Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS et député européen, à TF1 le 4 mai 1997, sur le programme du PS en matière d'emploi, de dépenses publiques, d'indépendance de la justice et d'immigration pour les élections législatives de 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Mme Sinclair : Bonsoir à tous.

Les élections arrivent à grands pas en dépit des nombreux ponts de ce mois de mai, et c’est dans trois semaines que nous allons voter. Ces jours-ci ont été, pour la droite et pour la gauche, l’occasion de présenter leur programme et leurs engagements pour gouverner.

La semaine dernière, Alain Juppé était ici au nom de la majorité. Dans les semaines qui viennent, je recevrai les leaders des principaux partis qui se présentent aux élections. Ce soir, mon invité est un homme de gauche, membre du Parti socialiste, Jack Lang.

Il va nous dire sur quoi les socialistes vont se battre d’ici le 25 mai pour motiver les électeurs en leur faveur. Il nous dira surtout quelles solutions la gauche veut apporter aux problèmes des Français. Dans un instant, Jack Lang à « 7 sur 7 ».

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Mme Sinclair : Bonsoir, Jack Lang.

Jack Lang : Bonsoir.

Mme Sinclair : Vous êtes l’un des hommes les plus populaires à gauche et, chez les jeunes, le plus populaire, selon un sondage paru dans « La Vie », fait par l’Institut CSA, et le seul, d’ailleurs, d’avoir plus d’opinions positives que négatives de tous les hommes politiques.

Vous avez néanmoins, ce soir, fort à faire pour convaincre les indécis qui ne savent pas encore pour qui voter, même si les sondages qui sont publiés en rafale, presque tous les jours, montrent que la gauche progresse et que les intentions de vote se resserrent.

Avant de parler programme, propositions, solutions concrètes, revue de campagne par Viviane Jungfer et Alain Badia.

Campagne électorale :
« Plateforme commune, déclaration commune, premiers discours, programme, jeu des alliances à gauche, sans oublier les femmes, sourires, poignées de mains, la campagne pour les législatives a déjà imposé son rythme.

Un déséquilibré a poignardé dans le dos Philippe Douste-Blazy alors qu’il faisait campagne dans sa ville de Lourdes. Hors de danger, le ministre de la Culture devra tout de même rester hospitalisé plusieurs jours.

Mme Sinclair : Jack Lang, un mot de solidarité avec Philippe Douste-Blazy, le ministre de la Culture et le ministre de la Culture ?

Jack Lang : Je lui ai déjà écrit un petit mot dès le soir même de cette abominable agression. Je l’ai eu au téléphone cet après-midi pour lui dire mon soutien généreux, avec beaucoup d’autres, je crois. Il est très courageux. Je crois qu’il est hors de danger et je pense qu’il réussira à reprendre ses activités, mais prudence ! Que, d’abord, il prenne un peu de temps pour se reposer. Mais je l’ai trouvé, cet après-midi, plein d’optimisme et en bonne forme intellectuelle et morale.

Mme Sinclair : Il y a déjà deux semaines de campagne et les Français semblent témoigner une grande indifférence à l’égard, d’ailleurs, des deux camps, la gauche comme la droite. Qu’avez-vous envie de dire à ceux qui ne sont pas particulièrement motivés pour aller voter ?

Jack Lang : Démotivation, c’est vrai, on le constate sur le terrain. Elle a été un peu voulue cette démotivation, par une élection décidée pour que les Français se prononcent, si j’ose dire, à la sauvette ou à la va-vite, comme si l’on voulait capter, « rapter », kidnapper, comme par effraction, leur consentement à une politique qu’en vérité ils réprouvent.

J’ajoute, puisqu’on évoque le sentiment des Français, que je trouve un peu anormal que, dans cette élection imprévue, plus de 800 000 jeunes ne soient pas en mesure de participer à ce scrutin. Des jeunes qui, l’année dernière, ne se sont pas inscrits pas sur les listes électorales parce que la tradition est que, généralement, on ne s’inscrit qu’à la veille d’une année électorale. Or, beaucoup de jeunes pensaient que l’élection aurait lieu dans un an.

Mme Sinclair : Vous auriez aimé qu’on rouvre les listes ? Cela ne se fait pas. Cela ne se fait jamais.

Jack Lang : Qu’est-ce que cela veut dire : « cela ne se fait jamais » ? Dans la vie, on fait des choses qu’on ne fait jamais avant, et c’est cela le changement et c’est cela le progrès.

Donc, personnellement, je m’adresse au Président de la République, aux autorités de l’État pour que, à titre exceptionnel, ils réouvrent les listes électorales pour que ces jeunes puissent s’inscrire. Cette élection, c’est notamment pour leur avenir, il serait anormal que ces jeunes ne puissent pas se prononcer.

Mme Sinclair : Justement, vous parlez des jeunes, et quand on regarde les indécis, les jeunes sont les plus nombreux parmi les indécis. Ne craignez-vous pas, pour reprendre un mot célèbre, que cette fracture, cette fois, se fasse entre la classe politique et la jeunesse ?

Jack Lang : Oui, la fracture existe déjà, pour reprendre cette expression, entre les jeunes et une partie des hommes politiques. Et cela s’explique pour beaucoup de raisons. Peu de choses sont faites dans la société pour que des dialogues, des occasions de forums, de rencontres, permettent d’entendre et d’écouter les jeunes.

Comme vous le savez, j’ai été moi-même élevé, si j’ose dire, à l’école de Pierre Mendès-France. Lorsqu’il a été président du Conseil, en 1954, il avait imaginé une formule qui était vraiment très intéressante : placer auprès de chaque ministre un comité représentant les mouvements de jeunesse, puis des fonctionnaires jeunes, qui puisse, sur chaque décision, éclairer les ministres sur la portée de celle-ci pour les jeunes qui avaient, à ce moment-là, 15 ou 16 ans.

Je pense que Lionel Jospin, lorsqu’il sera à Matignon, pourrait, heureusement, reprendre cette bonne initiative qui permet en permanence, comme le souhaitait Mendès-France, de se demander quelles seront les répercussions pour le futur des jeunes qui, aujourd’hui, ont 15 ou 16 ans ?

Mme Sinclair : « Quand Lionel Jospin sera à Matignon », vous avez un moral d’acier ?

