Déclaration de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'État à la santé et à la Sécurité sociale, et interview à Europe 1 le 2 avril 1996, sur le rapport Zarifian sur les médicaments psychotropes et le projet de création d'un observatoire national de la prescription et de la consommation médicamenteuse.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Éléments de l'intervention d'Herve Gaymard, le mardi 2 avril 1996

Introduction

En 1995, madame le ministre des affaires sociales de la santé et de la ville et le ministre délégué à la santé, constatant que la consommation de psychotropes était en France l'une des plus importantes d'Europe, ont chargé monsieur le Professeur Zarifian d'une mission générale sur la prescription et l'utilisation des médicaments psychotropes.

A cet effet monsieur le Pr. Zarifian s'est entouré d'un comité de pilotage comportant notamment des représentants de l'Agence du médicament, des organismes d'Assurance maladie, de l'Inserm, du SNIP, ainsi que d'experts Français et étrangers.

Ce rapport qui m'a été remis il y a une dizaine de jours a fait l'objet à ma demande d'une étude attentive de mes services ainsi que d'un avis du comité économique du médicament. Je souhaite donc aujourd'hui vous faire part des réflexions qu'il m'inspire et des premières initiatives que j'entends dès à présent prendre en ce domaine.

Le rapport

Je tiens à souligner à cet instant le travail considérable de concertation et d'études dont ce rapport est le résultat et j'en remercie les participants. Je vous laisse le soin d'étudier en profondeur le document que vous avez en main et je me contenterai pour ma part d'en évoquer ici-même les éléments qui m'ont frappé :

La consommation de médicaments psychotropes en France est supérieure à celle des autres pays européens quelle que soit la classe considérée (tranquillisants, hypnotiques, neuroleptiques et antidépresseurs) et ce dans des proportions importantes.

Il existe d'après le rapport un phénomène de fidélisation à la prescription de psychotropes de manière chronique chez ceux qui en consomment.

Notre société tend à proposer des réponses médicamenteuses aux agressions de la vie, solutions parfois inadaptées comportant des risques.

La connaissance que nous avons sur les effets indésirables à long terme de ces médicaments demeure insuffisante.

Cette constatation faite et avant de proposer des mesures, je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas de porter un discrédit sur une classe médicamenteuse qui a transformé de façon positive le traitement de certaines affections psychiatriques. Il ne s'agit pas non plus de chercher à mettre en cause de quelle que façon que ce soit les professionnels ou les patients mais de contribuer à améliorer la connaissance et l'information des utilisateurs.

Après avoir soumis un certain nombre d'idées à l'expertise de mes services, du comité économique du médicament et de l'agence du médicament je suis en mesure aujourd'hui d'indiquer deux pistes de travail que j'ai retenues :

1°) L'expertise des pouvoirs publics sur les médicaments psychotropes doit être renforcée afin de mieux garantir la santé publique.

2°) Il est souhaitable d'améliorer l'information du public et des professionnels de santé.

Les propositions

I. – Concernant l'expertise des pouvoirs publics, le moment me semble opportun de mettre en place un double dispositif :

– un observatoire national de la prescription et de la consommation médicamenteuse ;
et :
–  un réseau d'experts.

L'observatoire national aura pour mission d'orienter les études nécessaires à une meilleure connaissance de la consommation et de l'utilisation des médicaments.

Il ne s'agit pas de créer une structure lourde, mais de mettre en place un comité placé auprès du ministre chargé de connaître, comprendre et d'évaluer les prescriptions et les consommations médicamenteuses, notamment celles des psychotropes. Sa mission consiste à rassembler l'information détenue par les caisses d'assurance maladie, les mutuelles et l'Etat pour mettre en évidence les évolutions de la consommation par classe de médicaments. Je rappelle à cet égard qu'actuellement, la procédure d'autorisation de mise sur le marché ne permet pas d'exercer un suivi dans le temps de l'évolution de la prescription d'un médicament. Ceci est d'autant plus vrai que la plupart des expertises du dossier d'AMM ont été effectuées en milieu hospitalier et ne sont donc pas complètement représentative de l'usage qui pourra en être fait dans le cadre de la médecine de ville.

