Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d’État à la santé, dans "Ouest-France" le 18 juillet 1997, sur la priorité donnée à la politique de santé publique, le projet de création de l'Agence de sécurité sanitaire et de l'Institut de veille épidémiologique, la préparation des états généraux de la santé et le renforcement des contrôles de radioactivité à l'usine de retraitement de La Hague.

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Média : Ouest France

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Ouest-France : Quelle est votre priorité numéro un ?

Bernard Kouchner : La santé publique, c'est-à-dire la protection des populations, la prévention des maladies et des grands accidents sanitaires. Notre système est orienté vers la maladie et ses conséquences, et la santé publique, en amont, avant la maladie, reste le parent pauvre de la médecine. Elle n'a ni l’« aura », ni la légitimité, ni les budgets nécessaires, face à la politique de soins dans notre pays. Je vais m'employer à la développer.

Ouest-France : Le précédent gouvernement, après la crise de la vache folle, souhaitait mettre en place une agence de sécurité sanitaire. Placez-vous vos pas dans ce projet ?

Bernard Kouchner : Je mets mes pas dans mes propres pas puisque j'étais ministre de la santé lors de la première loi de sécurité sanitaire en 1993. Nous avons alors créé l’Agence du médicament, l’Agence française du sang, et le comité de transparence des greffes. Mme Simone Veil a complété ce dispositif en créant l'Établissement français des greffes. Aujourd'hui, seconde étape : nous proposerons à la fin de l'année une seconde loi de sécurité sanitaire instituant une agence du même nom et un institut de veille épidémiologique à partir de la proposition de loi sénatoriale (1).

Ouest-France : Plusieurs ministères sont concernés. Le vôtre, en tête, mais aussi ceux de l'agriculture, de l'économie et les finances, de l'environnement. Les services vétérinaires, la concurrence et les fraudes, les douanes...

Bernard Kouchner : Il n'est pas question de remettre en cause les services qui existent, qui effectuent des contrôles et dont la compétence et le savoir-faire sont reconnus. Il est en revanche essentiel que les autorités sanitaires puissent être informées dès qu'il y a une alerte pour la santé humaine, d'où qu'elle vienne, et qu'elles disposent d'une capacité d'expertise suffisante pour proposer les mesures de protection de la santé. Bien sûr tous les ministères seront représentés.

Ouest-France : Sur un plan plus général de politique, de santé, quelles sont vos grandes priorités ?

Bernard Kouchner : Le dernier rapport de la Conférence nationale de santé met l'accent sur les inégalités notamment entre les régions. Il n'y aura jamais de risque zéro en matière de santé, c'est évident. Mais les inégalités dans l'accès aux soins, dans la prévention et l'information  pauvres et riches ne sont pas égaux devant les maladies  oui, je veux les combattre. Voilà pourquoi je souhaite développer l'éducation à la santé en faveur des jeunes. Ou encore mieux prévenir les risques liés au grand âge, ou à l'opposé, si j'ose dire, les risques de mortalité maternelle.

Ouest-France : Est-ce que cela implique la fermeture de maternités ?

Bernard Kouchner : Cela implique bien sûr d'être vigilants sur les exigences de sécurité dans les maternités. Celles-ci ne peuvent fonctionner que si toutes les garanties sont apportées pour l'activité d'anesthésie, particulièrement. Cela implique également  nous y travaillons  de pouvoir mieux orienter les femmes lors des difficultés prévisibles pour la grossesse ou l'accouchement vers des établissements adaptés à leur état, sans perte de temps (2).

Ouest-France : Vous souhaitez organiser l'année prochaine des états généraux sur la santé, qui, partant des réglons, convergeront ensuite vers Paris. N'est-ce pas une solution pour gagner du temps en matière budgétaire ?

Bernard Kouchner : Non. Le plan Juppé et la maitrise des dépenses de santé existent. Martine Aubry et moi ne bouleverserons pas les choses en lâchant la proie pour l'ombre. C'est ce que nous avons indiqué aux médecins en les invitant à faire eux-mêmes des propositions. Mais il faut un large débat sur les questions de santé, qui ne soit pas simplement un débat entre experts et spécialistes. Il faut parler des risques, des choix, des coûts, de l'éthique, du futur... L'ambition des états généraux sera donc de réconcilier les Français avec leur système de santé, et les médecins avec eux-mêmes. Il y a trop de cloisonnements. Il faut aérer. Ouvrir l'hôpital sur la ville. Prendre en compte avant tout les besoins de santé.

Ouest-France : Les dernières analyses faites sur les rejets radioactifs de la Hague sont-elles rassurantes selon vous ?

Bernard Kouchner : Elles ne font pas état de risques pour la population. En particulier, les mesures effectuées ne montrent pas d'augmentation de la radioactivité dans l'air, l'eau des rivières ou sur les plages. Et il n'y a pas aujourd'hui d'élément qui permette de dire qu'il y a une augmentation du nombre de cas de leucémies dans le Nord-Cotentin, en particulier dans le canton de Beaumont-la-Hague jusqu’en 1993. Mon souci de santé publique m'a conduit cependant à renforcer la fréquence des contrôles et la poursuite des études, notamment par le biais de registre des cancers de la Manche que nous allons financer et qui étudierons la pathologie de 1993 à nos jours.

(1) Il s’agit de la proposition de loi des sénateurs Huriel et Descours.
(2) Il vient de confier une mission sur ce point au professeur René Frydman, chef de service de la maternité Antoine Béclère de Clamart.