Jack Lang : Disons que la victoire est à portée de la main.

Mme Sinclair : Le Président de la République, dit-on, pourrait intervenir cette semaine dans la campagne. Vous avez quelque chose à en dire ? Vous entendez quelque chose ?

Jack Lang : C’est la pratique qui a été inaugurée par François Mitterrand. On ne peut pas contester à Jacques Chirac ce qui a été réalisé par François Mitterrand. Ce sont les Institutions qui, elles-mêmes, un jour mériteraient d’être réformées, mais pour l’heure il n’y a rien observé de négatif sur ce plan.

Mme Sinclair : On va parler tout à l’heure de la partie économique du programme socialiste. Mais il a été présenté cette semaine, Lionel Jospin l’a présenté. Et Alain Juppé et la majorité ont tout de suite dit : « c’est un programme passéiste et un programme dirigiste ». Est-ce que cela vous fait mal ce genre de critique ?

Jack Lang : Non, cela m’amuse un peu presque, c’est comme une sorte d’autoportrait. C’est comme si Alain Juppé, avec tout le respect que je lui porte en tant que Premier ministre, se décrivait lui-même. Passéiste, son gouvernement l’a été depuis deux ans, puisqu’il a sacrifié tout ce qui, dans la vie d’un pays, prépare l’avenir. Il a sacrifié la politique de la recherche. Les Français sont bien incapables de dire qui est ministre de la Recherche aujourd’hui ?...

Mme Sinclair : … Je peux vous le dire, c’est François d’Aubert.

Jack Lang : Bien sûr ! Mais je veux dire par là qu’il n’y a jamais eu de plan d’envergure pour la recherche scientifique, alors que c’est l’avenir, le futur qui se prépare. De même, l’éducation nationale a connu des coupes sombres, des postes ont été supprimés, et tout ce qui prépare les jeunes aux métiers de l’avenir n’a pas été favorisé comme cela aurait dû l’être.

Alors, le passéisme est au pouvoir aujourd’hui. Et quant au dirigisme, vraiment, on croit rêver ! Je crois qu’Alain Juppé aura battu un record. Il est, je crois, le champion de toute catégories des prélèvements obligatoires les plus élevés dans notre pays, jamais atteints : 45,7 %. Il est, si j’ose dire, au top du top du dirigisme.

Mme Sinclair : On reviendra sur les impôts, tout à l’heure, puisque Alain Juppé répète qu’il souhaite continuer la baisse.

Ce programme de Lionel Jospin, j’y reviens, est-ce un programme pour une législature ? Ou est-ce que vous dites, comme Alain Juppé : « voilà ce que nous ferons les quarante premiers jours » ? Cela a une vertu aussi le calendrier.

Lionel Jospin : Bien sûr qu’il y aura, le jour venu, des actes forts dès les premières semaines, pour marquer un changement véritable. Et, en même temps, notre programme est un programme échelonné dans le temps, c’est un programme pour cinq ans.

Mme Sinclair : On reviendra, je le disais tout à l’heure, au fond de ce programme socialiste, mais cette semaine a vu aussi la signature d’un accord électoral avec le Parti communiste. « Et voilà bien la gauche revenue à ses vieilles lunes », dit la droite aujourd’hui.

Jack Lang : J’ai l’impression qu’ils ont repris leur fiche de campagne d’il y a vingt ans ou vingt-cinq ans. Il me semble que Staline est mort, il me semble que le mur de Berlin s’est écroulé, et tout cela, naturellement, est en effet passéiste, au fond. Soulever un tel argument est un argument du passé qui n’impressionne plus personne.

Disons, pour parler sérieusement, dans ce pays, aujourd’hui, il y a deux grands pôles, comme cela existe d’ailleurs dans d’autres démocraties, et c’est normal ! Il y a, d’un côté, le pôle conservateur et, de l’autre, le pôle du progrès. Et ce pôle du progrès comporte plusieurs composantes, je dirais, plusieurs affluents qui convergent vers le même fleuve, le fleuve du changement et du progrès social : les Radicaux, les Verts, les communistes, les socialistes. Et le Parti socialiste – le présent est ainsi – est largement majoritaire dans ce pôle. Il est l’axe, il est le pivot, il est le môle autour duquel s’ordonne le combat pour le changement.

Mme Sinclair : Donc, ceux qui viendront avec le môle, c’est qu’ils auront adopté les propositions du môle.

Jack Lang : Oui. Il y a des discussions, des échanges d’idées. Nous sommes des personnes qui aimons le dialogue, la confrontation d’idées. Nous n’avons pas la vérité révélée. Mais, en même temps, il est normal que le mouvement qui est largement majoritaire puisse indiquer aux Français le cap. Et, à partir de là, selon des processus à compléter, tel ou tel apporte son soutien.

Mme Sinclair : Vous savez ce qu’on dit, on dit : « Le Parti socialiste a modifié sa position sur l’euro pour faire plaisir au Parti communiste » ?

Jack Lang : C’est tout à fait scandaleux de dire cela, c’est inacceptable, c’est même injurieux. Lionel Jospin est un homme d’État. Il n’est pas homme, en particulier, à sacrifier, à je ne sais quel intérêt électoral, l’intérêt supérieur du pays et l’intérêt supérieur de l’Europe.

Deux mots sur ce sujet…

Mme Sinclair : … C’est vrai, quand même, que vous avez bougé sur le sujet.

Jack Lang : On a bougé non pas il y a quinze jours, on a bougé… enfin, plutôt, on a enrichi notre position sur l’Europe, voici plus d’un an, en indiquant que nous souhaitions naturellement l’entrée dans l’euro, mais à certaines conditions.

Je dirais que ce que nous souhaitons, ce n’est pas moins d’Europe, mais plus d’Europe, plus d’Europe économique à travers un gouvernement économique qui contrôlerait ou qui impulserait la Banque centrale. Plus d’Europe sociale, plus d’Europe technologique, plus d’Europe pour les jeunes. Et donc, par conséquent, nous restons fidèles à l’Europe de Jacques Delors, qui nous apporte d’ailleurs son soutien actif au cours de cette campagne, et de François Mitterrand.

