par an et cela pèse bien évidemment.

Jean-Michel Carpentier : Chiffres que vous n’avez jamais démontrés !

Jean-Marie Le Pen : Mais bien sûr que si ! Que vous n’avez jamais contestés et que personne n’a jamais contestés. Ils figurent dans des études particulièrement appuyées du Front national. Troisièmement, un fiscalisme écrasant qui paralyse l’économie française et qui empêche toute croissance, et par conséquent tout relèvement possible. Voilà les trois axes de la politique de lutte contre le chômage, et pas seulement celui de l’immigration, bien que l’immigration soit un aspect important de ce problème.

Daniel Bilalian : Vous n’êtes pas candidat à l’élection législative. Des hommes comme Monsieur Mégret le sont. Est-ce que vous ne pensez pas que vous allez un peu décevoir vos électeurs, voire vos partisans ?

Jean-Marie Le Pen : Mes électeurs savent que le général du mouvement a toujours été à l’endroit qui convenait pour la bataille. Là, je suis à l’endroit qui convient pour remporter la victoire, les prochains 25 mai et 1er juin.


RTL : jeudi 15 mai 1977

RTL : C’est, je crois, la deuxième fois seulement en quarante ans que vous n’êtes pas candidat dans une élection législative. Que s’est-il donc passé de si grave pour que vous renonciez ?

Jean-Marie Le Pen : Rien du tout, si ce n’est qu’il y a une loi sur les cumuls des mandats, que j’ai deux mandats que je considère très importants pour l’avenir : l’un, c’est mon mandat européen – je préside le groupe des droites au Parlement européen depuis douze ans – et l’autre, c’est mon mandat régional – je préside aussi le groupe le plus important du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur – et que j’ai l’intention, l’année prochaine, de conquérir cette région. Par conséquent, si j’avais été élu député, j’aurais été obligé de démissionner immédiatement, j’ai préféré laisser la place à quelqu’un d’autre et puis je pense que les conditions de la campagne, le référendum-plébiscite fait par Jacques Chirac à la suite de sa dissolution font qu’une campagne présidentielle n’est pas du tout exclue. Je la souhaite en tout cas.

RTL : Ceux qui disent que vous avez fait procéder à des sondages dans différentes circonscriptions et qu’ils n’étaient pas favorables ont faux ?

Jean-Marie Le Pen : Non, ce n’était pas tout à fait faux. Il y a eu des sondages qui ont été faits. J’ai, en effet, hésité à un moment donné parce que je pensais que je pouvais avoir, dans la campagne, un effet d’entraînement. Mais je ne peux pas à la fois être au four et au moulin, à la fois dans une circonscription et à la fois dans toute la France pour soutenir les candidats du Front national.

RTL : Élection présidentielle, dites-vous, mais la prochaine est prévue pour dans cinq ans ?

Jean-Marie Le Pen : Oui mais cela, c’est le bon Dieu qui en décide et Jacques Chirac qui, lui-même, pourrait tirer, dans le fond, les conséquences d’un vote négatif. Puisqu’on s’est aperçu d’une chose : nous sommes passés insensiblement d’un système parlementaire à un système présidentiel. L’aveu en a été fait par le Premier ministre, l’autre jour, sur une antenne de télévision. Il a dit : Jacques Chirac conduit la politique qu’il a déterminée. Or, ce sont les propres termes qui précisent les prérogatives du Premier ministre dans la Constitution. Cela veut dire que le Président de la République est tout. C’est lui d’ailleurs qui intervient dans la campagne, c’est lui qui pose la question principale de cette dissolution : c’est l’avenir de la France dans l’Europe, c’est la dissolution de la France dans l’ensemble euro-mondialiste. C’est à cette question qu’il sera répondu. Mais on devra considérer que la réponse devra être analysée par rapport au nombre de voix obtenues par le Président et non par rapport au nombre de sièges dont on sait, évidemment, qu’il est l’objet d’un trucage extraordinaire parce que, par exemple, le PC avec 8 % des voix, a 26 députés et le Front national avec 16 % des voix, en a zéro.

RTL : Mais personne ne pourra contraindre Jacques Chirac à démissionner ?

Jean-Marie Le Pen : Sa conscience, peut-être. Après tout, cela existe.