Ainsi, les phénomènes qui retiendront l'attention de l'observatoire feront l'objet d'une expertise en pharmacologie par un réseau de professionnels. Ce réseau sera constitué des équipes médicales et scientifiques dont les travaux sont reconnus en matière de pharmacologie clinique.

Concrètement, l'observatoire aura pour mission de signaler un phénomène quantitatif et le réseau d'en évaluer les conséquences en terme de santé publique. Les équipes du réseau travailleront par appel d'offre après s'être engagé à satisfaire à un cahier des charges bien précis.

Les pouvoirs publics se dotent ainsi de moyens d'expertises plus complets et indépendants.

Je souhaite que cet observatoire puisse être installé dans les deux mois.

II. S'agissant de l'information du public et de celle des professionnels de santé, elle doit se faire en direction des prescripteurs et des utilisateurs.

1. En ce qui concerne les utilisateurs, un rapport parlementaire présenté le 21 mars à la commission des lois de l'Assemblée Nationale a attiré par ailleurs, mon attention puisqu'il soulève lui aussi, le problème des effets des médicaments psychotropes sur la vigilance en cas de conduite automobile ou d'engins. J'ai l'intention de faire réaliser dans le cadre de la communauté européenne un pictogramme spécifique qui figurera sur les conditionnements afin de signaler les effets indésirables des psychotropes.

En outre, l'indépendance des avis des experts doit être indiscutable. Je vais pour cela saisir les conseils des ordres des médecins et des pharmaciens sur l'opportunité et la possibilité de modifier les codes de déontologie, dans le but de rendre publics les liens des professionnels de santé avec les intervenants du secteur. Nous pourrions vous inspirer d'exemples étrangers.

Enfin, en liaison avec les caisses d'assurance maladie et les mutuelles, des campagnes d'informations sur le bon usage des psychotropes vont être entreprises afin de donner une information transparente.

2. En ce qui concerne les professionnels de santé, leur demande de formation et d'information est forte. En conséquence, avec François Bayrou, je veillerai à ce que la circulaire d'application de l'arrêté de réforme du deuxième cycle des études médicales mette l'accent sur cette question.

Par ailleurs, je vais saisir l'assemblée des doyens afin qu'une réflexion sur le contenu de la formation obligatoire des médecins sur ce sujet soit menée.

Je vais demander que l'un des thèmes prioritaires de la formation médicale continue des médecins, porte dès 1996 sur les problèmes inhérents à la prescription des médicaments leurs seront adressées dès cette année.


Europe 1 : mardi 2 avril 1996

M. Grossiord : Constatez-vous que cette consommation est beaucoup trop forte dans notre pays par rapport aux grands voisins européens ?

H. Gaymard : Plusieurs choses. La première, c'est que, évidemment, nous avons une consommation excessive de psychotropes en France par rapport aux autres pays européens ou aux Etats-Unis par exemple. La deuxième chose, c'est que cette surconsommation est un phénomène de société. Donc, je ne désigne pas de bouc émissaire. On peut dire que c'est la faute aux médecins, à l'industrie pharmaceutique, qua sais-je. Je crois que c'est un phénomène global de société qui représente un peu le mal vivre de beaucoup de nos compatriotes. C'est la raison pour laquelle nous avons pris des mesures globales pour une meilleure observation et notamment sur les conséquences nocives de ces psychotropes, et une meilleure information et sensibilisation des Français et des prescripteurs.

M. Grossiord : Donc, ce sont des mesures qui visent à informer les patients. Avez-vous décidé quelque chose pour les médecins ?

H. Gaymard : Concrètement, cela veut dire créer un observatoire national de la consommation des médicaments. Cela veut dire ensuite mettre en place un réseau d'expertise pour regarder les effets pervers, par exemple sur la dépendance aux tranquillisants ou sur les incidences que cela peut avoir sur la conduite au volant et cela veut dire également sensibiliser le public. Je prends une initiative auprès de la Commission européenne pour que, sur les boîtes de médicaments, on mette en place des pictogrammes pour attirer l'attention sur les risques qu'implique une consommation abusive. Vis-à-vis des médecins, en étroite liaison avec les ordres professionnels, les syndicats de médecins libéraux et les organismes de formation, nous allons mettre en place à la fois dans la formation initiale des médecins et dans la formation permanente, une sensibilisation plus grande sur la prescription et la non prescription de ces médicaments.