Mme Sinclair : Parlons un peu de la majorité. On voit côte-à-côte, dans cette campagne, une majorité ressoudée, qui a pansé ses plaies, avec Alain Juppé et François Léotard, côte-à-côte, qui symbolisent cette union. Est-ce un atout apparent, quand même pour eux, parce que cela a l’air de leur profiter dans les sondages et un handicap pour vous d’avoir une majorité qui, de nouveau, marche d’un même pas ?

Jack Lang : C’est un rassemblement assez récent, j’ai l’impression. On a mis provisoirement les couteaux au vestiaire. C’est plutôt une union « château de cartes » ou une union « château de sable » puisque, bientôt, le temps des vacances et qui, je pense, s’effilochera dès que les élections seront passées.

Le seul ciment qui unit ces différentes personnes, dont la qualité intellectuelle et humaine n’a pas à être contestée, c’est leur engagement politique respectif, c’est de garder le pouvoir. Notre ambition, c’est de rendre le pouvoir aux Français. Et peut-être, tout à l’heure, nous en parlerons à travers nos propositions sur la démocratie.

Mme Sinclair : Garder le pouvoir, en tout cas Alain Juppé dit qu’il n’est pas candidat, lui-même, à sa propre succession.

Jack Lang : Qui le croit ? Personne ne le croit. Chacun sait très bien que cette élection, si elle était gagnée par l’actuelle majorité, reconduirait Alain Juppé à la tête de Matignon.

Alain Juppé est un homme de caractère, un homme intelligent, dont nous sommes en désaccord fondamental avec sa politique. Nous espérons que cette politique, que le pays refuse, sera sanctionnée dans les urnes. Mais la question qui est posée est la suivante : voulez-vous qu’Alain Juppé soit remplacé par Alain Juppé ? … C’est un drôle d’élan national, si vous voulez !

Depuis quelques mois, depuis deux ans, ce nouvel élan n’a pas apporté au pays tellement de contentement. Si on passe à la vitesse supérieure ou en surmultiplié, alors, on va droit dans le mur.

La vérité est que ce nouvel élan, dont parle le Premier ministre, ne se traduit par aucun décollage, tant la majorité actuelle est plombée, en quelque sorte, par le boulet du bilan qu’elle traîne.

Mme Sinclair : On a vu des images de Jean-Marie Le Pen et du Front national à l’occasion du 1er mai. C’est un point que vous partagez avec la majorité, vous avez le même ennemi politique, le même adversaire, le Front national ?
 
Jack Lang : Oui, avec une seule différence parfois – il y a plusieurs différences évidemment – est qu’aucun d’entre nous ne céderait jamais d’un pouce à l’égard de certaines valeurs du Front national. Et j’ai déploré, personnellement, les propos tenus récemment par le ministre de l’Intérieur à propos de l’accueil de l’étranger de passage, qui ne sont pas en conformité d’ailleurs avec tous les messages de l’Évangile, de la Bible et des textes religieux.

Mais je crois, pour parler de l’essentiel, que le vrai remède contre le Front national, c’est de pouvoir redonner espoir aux Français dans une seule solution qui apportera réellement des changements à la société.

Mme Sinclair : On vient très bientôt aux solutions que vous proposez. Juste un mot peut-être plus global : vous avez été pris de court par cette dissolution, vous l’avez dit tout à l’heure, tout le monde a été pris un peu par surprise, et les Français doutent – cela aussi est dans les sondages –, que vous soyez prêts à gouverner ?

Jack Lang : Nous sommes, si j’ose dire – c’est peut-être un peu prétentieux – comme une équipe de sportifs. Nous avons quitté les responsabilités gouvernementales depuis quatre ans, ces quatre années ont été utilisées à nous préparer, à réfléchir, à tirer les leçons des expériences antérieures, aussi bien les réussites que les échecs. Je crois que c’est très important de tirer les leçons des expériences antérieures. Nous avons aussi réfléchi à des solutions nouvelles. Nous avons mis au point, sur toute une série de sujets, nos propositions qui s’incarnent – tout à l’heure, nous en parlerons – à travers ce livre vert, comme cela a été dit, qui propose aux Français de changer d’avenir, de changer d’avenir dans une série de domaines.

Nos candidats sont désignés depuis trois mois. Ce sont des candidats qui apporteront du sang neuf à la vie publique, 30 % de femmes, c’est une première ! Et 50 % de nouveaux parmi les candidats.

Quant à notre programme, peut-être nous en parlerons, c’est un programme, je crois, reconnu comme sérieux.

Mme Sinclair : On va y venir dans un instant.

Peut-être pour sourire, dans cette période, sur la politique, je vous propose – il vient de sortir – un livre du dessinateur, WIAZ. On peut voir les dessins, notamment chaque semaine, dans « Le Nouvel Observateur ». C’est un livre publié chez Stock et qui s’appelle « Juppé fait-il vendre ? ». Et, à l’intérieur, il y a un certain nombre de dessins, c’est corrosif. Il y en a un qui est plutôt ironique sur une ancienne rencontre entre Chirac et Balladur où ils se disent : « On s’est même fait des petits signes d’amitié ».

Comme nous sommes en campagne électorale et que je veux respecter l’équilibre, voici un dessin paru dans « L’Express » la semaine dernière de Plantu, ironique, cette fois, sur la gauche, puisqu’on voit Lionel Jospin prendre Jacques Chirac par le cou et dire : « Comment te remercier ? Je ne savais pas quoi dire pendant un an », et Chirac lui répond : « C’est, cela, la cohésion sociale ».

Vous voyez, il y en a pour tous les goûts, c’est l’humour et c’est la vie politique.

Dans un instant, on va suivre l’actualité. Et, justement, l’actualité économique et sociale, ce sont les chiffres du chômage, les défilés du 1er mai et les avions qui ne décollent toujours pas.

- Grèves sur grèves : c’est la pagaille dans le ciel français.
- Polémique : le chômage recule pour le deuxième mois consécutif. Campagne oblige, la publication des chiffres de mars est l’occasion d’une violente passe-d’armes Juppé-Jospin.
- Manifestations : ébauche de 1er mai unitaire sur fond électoral.

Mme Sinclair : On va commencer par les problèmes économiques et sociaux. Cette semaine, les chiffres du chômage sont plutôt bons pour le Gouvernement. Pourquoi, même en campagne électorale, est-ce qu’on ne peut pas le reconnaître quand on est dans l’opposition ?