RTL : Vous préférez une Assemblée nationale marquée par la gauche plutôt que par la droite. Mais qu’est-ce qui vous plaît donc tant dans le programme de la gauche ?

Jean-Marie Le Pen : Oh ! Rien du tout. C’est purement tactique. Si nous avons une majorité de droite, cela veut dire que nous aurons quatre ans plus cinq ans, c’est-à-dire neuf ans de chiraco-juppéisme. Si jamais nous avons une Assemblée de gauche, qui sera forcément amalgamée puisqu’elle comporte le Parti communiste et le Parti socialiste, cette majorité – qui peut être, d’ailleurs, une minorité de fait – ne pourra pas, sur l’Europe, se déterminer d’une façon aussi hystérique que le fait Jacques Chirac. Et je pense que, dans ces conditions, dans le cadre de la cohabitation, qui réduira la capacité de nuisance de la politique européenne de Jacques Chirac, nous pourrons retourner dans un an à une nouvelle dissolution et que le Front national, cette fois-ci, sera peut-être mieux placé encore qu’il ne l’est aujourd’hui.

RTL : Pour paraphraser le langage sportif, on peut dire que vous voulez pratiquer un jeu défensif ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, je fais le jeu qu’on me laisse. On ne me laisse pas un grand espace sur le terrain. On m’a invité à jouer un match à condition que je reste dans le huitième du terrain, tout à fait dans le fond. Vous savez, tout à l’heure, Madame Cotta a fait un certain nombre de réflexions intéressantes, dont la principale pourrait être résumée dans une formule : dans le fond, aujourd’hui, c’est le sport qui est l’opium du peuple. Pendant que les spectacles sportifs, cinématographiques ou judiciaires occupent la première place dans l’information, pendant ce temps-là les Français ne peuvent pas, n’ont pas à penser à leurs problèmes – au chômage, à l’insécurité, à l’immigration, au fiscalisme, à la corruption politique : sujets qui n’apparaissent pas du tout dans les campagnes actuelles. L’immigration, l’insécurité, la corruption politique : là, pas un mot.

RTL : Vous avez vivement protesté à l’automne dernier contre le qualificatif d’extrême-droite qui vous est souvent accolé et vous avez répondu, je crois : droite, cela me suffit ? Mais si vous êtes à droite, comment pouvez-vous demander à vos électeurs de voter à gauche ?

Jean-Marie Le Pen : Cela n’a rien à voir. Juppin et Jospé, c’est exactement la même chose. C’est bonnet rose et rose bonnet. À ceci près que, lorsque les socialistes font une politique de gauche, ils sont logiques avec eux-mêmes, alors que quand la droite fait une politique de gauche, elle trahit, en fait, ses électeurs et elle trahit ses idéaux, elle trahit ses inspirateurs.

RTL : Cela passe bien dans votre électorat, de demander à voter pour le Parti communiste ?

Jean-Marie Le Pen : Pour l’instant, je n’ai pas demandé à voter pour le Parti communiste, je n’ai pas demandé à voter pour le Parti socialiste, j’ai dit qu’il serait préférable pour la France que celle-ci ait une cohabitation avec une majorité de gauche, parce que cela stopperait la dérive mortelle du pays vers l’euro-mondialisme de Maastricht.

RTL : Pour qu’il y ait une majorité de gauche, il faut bien voter pour elle ?

Jean-Marie Le Pen : Cela, ce sont les électeurs qui le décident, ce n’est pas moi. Alors, au premier tour, ils voteront pour le Front national parce qu’ils ne peuvent pas accepter les bilans de faillite de la gauche et de la droite et puis au second tour, ils feront ce qu’ils voudront. Moi, je donnerai mon avis. Ils le suivront ou pas.

RTL : Ne croyez-vous pas, comme Alain Juppé, qu’il vaut mieux tout de même à Matignon, un sec qui connaît ses dossiers plutôt qu’un gros jovial qui ne les connaît pas ?