M. Grossiord : On a bien compris que vous ne vouliez pas désigner de coupable. Vous parlez d'un problème de société et pourtant, il y a une dérive bien française, pourquoi ?

H. Gaymard : Il y a une tendance à la consommation d'un médicament qui est bien connue chez nous et qui n'est pas vraie seulement pour les psychotropes. Chacun sait que les Français ont des armoires à pharmacie remplies dans leur salle de bains, ce qui n'est pas le cas quand on va chez nos voisins allemands ou britanniques. C'est une des composantes de notre tempérament national et c'est bien la raison pour laquelle, avec J. Barrot, dans les réflexions qui sont les nôtres dans cette évolution importante de notre système de soins actuellement, nous voulons tout faire pour économiser les médicaments pour qu'il soit le plus justement prescrit et pour qu'il coûte moins cher à la Sécu.

M. Grossiord : Que pensez-vous des conclusions très sévères du professeur Zarifian sur le poids des laboratoires pharmaceutiques en la matière ?

H. Gaymard : Le seule chose que je voudrais dire c'est que nous avons besoin de transparence dans ce domaine et c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de créer ce réseau d'expertise en pharmacologie, indépendant de tout le monde, afin qu'il puisse dire ce qui est la vérité, sans lien avec quelque industrie que ce soit.

M. Grossiord : vous irez jusqu'à faire le ménage, par exemple à l'Agence du médicament qui délivre des autorisations de mise sur le marché et qui est dénoncée par le docteur Zarifian qui parle de « fonction ambiguë de certains experts qui siègent dans cette Agence de médicament ?

H. Gaymard : Sur ce sujet-là, je ne suis pas d'accord avec le Professeur Zarifian. L'Agence du médicament est récente, elle fonctionne bien et je voudrais dire, pour la complète information du public, que pour la première fois cette année, dans le rapport annuel de l'Agence du médicament, il y a une annexe où tous les experts qui ont été consultés par l'Agence du médicament, notamment pour donner des autorisations de mise sur le marché, sont nommément inscrits ainsi que leurs liens avec telle ou telle industrie ou tel ou tel laboratoire. Je crois que c'est ce devoir de transparence que nous avons mis en œuvre à l'Agence du médicament et que nous devons systématiser parce que ça existe dans d'autres pays, et on doit faire la même chose en France.

Question d'un auditeur : Pensez-vous que l'industrie pharmaceutique va se satisfaire de ces mesures ?

H. Gaymard : La question n'est pas de satisfaire untel ou untel, la question est d'agir dans l'intérêt général. Un secrétaire d'Etat, un ministre est en charge de l'intérêt général. Nous nous rendons compte actuellement que l'intérêt général, de ce point de vue là, n'est pas assuré, donc il nous a semblé indispensable de mettre en place ces mesures globales pour freiner la consommation de ces psychotropes.

M. Grossiord : N'avez-vous pas saisi ce débat sur les psychotropes pour alourdir le contentieux que le Gouvernement a actuellement avec les médecins ?

H. Gaymard : Il n'y a pas de contentieux avec les médecins. Ce qu'il faut retenir, c'est que nous avons la chance, en France, d'avoir un système d'exercice libéral de la médecine où le patient peut choisir son médecin, d'une part, et d'autre part nous avons une prise en charge de ces dépenses par la Sécurité sociale. Donc, c'est la combinaison de cette approche libérale, et de liberté à la fois professionnelle pour les médecins et les malades, et de prise en charge collective par la Nation que nous devons sauvegarder. Avec J. Barrot, avec A. Juppé, nous ne voulons pas d'une médecine socialisée ou étatisée. Mais nous savons aussi que les Français ne supportent plus les accroissements d'impôts et de charges sociales. Voilà notre enjeu.