Jack Lang : Je crois que nous serions tous heureux si ces chiffres marquaient un vrai infléchissement…

Mme Sinclair : … moins 0,2.

Jack Lang : Malheureusement, je ne veux pas entrer dans ces polémiques, cela a été parfaitement dit cette semaine, il est consécutif à une modification dans l’élaboration des statistiques. Mais ne chipotons pas ! Au-delà de ce mois, sur quatre années, ce sont 450 000 chômeurs de plus. Et pour tout gouvernement, c’est une angoisse, et pour tout le pays, c’est une angoisse. Ce sont 5 millions de sans-emploi aujourd’hui, en France, le reste, ce sont des balivernes.

Mme Sinclair : Le problème, Jack Lang, est que les Français, c’est vrai, ne croient plus aux promesses, d’une manière générale, mais ils ne croient pas non plus aux vôtres quand vous dites que vous allez réduire ce chômage ?

Jack Lang : Je vais essayer d’être convaincant si vous m’interrogez. Je crois que, de manière générale, on peut comprendre que les Français, vis-à-vis des promesses politiques, aient un sentiment de scepticisme. Ils ont été si souvent roulés dans la farine ! Et, personnellement, au-delà des programmes, ce à quoi je crois, c’est à la preuve par les actes. Et, dans ce domaine, il y a quelques actes que nous avons accomplis, dans le domaine économique, je veux dire. Par exemple, je crois que figure, au rang des mesures positives de la gauche, le fait que l’inflation qui était un mal français a été terrassé. Et j’espère que, demain, nous réussirons, mieux que dans le passé, à terrasser le chômage.

Mme Sinclair : Justement, comment, avec les propositions qui sont les vôtres, vous pensez faire diminuer le chômage ? Rapidement ? Pas rapidement ? Est-ce que cela mettre un long moment à se redresser ? Pierre Méhaignerie disait aujourd’hui sur France 2, à « Polémiques », que « l’économie française, avec les mesures que propose la majorité, mettrait cinq ans à s’en sortir ». Dites-vous la même chose ?

Jack Lang : Déjà, ces chiffres étaient annoncés il y a quatre ans. C’est donc de cinq ans en cinq que les choses sont reportées. Je crois qu’il faut, d’abord, se placer dans une autre perspective, et ce que nous proposons, pas seulement pour le chômage, pour l’ensemble du développement de notre pays, c’est une stratégie nouvelle.

Ce que nous souhaitons, c’est remettre notre pays en marche et en mouvement. Il y a à cela un préalable qui n’est pas seulement technique, mais qui est, d’abord, psychologique. C’est, comme disent les sportifs, le mental qu’il faut changer. Il faut redonner le moral, redonner la pêche à notre pays parce que rien ne changera, ni le chômage, ni l’insécurité, ni la violence urbaine, ni tous les problèmes qui se posent à notre pays si les Français ne retrouvent pas confiance dans leur Gouvernement, ce qui veut dire, si leur Gouvernement ne les respecte pas assez par la qualité de leurs promesses, par la qualité de leur travail, pour que les Français le respectent.

Mais tout à l’heure, peut-être, nous en parlons si vous le souhaitez.

Mme Sinclair : Parlons-en tout de suite.

Jack Lang : Je crois que le préalable ou le premier des changements à opérer en France, c’est le changement de la politique. Il faut changer la politique, elle-même.

Tout à l’heure, je le rappelais, j’ai travaillé beaucoup avec Pierre Mendès-France, et ceux qui l’ont suivi savent qu’il mettait en avant l’exigence de vérité, l’exigence de transparence. Beaucoup de choses changeraient en France si le maître-mot d’un gouvernement était le mot « respect », et tourner le dos au cynisme et au mépris qui, trop souvent, ici ou là, ont cours en matière de méthode gouvernementale, en France ou dans d’autres pays.

Le respect, cela veut dire trois règles d’or :

- premièrement, le respect de la parole donnée, qui est une parole sacrée ;
- deuxièmement, c’est le respect de l’argent public et l’argent des Français ;
- troisièmement, c’est le respect du dialogue avec les Français, parce que rien ne se fera autrement que par la négociation et le dialogue.

Mme Sinclair : Cela veut dire aussi « respect des promesses ». Et donc vous disiez « la parole donnée », mais aussi « les promesses ». Et quand vous dites : « 700 000 emplois pour les jeunes, 35 heures sans diminution de salaire », vous dites aux Français : « Croyez-nous sur parole » ?

Jack Lang : Non, nous nous engageons. Nous prenons la décision de respecter ce programme qui, encore une fois, n’est pas un programme de quarante jours, mais un programme de cinq ans. Mais, en tout cas, nous voulons tourner le dos à ce que nous avons vécu depuis quelques temps, quand, voici deux ans, les candidats, qui sont aujourd’hui à la tête de l’État, avaient promis une baisse d’impôt. On disait, à ce moment-là, déjà : « l’impôt tue l’impôt », et paf ! À peine le nouveau Gouvernement en place, les impôts se mettent à grimper. C’est une manière insolente de se conduire à l’égard des citoyens et c’est déchirer l’engagement comme on déchire un chiffon de papier.

Mme Sinclair : Cette année, le Gouvernement a baissé les impôts de 25 milliards et va continuer pendant cinq ans, jusqu’à 75 milliards de baisse.

Jack Lang : On doit se réjouir d’une légère baisse portant sur un impôt, mais il y a eu 140 milliards de prélèvements nouveaux, et la baisse dont vous parlez est de 20 milliards. 20 milliards-140 milliards. Et, par ailleurs, comme vous le constatez, l’État se désengage progressivement sur le dos des collectivités locales. Le programme RPR-UDF indique d’autres désengagements, par exemple, pour la formation professionnelle ou pour le patrimoine. Ce qui veut dire, par conséquent, que l’impôt, on va le faire payer par qui ? Par les contribuables locaux. On va demander aux régions, aux départements et aux maires de surtaxer. Ce n’est pas une manière de faire que de transférer la responsabilité fiscale ou financière sur le dos des collectivités locales.