Jean-Marie Le Pen : Je crois qu’il faudrait surtout laisser la France travailler. Je crois que ces énarques, ces hauts fonctionnaires plein de morgue pensent que le peuple n’a aucune importance si ce n’est que de justifier tous les cinq ans qu’ils soient en place. Je crois que l’État, qui s’occupe de choses qui ne le regardent pas, en particulier en matière économique - qui fait tout, dans ce domaine, plus mal et plus cher que n’importe qui – devrait se rabattre sur les missions qui sont les siennes : la sécurité, la justice, la défense nationale – tiens, encore un sujet dont on ne dit pas un mot dans cette campagne. À ce moment-là, son budget serait forcément rétréci, les Français pourraient garder l’argent qu’ils gagnent, une grande partie – moi, je propose que l’on fixe à 33 % le maximum des prélèvements obligatoires. À ce moment-là, l’économie se redéploierait naturellement, aujourd’hui elle est écrasée, paralysée par le poids écrasant de la bureaucratie et du fiscalisme.

RTL : Voulez-vous nous dire à quoi cela sert-il de voter pour des candidats du Front national au premier tour alors que, vous-même, vous savez que le Front national aura très peu, voire pas du tout de députés ?

Jean-Marie Le Pen : Ce n’est pas cela le sujet. Le sujet, c’est une consultation du peuple français. Normalement, un système représentatif devrait représenter les électeurs français. Il se trouve qu’il ne les représente pas, en tout cas pas les millions d’électeurs du Front national. Mais au moins, ils vont pouvoir donner leur avis. S’ils votent pour Jospin ou pour Chirac au premier tour de cette élection, ils auront l’air d’approuver les politiques qui ont été menées depuis vingt ans et dont on voit et dont tout le monde connaît aujourd’hui les conséquences catastrophiques.

RTL : La victoire de Madame Mégret à la mairie de Vitrolles a donné un gros élan à votre parti et a fait beaucoup parler du Front national. Une défaite de Bruno Mégret n’aurait-elle pas les mêmes répercussions mais en sens inverse ?

Jean-Marie Le Pen : Je ne crois pas. Je crois que cela n’a aucune importance. Bruno Mégret, comme tous ses camarades, se bat pour faire le meilleur résultat possible. Qu’il soit élu ou qu’il soit battu, cela n’a aucune importance. On préfère bien sûr être élu que battu, mais nous avons toujours dit que nous préférions être battus sur nos idées qu’élus sur celles des autres.

RTL : Vous avez des candidats qui sont très engagés. À Bordeaux, avant-hier soir, la déléguée départementale du Front national a présenté le candidat du Front national en disant : « il a consacré de longues années de sa vie à l’OAS ». Est-ce que c’est un titre de gloire d’avoir appartenu à l’OAS ?

Jean-Marie Le Pen : Elle a anticipé un petit peu. Qui aurait pu penser que le Président de la République française ferait décorer de la croix du combattant français, les militants des brigades internationales communistes de la guerre d’Espagne ? Voyez-vous, dans notre camp, le fait d’avoir lutté pour essayer de sauver l’Algérie française, ce n’est pas un péché mortel. Voyez-vous, cela fait trente-cinq ans que cela s’est passé.

RTL : Votre parti préconise la renégociation des traités européens, l’abandon de la monnaie unique, le rétablissement des frontières. La France, dans sa tour d’ivoire, pourrait-elle vraiment imposer sa volonté aux autres ?

Jean-Marie Le Pen : Pas du tout. Ces dispositions sont nouvelles et surtout aléatoires. La France a existé avant 1990 et par conséquent nous avons eu des relations avec les pays étrangers, d’abord frontaliers puis avec le reste du monde et nous continuerons d’en avoir. La Suisse n’est pas dans l’Europe, la Norvège n’est pas dans l’Europe et elles existent et ont des économies florissantes. Ce que je regarde, c’est l’intérêt des Français, l’intérêt national. Je dis que si les Français abdiquent leur souveraineté nationale, si la France devient un État comme l’Alabama ou le Texas, le Président de la République, le gouverneur général, lui peut peut-être s’en accommoder, mais les Français pas du tout, car ils n’auront plus de pouvoir sur leur destin. Ils dépendront des autres et « charbonnier doit être maître chez lui ».

RTL : Rétablissement des frontières, est-ce que ce n’est pas une proposition de vivre à l’étroit ?

Jean-Marie Le Pen : Pas du tout. Les frontières sont comme des fenêtres. On les ouvre, on les entrouvre, on les ferme. Cela dépend de la situation qu’il y a à l’extérieur. Nous voulons des frontières pour qu’elles soient contrôlées, pour contrôler d’abord les flux migratoires, pour contrôler les flux économiques et percevoir à l’entrée des droits compensatoires des coûts de production moins élevés d’un certain nombre de pays qui pratiquent l’esclavage ou des taux de rémunération de deux cents francs par mois. Si on met nos économies en vases communicants, il est bien évident que cela va se traduire par un abaissement continu, je dis bien continu, des rémunérations dans notre pays.