Mme Sinclair : Quand la droite dit : « Les socialistes, avec leur programme, c’est plus de dépenses publiques, et donc plus d’impôts, et donc plus de chômage », puisque l’impôt est au cœur de tout, est-ce que vous ne proposez pas d’augmenter les dépenses publiques de manière considérable ?

Jack Lang : Je le répète : « pas un centime de dépenses publiques supplémentaires, pas un centime d’impôts supplémentaires » …

Mme Sinclair : … Où trouvez-vous l’argent ?

Jack Lang : Par redéploiement.  Je prends un exemple concret, si vous voulez.

Parmi les mesures proprement économiques que nous proposons, il en est certaines qui ont des mesures-choc destinées à avoir des effets rapides, précisément pour redonner confiance au pays dans l’efficacité de son Gouvernement, et parmi ces mesures choc, il y a les fameuses mesures sur l’emploi des jeunes qui ont été très discutées. Je m’étonne qu’on s’étonne ! Il est irresponsable de la part de ceux qui tirent à boulets rouges contre cette mesure de laisser à l’abandon des centaines de milliers de jeunes sans espoir, sans perspective et qu’on calcule ce qu’est le coût social, le coût humain, le coût financier, même, de ces jeunes qui sont abandonnés à eux-mêmes.

D’ailleurs, je remarque que les récents admirateurs, à droite, de Tony Blair ont oublié de lire son programme, car Tony Blair envisage, a promis de financer 350 000 emplois pour les jeunes, en faisant quoi ? En prélevant une taxe sur les entreprises déjà privatisées. Imaginez que nous proposions cela en France, de quoi serions-nous traités ?

Bref, nous proposons, par exemple, la création de 350 000 emplois de qualité de vie, de proximité, qui sont des emplois associatifs ou parapublics, qui sont financés comment ? Par une fraction des 75 milliards d’exonérations fiscales, aujourd’hui, en partie gaspillées au bénéfice d’entreprises, soi-disant pour créer des emplois qu’elles ne créent pas. C’est du bois jeté au feu en vain ! Et nous préférons, nous, qu’une fraction, environ 18 milliards de ces 75 milliards, soit affectée à la création d’emplois pour les jeunes dans les communes, dans les départements, pour répondre à des besoins de la population : besoins en santé, besoins en sécurité, besoins en protection, besoins en environnement.

Mme Sinclair : Il y a une mesure, Jack Lang, qui fait peur aux retraités, c’est le projet que vous avez de remplacer la cotisation-maladie des salariés par la CSG. « Et c’est un hold-up sur les retraites », dit la majorité.

Jack Lang : Je sais bien qu’on dit qu’en campagne on peut tout dire. Personnellement, je n’admets pas cette conception des choses. On n’a pas le droit de tout dire, surtout en campagne, au moment où les Français sont appelés à choisir leur avenir.

Mme Sinclair : Non, mais c’est vrai ou pas vrai ?

Jack Lang : C’est faux ! Ce qui a été proposé, c’est même le contraire, d’une certaine manière, c’est que, pour les retraités qui reçoivent 16 000 francs ou moins par mois, c’est-à-dire 85 % des retraités, les charges, au contraire, vont baisser. C’est pour la fraction, 15 % des retraités qui gagnent un peu plus, qu’une modeste contribution de solidarité est proposée.

D’ailleurs, j’ai lu dans ce même ordre d’idée, dans une interview donnée par Alain Juppé, ce matin, dans « Le Journal du Dimanche », que nous voulions aussi taxer les gens qui reçoivent le RMI ou le minimum vieillesse. C’est faux ! Faux ! Faux ! Alors, de grâce, que la campagne permette d’échanger des idées, des propositions, mais respectons-nous les uns les autres, et ne racontons pas des histoires sur le programme de celui-ci ou de celui-là.

Mme Sinclair : On va se retrouver dans deux minutes pour poursuivre la discussion et regarder la suite des images de la semaine, notamment, Tony Blair dont vous parliez tout à l’heure.

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Mme Sinclair : Vous êtes à « 7 sur 7 » en compagnie de Jack Lang, suite de la semaine avec Viviane Junkfer et Alain Badia.

Affaire d’État : ELF-Gabon : le mystère continue. Deuxième perquisition en moins d’une semaine dans les locaux de la brigade financière à Paris. La police des polices a eu beau fouillé tous les étages du bâtiment pendant près de dix heures, elle n’a toujours pas trouvé les documents sous scellé concernant le PDG d’ELF-Gabon.

Victoire travailliste : une nouvelle ère s’annonce en Grande-Bretagne : Tony Blair met fin à dix-huit ans de pouvoir conservateur.
Le New Labour, le Parti travailliste de gauche, remporte une victoire éclatante aux législatives en obtenant une majorité plus qu’absolue au Parlement.

Mme Sinclair : Alors, Jack Lang, Tony Blair, récupéré par tout le monde, droite et gauche. Quand vous entendez la droite dire : « Tony Blair est plus libéral que socialiste », quand vous lisez Alain Madelin, hier, dans « Libération », dire : « Importer en France le quart du projet de Tony Blair pour l’Angleterre suffirait à vous classer parmi les plus ultras des libéraux », cela vous énerve ?

Jack Lang : Non, pas du tout, cela prête à rire. C’est assez comique, parfois un peu puéril, parce que, en l’occurrence, ce sont les amis de Monsieur Madelin, des différents responsables de la droite française qui sont battus, mais battus comme on l’est rarement en Angleterre, en Grande-Bretagne, par Tony Blair.

J’ajouterai qu’il n’est pas très gentil de la part des dirigeants français de la droite de laisser tomber comme cela John Major au moment où il coule dans la Manche ou dans la Tamise. Dans l’adversité, il faut soutenir ses amis. Il ne faut pas les abandonner.

Surtout, c’est un petit peu idiot et ridicule parce que nous avons une situation dans laquelle la gauche britannique, qui, naturellement, n’est pas la gauche française, nous sommes deux nations différentes, mais amies, la gauche britannique triomphe du thatchérisme que certains voudraient infliger comme remède de cheval à la France.

Mme Sinclair : Vous caricaturez un peu, parce que tout le monde, ici, en France, a dit : « 0n ne veut pas de l’ultra-libéralisme » et, à l’inverse, Tony Blair n’a pas exactement, en effet, le même programme que le Parti socialiste. On ne peut pas dire cela ?

Jack Lang : Longtemps Madame Thatcher a été présentée ici par les conservateurs comme le modèle du modèle.

Mais disons que ce débat, qui parfois tourne un petit peu au ridicule, a au moins un mérite, c’est qu’il permet, je pense, aux Français de regarder ce qu’est la Grande-Bretagne d’aujourd’hui et ce qui les attend dans le cas où l’on voudrait appliquer en France des solutions ultralibérales.

On nous dit, dans le programme conservateur français, « moins d’État », alors transportons-nous en Grande-Bretagne : moins d’État, ce sont des services publics massacrés en Grande-Bretagne, des transports publics à l’abandon, un système de santé qui était l’un des meilleurs d’Europe, qui, aujourd’hui, est en loque - il faut dix-huit mois avant de pouvoir se faire opérer –. Et les écoles, les écoles pour les enfants, aujourd’hui l’école publique est délabrée et si l’on veut un enseignement correct – Monsieur Tony Blair l’a rappelé – il faut avoir de l’argent et pouvoir mettre son enfant dans une école privée.

Ne parlons pas des salaires de misère que les Français ne supporteraient pas. Et, en Grande-Bretagne, aujourd’hui, c’est le système de la loi du plus fort et du plus riche. Veut-on cela en France ? Si l’on veut le « moins d’État à la Thatcher » en France, cela veut dire quoi, concrètement ? Mais parlons concret : moins de policiers, plus d’insécurité ; moins de professeurs, moins de progrès pour nos enfants à l’école ; moins d’infirmières, une santé médiocre ; moins de magistrats, une justice qui pourra se rendre moins rapidement et moins efficacement…

Mme Sinclair : Mais plus de liberté d’entreprendre, vous dirait-on, et plus de dynamisme pour les entreprises, et plus de création d’entreprises, plus de services, puisque, aujourd’hui, la création d’entreprises en Grande-Bretagne ne se porte pas mal ?

Jack Lang : Nous sommes, nous, pour la libération des initiatives. Nous sommes, au contraire, pour la mise en mouvement des énergies et des talents, et c’est pourquoi – je reviens un instant, on fait une parenthèse sur notre programme économique – nous souhaitons donner à notre pays une ambition à longue portée, faire que la France redevienne pleinement un pays créateur de richesses, créateur de produits nouveaux, créateur d’idées, inventeur. Et, comme vous le savez, chaque fois que l’on demande à la France et aux Français de se mobiliser pour se dépasser, ils accomplissent des prouesses. Et c’est pourquoi nous proposons à la fois une relance de la consommation pour tonifier l’économie et une relance des investissements en particulier dans la matière grise, comme cela se produit aux États-Unis. Puisque l’on évoque d’autres pays, l’effort accompli pour la recherche aux États-Unis a été considérable, ce pays accomplit de grands bonds en avant : 60 % des emplois nouveaux sont dans des domaines de haute technologie. Et, nous, nous proposons qu’à nouveau on reprenne la marche en avant pour l’Education nationale qui a été légèrement abandonnée, pour la recherche scientifique, car c’est le seul moyen de préparer l’économie du futur.

Mais je reviens au « moins d’État », il peut y avoir un État ferme, volontaire, enthousiaste, qui mobilise, je répète, un pays et, en même temps, une économie libre, vivante, active, créative d’emplois et créative de marchés et conquérant des marchés à l’extérieur.

Mais dans certains quartiers, je pense aux quartiers populaires de nos villes, de nos communes, le « moins d’État » est ressenti comme une démission de l’État. Il suffit d’aller dans ces quartiers – et j’en connais certains – pour entendre cette plainte permanente : pourquoi y a-t-il moins de policiers ? Pourquoi y a-t-il moins de professeurs ? Pourquoi y a-t-il moins d’éducateurs ? Pourquoi y a-t-il de services de santé ? Et ces Français-là ont le sentiment que l’État les abandonne, d’où la désespérance, d’où, éventuellement, les extrémistes qui profitent de cette démission de l’État.

Mme Sinclair : Pour clore le débat sur la Grande-Bretagne, quand Lionel Jospin insiste, dans sa conférence de presse, sur ce qu’est la modernité, est-ce une réponse à ceux qui, justement, comparent les « modernes » britanniques, de la gauche britannique, aux archaïques de la gauche française ?

Jack Lang : Disons qu’en tout cas Lionel Jospin siège à l’International socialiste en même temps que Tony Blair. Même si, encore une fois, nos pays ont des expériences différentes, nos valeurs sont les mêmes. Nous respectons la dignité, l’égalité. Nous voulons les droits des personnes. Tony Blair est favorable à redonner un coup de pouce à l’Education nationale, nous aussi. Il est favorable à la signature de la charte sociale européenne, et nous nous en réjouissons.

En tout cas, ce que vous pouvez constater en Grande-Bretagne, aujourd’hui, c’est ce bonheur et cette liesse, cette atmosphère de fête comme un parfum de mai 1981. Et ce que j’espère, c’est que, dans un mois, en France, ces mêmes sourires se liront sur les visages des Français lorsqu’ils auront décidé, comme je le souhaite, un changement de cap.

Mme Sinclair : De ceux qui auront gagné…

Jack Lang : … de ceux qui auront gagné et qui souhaiteront un vrai changement de politique.

Mme Sinclair : Quand le programme du Parti socialiste, dans le programme que vous montriez tout à l’heure, dit : « changer notre démocratie », qu’est-ce que cela veut dire ? Parce que les Français ont surtout envie d’une rénovation de la vie politique.

Alors, « changer la démocratie », cela veut dire quoi ? C’est un mot vague ?

Jack Lang : Oui, tout à l’heure je vous l’ai dit, indépendamment des mesures pratiques dont je vais vous dire deux mots, je crois qu’il faut d’abord changer la méthode de gouvernement, le type de relation entre la puissance publique et les citoyens. Je répète : tenir ses engagements, c’est sacré.

Deuxièmement, respecter l’argent public et ne pas le jeter par les fenêtres. On ne peut pas ne pas être choqué, par exemple, par ce qui s’est produit depuis quatre ans en France : une dette publique nationale qui a augmenté de près de 60 % et dont le coût annuel pour le remboursement représente l’équivalent du budget de l’éducation nationale. Ça fait mal au cœur de voir cela et de voir ce gâchis !