RTL : Ne croyez-vous pas, tout de même, que si l’on pratiquait ce que vous proposez, c’est-à-dire une taxe de 10 % à l’importation, les autres pays pratiqueraient les mêmes mesures de rétorsion ?

Jean-Marie Le Pen : Ce ne sont pas forcément les mêmes. Les pays avec lesquels nous commerçons sont différents dans la formation de leurs prix, dans la compétition qu’ils exercent avec nous. C’est une modulation. Le problème est de faire survivre et de permettre de vivre au travail français, aux entreprises françaises alors que je constate, avec vous, que plus il y a d’Europe, plus il a de chômage. Par pans entiers, notre économie s’est effondrée et il ne reste pratiquement, comme grande industrie en France, que l’industrie automobile. Et si jamais cette industrie, comme cela menace, était atteinte dans les années qui viennent, le système ne survivrait pas à l’effondrement économique, social et politique que cela entraînerait.

RTL : Que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez 68 ans et que c’est votre dernière élection ?

Jean-Marie Le Pen : Je ne crois pas. J’ai dit en boutade, l’autre jour, à quelqu’un qui me disait qu’en 2002 je serais un peu vieux : en 2050, j’aurai encore trois ans de moins que Madame Calment.

RTL : Vous n’êtes donc pas pour l’abaissement de l’âge de la retraite ?

Jean-Marie Le Pen : Je crois que la valeur n’attend point le nombre des années, mais qu’elle n’est pas non plus atteinte par le nombre des années. Et puis après tout, les électeurs ont à choisir. Très souvent, dans les tribus, on dit que ce sont les vieux sages qui doivent gouverner et non pas les jeunes godelureaux.


Le Parisien : 15 mai 1997

Le Parisien : Quand vous avez décidé de ne pas être candidat à la députation, vous avez dit préférer vous « réserver » pour la présidentielle qui devait suivre. Y croyez-vous sérieusement ?

Jean-Marie Le Pen : Tout dépend de l’idée que le Président se fait de la morale démocratique. Cette dissolution a mis, en effet, en évidence qu’une dérive institutionnelle capitale était en train de se produire : il n’y a plus de contrepoids au pouvoir présidentiel. Jacques Chirac demande un chèque en blanc pour une politique, en particulier européenne, qu’il entend imposer aux députés. S’il n’a pas la majorité des suffrages exprimés, lui qui nous invite à un référendum-plébiscite, il devra donc démissionner. Jospin fait sans doute une analyse similaire puisqu’il ne débat qu’avec Chirac, et pas avec Juppé dont Charles Pasqua a dit, à juste titre, qu’il n’était que le simple directeur de cabinet du Président !

Le Parisien : Mieux vaut Jospin que Chirac, dites-vous…

Jean-Marie Le Pen : Oui. Mieux vaut une cohabitation que cinq ans de Chirac avec les pleins pouvoirs. Non seulement je trouve immoral que la droite fasse une politique de gauche, mais scandaleux que Chirac soit le parangon de l’euro et du fédéralisme européen tout en se réclamant du général de Gaulle.

Un gouvernement socialiste serait plus limité dans sa capacité de nuisance. En raison de la cohabitation elle-même, mais aussi parce que la clientèle électorale de Jospin est plus rétive aux conséquences de la politique européenne. Or l’Europe, c’est le point crucial. Messieurs Chirac et Juppé veulent déstructurer ce grand pays centralisé qu’est la France pour mieux l’adapter au moule européiste, lequel ne gêne guère l’Allemagne et l’Italie dont la structure nationale est récente. La Grande-Bretagne, elle, partira loin, à la rame, sur son petit canot… Résultat : avec cette Europe-là, dominée par l’Allemagne, organisée en Länder et faisant fi des nations, on est en train de réaliser le rêve d’Adolf Hitler !

Le Parisien : En 1997, vous diriez du FN qu’il est un parti de gouvernement ?