Et puis, troisièmement, le respect du dialogue, cela, c’est fondamental. Les gens en ont assez d’un système dans lequel on leur impose, du haut de sa montagne, telle ou telle décision.

Prenez l’exemple de la démocratie sociale, elle est en panne en France. Quand les gens ne sont pas contents, ils n’ont d’autres moyens, le plus souvent, que de faire appel à des actions spectaculaires : les camionneurs qui bloquent les routes, les cheminots qui bloquent la SNCF ou le chemin de fer, ou les employés du Crédit foncier qui occupent les locaux…

Mme Sinclair : Vous avez gouverné longtemps, vous avez été en butte à des grèves, vous savez ce que ce sont les mouvements sociaux. Il y a eu aussi des grèves de transport sous les gouvernements socialistes ?

Jack Lang : Certes, mais en même temps, il faut vouloir améliorer considérablement le dialogue social et, dans notre programme, figure toute une série de propositions, en particulier cette conférence nationale sur les revenus, les salaires et l’emploi.

Mme Sinclair : Prenons un domaine très précis la justice. Vous dites : il faut couper le lien avec le pouvoir public.

J’ai entendu la même chose dans la bouche du chef de l’État au mois de septembre et c’est, en effet, aussi, dans le programme RPR-UDF, qu’y a-t-il de différent ? Tout le monde s’aperçoit que la justice et le pouvoir politique, c’est explosif ensemble ?

Jack Lang : Je me suis réjouis personnellement d’entendre le président de la République annoncer sa volonté de couper le lien entre la justice et le pouvoir exécutif, c’est une nécessité. J’observe malheureusement que, dans le programme RPR-UDF, cette proposition a disparu.

Par ailleurs, là encore je crois qu’il y a la preuve par les actes, comme disait le poète : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », les promesses d’amour, c’est joli, mais ce qui compte, c’est, dans le concret, dans la vie de tous les jours, de témoigner son amour pour l’autre.

Mme Sinclair : Vous ne pouvez à l’heure actuelle faire que des promesses et pas de preuves ?

Jack Lang : Bien sûr, nous ne sommes pas au Gouvernement. Mais dans le cas du Gouvernement sortant, par exemple le fait que le Conseil supérieur de la magistrature n’ait pas été suivi dans ses avis lorsqu’il a fallu nommer des magistrats du parquet est en infraction avec le principe proclamé d’indépendance !

L’affaire Foll, le directeur de la police judiciaire qui a été pourtant sanctionné et qui est maintenu à la tête de son poste.

Non, je crois que si, dans quelques semaines, nous accédons aux responsabilités, nous prendrons les décisions qui permettront d’abord d’obtenir que les magistrats du parquet relèvent, comme leurs collègues, du siège du Conseil de la magistrature et, en second lieu, pour toutes les affaires individuelles, la Chancellerie n’aura plus à se mêler des choses. Et puis surtout nous allons améliorer la justice quotidienne…

Mme Sinclair : Je vais vous dire, la vraie question qui préoccupe les Français, c’est la proximité de la justice, la rapidité de la justice. Mais cela veut dire quoi ? Cela veut dire des moyens accrus pour la justice, et ce sont des dépenses publiques ?

Jack Lang : Ce sont des choix à faire. On ne peut pas à la fois dire, comme c’est évoqué dans le programme de nos concurrents, que l’on veut améliorer la justice de tous les jours et en même temps, comme cela a été décidé, baisser les moyens mis à la disposition de la magistrature. On ne peut pas faire, par exemple, une bonne réforme, celle que Monsieur Toubon a faite pour réformer les cours d’assises – il faut lui rendre cet hommage, il a accompli une bonne réforme pour les cours d’assises – et en même temps je crois qu’il n’a pas aujourd’hui l’argent, d’après ce que je sais, pour la mettre en application.

Mme Sinclair : Vous dites aussi suppression des lois Debré-Pasqua, qu’est-ce qu’on jette, qu’est-ce qu’on garde ?

Jack Lang : Cela veut dire qu’on abroge ces législations, qu’on leur substitue une législation nouvelle qui comportera en particulier le retour du droit du sol, le regroupement familial, le respect des droits pour les étrangers en situation régulière, ce qui a toujours été la tradition de la France, mais dans le même temps…

Mme Sinclair : … et sur l’immigration clandestine ?

Jack Lang : … nous prendrons des mesures énergiques pour pourchasser tous ceux qui participent ou organisent le travail clandestin et qui, tels des négriers, exploitent des étrangers en les faisant venir par bateau ou par avion de l’outre-mer.

Mme Sinclair : C’est une leçon que vous avez tiré du flottement du Parti socialiste durant les mois de février et mars à propos des lois Debré ?

Jack Lang : Cela a été simplement un petit retard à l’allumage, si j’ose dire, mais cela ne touchait pas au fond des questions puisque nous avions déjà établi notre doctrine dans ses grandes lignes au mois de juin dernier.

Mme Sinclair : Quelques questions pratiques encore : le non-cumul des mandats ou plutôt la limitation du cumul des mandats. On a l’impression que c’est une « tarte à la crème » que tout le monde répète à l’envi parce que, en effet, c’est assez populaire, mais il faudra attendre des années avant que cela se fasse ?

Jack Lang : Non. D’abord nous avions accompli, sous le gouvernement de Laurent Fabius, une première réforme, on l’oublie, en 1985.

Mme Sinclair : Deux mandats seulement.

Jack Lang : Et nous allons parachever cette réforme, si nous arrivons aux responsabilités, par une interdiction totale de tout cumul des mandats.

Mme Sinclair : De tout cumul, cela veut dire que l’on ne sera plus que ou député, ou maire ? Ou ce sera simplement deux mandats exécutifs ?

Jack Lang : C’est établi dans notre programme, nous l’exécuterons et nous le réaliserons.

Mme Sinclair : Et la durée des mandats aussi, vous avez l’intention de la réduire ? Cela veut dire que vous ferez le quinquennat ?

Jack Lang : Mais pas simplement le quinquennat, nous voulons ramener la durée de tous les mandats à cinq ans : cinq ans les maires, cinq ans les sénateurs, cinq ans le Président de la République, cinq ans les députés parce qu’il est normal que le peuple puisse se prononcer régulièrement, c’est quand même la source première de la légitimité dans un pays démocratique.

Mme Sinclair : La parité hommes/femmes, est-ce un slogan ? Et que vous ne ferez pas ? Ou n’est-ce pas, quand même, un grave changement dans l’esprit de la République qui ne distingue pas entre ses citoyens et qui ne divise pas les Français en catégories ?

Jack Lang : N’ouvrons pas des débats philosophiques, très intéressants d’ailleurs, mais les femmes, ce sont, comme disaient les anciens Chinois, la moitié du monde, la moitié du ciel. Donc, il est normal que les femmes puissent avoir vocation dans l’économie, dans la vie et dans la vie publique à partager et à participer, à apporter surtout leur imagination, leurs talents et leur expérience à la Nation.

Mme Sinclair : C’est-à-dire que vous changerez la Constitution ?

Jack Lang : Nous changerons la Constitution, si cela est possible, en tout cas nous adopterons toute une série de textes qui, pour les élections, pour le financement des partis, encouragera la présence des femmes dans les élections et dans la vie publique. Et, par ailleurs, nous avons donné l’exemple puisque, je le répète, nous sommes la seule organisation politique qui présentera 30 % de femmes aux élections législatives.

Mme Sinclair : Ainsi que le Parti communiste. Le Parti communiste fait même un peu mieux que vous, je crois !

Jack Lang : Alors, bravo, chapeau, si c’est le cas, tant mieux !

Mme Sinclair : Vous avez dit : « Il y a 30 % de femmes candidates », mais combien d’élues à l’arrivée, combien de sacrifiées ?

Jack Lang : Cela dépendra un petit peu du résultat !

Mme Sinclair : Franchement, vous n’aurez pas 30 % de femmes élues ?

Jack Lang : De toute façon, nous en aurons largement plus que nos concurrents qui ne présentent que, tenez-vous bien, 8 % de femmes.

Mme Sinclair : Oui, mais, eux, ils ont des sortants, c’est peut-être plus difficile ?

Jack Lang : Bien, écoutez, chacun fait ce qu’il doit, en tout cas ce que nous faisons, nous le faisons avec conviction, détermination et enthousiasme. Et, pour nous, ce sont des sujets de fond. Ce ne sont pas des sujets superficiels. Et le changement de la politique, le changement de la démocratie, c’est, à nos yeux, quelque chose de vital, je le répète, si l’on veut redonner confiance aux Français dans leurs institutions et dans leur Gouvernement. Car, rien ne changera, et en particulier la remise en marche de l’économie, si les Français n’établissent pas, avec leur Gouvernement, un contrat de confiance pendant cinq ans.

Mme Sinclair : Mais le contrat de confiance, c’est ce que font toujours tous les électeurs quand ils votent pour une majorité. Et puis, depuis des années, vous voyez bien qu’ils sont déçus à chaque fois. Ils ont été déçus par vous. Ils ont été déçus par l’actuelle majorité. Ils ont toujours été déçus. Alors, aujourd’hui, que pouvez-vous leur dire ?


Jack Lang : Ne m’obligez pas, dans le peu de temps que nous avons, à revenir sur le passé.

Vous, vous caricaturez à l’instant…

Mme Sinclair : Non, mais les élections, quand on change de camp, cela veut dire qu’on sanctionne ceux qui étaient au pouvoir ?

Jack Lang : Cela, c’est la voie de la démocratie. C’est ce qu’on appelle l’alternance, ce qui est, d’ailleurs, un grand progrès en démocratie. Et je suis très heureux de constater que notre pays accepte l’alternance, parfois l’encourage, et même sous la forme de la cohabitation.

Mme Sinclair : Alors revenons, pour conclure, si vous le voulez bien, aux enjeux de ces élections – et puis l’on revient à ce leitmotiv qui était le nôtre tout au long de l’émission, c’est-à-dire cette indifférence, peut-être ce désintérêt, ce désinvestissement à propos des élections – les Français voient s’affronter des partis politiques et, au fond, ils attendent des solutions à leurs problèmes. N’est-ce pas de là d’où vient, justement, la désaffection ?

Jack Lang : Les solutions, il faut le dire, il faut parler avec vérité là encore, ce n’est pas seulement appuyer sur un bouton, on appuie sur le bouton A ou le bouton B pour obtenir tel résultat.

La solution première, je vous le répète, c’est de changer la relation avec le peuple et de recréer la confiance.

Et ce que j’ai envie de dire à ceux qui nous écoutent, notamment aux jeunes, mais pas seulement aux jeunes : participez à cette élection, au débat. Ne laissez pas les autres décider à votre place – et je pense notamment aux jeunes parce que c’est leur avenir qui se joue –, faites-vous entendre.

Je suis convaincu que si nous revenons au Gouvernement dans un mois, nous serons en mesure de proposer au pays de nouvelles aventures collectives. Nous aurons la capacité de donner l’envie d’avoir envie : envie d’inventer, envie de se battre, envie de construire et de répondre à cette fois d’idéal dont parle si bien Alain Souchon.

Et je crois que l’on a ce besoin, en France, de connaître de nouveaux enthousiasmes et, en particulier, de faire que notre pays, la France, soit locomotive, soit pionnière.

Et, finalement, le choix est relativement simple :

- soit l’on donne les pleins pouvoirs – on a le droit de le faire – pendant cinq ans au Gouvernement sortant, un Gouvernement d’esprit conservateur et qui risque d’établir une sorte d’insécurité sociale ;
- soit l’on choisit un Gouvernement de l’innovation et de la justice sociale, celui que nous proposons. Et, personnellement, je souhaite que le 25 mars prochain ou plutôt le 1er juin prochain, notre pays retrouve un peu de ses couleurs et de sa volonté d’aller de l’avant, de se battre et de ne pas accepter le destin que l’on voudrait nous imposer.

Mme Sinclair : Merci, Jack Lang.

La semaine prochaine, conformément aux directives du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui imposent la présence des partis non représentés à l’Assemblée nationale dans les émissions, je recevrai : Messieurs Chevènement, Mégret, de Villiers et Madame Dominique Voynet.

Dans un instant, Claire Chazal qui recevra Nicolas Sarkozy.

Merci à tous. Bonsoir.