Jean-Marie Le Pen : Bien sûr ! Il suffirait d’événements graves démontrant la fragilité du soutien populaire des gouvernements qui se succèdent pour mettre le FN au pouvoir. S’il y a crise accrue sur le plan économique, une flambée générale dans les banlieues ou encore une victoire du FIS en Algérie (avec, à la clé, le déferlement de centaines de milliers de « boat-people » en France), vous pouvez avoir demain une majorité absolue pour le FN. Il aura alors des alliés.

Le Parisien : Lesquels ?

Jean-Marie Le Pen : On ne trouve pas d’alliés quand on est l’ennemi de tous. On en trouve quand on est en passe de conquérir le pouvoir. On peut parfaitement imaginer un parti qui, né au centre ou à droite, soit partisan d’une alliance avec nous. Les blocages et les scléroses du pouvoir actuel font de lui un dinosaure avec un énorme corps, une petite tête et une très grande fragilité physiologique.

Le Parisien : Existe-t-il, au FN, des tendances ?

Jean-Marie Le Pen : Il n’y a qu’une seule stratégie mais, sans doute, des sensibilités diverses. Cela dit, lorsque le débat est clos, il est clos. Et il n’y a pas, dans notre mouvement, de numéro deux : il n’y a qu’un numéro un. Bruno Mégret et Bruno Gollnisch, qui exercent à mes côtés des fonctions très importantes, ont des tempéraments et des formations différentes. Mais beaucoup d’autres quadragénaires ont une dimension comparable. C’est une des joies de ma vie d’avoir enraciné ainsi le mouvement national.

Le Parisien : Approuvez-vous la proposition de Robert Hue d’augmenter de 1 000 F le SMIC dès juillet ?

Jean-Marie Le Pen : Nous sommes partisans du SMIC à 7 000 F. La paupérisation de la société française est scandaleuse dans un pays qui se flatte d’être l’un des plus riches du monde !

Le Parisien : Sur l’Europe, n’êtes-vous plus proche de Robert Hue que d’Alain Juppé ou de Lionel Jospin, (...)

Jean-Marie Le Pen : Non. Mes positions politiques sont cohérentes. Celles de Hue ne le sont pas puisqu’il est, lui, internationaliste. Simplement, Robert Hue ne se rend pas compte que les conséquences de l’intégration européenne pour les milieux populaires seront tragiques. Il cherche, du coup, à récupérer un mécontentement dont il craint, à juste titre, qu’il ne profite au Front. D’ailleurs, Monsieur Hue n’est pas pour rien l’objet d’une véritable promotion médiatique : il est devenu le « chouchou » de la classe politique. Il a pris le relais de Tapie.

Le Parisien : Vous présentez à Marseille Jean-Jacques Susini, un ancien chef de l’OAS. Que diriez-vous à un jeune de vingt ans qui vous demanderait ce qu’était cette organisation ?

Jean-Marie Le Pen : Il faudrait interroger Monsieur Susini. Je n’ai jamais fait partie de l’Organisation armée secrète. Cela dit, l’OAS, cela date de trente-cinq ans. Moi, je ne vis pas dans la recuisson permanente du passé conflictuel de la France.

Le Parisien : Lorsque PS et PC annoncent leur intention de supprimer les lois Pasqua-Debré, continuez-vous à dire que gauche et droite, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ?

Jean-Marie Le Pen : Ce serait plutôt bonnet rose et rose bonnet !... Cela dit, supprime-t-on le « rien » ? Les lois Pasqua et Debré, à force d’avoir été passées au crible des reculades du pouvoir face aux artistes, puis au laminoir du Conseil constitutionnel, cela ne pèse rien !

Le Parisien : Quel est l’avenir du FN s’il ne compte qu’un, deux ou trois députés dans la prochaine Assemblée ?

Jean-Marie Le Pen : Le pouvoir ne réside pas à l’Assemblée. Il ne s’y passe rien. C’est l’exécutif qui est tout-puissant. Seul importe l’élargissement des droits du peuple, notamment par l’extension de l’usage du référendum, y compris d’initiative populaire. On est loin du compte.

Le Parisien : Comment réagissez-vous quand certains membres du Front s’interrogent sur votre âge ?

Jean-Marie Le Pen : À 68 ans, je ne suis pas un ancêtre. En 2050, j’aurai encore trois ans de moins que cette chère Jeanne Calment !